Le 9 octobre 1996, des élus du conseil régional d’Ile-de-France appartenant au mouvement politique Les Verts ont dénoncé au procureur de la République de Paris de graves irrégularités qui auraient été commises à l’occasion de la passation des marchés publics par l’institution régionale.

Le 9 avril 1997, le commissaire du gouvernement près la chambre régionale des comptes d’Ile-de-France a adressé au procureur de la République de Paris les observations définitives de cette juridiction sur les marchés de réhabilitation et de maintenance des lycées de la région.

A la suite de premières investigations, une information judiciaire a été ouverte le 3 juin 1997 par le procureur de la République de Paris des chefs de faux et usage de faux, favoritisme, recel et ententes. Ultérieurement, la saisine a été élargie à des faits de trafic d’influence, corruption, abus de confiance, abus de biens sociaux et recel.

Le marché des lycées d’Ile-de-France

Les investigations entreprises concernent principalement un système d’entente organisée entre les entreprises qui ont obtenu et réalisé entre 1989 et 1995 des marchés de construction, réhabilitation et entretien de lycées et autres établissements scolaires relevant de la compétence régionale, et dont l’ensemble représente une dépense d’environ 23,4 milliards de francs pour la collectivité. De nombreux éléments démontrent que tout ou partie de ces marchés ont été attribués par les instances régionales en violation des dispositions du code des marchés publics. Les entreprises ont été à tour de rôle favorisées les unes par rapport aux autres et, selon les chantiers concernés, suivant un "tour de table" préétabli par leurs dirigeants respectifs destiné à faire en sorte que soit respectée une répartition "équitable" entre les entreprises et groupes d’entreprises intéressés. Un tel procédé est en totale contravention avec le code des marchés publics, qui prévoit une mise en concurrence marché par marché des entreprises candidates selon une procédure administrative stricte destinée à permettre la sélection de la meilleure offre indépendamment de tous critères extérieurs à la compétition mise en œuvre.

Le principe de l’existence de ces ententes a été admis par les responsables des entreprises et l’assistant au maître d’ouvrage (AMO) qui les mettaient en œuvre, ainsi que par les principaux responsables du conseil régional qui en étaient informés et souhaitaient qu’une sorte d’équilibre économique s’instaure pour réaliser ce vaste programme.

Les investigations ont démontré que la mise en place et le fonctionnement de ce dispositif se sont accompagnés d’un large système corruptif. En effet, des multiples et convergentes déclarations des principaux protagonistes, il ressort que l’attribution de ces marchés était subordonnée au versement par les entreprises de "commissions".

L’information a permis d’établir qu’il était convenu que 2 % du montant des marchés des lycées seraient versés par les entreprises attributaires à différents partis politiques, soit sous la forme du financement "officiel" prévu par la législation en vigueur à l’époque (loi du 15 janvier 1990), soit sous des formes occultes (paiement en espèces, emplois fictifs).

L’existence de cet accord et le financement effectif des partis politiques en conséquence de l’obtention des marchés des lycées ont été admis par nombre de responsables des entreprises attributaires, même si certains ont déclaré avoir refusé de céder à la sollicitation de verser les 2 % qui leur était faite.

Tel a été le cas des représentants des entreprises suivantes :
 Sicra
 Baudin Châteauneuf
 GTM
 Bouygues
 Nord-France
 Dumez
 Chagnaud
 CBC
 Fougerolles.

Les principaux dirigeants du conseil régional ont admis, selon les cas, qu’ils avaient contribué au fonctionnement du système des 2 % ou qu’ils en connaissaient l’existence : Jean-Pierre Fourcade, premier vice-président du conseil régional, Pierre Pommelet, directeur général et directeur de cabinet du président, Xavier de la Gorce, directeur général adjoint, Christine Lor, membre du cabinet du président du conseil régional chargée des lycées, Jacques Cherifi, chef de cabinet du président du conseil régional. Le dirigeant de l’entreprise Patrimoine Ingénierie, Gilbert Sananes, principal assistant au maître d’ouvrage, a confirmé l’existence du système.

Michel Giraud, président du conseil régional, a quant à lui déclaré que Christine Lor lui avait "donné des informations sur le financement des partis politiques par certaines entreprises bénéficiant des marchés METP". Il a ajouté : "Je conteste donc l’affirmation selon laquelle je n’aurais pas désapprouvé. Je n’ai fait aucun commentaire. En revanche, j’ai pris des décisions en sensibilisant le premier de mes collaborateurs, Pierre Pommelet."

Il ressort du dossier qu’il existait une clef de répartition des 2 % : 1,2 % pour Ie Rassemblement pour la République (RPR) et le Parti républicain (PR), 0,8 % pour le Parti socialiste (PS).

Les personnes chargées de la trésorerie de ces partis ont confirmé l’existence de ce financement, même s’il n’a pu être vérifié que les versements réellement intervenus ont respecté cette proportion puisqu’il n’existait pas de comptabilité permettant de distinguer les versements qui étaient le produit du pacte de corruption de ceux qui ne l’étaient pas, ou qui étaient le produit de pactes concernant d’autres marchés publics.

Ainsi, Louise-Yvonne Casetta a indiqué aux enquêteurs qu’un pourcentage des marchés devait être rétrocédé aux partis politiques. Elle a également déclaré, lors de son interrogatoire de première comparution, confirmant ce qu’elle avait dit lors de son audition par la police judiciaire : "Lorsque je travaillais avec M. Durand à la fin des années 1980, je me souviens que, lorsqu’il revenait de la commission des marchés du conseil régional dont il était membre, il appelait les entreprises et leur disait en substance : "Grâce à moi, vous avez eu tel marché, il faut que vous fassiez un don au RPR. (...)" Je maintiens que c’est vrai que les entreprises nous devaient de l’argent en fonction des engagements qu’elles avaient pris pour obtenir les marchés. Robert Galley, puis Jacques Boyon, puis Jacques Houdin étaient parfaitement au courant."

