En France, les aides au développement sont accordées en fonction de la qualité du projet et de son impact en terme de développement économique.

L’Agence française de développement (AFD), la Direction des relations économiques extérieures (DREE), la Coface ont une approche plutôt économique des règles de conditionnalité. Or les études précitées de la Banque mondiale démontrent que cette approche est peu efficace.

A) UNE APPROCHE ECONOMIQUE DES REGLES DE CONDITIONNALITE AUX EFFETS DECEVANTS

Les auditions de M. François David, directeur général de la Coface, M. Jean-François Stoll, directeur de la DREE et M. Antoine Pouillieute, directeur général de l’AFD démontrent que ce sont les critères économiques qui fondent, en grande partie les décisions d’aide. Si l’environnement commence à être une préoccupation, la situation politique et institutionnelle, notamment le degré de respect de l’Etat de droit par les pays qui reçoivent l’aide, ne semble pas suffisamment prise en considération.

 Les critères économiques

Selon M. François David "Pour l’évaluation des risques, la Coface utilise une batterie de critères. Elle examine ainsi la situation politique du pays acheteur, ses performances économiques et son comportement en matière de remboursement de sa dette internationale. Elle ajoute maintenant une appréciation micro-économique. Il est en effet apparu que les récentes défaillances de certains pays résultaient plus de fragilités micro-économiques comme celles du système bancaire privé que de décisions souveraines des pays en question."

"Dans certains cas, une appréciation purement technique du pays acheteur interdirait de prendre en garantie des opérations d’exportation ou d’investissement. D’autres critères peuvent néanmoins amener l’Etat à prendre des risques. Tel est, par exemple, le cas pour l’Algérie. Cela a également été le cas de l’Allemagne qui a continué à garantir des opérations vers la Russie à une époque où le risque paraissait trop important aux autres pays européens. On estime actuellement l’encours de risque pris par l’Allemagne dans les pays de l’ex-URSS à environ 150 milliards de francs."

Cependant selon M. Jean-François Stoll, dans l’analyse des risques, la dimension environnementale est prise en considération. "La DREE prend surtout en compte un risque global, et étudie les composantes environnementales, financières et certains risques non financiers dans leur ensemble. Pour ce faire, la DREE tient compte des avis des autres ministères, notamment le ministère des Affaires étrangères."

"L’achat de matériel français voire européen constitue la contrepartie des garanties accordées pour l’exportation. Dans le cas des garanties sur investissement, cette clause est moins forte, l’investissement français à l’étranger étant en lui-même considéré comme intéressant pour l’économie française. La prise en compte du respect de l’environnement pourra être à l’avenir une contrepartie exigée. C’est la thèse que l’Administration française défend dans la préparation du futur cycle de l’OMC. C’est désormais une pratique de la commission des garanties qui demande aux entreprises de produire une note d’impact à l’occasion de chaque dossier comportant des incidences environnementales."

 L’émergence de critères environnementaux

M. Jean-François Stoll a toutefois précisé que le contrôle de l’impact environnemental était encore plus grand lorsque les projets étaient financés sur crédits publics. "Quand on finance un projet de développement sur crédits publics, la prise en compte de l’environnement est de plus en plus importante. Bien souvent ces projets sont financés par des crédits multilatéraux. Ils font l’objet de discussions au sein de l’OCDE et au sein de l’Union européenne, notamment sur les questions de niveau de concessionnalité, mais aussi environnementales."

"L’intérêt d’un projet d’investissement (pour le pays de l’investisseur, comme pour le pays récipiendaire) doit s’analyser sur le long terme : exportation, approvisionnement en matières premières, installation de sous-traitants, présence culturelle. Il doit être aussi apprécié à plus court terme sous l’angle de sa rentabilité économique. Ceci est plus directement de la responsabilité de la Direction du Trésor, l’équilibre financier du projet étant sa principale condition de la maîtrise du risque."

M. Antoine Pouillieute a confirmé cette analyse en décrivant les mécanismes d’intervention de l’AFD dans le secteur pétrolier. "L’Agence ne se désintéresse pas du secteur pétrolier dans les pays producteurs où elle opère et pour lesquels le pétrole représente l’essentiel des recettes publiques. C’est une contrainte mais aussi un atout. Cette production de base représente l’essentiel de leurs recettes d’exportations, soit 98 % pour le Nigeria, 96 % pour l’Algérie, 93 % pour l’Angola, 89 % pour le Congo-Brazzaville, 79 % pour le Gabon. L’Agence ne peut donc pas faire d’impasse sur les activités pétrolières, source d’emplois locaux importants et mieux rémunérés que d’autres. En outre, les pays producteurs n’ont pas de capacité d’épargne locale, les pétroliers font donc appel aux financements extérieurs et les aléas de la production sont importants. Dans ce secteur, l’AFD n’est pas un bailleur traditionnel mais elle souhaite participer pour avoir un ticket minoritaire et utiliser ce levier à des fins de développement. Elle s’efforce de réaliser, en aval, des projets de développement locaux."

