Le Canada ne dispose pas d’une grande armée permanente, et ses effectifs ne sont pas bien équipés. Bien qu’il soit chargé de défendre la deuxième masse terrestre en importance au monde, il se classe au 17e rang des 19 pays de l’OTAN pour le budget de la défense en pourcentage du PIB, devant seulement le Luxembourg (18e) et l’Islande (19e).

Pour être à la hauteur des responsabilités qui lui ont été attribuées depuis huit ans, l’armée canadienne devrait compter sur 75 000 militaires entraînés. Le chiffre actuel - 54 000 personnes - des effectifs entraînés est largement au-dessous même du chiffre recommandé par le gouvernement (60 000).

Nécessité d’une plus large coopération entre les États-Unis et le Canada en matière d’entraînement et d’utilisation des forces terrestres

Le lieutenant-général Michael Jeffery, chef d’état-major de l’armée de terre, a déclaré au Comité que, si l’on veut que les troupes terrestres du Canada soient suffisamment préparées à des combats à grande échelle de concert avec les troupes d’autres pays, il est absolument nécessaire de prévoir un entraînement collectif en matière de groupement tactique à grande échelle et au niveau des opérations de brigade.

Le lgén Jeffery attribue le manque d’entraînement des dernières années au rythme effréné auquel les troupes de l’armée canadienne ont été déployées dans des missions à l’étranger :
Je suis absolument convaincu qu’il faut donner plus d’entraînement en matière de groupement tactique et d’opérations de brigade. C’est seulement en faisant un entraînement à ce niveau qu’on exerce toutes les compétences acquises et qu’on se perfectionne pour maintenir le type de qualité dont nous avons fait preuve... dans des endroits comme l’Afghanistan. Cela fait environ dix ans que l’armée canadienne n’a pas entrepris d’entraînement important à l’échelle des brigades. On finit par perdre ces compétences, cette expertise. L’un des principaux enjeux, pour nous, étant donné notre rythme de déploiement et nos ressources, est d’avoir un régime d’entraînement régulier qui permette progressivement à toute l’armée de s’entraîner à l’échelle du groupement tactique, puis de la brigade, afin d’entretenir cette expertise à longue échéance. C’est une partie extrêmement importante de ce que nous faisons. Faute de quoi, tout cet investissement humain et matériel est, selon moi, largement inutile. Sans cet entraînement, on n’a pas la capacité, on a seulement l’organisation.

Les troupes britanniques continuent de s’entraîner en matière de groupement tactique et, à l’occasion, à l’échelle des brigades, à Suffield (Alberta), site dont elles assument le fonctionnement. Le lgén Jeffery a déclaré que, comme les troupes canadiennes ont été énormément sollicitées dans les limites de leur budget actuel, elles n’ont pas pu se joindre à ces exercices directs.

Si l’on veut que les Canadiens jouent un rôle majeur dans la défense du Canada en particulier et de l’Amérique du Nord en général, ils doivent être entraînés à ce très haut niveau avec les troupes américaines. Mais le lgén Jeffery a expliqué que son homologue américain a été contraint de renoncer à des exercices communs à grande échelle avec les Canadiens, et en fait avec l’ensemble des alliés des États-Unis, sur des sites américains, parce que les Américains ont le sentiment qu’ils n’ont même pas la capacité de donner à leurs propres troupes tout l’entraînement dont elles ont besoin à ce niveau.

Le lgén Jeffery a déclaré que les Américains ont laissé ouverte la possibilité, à titre compensatoire, d’exercices d’entraînement à grande échelle sur le sol canadien ou américain lorsque le Centre canadien d’entraînement aux manœuvres serait ouvert à Wainwright (Alb.). Dans le cadre de discussions plus approfondies avec les autorités supérieures des États-Unis, la possibilité d’exercices d’entraînement réciproques a été confirmée.

Le centre d’entraînement, qui emploiera la technologie laser sur toutes les armes et disposera d’un système de pointe pour l’enregistrement et l’analyse de données, est censé ouvrir ses portes en 2004. Cependant, bien qu’il apparaisse actuellement en tant que poste du budget des Forces canadiennes, la construction n’en a pas encore été entamée. Ce projet reste exposé au genre de restrictions budgétaires qui ont caractérisé les dépenses militaires dans les dernières années.

L’un des avantages de la collaboration avec le groupe de sécurité de l’OTAN était que les troupes des pays de l’Organisation participaient régulièrement à des exercices d’entraînement communs, notamment lorsque les troupes américaines et canadiennes étaient stationnées en Europe de l’Ouest de 1953 à 1993. Les troupes canadiennes sont devenues interopérables avec tous les alliés de l’OTAN, mais notamment avec les armées stationnées dans le Sud de l’Allemagne, c’est-à-dire les troupes terrestres américaines, allemandes et françaises. Il y avait au moins un grand exercice multinational avec les forces terrestres et aériennes par année.

