La présidente rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d’enquête et fait prêter serment à M. Mura.
Mme Nelly OLIN, Présidente.- Dans l’intérêt du débat et pour pouvoir vous donner du temps même sur votre intervention ainsi qu’à tous nos collègues sénateurs ici présents, votre intervention va se caler sur environ dix minutes, pour permettre au rapporteur de poser les questions, et je ne doute pas qu’il en ait un certain nombre, puis que chacun puisse s’exprimer et enrichir cette audition.
Je vous donne très volontiers la parole pour votre exposé. Docteur, je suis obligée de vous dire que nous n’allons pas nous contenter de regarder, il faudra que vous commentiez très largement, puisque comme vous l’avez accepté et parce que nous avons besoin d’enregistrer les débats, il est important que vous puissiez faire le maximum de commentaires sur ce que vous projetez.
M. MURA.- Je vous remercie.
Tout d’abord, je voudrais Mesdames Messieurs les sénateurs, Mesdames Messieurs, vous remercier vivement de pouvoir m’exprimer aujourd’hui et ce d’autant plus que jusqu’à un passé récent, j’avais été comme bon nombre de mes collègues complètement en dehors des auditions et des consultations. C’est donc pour moi un grand honneur aujourd’hui d’être ici.
Je m’exprime bien sûr en tant que toxicologue, mais aussi en tant que Président de la Société française de toxicologie analytique.
Je voudrais en préambule dire qu’il n’y a à ce sujet, en matière de drogue, pas de querelles d’experts au niveau des toxicologues. Tout ce que je vais dire aujourd’hui se passe avec un consensus de tous les toxicologues français et bien souvent internationaux.
Là, j’ai dix minutes pour parler de ce problème.
Mme la Présidente.- S’il y en a douze ou treize, nous n’allons pas vous interrompre.
M. MURA.- Je vais aller à l’essentiel, de façon à répondre après à toutes les questions qui me seront posées.
Je voulais insister tout d’abord sur l’évolution des produits. Je vais bien entendu parler de leur dangerosité et si nous en avons le temps, mais je pourrai m’exprimer plus largement après, éventuellement sur les nécessités en matière de prévention et d’information surtout.
En ce qui concerne l’évolution des produits, vous voyez sur cet écran une carte du monde, où nous remarquons qu’en plus des produits classiques que sont l’héroïne, la cocaïne, les amphétamines, l’ecstasy et le cannabis, il y a de par le monde un grand nombre d’autres drogues.
Avec les progrès actuels en matière de communication, je pense notamment à Internet, il va de soi que toutes ces substances sont à même d’arriver sur le marché clandestin français. C’est d’ailleurs déjà le cas.
Vous voyez ici yagé, cohoba, iboga. Ce sont des lianes hallucinogènes africaines ou d’Amérique du Sud. Il y a le khat, le kava, qui est une des drogues utilisées dans un de nos départements français, la Nouvelle-Calédonie, le peyotl, psilocybine, c’est-à-dire les champignons hallucinogènes qui sont de plus en plus rencontrés en France et l’on ne le dit pas assez, on ne s’en méfie pas assez. Il y a la phencyclidine, qui pose tant de problèmes aux Etats-Unis, qui pour l’instant heureusement n’est pas encore arrivée en France. Il y a fentanyl, kétamine, GHB, qui sont utilisées comme des anesthésiques théoriquement, mais détournées de leur usage par les toxicomanes et qui commencent à poser de gros problèmes. Là, j’ai parlé de la diversité des produits.
La qualité des produits varie, nous le voyons notamment avec l’héroïne, avec des variétés de plus en plus sophistiquées d’héroïne, mais aussi avec le cannabis. Cela a été un des points ayant fait la une des médias pendant un certain temps.
