Votre rapporteur estime que la défense antimissiles du territoire des Etats-Unis, incarnée aujourd’hui par la NMD après l’avoir été dans le passé par bien d’autres programmes, et avant, peut-être, d’être elle-même reléguée par des projets plus ambitieux, répond à des sentiments profondément ancrés dans l’esprit américain.

En premier lieu, l’histoire de la nation américaine témoigne d’un attachement très vif à la protection et à l’intégrité du territoire des Etats-Unis, érigé au rang de sanctuaire. L’invulnérabilité de ce territoire-continent constitue donc un objectif primordial, sans doute le premier de tous en matière de sécurité et de défense.

Ce facteur explique la sensibilité particulière à la menace balistique et à la prolifération d’armes de destruction massive. Alors que d’autres pays, notamment en Europe, partagent l’analyse américaine en matière de prolifération, même s’il peut y avoir divergence sur le rythme des progrès réalisés par les proliférants ou l’état des programmes dans tel ou tel pays, ils n’en déduisent pas pour autant une probabilité de concrétisation du risque, elle même dépendante de multiples facteurs.

Votre rapporteur a ainsi pu constater auprès de ses interlocuteurs, notamment au Congrès, que l’évolution du dialogue inter-coréen ou les contrôles établis sur la Corée du Nord en matière nucléaire, de même que les évolutions politiques en Iran, ne suffisaient pas à les convaincre que la menace balistique pouvait être contenue ou réduite, à partir du moment où la garantie absolue qu’elle ne se concrétiserait pas ne pouvait être apportée.

Si le sentiment de vulnérabilité face à une agression balistique ne semble pas répandu dans la population américaine, l’ensemble des parlementaires rencontrés par votre rapporteur ont insisté sur le fait qu’ils ne pouvaient justifier devant les citoyens des Etats-Unis que, disposant d’un éventuel moyen de protéger le territoire national d’une telle attaque, le pouvoir politique renonce à le développer et à le mettre en oeuvre.

Enfin, la défense antimissiles fait appel à des moyens de protection et représente, dans l’esprit de ses avocats, une solution beaucoup plus satisfaisante que les moyens offensifs qui, dans le cadre de la dissuasion nucléaire, entrent dans une logique de " destruction mutuelle assurée " inquiétante pour l’intégrité du territoire et de la population.

Votre rapporteur a été frappé de constater la relative discrétion des militaires américains sur un projet très fortement soutenu par de nombreux parlementaires et qui apparaît dès lors essentiellement comme une réponse politique à une menace potentielle.

Une seconde tendance est également à l’oeuvre en faveur de la défense nationale antimissile : celle de l’unilatéralisme.

Cette tentation se manifeste dans bien des domaines, et en particulier dans l’attitude face aux organisations internationales ou aux traités et engagements multilatéraux. Elle repose, en matière de défense, sur l’idée que les Etats-Unis ne doivent compter que sur eux mêmes pour garantir leurs intérêts de sécurité, qui ne sauraient dépendre de la plus ou moins bonne volonté des autres pays à adhérer à des instruments internationaux ou à les respecter.

Point n’est besoin ici de rappeler le refus du Sénat américain de ratifier le traité d’interdiction complète des essais nucléaires ou la non adhésion des Etats-Unis à la convention d’Ottawa sur l’interdiction des mines antipersonnel ou à la convention de Rome créant la Cour pénale internationale.

Pour ses défenseurs, la défense nationale antimissiles est susceptible de renforcer les intérêts de sécurité des Etats-Unis, au demeurant en se limitant à des moyens exclusivement défensifs. Elle ne saurait être entravée par des instruments juridiques contraignants, ressentis comme une restriction injustifiée, imposée par d’autres pays, à la liberté d’action des Etats-Unis. On ne saurait davantage lui imputer le comportement d’autres Etats qui, tirant prétexte d’un système purement défensif ne les menaçant nullement, développeraient pour leur part des capacités offensives et contribueraient à la course aux armements.

Rappelons en outre que pour nombre de commentateurs, l’initiative de défense stratégique aurait, par le défi qu’elle représentait, contribué à précipiter la chute de l’Union soviétique. La défense nationale antimissiles ne pourrait-elle pas avoir les mêmes vertus à l’encontre d’Etats potentiellement agressifs mais généralement économiquement faibles ?

Tous ces éléments créent un contexte favorable à l’édification d’une défense nationale antimissiles sans pour autant assigner de limites à cette dernière, que ce soit dans l’étendue de la protection ou dans le type de moyens utilisés.


Source : Sénat (France) : http://www.senat.fr