Comment notre entraînement à l’échelle du groupement tactique et de la brigade a disparu

Tout cela représentait une excellente cohésion parmi les forces de l’OTAN, et les troupes canadiennes étaient bien préparées au genre d’opérations de coalition qui rendent une armée relativement petite beaucoup plus efficace dans une équipe qu’elle ne le serait à elle seule. Le retrait des forces stationnées en Allemagne en 1993 a mis fin à ce genre d’entraînement commun pour les forces terrestres canadiennes.

Avant les restrictions imposées au budget du MDN, les Forces canadiennes organisaient régulièrement des entraînements communs à l’échelle nationale. L’entraînement avec les forces américaines avait lieu à l’échelle des unités et, à l’occasion, à l’échelle des brigades. Les coupures budgétaires, conjuguées à l’attribution de responsabilités de maintien de la paix à l’étranger, ont provoqué le report ou l’annulation de la plupart des entraînements collectifs, et ce, même au sein des Forces canadiennes en tant que tel.

La valeur de l’entraînement collectif est certainement toujours reconnue dans son principe, mais les forces terrestres canadiennes n’ont organisé aucun entraînement collectif direct à l’échelle de la brigade et plus depuis 1993.

Pour améliorer l’interopérabilité globale nécessaire à l’organisation d’opérations de coalition et/ou communes, il est évident que, à l’heure actuelle, les troupes canadiennes ont besoin de s’entraîner avec les troupes américaines. Le perfectionnement de la technologie militaire américaine continue de devancer celui des alliés des États-Unis.

Nécessité d’un entraînement commun dans le cadre du commandement Nord

Le commandement Nord (Northern Command ou NORTHCOM), qui sera opérationnel le 1er octobre 2002, sera une unité de commandement américaine chargée de coordonner les ressources militaires américaines pour la défense de l’Amérique du Nord. Destiné à défendre " la patrie ", NORTHCOM sera l’un des cinq commandements géographiques globaux conçus pour coordonner et déployer les troupes opérationnelles américaines terrestres, aériennes et navales jugées nécessaires dans telle ou telle situation d’urgence. Selon la description des autorités américaines, ce commandement s’étendra " de l’Alaska au Nord des Caraïbes et du Mexique en passant par tout le territoire nord-américain, avec appui au Canada, jusqu’au Sud des États-Unis ". (Pour plus de renseignements sur la structure de commandement unifié de l’armée américaine, voir l’annexe II).

Le commandement Nord sera une organisation strictement américaine. Mais elle sera sous la direction du même commandant en chef responsable de la défense aérospatiale canado-américaine du NORAD, dont le quartier général se trouve à Colorado Springs.

Le gouvernement américain a fait clairement comprendre qu’il a l’intention de garantir la sécurité du continent et qu’il se chargera lui-même de cette mission si besoin est.

Le Comité a pris connaissance des remarques de très nombreux témoins concernant la meilleure manière de défendre le Canada. C’est l’historien Jack Granatstein, président du Conseil pour la défense et la sécurité du Canada au XXIe siècle, qui a sans doute formulé les commentaires les plus convaincants :
La question [de la défense du Canada] . . . doit être abordée avec réalisme. Les États-Unis sont déterminés à améliorer la défense de leur territoire et ils aborderont la question, comme il se doit, dans une perspective continentale. Le communiqué annonçant la création du commandement Nord précise que sa zone de responsabilité sera toute l’Amérique du Nord, Canada et Mexique compris, et son commandant en chef aura pour tâche de " s’occuper de la collaboration pour la sécurité et de la coordination militaire " avec les autres pays. Le Canada peut donc décider de laisser les Américains faire des plans pour la protection du territoire canadien ou de participer aux décisions.

RECOMMANDATIONS

CONCERNANT LES FORCES TERRESTRES, LE COMITÉ RECOMMANDE CE QUI SUIT :

Que le Canada et les États-Unis améliorent leur capacité commune de défense de l’Amérique du Nord par les troupes terrestres par trois moyens précis :
1. Que les exercices d’entraînement des Forces canadiennes à l’échelle du bataillon ou du groupement tactique - notamment ceux qui permettent aux troupes canadiennes et américaines de fonctionner efficacement en temps de guerre - soient de nouveau institués dès que possible pour permettre à l’armée canadienne de travailler en harmonie avec les armées de ses alliés, notamment avec l’armée américaine ;
2. Que la construction du Centre canadien d’entraînement aux manoeuvres de Wainwright (Alb.), dont la construction n’a pas commencé et qui est en retard sur le calendrier prévu, soit accélérée et que les installations soient prêtes pour des exercices d’entraînement à grande échelle des troupes canadiennes au plus tard à l’été 2004 ;
3. Qu’une unité de planification des forces terrestres canado-américaines soit créée pour permettre aux armées des deux pays voisins de faire face à toute catastrophe, naturelle ou autre, qui menacerait les deux pays. Cette unité d’environ 25 personnes devrait également être stationnée à Colorado Springs, à proximité des installations du NORAD et du personnel de planification maritime recommandé.


Source : Sénat du Canada : http://www.parl.gc.ca