En prononçant le discours de cloture de la session de la Commission des droits de l’homme, Koffi Annan a insisté sur le caractère universel des droits de l’homme. Cette position de principe était un rappel aux obligations de la Coaltion en Irak. Il a suscité de si fortes réactions de la délégation états-unienne que M. Annan a écourté son séjour, annulé sa conférence de presse sous un vague prétexte de santé, et quitté précipitamment Genève.
« Cette année, votre session a coïncidé avec des événements tragiques sur la scène mondiale. Au cours des dernières semaines, nous avons vu, souvent en direct, des images si fortes qu’elles resteront à jamais gravées dans nos mémoires. La guerre entraîne inévitablement des souffrances. Elle fauche des vies humaines et porte donc atteinte à ce qui est sans conteste le plus fondamental des droits de l’homme : le droit à la vie. Nous ne pouvons que pleurer la mort de tant de civils innocents.
Mais quelle que soit notre position concernant la guerre en Iraq, il nous faut reconnaître que la chute d’un régime d’oppression a donné lieu à des scènes de liesse. Comme vous l’avez dit ici-même le 27 mars, Monsieur le Haut Commissaire, la crise des droits de l’homme en Iraq n’a pas commencé avec cette guerre.
Nous devons tous espérer qu’avec la fin de la guerre, commencera une ère nouvelle de respect des droits de l’homme en Iraq. À ce propos, j’espère de tout cœur que la coalition saura montrer l’exemple, qu’elle déclarera clairement son intention d’agir strictement dans le cadre des Conventions de Genève et des Règles de La Haye concernant les prisonniers de guerre et assumera ses responsabilités de puissance occupante pour ce qui est du maintien de l’ordre public, de la sécurité et du bien-être de la population civile.
La décision de faire la guerre sans l’autorisation expresse du Conseil de sécurité a créé de profondes divisions, qui devront être surmontées si nous voulons faire face aux conséquences de la guerre en Iraq mais aussi nous consacrer au règlement d’autres crises internationales. Les menaces à la paix et à la sécurité internationales dont chacun a pris une conscience si aiguë ces dernières années devraient peut-être nous pousser à nous interroger sur l’efficacité des moyens dont nous disposons, afin de mettre au point une réponse collective.
Je dis « réponse collective », car je crois, et je suis plus que jamais convaincu que la sécurité de tous les pays, grands et puissants comme petits et faibles, sera mieux assurée si chacun se conforme aux règles de la légitimité internationale et aux principes consacrés dans la Charte des Nations Unies.
Mais il ne faudrait pas que la situation en Iraq détourne notre attention de ce qui se passe dans d’autres parties du monde. Nombreux sont les endroits où la violence, le chaos, l’oppression et les atteintes aux droits de l’homme se sont intensifiés au cours des dernières semaines et des derniers mois.
Ce qui s’est passé ces dernières semaines dans l’Ituri, en République démocratique du Congo, où des centaines de personnes ont été massacrées de sang-froid, n’en est que l’exemple le plus criant. Certains espéraient peut-être qu’à l’heure où tous les yeux étaient rivés sur l’Iraq, leurs crimes échapperaient à l’attention internationale. Ils croyaient que, par indifférence ou négligence, le monde garderait le silence. Nous devons leur donner tort, aujourd’hui comme dans les mois et les années qui viennent.
Nous vivons une époque de tensions et de dissensions, une époque où les nations et les peuples du monde assistent à un bouleversement de l’ordre international, dont les effets se font sentir sur leur propre vie. La guerre, la terreur et la violence politique font désormais partie du paysage quotidien de beaucoup de gens, dont les droits fondamentaux sont menacés, le sentiment de sécurité ébranlé. Certains craignent de voir les droits de l’homme sacrifiés aux exigences de la sécurité ; d’autres prétendent qu’en se concentrant sur les violations qui sont commises à tel ou tel endroit, on risque de fermer les yeux sur des violations, tout aussi patentes, qui se produisent ailleurs. Certains veulent mettre l’accent sur les droits civils et politiques, d’autres insistent pour que la même attention soit accordée aux droits économiques, sociaux et culturels et font observer avec amertume que le droit de vote importe peu quand les enfants ont faim et boivent de l’eau contaminée.
En pareille époque, votre mission, qui consiste à promouvoir et protéger les droits de l’homme au sens le plus large du terme, acquiert encore plus d’importance et votre obligation d’agir devient encore plus pressante. Or, dans le débat public sur les droits de l’homme, votre voix a été affaiblie par les dissensions de ces derniers mois, et votre message a perdu en clarté.
Pour que la Commission joue pleinement le rôle qui est le sien et que la cause des droits de l’homme progresse à l’échelle universelle, il faut que cela change. L’inaction est inacceptable. Si elle veut que les grands objectifs fixés en matière de droits de l’homme soient atteints partout dans le monde, la Commission doit se montrer plus résolue.