Effectivement, il y a eu une évolution et de façon à la quantifier, j’ai eu l’honneur de mener une étude ces dernières années pour répondre à la question de savoir si nous rencontrions relativement fréquemment sur le marché français ce fameux cannabis venant des Pays-Bas, qui était, comme vous le voyez, fabriqué, cultivé avec des techniques très sophistiquées permettant d’obtenir de très fortes teneurs en principe actif.
Cette étude a été faite. Nous avons regroupé les résultats de 1993 à 2000, issus des laboratoires de la police scientifique, de la gendarmerie nationale, des douanes et des gros laboratoires d’expertise français, autrement dit une quasi-exhaustivité de tout ce qui avait été rencontré dans les saisies de 1993 à 2000.
Vous voyez que sur ces histogrammes, en vert, de 1993 à 1996, nous avions en réalité dans les échantillons d’herbe des teneurs toujours inférieures à 10 % en principe actif.
A partir de 1996, en jaune, nous voyons apparaître des échantillons dépassant les 10 % (entre 10 et 15 %).
En 1999 et 2000, vous voyez que des échantillons apparaissent contenant plus de 15 %, voire exceptionnellement plus de 20 %, de principe actif dans ces plants.
En ce qui concerne la résine, c’est-à-dire le hasch, nous observons exactement la même chose, avec des concentrations encore plus importantes dans certains cas, vous le voyez, de 25 à 30 % ou même, exceptionnellement bien sûr, 30 %.
Autrement dit, à partir du moment où nous avons des échantillons dépassant les 15 %, nous arrivons à des produits qui ont des propriétés fortement hallucinogènes.
Je parle du rapport Roques, puisqu’il avait fait beaucoup de bruit à l’époque. J’ai fait partie de ceux qui avaient réagi non pas à ce rapport, mais à ses conclusions et telles qu’elles avaient été en tout cas reprises par les médias.
Dans ce rapport, lors des conclusions, il y avait eu un classement de la dangerosité de ces substances. Etaient classés en très dangereux l’alcool, l’héroïne et la cocaïne, en moins dangereux mais dangereux tout de même le tabac, les amphétamines et les hallucinogènes et selon les termes si je me souviens bien du rapport, très loin derrière venaient les benzodiazépines et le cannabis.
Ce rapport avait d’ailleurs fait rugir bon nombre d’associations chargées de prévention contre la toxicomanie.
Lorsque nous parlons de dangerosité des produits, et là bien sûr en tant que toxicologue je pense aux drogues notamment, puisque c’est le sujet aujourd’hui, mais c’est valable pour tous les produits, il faut considérer les risques pour soi-même mais aussi pour autrui. Or dans le rapport Roques, n’avaient été considérés que les risques pour soi-même en termes de mortalité.
Concernant les risques pour soi-même en ce qui concerne les produits les plus utilisés que sont l’ecstasy et le cannabis, pour l’ecstasy, et là je crois qu’il y a un message très fort à faire passer, en tout cas je cherche à le faire passer du mieux que je peux auprès des jeunes, il s’agit d’un produit à très très forte dangerosité. Là je n’ai pas le temps, mais si vous le souhaitez, tout à l’heure je pourrai vous expliquer. On a effectivement une toxicité directe ou indirecte avec l’ecstasy phénoménale, puisqu’avec deux comprimés d’ecstasy, voire un quelquefois, au cours d’une soirée en discothèque, nous arrivons à des décès chez ces jeunes. Je suis prêt à vous expliquer pourquoi, comment cela se passe.
Pour ce qui est du cannabis, on a une toxicité somatique qui n’est absolument pas négligeable. Pour exemple, les effets cancérogènes du cannabis sont maintenant bien démontrés. Je suis prêt à répondre à vos questions à ce sujet. On a des pathologies psychiatriques lourdes avec notamment le problème de la schizophrénie, qui est une co-morbidité assez flagrante, assez significative. Des cas médico-légaux apparaissent. Tout à l’heure, je vous en présenterai un que j’ai eu à traiter en tant qu’expert judiciaire.
Il y a les risques pour autrui, avec ceux chez la femme enceinte, dans le cadre du milieu professionnel et de la conduite automobile.
Pour prendre l’exemple du cannabis, -bien sûr là je présente essentiellement le cannabis, puisque c’est en fait le sujet qui préoccupe, en tout cas celui qui est le plus l’objet d’un débat actuellement, de réflexions et de problèmes chez les jeunes- lorsque nous voyons l’ensemble des effets psychoactifs, nous nous doutons évidemment que cela peut être délétère dans le cadre de la conduite automobile ou des postes à risques en entreprise.
Je vais commencer par les postes à risques en entreprise, parce que je crois qu’en France nous n’avons pas encore assez parlé de ce problème. Nous commençons à être en retard par rapport à de nombreux pays. Certains pays, comme l’Italie, se sont vraiment attachés depuis quelque temps à cerner ce problème et à essayer de le résoudre. Il n’y a pas de texte réglementaire, que je sache, en France qui soit appliqué à ce sujet.
Il s’agit en effet par exemple pour le cannabis, puisque c’est le produit le plus consommé, d’une menace que je considère croissante pour les entreprises et donc pour la collectivité.
Vu le temps qui m’est imparti, je vais donner ici simplement un exemple, proche de moi puisque c’est la centrale de Civaux, pour laquelle nous faisons des dépistages à l’embauche pour les postes à risques. Comme vous le voyez sur cette diapositive, de 1995 à 1999 nous avons eu deux cas positifs, soit 1,8 %. De 2000 à 2001, nous avons eu 12,8 % de cas positifs à l’embauche. Autrement dit, 12,8 % des candidats à l’embauche pour un poste de sécurité dans une centrale nucléaire étaient positifs au cannabis.
Je ne sais pas si j’aurai le temps de revenir sur ce problème. Cela ne fait l’objet que d’une diapositive, mais je crois qu’il s’agit vraiment d’un problème important auquel il faudra s’attaquer.
En ce qui concerne la conduite automobile, il a été l’objet de nombreux débats ces derniers temps. Des mesures ont enfin été prises en France en ce domaine.
Je vais simplement, pour illustrer le problème, rappeler les résultats d’une étude que j’ai pilotée ces dernières années, conduite chez 900 conducteurs accidentés impliqués dans un accident corporel et la comparaison avec 900 témoins.
Nous avons chez ces sujets, qu’il s’agisse des conducteurs ou des témoins, analysé le sang avec les technologies les plus fiables et les plus sensibles et spécifiques actuelles, en recherchant tous les produits psychoactifs (l’alcool, les médicaments et les stupéfiants), afin d’avoir tous les facteurs de confusion possible.
En ce qui concerne le seul cannabis, vous avez ici les résultats. Le résultat le plus flagrant a été chez les moins de 27 ans, ce qui n’est pas étonnant puisque c’est là que nous trouvons le plus de consommateurs. Chez les conducteurs, de moins de 27 ans, 20 % étaient sous influence de cannabis, avaient donc du THC, du principe actif dans le sang, et avaient donc consommé dans les heures précédentes, alors que nous avions 9 % des témoins qui avaient fumé dans les heures précédentes, ce qui est déjà phénoménal. Nous avons été surpris de ce résultat.
Nous ne voyons pas très bien ici les résultats, mais le fait d’avoir une population importante et une témoin nous a permis de calculer le haut de ratio, c’est-à-dire le risque relatif. Dans 60 % des cas où il y avait du cannabis, il était seul présent. Chez ces sujets, nous avions un risque relatif de 2,5, donc deux fois plus de risques d’avoir un accident, avec l’alcool seul 3,8 % et avec l’association alcool cannabis 4,8 %, donc en gros cinq fois plus de malchance d’avoir un accident.
J’ai parlé tout à l’heure de cas médico-légaux. Je vais citer deux cas.
Un jeune homme de 20 ans se jette du haut d’une falaise. Volontairement, puisque je crois que c’est enregistré, je ne dirai ni l’année ni le lieu, mais c’était en France. Avant de décéder, il déclare qu’il avait voulu voler. Dans le sang de la personne, on ne retrouve que du THC.
Tout récemment, un homme de 27 ans est retrouvé mort dans son lit. Le rapport d’autopsie révèle une pneumopathied’inhalation. C’est ce que l’on appelle le syndrome de Mendelson. Nous connaissions cela avec l’alcool. Nous n’avons pas pour habitude de voir cela avec le cannabis, parce que bien souvent le cannabis n’est pas recherché dans ces cas-là. Là en l’occurrence, il n’y avait rien d’autre dans le sang que du cannabis. Autrement dit, il était ivre avec le cannabis. Il a inhalé ses vomissements et est décédé dans la nuit, après une ivresse cannabique.
Là, entre parenthèses, lorsque l’on dit, comme cela l’a été y compris par un ministre de la santé il y a quelques années, que le cannabis ne tue pas, je crois qu’il faut tempérer ce genre de propos.
Et là, question technique, mais je crois que je me devais devant vous de rétablir la vérité, car il est très difficile pour moi de faire passer ce message, n’ayant pas eu jusqu’à présent l’occasion de m’exprimer devant un tel auditoire, lorsque l’on parle du seuil, comme certaines personnes en France en parlent avec insistance pour dire que l’on ne peut pas faire de dépistages, de contrôles, parce que l’on n’a pas encore établi de seuil de dangerosité pour le cannabis, en matière de conduite automobile, en matière scientifique tout court, il est absolument inconcevable de pouvoir déterminer un seuil avec le cannabis. Je vous explique pourquoi. C’est relativement simple.
Vous voyez sur la courbe en jaune, là il s’agit des concentrations sanguines. Lorsque l’on inhale un joint, les concentrations sanguines montent très rapidement. En fait, à chaque inhalation les concentrations sanguines montent. Vous voyez ici, sur cette courbe, cela monte entre 250 et 300 ng/ml. Ce pic sanguin, le moment où les concentrations sanguines sont maximales, est quelques dizaines de secondes après la fin du joint. Après, ces concentrations dégringolent tout aussi rapidement. Pendant ce temps-là, les effets commencent à apparaître. Les effets, c’est la courbe en vert. Il y a donc un décalage entre les effets et les concentrations sanguines.
Pourquoi ces concentrations dégringolent-elles ? C’est tout simplement parce qu’étant donné qu’il s’agit d’un produit très lipophile et attiré par les graisses et principalement par le cerveau, il est efficace très rapidement, et disparaît rapidement du sang pour aller au niveau du cerveau. C’est pour cela que nous ne le retrouvons plus dans le sang. A ce moment-là, il est en train de commencer à exercer ses effets au niveau du cerveau. Vous voyez donc qu’il y a un décalage, nous voyons la courbe verte avec les effets.
Si nous prenons le cas de ces deux personnes, là en l’occurrence il s’agissait de deux conducteurs impliqués dans un accident mortel, vous voyez les étoiles sur la courbe en vert, pour la première nous avons un résultat, si je me souviens bien, de 149, pratiquement 150, en concentration sanguine 150 ng/ml. Vous voyez que les effets sur la courbe en vert sont presque à leur maximum.
Un autre conducteur, la deuxième étoile, a une concentration sanguine à 0,9. C’est la deuxième étoile, plus à droite sur la courbe. Ce conducteur, aussi impliqué dans un accident, responsable d’un accident mortel, a une concentration à 0,9 ng/ml. Vous voyez sur la courbe des effets que ceux-ci sont égaux, sinon supérieurs à ceux du précédent.
Or, dans un cas nous avions 149 ng/ml, dans l’autre nous en avons 0,9.
Imaginons que nous ayons mis un seuil à 2, 5 ou 10 ng/ml, le deuxième conducteur passait en dessous du seuil, alors qu’en fait la dangerosité est au moins aussi importante à ce niveau-là.
Autrement dit, nous toxicologues, et là c’est un consensus scientifique international, je ne parle pas seulement français, disons que lorsqu’il y a présence de principe actif dans le sang, il y a donc forte suspicion que le sujet soit sous influence. Ce d’autant plus que la fenêtre de détection dans le sang, c’est-à-dire le temps pendant lequel nous trouvons du cannabis dans le sang, est inférieure. C’est quelques heures.
Là aussi il y a eu une confusion, volontairement diffusée par certains médias. Dans le sang, nous trouvons le principe actif pendant quelques heures, alors que dans les urines effectivement c’est pendant des semaines. On ne s’occupe pas des urines, ce n’est pas ce qui va être déterminant quant à la responsabilité d’un conducteur. Dans ce cas-là, vous voyez que nous avons lésé la durée des effets. La durée de la présence de THC dans le sang est inférieure à celle des effets. La présence de THC dans le sang suffit donc pour dire qu’il y a effectivement des effets.
Je m’excuse d’avoir pris autant de temps à expliquer cela, mais je n’arrive pas à le faire passer. J’ai expliqué cela à mon collègue, le Pr Got, devant Mme Maestracci, qui nous avait convoqué tous les deux, à l’aide de diapositives comme celle-ci. Quinze jours plus tard il redisait : « Oui, mais pour l’instant nous n’avons pas encore fixé de seuil dedangerosité ».
En conclusion, le cannabis et l’ecstasy sont donc des produits à forte dangerosité et j’ajouterai pour l’ecstasy à extrêmement forte dangerosité.
Pourtant, leur consommation est en augmentation exponentielle. Vous le savez bien entendu. L’âge d’initiation, vous le savez aussi, est de plus en plus précoce. Autrement dit, il s’agit d’un problème urgent de santé publique à régler. Il est un peu exagéré de ma part de dire cela devant vous, puisque cette commission a été créée pour cela.
La lutte contre l’insécurité routière liée à un usage de stupéfiants doit donc être intensifiée. Le dépistage de la toxicomanie en entreprise doit être développé.
Il faut, et là j’en arrive à l’information et la prévention, informer les jeunes des dangers de ces produits. L’information doit être aussi harmonisée, parce que pour l’instant dans bon nombre de départements, en tout cas je le vois dans le mien ou même dans ma région, il y a de nombreuses bonnes volontés, mais qui agissent de façon désordonnée, avec souvent des informations contradictoires, ce qui nuit à la crédibilité. Il faut donc essayer d’harmoniser cela.
Cette information peut, devrait se faire au niveau scolaire, je pense notamment à l’enseignement des sciences de la vie et de la terre.
Elle pourrait se faire dans le cadre de la journée d’appel à la défense, parce que là nous sommes sûrs de toucher tous les jeunes de 18 ans, garçons et filles.
Elle pourrait se faire aussi, et là c’est une chose qui m’a toujours étonné, dans le cadre de l’enseignement dans les facultés. Je suis chargé de cours à la faculté de médecine et de pharmacie à Poitiers. Je suis toujours effaré de voir que les médecins n’ont à la fin de leur cursus universitaire absolument aucune connaissance de la toxicomanie, des problèmes de toxicomanie. Or, ce sont pourtant les premières personnes qui vont être consultées par les parents en détresse, mais aussi par les jeunes.
Enfin, il faut assurer une prise en charge médicale des sujets dépendants, puisque nous savons maintenant qu’il y a une dépendance au cannabis. On a beau dire qu’il faut prévenir les jeunes et leur dire d’arrêter, mais lorsqu’ils décideront d’arrêter, ce ne sera pas facile pour eux. C’est aussi difficile, sinon plus que d’arrêter de fumer du tabac. Il y a partout des unités de prise en charge pour le sevrage tabagique. Il faut aussi y associer des prises en charge pour le sevrage cannabique et autres. Il est vrai que pour les drogues les plus anciennes comme l’héroïne ou la cocaïne il y a des structures, qui fonctionnent parfaitement. Pour le cannabis, ce n’est pas le cas.