"Les investissements dans ce secteur doivent répondre à trois exigences fortes : le respect de l’environnement, la transparence, la possibilité de quantifier leur contribution au développement."

M. Antoine Pouillieute a insisté sur le respect de normes environnementales quant l’AFD intervient : "L’AFD a procédé à une classification des projets. Sont classés A ceux qui ont un fort impact sur l’environnement et nécessitent une étude détaillée, B ceux qui nécessitent une étude d’impact sommaire, en C ceux qui, ne portant aucune atteinte à l’environnement, ne demandent pas d’étude d’impact. Tous les projets pétroliers comme les projets miniers sont classés en A, de même que les complexes industriels et les infrastructures (oléoducs, gazoducs), comme le prévoient, par ailleurs, les procédures de la Banque mondiale."

"La transparence est une forte préoccupation de l’Agence, qui respecte les clauses anti-corruption prévues dans la convention de l’OCDE. Ces clauses impliquent un engagement juridique des bénéficiaires de l’investissement et les sanctions en sont l’exclusion du financement du projet."

"L’AFD s’efforce de quantifier l’impact des projets pétroliers sur le développement. Les ressources pétrolières appartenant aux Etats producteurs, il est normal qu’elles figurent dans leur comptabilité publique et soient prises en compte par le FMI. Elles constituent une garantie pour les Etats et le prêteur qu’est l’Agence."

 Des résultats décevants et critiqués

La mission ne peut que constater que deux des pays où l’AFD est l’un des intervenants, l’Angola et le Congo, connaissent des guérillas et des rebellions armées et que la rente pétrolière sert surtout à l’achat d’armes, le cas échéant en gageant les futures productions de pétrole. Elle a demandé des éclaircissements sur ce point à M. Antoine Pouillieute qui a fait la réponse suivante : "La conditionnalité politique des projets de l’AFD se situe en amont de ses actions, puisqu’elle intervient dans la zone de solidarité prioritaire, définie récemment par le ministère. En outre lorsqu’un pays où l’Agence est habilitée à intervenir a plus de deux mois d’impayés, elle ne lance plus de projets nouveaux. Au bout de quatre mois d’impayés, elle les suspend ; c’est le cas en Angola, au Congo, en République démocratique du Congo et aux Seychelles. La sécurité est une donnée majeure car elle influence les chances de réussite d’un projet. Elle permet d’assurer un dialogue réel avec les interlocuteurs sur place et donc une étude sérieuse."

A cet égard, il a rappelé que "en tant qu’établissement public, l’Agence était sous tutelle d’un conseil de surveillance où siègent les trois ministères. Elle ne peut faire passer un projet contre leur avis. En cas de divergence entre l’appréciation de l’AFD et celle des ministres de tutelle, l’avis des ministres est respecté ; l’Agence a dû ainsi renoncer à des projets en Algérie et au Mali."

Il a en outre reconnu que "si on ne se préoccupait pas de la capacité institutionnelle des Etats, et de leur capacité d’absorption de l’aide, les effets des investissements étaient nuls. Il convient donc de s’appuyer sur un secteur public marchand en voie de privatisation ; c’est le ministère des Affaires étrangères et celui de la Coopération qui se réservent l’appui à l’Etat de droit et donnent une assistance technique à cet appui, qui n’est pas du ressort de l’Agence. L’AFD s’efforce de pallier les carences des Etats en ne décaissant que sur facture et en diversifiant ses emprunteurs."

Mme Hélène Ballande, membre des Amis de la Terre a critiqué le fonctionnement de l’AFD et de la Coface qu’elle a jugés peu transparents : "Les recherches de l’association sont restées infructueuses sur les obligations et exigences de l’Agence française de développement qui dispose d’un secteur minier et pétrolier et étudie actuellement le financement du projet d’oléoduc au Tchad et au Cameroun. De même, la Coface ne semble absolument pas prendre en compte des critères sociaux ou environnementaux lorsqu’elle garantit au nom de l’Etat français les projets des entreprises pétrolières."