Actuellement, le débat public international est trop placé sous le signe des regrets, des reproches, de la méfiance et des malentendus. Qu’il s’agisse de désarmement, de règlement des conflits ou d’environnement, il est de plus en plus difficile de parvenir au consensus. Pourtant, je suis fermement convaincu que votre cause, la promotion et la protection des droits de l’homme, est davantage porteuse d’union que de division et qu’elle peut susciter de larges alliances en faveur du progrès, indépendamment de la confession, de la nationalité ou de l’origine ethnique.
Les droits de l’homme, qu’ils soient civils, politiques, économiques, sociaux ou culturels, sont universels. En les défendant ensemble, de manière résolue, vous pouvez montrer à la communauté internationale comment s’unir pour progresser.
Mon intention n’est pas de minimiser les désaccords actuels, mais je pense que la cause des droits de l’homme peut contribuer à rapprocher les positions et à rendre aux États et aux nations le sens de leur mission commune.
Qui pourrait nier que tous les hommes et toutes les femmes de la planète aspirent à la liberté ? Qui pourrait contester le droit de chacun à l’instruction, à l’eau potable et aux soins de santé ? Qui pourrait dénier aux filles et aux femmes le droit d’être considérées comme des égales et de bénéficier du même traitement et des mêmes chances que les hommes ? Qui oserait prétendre que certains peuples préfèrent la tyrannie et l’autocratie au pluralisme et à la représentativité dans le respect de l’état de droit ?
Défendues par les uns et par les autres avec beaucoup de conviction, les opinions sont partagées quant à la nature, au rythme et à la portée des efforts nécessaires pour assurer le respect des droits de l’homme pour tous. Il faut en prendre acte. En revanche, nous sommes tous d’accord pour dire que les droits de l’homme sont universels et indivisibles et doivent être défendus partout avec la même détermination. Cela signifie qu’il faut dépasser les différences culturelles et reconnaître, par exemple, que les droits des femmes sont les mêmes sur tous les continents.
Le droit international humanitaire et le droit relatif aux droits de l’homme ont édifié toute une structure de protection qui a énormément contribué à alléger la souffrance. Au nom de tous les hommes et toutes les femmes dont les droits sont encore bafoués, nous nous devons d’affermir encore cette structure.
Pour ce faire, nous devons changer de discours. Nous ne pourrons atteindre les objectifs universels que nous nous sommes fixés si la dissension persiste entre les États, dans le monde entier et ici même, au sein de la Commission. Nos aspirations communes doivent être reconnues et poursuivies comme telles. Il faut pour cela que les questions sensibles soient abordées franchement et que tous les pays soient traités sur un pied d’égalité. Les règles et dispositifs d’organismes internationaux comme la Commission devraient s’appliquer de façon uniforme et équitable à tous les États. Être membre de cette Commission comporte des privilèges mais aussi des responsabilités. Si vous ne vous battez pas pour que les droits de l’homme soient respectés partout et par tous, qui le fera ?
Cela signifie aussi que chaque pays doit d’abord et avant tout s’employer à renforcer son propre système de protection. Chaque pays doit balayer devant sa porte et commencer par veiller au respect des droits de sa propre population.
Avant de critiquer d’autres pays, chaque État devrait s’assurer que son propre système de protection est aussi efficace que possible et accepter de le soumettre à un contrôle international. Le Haut Commissaire doit prochainement lancer un processus grâce auquel l’expérience de chaque État pourra servir aux autres. Je me félicite de cette initiative.
Les pays, individuellement et au sein de la Commission, doivent aussi se concentrer davantage sur la promotion et le suivi des droits de l’homme au niveau national. La Commission a les moyens de le faire grâce aux mécanismes spéciaux qu’elle a mis en place, à savoir les rapporteurs spéciaux, les experts indépendants, les groupes de travail et les représentants spéciaux. Ces mécanismes ont souvent permis des progrès remarquables et il faut en tirer parti.
Permettez-moi, dans ma conclusion, de revenir sur un principe fondamental que j’ai déjà évoqué à maintes reprises, ici et ailleurs : les atteintes flagrantes aux droits de l’homme ne doivent pas être tolérées. Et ce refus doit être absolu et universel, que les violations soient le fait de pays riches ou pauvres, forts ou faibles, développés ou en développement.
Lorsque l’on parle des droits de l’homme, on ne doit jamais perdre de vue que le premier objectif est de sauver des hommes, des femmes ou des enfants de la violence, des abus et de l’injustice. Il faut tout autant les affranchir du besoin que les libérer de la peur. C’est cette perspective, celle de l’individu, qui doit guider nos travaux et non les points de vue antagonistes des États. Dans le même temps, il faut reconnaître que le respect des droits des individus passe par l’action des États. Vous devez vous employer à ce que ces droits deviennent une réalité pour tous les citoyens de toutes les nations ».
Source : ONU, Communiqué de presse SG/SM/8675
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