Robert Galley, Jacques Boyon et Jacques Oudin ont été successivement trésoriers du RPR. Jacques Durand (qui est décédé) a été l’adjoint du trésorier du RPR Robert Galley jusqu’en 1982, lorsqu’il a été remplacé par Jacques Rigault. Jacques Durand était également conseiller régional et membre de la commission d’appel d’offres.

Louise-Yvonne Casetta s’est par la suite rétractée, et les trésoriers du RPR ont nié avoir connu la cause des dons. Il n’en demeure pas moins que ses premières déclarations concordent sur plusieurs points avec celles d’autres protagonistes (Génin, Huchard, Sananes), et qu’elles sont également en totale concordance avec les déclarations de Jean-Pierre Thomas, ancien trésorier du PR qui, lui, a réitéré et précisé ses affirmations initiales.

Lors de ses premières auditions, Louise-Yvonne Casetta a précisé : "Après les commissions des marchés, Jacques Durand sollicitait les entreprises attributaires. J’ai observé ces faits entre 1986 et 1988. J’ai compris à cette époque-là qu’il y avait un lien entre l’attribution d’un marché et la soIIicitation de M. Durand."

Louise-Yvonne Casetta a ajouté qu’après le départ de Jacques Durand de ses fonctions au RPR, "dans certains cas", elle était informée de l’attribution de lycées à certaines entreprises par Gilbert Sananes : si les entreprises ne répondaient pas aux sollicitations, elle les sollicitait par courrier ou par téléphone.

Jean-Pierre Thomas a déclaré qu’en 1990, sur les instructions du président du Parti républicain, Gérard Longuet, il avait rencontré Michel Roussin, à l’époque directeur de cabinet du maire de Paris, dans son bureau de l’Hôtel de Ville, que celui-ci lui avait indiqué qu’un accord politique était intervenu entre le RPR, le PS et le PR, et que ce dernier recevrait des dons résultant de l’attribution des marchés de la région Ile-de-France.

Jean-Pierre Thomas a ajouté : "Michel Roussin m’a indiqué que mes interlocuteurs seraient Louise-Yvonne Casetta, Gilbert Sananes et Christine Lor. Je me suis acquitté de cette tâche avec honnêteté et sérieux (...). Tout cela se passait entre 1990 et 1995, alors que la loi autorisait les dons des entreprises aux partis politiques (...). De mémoire, Michel Roussin m’a dit qu’il y avait un accord entre les partis représentés au conseil régional d’Ile-de-France qui permettrait de percevoir des dons des entreprises et était la conséquence directe des énormes marchés de construction de lycées en Ile-de-France."

Ultérieurement, Jean-Pierre Thomas donnera des précisions dont certaines ont pu être vérifiées (audition des anciennes collaboratrices de J.-P. Thomas). Il a également évoqué la fongibilité des fonds perçus par le PR et l’absence de comptabilisation des cotisations liées aux lycées d’Ile-de-France : "Les dons arrivant de toute la France, je ne pouvais évidemment rien vérifier quant à ce qui avait pu motiver les entreprises." Interrogé sur la connaissance qu’il avait du pacte de corruption, Gérard Longuet, dont l’autorité sur Jean-Pierre Thomas est pourtant établie par le dossier, a nié en avoir été informé.

Gérard Peybernes, qui était responsable de l’Association de financement du Parti socialiste (AFPS) de mai 1991 à octobre 1994, a déclaré qu’il avait appris en 1992 par Jean-Marie Le Guen, secrétaire fédéral de la fédération de Paris, l’existence de dons des entreprises aux partis politiques "en relation avec les marchés de lycées de l’Ile-de-France", que celui-ci lui avait dit que le conseil régional décidait à l’avance de l’attribution des marchés à telle entreprise et que les politiques de la région, y compris, donc, ceux du Parti socialiste, votaient pour les entreprises prédésignées.

Gérard Peybernes a par la suite expliqué comment il était informé par Christine Lor et Dominique Raimbault, conseiller régional PS jusqu’en 1992, des attributions de marchés. Il allait ensuite "démarcher l’entreprise concernée" et disait au responsable qu’il contactait : "Vous avez eu tel lycée, faites un don au Parti socialiste."

Il a précisé que si l’entreprise sollicitée, après qu’elle avait obtenu le marché, refusait de payer, "il ne se passait rien" et qu’"il n’y avait pas de relation de cause à effet entre l’obtention du marché et le don, mais que cela facilitait". Il peut être déduit de ce qui précède que Gérard Peybernes, pour le moins, savait que les fonds qu’il collectait étaient le fruit du pacte de corruption. Egalement entendus, Pierre Moscovici et Alain Claeys, tour à tour trésoriers du Parti socialiste, ont nié avoir eu connaissance de ce que les dons collectés par l’AFPS étaient la conséquence de l’attribution des marchés de lycées d’Ile-de-France.

D’autres personnes ont confirmé l’existence du pacte des 2 %, comme Jean-Philippe Huchard, qui dirigeait une officine assurant le "relationnel" entre les entreprises de BTP et le RPR pour les marchés de la Ville de Paris puis, pendant quelque temps, pour ceux du conseil régional d’Ile-de-France.

Jean-Philippe Huchard a également indiqué que Christine Lor lui avait fait savoir qu’une commission de 2 % à 3 % sur chaque opération devait être versée aux principaux partis politiques représentés au conseil régional, d’après lui, le RPR, le PS et le PC.

Il convient d’ajouter que Jean-Jacques Porchez, à l’époque conseiller régional d’Ile-de-France, a déclaré qu’il avait été approché en 1993 par son collègue François Donzel, qui l’avait informé que les partis politiques représentés au conseil régional se partageaient 2 % du montant de tous les marchés passés par la région Ile-de-France et qu’il était proposé que "les deux groupes écologistes du conseil régional entrent dans la répartition pour un montant global estimé par lui à 0,25 %". Il a précisé que son parti avait refusé.