Elle a rappelé que "A l’occasion du sommet du G7 de Denver en 1997, les pays industrialisés avaient reconnu l’impact des flux financiers du secteur privé dans les pays en développement et la nécessité pour les gouvernements de tenir compte des facteurs environnementaux lorsqu’ils apportent un soutien financier aux investissements d’infrastructure et d’équipement. Ce langage extrêmement faible adopté dans le communiqué final du sommet visait en fait l’harmonisation des politiques des agences de crédit à l’exportation (Coface pour la France). Il résultait en fait d’une pression très forte des "sherpas" français qui ont bloqué toute proposition des autres pays industrialisés et de la société civile contenant des engagements plus précis. Au contraire, les assurances de crédit aux exportations semblent s’appuyer sur des critères différents moins exigeants pour les projets pétroliers. En effet, les risques pays pour le Cameroun et le Nigeria sont diagnostiqués en ces termes par la Coface : "A moyen terme : risque très élevé sauf secteur pétrolier."

"Il serait intéressant de comprendre sur quel fondement se base cette "exception pétrolière" en matière d’assurance publique à l’exportation. Du point de vue social et environnemental, ces projets semblent comporter des risques beaucoup plus importants comme le démontrent actuellement les manifestations des femmes Egi au Nigeria qui réclament le départ de la société Elf mais également les guerres civiles au Congo et en Angola."

De nouveaux équilibres doivent être instaurés pour éviter que l’aide au développement de projets pétroliers soit inefficace, voire néfaste.

B) LES REPONSES POSSIBLES

La mission a été sensible au constat désabusé de M. Pierre Péan, écrivain : "La conditionnalité des aides devrait pouvoir fonctionner dans les pays du Sud. On peut espérer un jour imposer ainsi la démocratie. Le discours de La Baule n’a pas été bien appliqué. La France, qui s’est impliquée pour imposer le retour de la démocratie dans les pays de l’Est, n’a pas déployé la même énergie pour l’imposer dans les pays du Sud."

M. Jean-François Bayart, directeur du CERI a également jugé que "toutes les contraintes et les conditionnalités imposées aux bailleurs de fonds pour éviter la prédation des ressources ont été d’une efficacité limitée dans le domaine des droits de l’Homme, car les régimes dictatoriaux sont habiles à contourner les injonctions des bailleurs de fonds. Toutefois, si un Etat comme la France voulait aller au bout de cette logique, il en aurait les moyens, mais le pouvoir politique hésite à bloquer les financements pour éviter de déstabiliser le pays concerné. La France ne s’est jamais donné les moyens d’appliquer strictement les règles de conditionnalité, sauf lorsqu’elle a fait comprendre au Président Kolingba qu’il devait partir car il avait perdu les élections."

Une application plus stricte des règles de conditionnalité des aides publiques accordées aux projets pétroliers est nécessaire. La mission juge que le seul intérêt économique d’un projet pétrolier est un critère insuffisant en terme de développement et de lutte contre la pauvreté.

La mission considère que trop souvent une sorte "d’exception pétrolière" a joué (cas de la Birmanie, du Nigeria, du Congo ou du Cameroun). Or, quels que soient le montant des fonds investis et la qualité des projets, le développement et la lutte contre la pauvreté s’accommodent mal de l’existence de rebellions armées, de guerres civiles larvées, de régimes dictatoriaux corrompus.

Pour que les aides publiques accordées par les institutions françaises à des projets pétroliers, dans la zone de solidarité prioritaire, soient efficaces, il convient de renforcer les règles de conditionnalité en amont : exiger avant de verser ces aides que l’Etat qui en bénéficie ait pris les mesures législatives pour budgétiser ses ressources pétrolières, assurer la transparence de leur gestion, indemniser les populations lésées par l’exploitation des hydrocarbures et mettre en place des normes environnementales.

Une application plus stricte des règles de conditionnalité des aides publiques aux projets pétroliers est nécessaire. Une réflexion doit être conduite, car jusqu’ici, malgré les aides et les garanties publiques accordées dans les cadres multilatéraux et bilatéraux, les Etats en développement qui produisent du pétrole, sont souvent plus endettés que les autres.

Le renforcement des règles de conditionnalité des aides aux projets d’exploitation pétrolière dans les pays en développement pourrait permettre de concilier exploitation pétrolière et développement durable.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr