Dans une conférence de presse prononcée en mai 1993, le Secrétaire d’Etat américain à la défense, M. Aspin, déclarait : " ... nous n’avons plus besoin de l’important programme d’armes spatiales que prévoyait Ronald Reagan. Saddam Hussein et les missiles Scud nous ont montré qu’il nous fallait une défense contre les missiles balistiques pour nos forces sur le terrain. Cette menace est immédiate... C’est pourquoi nous avons fait de la défense contre les missiles balistiques de théâtre notre priorité absolue, afin de gérer les nouveaux dangers de l’après-guerre froide et du monde post-soviétique. "

L’appellation défense antimissiles de théâtre (TMD) recouvre plusieurs types de systèmes susceptibles de protéger des zones de rayon variable. On distingue schématiquement la défense de point, destinée à protéger des unités ou des aires de superficie limitée, et la défense se zone, protégeant des régions plus vastes et exigeant de ce fait des moyens spécifiquement destinés à la menace balistique. L’étendue de la superficie protégée dépend de l’altitude d’interception qui elle-même conditionne le type de systèmes à mettre en oeuvre.

Sont ainsi développés des systèmes dit " couche basse ", voués à la protection des points sensibles, et des systèmes dits " couche haute " couvrant des zones plus larges. Dans les deux types de système, on compte des composantes terrestres et navales, le concept d’opération prévoyant une combinaison des différents systèmes et de leurs composantes en fonction de l’objectif recherché.

Les Etats-Unis sont aujourd’hui de loin le pays le plus engagé dans les programmes de défense antimissiles de théâtre, même si la Russie, avec le missile S-300, Israël avec l’Arrow, mené en coopération étroite avec les Américains et déployé depuis quelques mois ou encore la France et l’Italie, avec la perspective d’une capacité antibalistique sur le missile Aster, ont développé de tels systèmes.

Les systèmes " couche basse " : Patriot, MEADS et Navy Area Defense System

Destinés à la défense de point, les systèmes antimissiles de théâtre " couche basse " (lower tier) ne font pas obligatoirement appel à des innovations technologiques majeures et peuvent dériver de systèmes sol-air moyenne portée conçus pour la défense antiaérienne.

Les Etats-Unis mènent ainsi actuellement un programme destiné à pourvoir les missiles Hawk, mis en oeuvre par le Marine Corps et constamment améliorés depuis les années 1960, de capacités contre les missiles balistiques à courte portée. De même, les missiles sol-air Patriot améliorés (PAC-2) déployés durant la guerre du Golfe avaient-ils été adaptés pour intercepter des missiles balistiques, fonction pour laquelle ils n’avaient pas été conçus à l’origine.

L’utilisation du Patriot PAC-2 en Israël et en Arabie Saoudite contre les missiles irakiens Scud fait aujourd’hui l’objet d’une évaluation sévère. Une analyse du General Accounting Office considère que 9 % seulement des interceptions tentées peuvent véritablement être considérées comme ayant atteint leur but

Trois systèmes de défense de point " couche basse " sont aujourd’hui en développement : le Patriot PAC-3, le MEADS et la Navy Area Defense System.

Le Patriot Advanced Capability-3 (PAC-3) développé par l’armée de terre, dont le déploiement doit s’échelonner d’ici 2001, diffère très substantiellement, dans sa conception, du PAC-2 et repose sur un ensemble radar de surveillance et de poursuite de l’objectif, une station de contrôle de l’engagement assurant la conduite du tir, des rampes de lancement mobiles et un intercepteur par collision directe. Le PAC-3 a pour mission d’intercepter des missiles balistiques tactiques comme des missiles de croisière. Il vise de nombreux marchés à l’exportation, en particulier aux Pays-Bas, en Allemagne et en Grèce, d’autres pays comme Taïwan, la Corée ou certains Etats du Golfe ayant également manifesté leur intérêt.

Les Etats-Unis souhaiteraient faire du Patriot PAC-3 le système de référence en matière de défense aérienne élargie. Il pourrait constituer l’élément central du système de défense élargi à moyenne altitude MEADS (Medium Exended Air Defense System). Le programme MEADS a été lancé en 1995 à la suite d’un mémorandum d’entente signé par l’Allemagne, la France, l’Italie et les Etats-Unis, dans le cadre d’une agence OTAN chargée de gérer la coopération. Ce programme, dont la France s’est très rapidement retirée, a pour but de défendre troupes et installations contre toute une gamme de menaces : missiles balistiques tactiques, missiles de croisière et avions. Il s’agit en quelque sorte de combler le vide existant entre les systèmes portatifs contre aéronefs (tels que le Stinger) et les niveaux plus élevés de défense antimissiles, en alliant la mobilité d’un système transportable avec les troupes et exploitable rapidement avec une capacité de couverture des forces de manoeuvre.

Système mobile monté sur véhicule et conçu pour offrir une couverture à 360° défendant une zone d’un rayon de 8 à 10 km, le programme MEADS associe l’Allemagne et l’Italie aux Etats-Unis, la maîtrise d’oeuvre industrielle étant confiée à une joint venture regroupant Lockheed-Martin, Daimler-Chrysler Aerospace et Alenia Marconi Systems. Il semble devoir se résoudre à une évolution du PAC-3, qu’il pourrait remplacer à terme, tout comme les missiles Hawk mis en oeuvre par le Marine Corps. La mise en service opérationnelle n’est pas envisagée avant 2009.

Le système naval de défense (Navy Area Defense System) est un autre système de défense dans la couche basse de l’atmosphère comparable au PAC-3 qui sera intégré aux croiseurs et destroyers Aegis de l’US Navy.

Ces bâtiments doivent voir leur radar et leur système de combat adaptés à la défense contre les missiles balistiques à courte et moyenne portée. Le missile à lancement vertical SM-2 sera amélioré, notamment par un guideur infrarouge augmentant sa capacité d’interception. Ce système est conçu pour protéger depuis la mer des zones de débarquement, des ports ou d’autres points sensibles. Son déploiement initial est prévu pour 2003.

Les systèmes " couche haute " : les programmes THAAD et NTW

Les systèmes de TMD " couche haute " (Upper tier) sont destinés à intercepter les missiles dans la haute atmosphère, ou hors de l’atmosphère à mi-course ou en début de phase descendante. Ils permettent de défendre des zones dont le rayon est compris entre une centaine et quelques centaines de kilomètres.

Le programme de défense ponctuelle de théâtre à haute altitude (Theater High Altitude Area Defense - THAAD), réalisé par l’armée de terre, est destiné à constituer le niveau supérieur d’un système de défense contre les missiles de théâtre basé à terre. Il repose sur quatre éléments : des lanceurs montés sur camion, des intercepteurs dotés d’un vecteur de destruction par énergie cinétique, lui-même pourvu d’un guideur infrarouge pour la phase finale d’interception, un système radar assurant la surveillance, la poursuite de l’objectif, la conduite de tir et la communication avec l’intercepteur en vol et enfin un système de commandement et de conduite des opérations destiné au traitement des données et à la formulation des instructions.

Après un début difficile, marqué par l’échec de nombreux essais d’interception, le THAAD a réussi pour la première fois à détruire, suite à un coup direct, une cible simulant un missile Scud le 10 juin 1999. Après un autre essai réussi au mois d’août, le programme confié à Lockheed-Martin, est entré en phase de développement pour un déploiement prévu en 2007.

Le système opérationnel tactique de la Marine (Navy Theater Wide - NTW) vise pour sa part à permettre, à partir de plates-formes navales, une interception de missiles aux différentes phases de sa trajectoire : durant la phase ascendante grâce à un positionnement près du pays assaillant, au cours de sa trajectoire, ou, enfin, en phase descendante, par un positionnement près de la zone à défendre.

Il s’agit d’une adaptation aux besoin " couche haute " du système Navy Area prévu pour la " couche basse ". Les principales modifications concernent le système Aegis, le système de lancement vertical et le missile qui sera doté d’un intercepteur à énergie cinétique.

Le programme NTW, quelque peu concurrent du THAAD bien que théoriquement complémentaire, a fait l’objet en coût 1999 d’un accord de coopération avec le Japon sur des travaux de recherche. Cet accord est généralement considéré comme témoignant de l’intérêt du Japon pour une défense antimissiles de théâtre " couche haute ", particulièrement depuis le tir nord-coréen d’août 1998. Le NTW, conçu dans la logique d’une défense de théâtre pour les Etats-Unis, paraît ainsi pouvoir constituer pour des pays de superficie moindre ou archipélagiques, notamment en Asie, un système de défense de l’ensemble du territoire. Par ailleurs, la Navy mène des études en vue de modifier le NTW afin de pouvoir l’intégrer dans une défense nationale antimissiles (NMD) qui reposerait alors sur des intercepteurs embarqués, éventuellement combinés avec une défense basée à terre.

Il convient également de mentionner le programme Arrow mené en coopération par les Etats-Unis et Israël, qui est destiné à l’interception de missiles balistiques tactiques. Lancé à partir d’un véhicule mobile, il s’agit d’un missile à deux étages dont l’intercepteur est doté d’une charge explosive à fragmentation, ce qui le différencie des systèmes d’interception directe développés aux les Etats-Unis. Le missile Arrow est opérationnel depuis cette année dans l’armée israélienne.

Les systèmes complémentaires : les lasers aéroportés ou spatiaux

Alors que la quasi-totalité des programmes de défense antimissiles reposent sur des intercepteurs à énergie cinétique, les Etats-Unis conduisent également des programmes de recherche sur l’utilisation de la technologie laser pour détruire les missiles assaillants.

Le système laser aéroporté (Air Borne Laser-ABL) développé par l’US Air Force est conçu pour frapper le missile assaillant durant sa phase de lancement. Il s’agirait d’équiper sept Boeing 747 d’un laser à haute énergie d’ici 2006. L’ABL permettra d’attaquer des missiles de 300 km de portée à partir d’un avion volant à 12 000 mètres. Deux autres systèmes laser sont en outre à l’étude : le système laser tactique à haute énergie (THEL), étudié dans le cadre d’une coopération américano-israélienne et destiné à détruire des objectifs à courte et moyenne portée, et le système de laser spatial (Spatial Based Laser - SBL), mis en oeuvre à partir d’une constellation de satellites afin de détruire tous types de missiles de théâtre.

Destinés à intercepter le missile adverse durant sa phase de propulsion, ces systèmes lasers seraient à même de neutraliser tout tir de missile balistique quelle que soit sa cible.

Sont par ailleurs développés des programmes de satellites d’alerte et de radar concernant à la fois la défense de théâtre (TMD) et la défense du territoire américain (NMD).


Source : Sénat (France) : http://www.senat.fr