En outre, il est à remarquer que lors de son audition par la commission d’enquête parlementaire sur le financement des partis et des campagnes électorales sous la Ve République, l’ancien trésorier du RPR Robert Galley s’est vu poser la question suivante par Claude Bartolone (PS) : "Imaginons (...) que, par exemple, dans la région Ile-de-France, des entreprises retenues pour réaliser ou construire des lycées aient décidé de faire des dons au RPR. La position qui serait la vôtre serait-elle de refuser ces dons ?"

Lorsqu’il a été entendu comme témoin, Claude Bartolone a déclaré : "Aucune rumeur ou aucun écho n’est à l’origine de la question que j’ai posée."

Pourtant, plusieurs protagonistes du dossier ont déclaré, à propos des 2 %, qu’il s’agissait d’un"secret de Polichinelle" : Léon Nautin, de l’entreprise Nord-France, Martine Mariez, de l’entreprise Chagnau, Pierre Pommelet, Christine Lor.

Versements en espèces

Il ressort de la procédure que le versement de commissions sur les marchés de lycées n’a pas pris uniquement la forme du financement officiel des partis politiques que les personnes morales avaient le droit d’effectuer entre 1990 et 1995, mais dont la sollicitation et le versement devenaient des éléments des délits de corruption passive et/ou active dès lors qu’il s’agissait de dons sollicités et/ou obtenus pour que soient facilitée et/ou accordée par le conseil régional d’Ile-de-France la conclusion des marchés de construction, réhabilitation, maintenance des lycées et autres établissements scolaires relevant de la compétence régionale.

En effet, il a été établi que ces marchés ont également donné lieu à des versements en espèces et qu’ils ont généré quelques emplois fictifs.

Les versements par espèces sont, par essence, difficiles à détecter, et leur traçabilité est inexistante, ce qui est le but recherché par leurs auteurs et leurs bénéficiaires.

Néanmoins, ont été réunis les éléments suivants :

 François Donzel, conseiller régional, dirigeant du mouvement Alliance pour l’écologie et la démocratie (AED), petit parti écologiste et membre de la commission d’appel d’offres, a déclaré qu’il avait reçu de Gilbert Sananes 30 000 francs en espèces et que Michel Giraud lui avait remis 2 millions de francs en espèces en 1995. Il a fourni sur ce versement de 2 millions des explications contradictoires et peu crédibles, compte tenu des investigations effectuées. La réalité de cette remise a été attestée par un ami de François Donzel, Lucien Locquet, qu’il avait chargé de gérer ces fonds. Il se serait, d’après François Donzel, agi de "fonds spéciaux" remis par Michel Giraud à la demande de Nicolas Bazire, directeur de cabinet du premier ministre de l’époque. Entendu, Nicolas Bazire a formellement démenti.

Par ailleurs, il a été démontré que, peu de temps après avoir été nommé à la commission des marchés, François Donzel avait, le 29 juin 1992, effectué un dépôt de 350 000 francs suisses, soit environ 1 500 000 francs français au Crédit suisse de Genève, puis qu’il avait déposé, le 18 novembre 1993, sur le même compte, 292 000 francs suisses, soit environ 1 200 000 francs français. Pour justifier l’origine de ces dépôts, François Donzel a indiqué contre toute vraisemblance qu’il s’agissait du reliquat du "trésor de guerre de Mai 68".

 Les dirigeants de la société Baudin Châteauneuf avaient prévu de rémunérer le sénateur et maire de Villemomble, Robert Calmejane, qui devait recevoir 40 000 francs afin de faciliter le choix de leur entreprise pour obtenir le marché du lycée de cette localité. Une partie des fonds ayant été détournée par ceux qui devaient les lui remettre, le sénateur aurait perçu une enveloppe de 25 000 francs ou 30 000 francs fin 1989, par un cadre de Baudin Châteauneuf. Il aurait également reçu 100 000 francs d’un dirigeant d’un bureau d’étude. Robert Calmejane a nié ces faits malgré les déclarations concordantes de neuf cadres de diverses entreprises ayant travaillé pour la construction du lycée de Villemomble.

 Michel Elbel, qui était président de la commission d’appel d’offres de 1975 à 1992, a été mis en cause par Christine Lor pour avoir reçu d’elle des sommes en espèces remises par Pierre-Charles Krieg à l’époque où celui-ci était président du conseil régional.

De la déclaration de Michel Elbel, il ressort que ce dernier était au courant du rôle joué par Christine Lor et Gilbert Sananes dans la "présélection" des entreprises préalable à la procédure d’appel d’offres. Il a indiqué qu’en 1989 Christine Lor lui avait dit : "Il y a de l’argent qui est récupéré sur les entreprises, on a pensé au CDS", et qu’il avait "alors pensé que c’était le RPR qui se disait qu’il valait mieux en donner au CDS".

Pensant que Christine Lor agissait comme représentante de l’exécutif de la région, à l’époque présidé par Pierre-Charles Krieg, Michel Elbel dit avoir accepté de recevoir 1 million de francs de Christine Lor, qui lui avait confié que cet argent provenait des entreprises attributaires de marchés. L’ancien président de la commission d’appel d’offres du conseil régional a ajouté : "Je me suis dit que Christine Lor allait voir ces entreprises après les attributions et exerçait sur elles une pression pour obtenir des fonds."

Michel Elbel a précisé qu’il y avait eu quatre remises d’argent entre 1989 et fin 1991, représentant un total de 1 million de francs.

Il a, dans un premier temps, conservé cet argent par devers lui. A la demande de Claude Goasgen, l’un des responsables du CDS qui, semble-t-il, le soupçonnait de vouloir garder cet argent pour lui, Michel Elbel l’a en définitive remis à son parti, pour moitié à la fédération régionale et pour moitié à la structure nationale, ceci au su des dirigeants nationaux.

L’ancien trésorier du CDS, Albert Kalaydjian, a déclaré que Pierre Méhaignerie lui avait demandé d’aller chercher 400 000 francs au siège du conseil régional. D’après l’ancien trésorier, qui, lui aussi, a exprimé un soupçon de détournement sur Michel Elbel, la somme remise au CDS aurait servi au fonctionnement du parti pour être "substituée aux fonds secrets".

D’après Albert Kalaydjian, il n’a jamais été dit que cette somme provenait, "ni de près ni de loin, des lycées d’Ile-de-France".

Jean-Jacques Jégou, ancien président de la fédération centriste d’Ile-de-France, a reconnu avoir reçu 500 000 francs dans une mallette, remise dans un bureau du Sénat, à la demande de Dominique Giuliani, à l’époque directeur de cabinet du président du Sénat. Cette remise de fonds a donné lieu à la signature d’un reçu, qui se trouve au dossier. Jean-Jacques Jégou a indiqué qu’une partie de ces fonds avaient été déposés sur un compte ouvert au Trésor public, et le reliquat (environ 350 000 francs) remis à Claude Goasguen et à son successeur comme trésorier, Bertrand Devys.

Le rôle attribué à Michel Roussin

Les présidents successifs du conseil régional, Pierre- Charles Krieg puis Michel Giraud, étaient membres du RPR. L’ensemble des protagonistes ont indiqué que le RPR avait un rôle prépondérant dans le système de financement qui vient d’être décrit et qu’il se réservait la part la plus importante du produit.

Le RPR était présidé, de 1976 à 1994, par M. Jacques Chirac, qui a exercé les fonctions de premier ministre de 1974 à 1976, puis de 1986 à 1988. De 1977 au printemps 1995, M. Jacques Chirac a également été maire de Paris.

Au cours de cette période, le maire de Paris a été assisté par Michel Roussin comme chef de cabinet, puis comme directeur de cabinet. Celui-ci n’avait pas de fonctions officielles au sein du RPR, mais il a été décrit par de nombreux protagonistes du dossier comme ayant joué un rôle central dans la mise en place et le fonctionnement du dispositif de financement des partis politiques, et plus particulièrement du RPR.

Les trésoriers successifs du RPR, Robert Galley, Jacques Boyon et Jacques Oudin, ont été entendus.

Ils ont pour leur part nié toute responsabilité dans la conclusion et la mise en œuvre de cet accord, dont ils indiquent avoir même ignoré l’existence. Ces trésoriers ont cependant laissé entendre que Michel Roussin aurait pu, à leur insu, jouer un rôle en matière de financement. Robert Galley a en outre déclaré que c’est à l’initiative de Michel Roussin que Louise-Yvonne Casetta avait quitté la trésorerie du RPR en 1986, pour n’y reparaître qu’en 1989, lorque Jacques Rigault, ami de Michel Roussin, avait remplacé Jacques Durand.

Interrogé sur le rôle de Michel Roussin dans le RPR, l’ancien trésorier Robert Galley a déclaré : "Ce que je peux répondre, c’est que Michel Roussin n’avait aucune légitimité au sein du RPR. Pour ce qui est de son intimité avec Jacques Chirac, dont il était le chef d’état-major, je ne sais pas grand-chose. On peut parfaitement, dans les affaires, se targuer d’avoir "l’oreille du président, du directeur général, etc." pour procéder à son insu. Michel Roussin était le chef d’état- major du président du RPR, et, de fait, ceci lui donnait de l’autorité."

Comme indiqué plus haut, Louise-Yvonne Casetta et Jean-Pierre Thomas ont mis en cause Michel Roussin comme ayant un rôle important dans le système de collecte des fonds par les partis politiques.

Christine Lor a déclaré que Michel Roussin lui avait confirmé qu’"il y avait des versements d’argent provenant d’entreprises pour les partis politiques et qui représentaient 2 % des marchés publics en général". Elle a précisé que Michel Roussin lui avait dit que "les entreprises allaient voir les trésoriers des partis politiques". Christine Lor a indiqué qu’entre 1991 et 1993 elle était allée voir à deux reprises Michel Roussin à l’Hôtel de Ville, que tous les responsables d’entreprises désignaient comme chargé du reversement des 2 %. "Michel Roussin m’a confirmé que le versement des 2 % devait être fait par les entreprises auprès de Mme Casetta, M. Thomas et le PS", a-t-elle précisé.

Xavier de la Gorce, l’ancien directeur général adjoint, a déclaré que Christine Lor lui avait relaté ses contacts avec Michel Roussin et que Pierre Pommelet lui avait dit que "Michel Roussin s’occupait de l’entente pour le financement politique".

Gilbert Sananes, pivot du système, a décrit de la manière suivante le rôle de Michel Roussin : "Au départ, les partis sont en rivalité, les hommes aussi, ainsi que les courants. Chacun voyait les entreprises et jouait de son influence. Il a donc fallu, sous la pression des entreprises, que les partis recherchent un accord. C’est ici qu’est intervenu Michel Roussin. J’avais déjà eu l’occasion de le rencontrer une fois en 1990. Je l’avais appelé à la Mairie de Paris pour faire auprès de lui la promotion du METP et de ma société. Il m’avait reçu trente secondes. C’est, je pense, vers le mois d’avril ou de mai 1992 que Christine Lor a organisé une réunion avec Michel Roussin en ma présence. Cela se passait dans son bureau de directeur de cabinet à l’Hôtel de Ville. Christine Lor m’avait laissé entendre que Michel Roussin avait été sollicité afin de réfléchir à la répartition des financements politiques dans les METP. Au cours de la réunion, Michel Roussin m’a posé beaucoup de questions sur les METP, mais le problème du financement n’a pas été clairement évoqué. Dans le courant du dernier trimestre 1992, j’ai été convoqué une nouvelle fois par Michel Roussin. J’y suis allé seul. Là, toujours dans son bureau, il m’a demandé de lui faire rapidement les comptes de partage des marchés de lycées entre les groupes du BTP. Il voulait le nombre de marchés pour chacun ainsi que leur montant. Cela semblait très important pour lui. Je lui ai fourni tous ces renseignements. Il m’a également demandé combien tel ou tel groupe obtiendrait de marchés de lycées dans le futur. Il voulait faire des projections. Je n’ai pas pu répondre précisément. Il m’a aussi demandé de lui parler de contacts que nous, à la région, nous avions, au sein des entreprises. Manifestement, il connaissait très bien ce milieu. Il m’a demandé s’il pourrait compter sur moi dans l’avenir. Il m’a paru adroit et très bien connaître les conflits entre les partis politiques concernant leur financement dans le cadre des lycées. Il s’intéressait beaucoup à cette opération sur les lycées. Tout au long de l’entretien, qui a duré plus d’une heure, il était manifeste qu’il s’adresserait aux entreprises pour le financement des partis politiques."

Gilbert Sananes a décrit ensuite une troisième réunion dans le bureau de Michel Roussin à l’Hôtel de Ville, à laquelle participaient en outre Christine Lor et Jean-Claude Méry, un promoteur immobilier décédé en 1999 qui, dans une cassette vidéo publiée en septembre 2000 par le quotidien Le Monde, décrivait le rôle que lui-même avait joué dans le financement occulte du RPR.

Jean-Philippe Huchard a lui aussi évoqué le rôle de Michel Roussin. Il a expliqué qu’il connaissait ce dernier depuis l’enfance, lequel l’avait présenté en l983 ou 1984 à Jacques Durand, dont la "secrétaire" était Louise-Yvonne Casetta. D’après Jean-Philippe Huchard, Jacques Durand prélevait pour le RPR une "obole" des entreprises sur les marchés de la Ville de Paris : "Michel Roussin s’occupait de la relation entre la Rue de Lille et l’Hôtel de Ville pour la mise en œuvre de ce dispositif. Il était en relation permanente avec la Rue de Lille, et, par la suite, quand Mme Casetta a, dans les faits, pris la succession de Durand, c’était elle qui rendait compte à Roussin de la situation financière du parti."Il tenait ce renseignement de responsables des entreprises, qui lui avaient répété ce que Louise-Yvonne Casetta leur avait dit.

En 1986, explique Jean-Philippe Huchard, il a été reçu par Michel Roussin, qui était devenu chef de cabinet du premier ministre, M. Jacques Chirac, qui lui a demandé de se rapprocher de François Bidet, qui était à cette époque le directeur de cabinet de Michel Giraud : "M. Roussin m’a expliqué que de nombreux marchés allaient bientôt être conclus pour reconstruire et réhabiliter les lycées de la région, et que je devais prendre attache avec Bidet dans cette perspective."

Jean-Paul Huchard explique ensuite comment il s’est inséré, moyennant rémunération, dans le dispositif des commissions devant être versées aux partis.

Un certain nombre d’entrepreneurs ont également mis en cause Michel Roussin :

 Pierre-Michel Chaudru, cadre dirigeant de Sicra, après avoir confirmé l’existence des 2 % et que ses interlocuteurs respectifs au RPR et au PR étaient Louise-Yvonne Casetta et Jean-Pierre Thomas, a déclaré : "Par la suite, Mme Louise-Yvonne Casetta se référait à Michel Roussin lors des discussions que nous avions sur le financement du RPR en relation avec les METP. Elle disait rendre compte de son action à Michel Roussin. Concernant Jean-Pierre Thomas, je ne sais plus s’il se prévalait de Michel Roussin ou de Gérard Longuet, voire des deux."

 Les dirigeants successifs de l’entreprise Chagnaud, Philippe Fleury, Jean-Pierre Génin, Martine Mariez, ont également impliqué Michel Roussin par leurs déclarations.

Philippe Fleury a ainsi expliqué qu’il avait, à la demande de Michel Roussin, recruté pour un emploi fictif Patrick Segal : "J’avais dit à Michel Roussin que je n’en avais pas les moyens, sauf si cela pouvait être imputé sur les 2 % que je devais verser sur les lycées de la région Ile-de-France. Michel Roussin a accepté."Philippe Fleury a également décrit les pressions qu’il subissait de Louise-Yvonne Casetta pour payer les 2 %.

 Jean-Pierre Génin, le successeur de Philippe Fleury chez Chagnaud, a déclaré, le 20 septembre 2000 :

"... En 1991, après avoir pris mes fonctions, j’ai été appelé au téléphone par Mme Casetta, que je ne connaissais pas et qui s’est présentée comme appelant au nom du RPR. Je précise que, bien que membre de ce mouvement politique depuis 1976 et de l’UNR depuis 1965, je n’avais jamais entendu parler de Mme Casetta, ni d’ailleurs de Michel Roussin, jusqu’à ce que Philippe Fleury me le présente, six mois avant qu’il ne parte de Chagnaud. A l’époque, l’objet de la démarche de Philippe Fleury était de rappeler à Michel Roussin, qui s’occupait des marchés et qui suivait les relations avec les entreprises pour la Ville de Paris, que nous existions et que nous avions la capacité de faire des réalisations. Lorsque Mme Casetta m’a appelé, elle m’a dit qu’elle souhaitait me voir, qu’elle travaillait avec M. Michel Roussin et qu’elle considérait l’entreprise Chagnaud comme une entreprise professionnelle avec laquelle elle souhaitait maintenir des contacts. Deux semaines plus tard, elle m’a à nouveau appelé et m’a dit : "Vous venez d’avoir Limours, il faut que je vous voie." J’étais surpris car nous avions effectivement candidaté pour le lycée de Limours, mais j’ignorais que nous avions été désignés. Je suis donc allé au rendez-vous dans son bureau au siège du RPR, rue de Lille. J’ai décrit ce bureau lors de mon audition à la police.

"Mme Casetta m’a dit que nous lui devions 500 000 francs et que nous avions un engagement dans ce sens. Je me souviens qu’elle avait une attitude autoritaire. J’ai refusé. Je me souviens qu’elle souhaitait un versement en espèces et qu’il ne s’agissait donc pas d’un financement dans le cadre des dispositions de la loi de 1990. Il était absolument clair que cette somme était liée à l’obtention du marché du lycée de Limours. (...) Michel Roussin m’a convoqué dans son bureau de l’Hôtel de Ville. J’ai oublié la date, mais je me suis rendu dans son bureau de directeur de cabinet du maire. Mme Casetta se trouvait là, assise sur le côté gauche du bureau, et M. Michel Roussin a pris la parole pour me dire qu’il fallait que je règle les 500 000 francs correspondant au marché de Limours."Je me souviens que M. Roussin m’a en quelque sorte fait la leçon, en me disant qu’un entrepreneur devait savoir régler ce genre de problème. Michel Roussin est un homme assez impressionnant, et j’ai eu l’impression qu’il considérait qu’il avait affaire à un récalcitrant. Je pense même que, après l’échec de Mme Casetta, la convocation par M. Michel Roussin était l’expression d’une pression maximum. Michel Roussin m’a précisé qu’il faudrait verser la somme en espèces, sans toutefois suggérer la méthode à utiliser pour sortir cette somme. Michel Roussin présentait la chose comme une sorte de dette consécutive à des engagements antérieurs de l’entreprise et conséquence de l’obtention du lycée de Limours. Je me souviens qu’il m’a dit : "Vous avez eu le lycée de Limours, donc vous devez 500 000 francs." J’ai refusé, et d’ailleurs, en ce qui me concerne, je n’avais pris aucun engagement. Michel Roussin a ensuite essayé de me convaincre en réduisant la somme à 300 000 francs puis à 200 000 francs. J’ai maintenu mon refus, et la discussion s’est arrêtée rapidement."

Michel Roussin a refusé de s’expliquer, invoquant ce qu’il considère comme la "partialité" de la juridiction d’instruction.

La "cassette Méry"

De la déclaration de Philippe Fleury et Jean-Pierre Génin, il peut être déduit que la partie du financement "destinée" au RPR à partir des marchés publics des lycées ne se faisait pas seulement sous forme de financement "officiel" mais aussi d’emplois fictifs (apparaissent également dans le dossier deux autres emplois fictifs liés au RPR), et que ces versements pouvaient aussi avoir pris la forme d’espèces, comme cela avait été le cas pour le CDS, le mouvement écologiste AED et le sénateur RPR Robert Calmejane.

Les 21 et 22 septembre 2000 a été publié par le journal Le Monde le texte de l’enregistrement d’une cassette vidéo contenant les "confessions" posthumes de Jean-Claude Méry.

Des investigations ont été menées pour retrouver et saisir l’original de la bande magnétique dont le journal Le Monde affirmait publier l’essentiel du texte, afin notamment d’évaluer l’authenticité du document et de déterminer les conditions et le contexte de son enregistrement.

Les recherches n’ont pas permis de retrouver l’original, mais deux copies de "première génération". Elles ont également permis de reconstituer les circonstances de l’enregistrement (seule une contradiction - décembre 1995 ou mai 1996 - subsiste entre les versions respectives de deux des principaux protagonistes sur la date de l’enregistrement).

L’expertise a permis d’authentifier le contenu enregistré.

Des investigations effectuées, il ressort les éléments suivants.

Libéré le 9 mars 1995 après avoir été incarcéré dans le cadre d’une instruction menée à Créteil sur les marchés de l’office des HLM de Paris, Jean-Claude Méry, qui n’avait plus confiance en ses avocats pénalistes, avait confié peu après à un autre de ses avocats, Me Alain Belot, chargé de ses problèmes fiscaux, qu’il souhaitait procéder à un enregistrement dont le contenu lui servirait d’"assurance-vie" et de moyen de pression sur ses amis politiques pour obtenir la récompense de son silence devant le juge d’instruction.

En décembre 1995 (ou, d’après l’opérateur, le journaliste Arnaud Hamelin, en mai 1996), il a été procédé à l’enregistrement des "confessions" de Jean-Claude Méry. Arnaud Hamelin a effectué l’enregistrement seul, avec un Caméscope ordinaire, en présence d’Alain Belot.

Le contenu de la cassette est un quasi-monologue. Jean-Claude Méry y décrit son rôle dans le financement du RPR par les entreprises attributaires de marchés publics par l’office des HLM de Paris. Il met à plusieurs reprises en cause Michel Roussin comme ayant joué un rôle central dans le dispositif de financement occulte du RPR, et évoque le rôle de Louise-Yvonne Casetta. Il évoque aussi des remises d’argent liquide et des emplois fictifs, en des termes qui sont en concordance avec les éléments réunis au cours de l’information : "Je dirais que, à Michel Roussin, en direct, j’ai versé, bon an, mal an, un peu plus de 5 ou 6 millions en liquide, près de 10 en liquide, directement à Paris, et quasiment la même chose en Suisse. Il faudra rajouter pour Michel Roussin un nombre impressionnant d’élus, divers et variés, de droite ou de gauche, embauchés à la demande de Michel Roussin dans toute une série d’entreprises de gros œuvre ou de second œuvre, leur assurant un salaire et faisant que ces gens-là ou leurs épouses pouvaient travailler pour le RPR sans autres soucis."

Jean-Claude Méry évoque également une remise de fonds à Michel Roussin, qui aurait eu lieu en présence de M. Jacques Chirac entre 1986 et 1988.

Jean-Claude Méry décrit la remise de fonds en espèces, 3 millions de francs en trois ans, à Michel Giraud avec l’accord de Michel Roussin, et des interventions sur les marchés du conseil régional, les Palulos, les marchés relatifs au chauffage des lycées.

L’intervention de Jean-Claude Méry sur les marchés du conseil régional d’Ile-de-France avait déjà été évoquée par Jean-Philippe Huchard, qui avait affirmé qu’en 1989 Christine Lor lui avait dit qu’il serait "remplacé" par Jean-Claude Méry. En outre, Gilbert Sananes a relaté une réunion qui se serait tenue dans le bureau de Michel Roussin à la mairie de Paris au cours de laquelle la décision aurait été prise de remplacer Jean-Claude Méry par Gilbert Sananes et Christine Lor pour la gestion du financement politique lié aux marchés de lycées.

Pour évaluer la crédibilité du document, il n’est pas sans intérêt de rapprocher d’autres points qui apparaissent dans la "cassette Méry" avec certains éléments recueillis lors de l’information. Ainsi, Jean-Claude Méry parle d’une somme de 3 millions de francs remise à Gérard Monate, collecteur de fonds du Parti socialiste, à la suite d’"une transaction faite avec M. Houdayer". Lorsqu’il a été entendu, Gérard Monate a déclaré : "En 1988 ou 1989, Jean-Claude Méry m’a indiqué qu’il allait avoir un pactole, je crois, avec les marchés de chauffage de lycées (...). Il m’a indiqué qu’il avait reçu une instruction politique de faire une répartition entre toutes les composantes du conseil régional."Mais il a nié la remise d’argent par Jean-Claude Méry. Louis Houdayer, qui était un collaborateur de Gérard Monate, a indiqué avoir eu des contacts avec Jean- Philippe Huchard, qui lui avait présenté Christine Lor et Gilbert Sananes, confirmant l’existence de l’accord de financement inter-partis. Louis Houdayer a également indiqué que "Jean-Claude Méry se référait à Michel Roussin comme celui à qui il rendait des comptes en matière de collecte". Il a décrit une remise d’espèces par Jean-Claude Méry, confirmant ce point du récit de la cassette :"En fait, M. Méry m’avait expliqué qu’il avait un don à faire au PS. J’avais compris qu’il s’agissait d’espèces, aussi en ai-je informé M. Monate, qui m’a accompagné - vraisemblablement lors du premier trimestre 1990 - dans les bureaux de M. Méry, quai des Grands-Augustins à Paris. M. Méry a remis à M. Monate un paquet entouré d’un ruban. M. Monate n’a jamais abordé avec moi le montant du contenu du paquet." Louis Houdayer a expliqué qu’il s’agissait d’un "don spontané" dont il ignorait les raisons et qui ne semblait pas être lié aux marchés des lycées d’lle-de-France. Après avoir pris connaissance des dénégations de Gérard Monate sur ce point, il a maintenu cette déclaration.

L’information a également permis de recueillir la description par d’anciens hauts responsables du conseil régional d’Ile-de-France de l’influence prépondérante que, d’après eux, exerçait "la Mairie de Paris" sur certaines décisions de l’exécutif régional.

Pierre Pommelet :"C’est, je pense, à la fin de l’année 1992 que M. Jean Chevance m’informe de l’entente et du financement des quatre partis politiques, ce qui était d’ailleurs dénoncé à chaque commission permanente par les élus du Front national. Très rapidement après, j’ai vu Michel Giraud et lui ai rapporté les propos de M. Jean Chevance. Michel Giraud m’a répondu qu’il héritait d’un système mis en place par la Mairie de Paris en 1989, que, politiquement, il ne pouvait pas faire grand-chose, d’autant que le maire de Paris lui avait imposé Marie- Thérèse Hermange à la présidence de la commission d’appel d’offres. Il reste que Michel Giraud, malgré cette impuissance politique, restait favorable à ce que des mesures de rigueur dans les procédures soient prises par l’administration. Michel Giraud m’avait dit que rien ne se passait à la région et que les 2 % étaient versés à tous les partis politiques depuis 1989."

Henri Rouannet, qui avait été mandaté par le président du conseil régional pour une mission d’inspection, a également attesté de l’influence du maire de Paris dans la nomination des présidents de la commission d’appel d’offres.

Michel Giraud a contesté que le maire de Paris lui avait dit de " choisir tel ou tel président de la commission d’appel d’offres, que ce soit en 1992 ou en 1994".

Xavier de la Gorce : "La région était dans un rapport de dépendance vis-à-vis de la Mairie de Paris, qui constituait un ensemble opaque et "arrogant". Il s’agissait d’une relation de "suzerain" à "vassal". Michel Roussin était connu comme un fidèle du maire de Paris, qui était le président du RPR et dont il était le collaborateur immédiat."

Les voyages de M. Chirac

Le 24 novembre 2000, M. Jean-Pierre Zanoto, premier juge d’instruction à Paris, nous transmettait une information, recueillie dans le cadre d’une procédure suivie à son cabinet, selon laquelle M. Jacques Chirac avait, en juillet 1993, fait régler en espèces à l’agence Gondard une facture de 119 339 francs correspondant à un voyage de trois jours à New York pour trois personnes.

Il nous communiquait copies certifiées conformes des pièces de procédure en attestant.

Ces éléments semblaient établir l’existence d’importantes sommes en espèces à la mairie de Paris en 1993, soit à une période proche de celles où, selon les investigations, des versements en espèces avaient été effectués en relation avec l’attribution des marchés de lycées de la région Ile-de-France. Afin de vérifier si les fonds révélés par l’information de M. Zanoto provenaient de sources liées à la corruption dont nous sommes saisis, des investigations complémentaires étaient diligentées, qui devaient conduire à la découverte que, contrairement à ce qu’avait déclaré l’agent de voyage Maurice Foulatière devant l’officier de police judiciaire le 12 avril 2000, de très nombreux voyages concernant M. Jacques Chirac et/ou ses proches avaient été réglés en espèces entre les mois de décembre 1992 et de mars 1995, pour un montant d’environ 2,4 millions de francs.

Il était par ailleurs relevé l’absence de la comptabilité de l’agence Gondard pour la période antérieure à 1993, cela en contravention avec l’obligation de conservation de dix ans. Il n’a donc pu, pour l’heure, être établi si des règlements en espèces avaient été effectués pendant les années précédentes.

Une expertise était diligentée, qui conduisait l’expert, dans un prérapport déposé le 10 juillet 2001, à chiffrer à 2 329 144 francs le total des versements paraissant concerner M. Chirac et ses proches, non compris ceux concernant M. Figeac de l’AIMF Association internationale des maires francophones, Mme Friederich, Mme Lheritier, M. Ulrich, la Mairie de Paris.

Entendu le l0 juillet 2001 en qualité de simple témoin, M. Maurice Ulrich, un des plus proches collaborateurs du maire de Paris de l’époque, a déclaré avoir conservé dans un coffre situé dans son bureau à la Mairie de Paris des sommes en espèces provenant des primes de cabinet qu’il avait perçues sous cette forme, entre mars 1986 et mai 1988, en qualité de directeur de cabinet du premier ministre, M. Jacques Chirac, et les avoir utilisées au règlement d’un séjour effectué par lui et sa famille à l’île Maurice en décembre 1992. Il n’a cependant pu expliquer pourquoi la facture le concernant était libellée au nom de Hittier, ni pourquoi le livre de caisse de l’agence Gondard mentionnait un versement globalisé de 350 000 francs, imputé pour le règlement du voyage précité ainsi que pour celui, partiel, d’un séjour d’autres proches du maire de Paris.

Maurice Ulrich ajoutait avoir également conservé, à la demande et pour le compte de M. Jacques Chirac, les primes que celui-ci avait perçues alors qu’il était à la tête du gouvernement, de mars 1986 à mai 1988. Sans opposer le secret-défense, le témoin se refusait néanmoins, au nom d’une tradition qu’il n’a pas identifiée, à préciser l’importance des sommes conservées dans son coffre, tant pour lui-même que pour M. Chirac. Il indiquait cependant que, au gré des demandes de ce dernier, il lui remettait les sommes demandées sans que leur emploi ne lui soit précisé.

Egalement entendue, Mme Claude Chirac indiquait que, si elle avait réglé auprès de Maurice Foulatière deux séjours en espèces, ces dernières lui appartenaient en propre pour provenir d’économies personnelles. De ses déclarations ainsi que de celles de M. Thierry Rey, il ressortait que c’était probablement à tort que Maurice Foulatière avait, dans son audition, attribué à ce dernier un voyage au Kenya en décembre 1993. Cette rectification ramène à 2 205 394 francs le chiffrage par l’expert du montant des voyages effectués par les proches de M. Chirac et lui-même.

En l’état de ces investigations, des interrogations demeurent quant à l’origine des sommes en cause.

L’impossibilité constitutionnelle

Attendu que c’est au regard des faits exposés que doit s’analyser la nature de l’audition de M. Jacques Chirac, dont il convient de rappeler qu’en l’état de l’information elle est nécessaire à la manifestation de la vérité et à l’appréciation des niveaux de responsabilité de plusieurs mis en examen ;

Attendu qu’il convient, pour la détermination du statut pénal du président de la République et l’interprétation de l’article 68-4 de la Constitution de la Ve République, de se référer à la décision n° 98-408 DC du 22 janvier 1999 du Conseil constitutionnel et à son considérant n° 16 dont la lecture indique suffisamment qu’il ne s’agit pas d’un obiter dictum - ce que la troisième chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris a confirmé dans un arrêt du 29 juin 2001 -, et qu’en conséquence la responsabilité pénale du chef de l’Etat pour des actes commis antérieurement à ses fonctions ne peut être mise en cause que devant la Haute Cour de justice ;

Attendu que l’audition envisagée, compte tenu des indices apparus au cours de l’information, ne saurait être celle d’un simple témoin prévue par l’article 101 alinéa 2 du code de procédure pénale mais celle d’un témoin assisté prévue par l’article 113-2 du même code ;

Attendu que le caractère hybride du statut de témoin assisté le place entre celui de simple témoin et celui de mis en examen ;

Que ce statut est susceptible d’être octroyé aux personnes contre lesquelles il existe de simples indices, des indices graves ou concordants ou encore des indices graves et concordants ;

Que c’est l’existence de ces indices, quelle que soit leur gravité ou leur concordance, qui constitue la mise en cause justifiant le régime protecteur des articles 113-1 et suivants du code de procédure pénale ;

Attendu que cette forme de mise en cause, en ce que le législateur a prévu qu’elle pouvait sans survenance d’élément nouveau se transformer en une mise en examen, est susceptible de participer de la mise en mouvement de l’action publique contre celui qui en est l’objet ;

Attendu, sur cette question nouvelle et selon la conception extensive de la séparation des pouvoirs que les silences de la Constitution et de la jurisprudence imposent d’adopter, qu’une audition du chef de l’Etat en qualité de témoin assisté ne saurait relever d’une juridiction ordinaire ;

Attendu que l’impossibilité constitutionnelle dans laquelle se trouve la juridiction d’instruction de recueillir les explications de M. Jacques Chirac ne saurait cependant se traduire par un empêchement à révéler à l’information le niveau de connaissance que, en sa double qualité de maire de Paris et de président du Rassemblement pour la République, il avait des activités des divers mis en examen en faveur du financement de son mouvement ainsi que de l’origine des sommes en espèces conservées à la Mairie de Paris ;

Qu’ainsi, seule la Haute Cour de justice paraît compétente, sans qu’il soit porté atteinte aux principes constitutionnels de séparation des pouvoirs, pour procéder à l’audition du chef de l’Etat ;

Par ces motifs,

Vu l’article 68 de la Constitution,

Vu les articles 113-2 et suivants du code de procédure pénale,

Disons nous déclarer incompétents pour procéder à l’audition de M. Jacques Chirac en qualité de témoin assisté ;

Ordonnons que le dossier de cette information, coté par le greffier, soit communiqué immédiatement à M. le procureur de la République pour être transmis à la juridiction compétente.

La présente ordonnance, non conforme à ses réquisitions, a été portée ce jour à la connaissance de M. le procureur de la République.