Là c’est une possibilité, mais il y en a certainement d’autres, il faut peut-être élargir les compétences des centres desoins, bien sûr en leur donnant les moyens, parce que pour l’instant ils n’ont pas la possibilité d’accueillir plus que les héroïnomanes ou les cocaïnomanes.
Je vous remercie.
Mme la Présidente.- Monsieur Mura, nous vous remercions infiniment, parce que je crois que vous nous avez décrit un certain nombre de choses difficiles à entendre, impressionnantes, mais qui sont une réalité en tout cas à laquelle nous devons faire face et sur laquelle nous aurons un certain nombre de réflexions à mener. Je vous remercie infiniment au nom de la Commission.
Je vais donner très volontiers la parole à notre rapporteur, qui, je n’en doute pas, doit avoir beaucoup de questions à poser.
M. Bernard PLASAIT, Rapporteur.- Merci Madame la Présidente.
Docteur, je vous remercie. Vous avez évidemment déjà répondu à beaucoup de questions. Je vais quand même pour certaines d’entre elles les reformuler, de telle manière que nous puissions mieux comprendre votre pensée. Première question, vous avez cité tout à l’heure deux exemples, dont celui d’un jeune homme qui, croyant qu’il pouvait voler, s’était jeté du haut d’une falaise. Je ne sais pas si c’est cet exemple ou celui d’un jeune homme qui s’est jeté par la fenêtre du quatrième étage, mais je sais que l’un de ces deux exemples mis en avant pour illustrer ladangerosité du cannabis avait été contesté, parce que l’on avait dit qu’en réalité ce n’était pas du hasch qu’il avait dans le sang, du delta-9 THC, mais de l’éphédrine. Pouvez-vous répondre à cette question ?
Mme la Présidente.- Monsieur Mura, je vous en prie.
M. MURA.- L’exemple que je vous ai donné n’était pas celui de la défenestration dont vous parlez. Là, c’était du haut d’une falaise au bord de la mer. Sur l’exemple dont vous parlez, je ne veux pas me défiler, mais je sais que le Dr Pépin va être auditionné dans l’après-midi. Je sais qu’il a l’intention de vous exposer ce cas. En plus, si j’ai bien compris, il a demandé le huis clos. Là, il s’agit d’une affaire judiciaire dans laquelle il a été personnellement concerné. Je préfère donc que ce soit lui qui réponde à vos questions.
M. PLASAIT.- Je vous remercie.
Vous avez évoqué en commençant les produits consommés. C’était particulièrement judicieux, parce que nous nous posons d’emblée des questions à ce sujet. Je voudrais savoir quels sont les produits les plus consommés, c’est-à-dire faire une part, grossière, entre le hasch, enfin le cannabis dont nous parlons beaucoup, et les autres drogues dites dures (héroïne, cocaïne etc.) et bien entendu les autres drogues du type ecstasy, LSD, drogues chimiques nouvelles qui arrivent sur le marché, l’importance relative évidemment de la consommation de ces différentes drogues, mais aussi les montées en puissance en quelque sorte. Nous voyons bien l’explosion de la consommation du cannabis.
Les drogues du type ecstasy ou de synthèse sont-elles également en augmentation très importante, faisant penser que dans l’avenir, les unes pourraient prendre le relais des autres ?
Mme la Présidente.- Je vous en prie.
M. MURA.- Merci. Il y a bien sûr eu une évolution dans la consommation de cannabis et de certains autres produits. Je vais répondre très précisément à cette question.
Auparavant je voudrais dire qu’il y a eu aussi, et je crois que tous les spécialistes sont d’accord là-dessus, une évolution en termes de nombre de produits. Nous sommes passés de la monoconsommation, il y a un certain nombre d’années c’était le toxicomane à l’héroïne, le toxicomane à la cocaïne, le toxicomane au cannabis ou à ce que l’on voudra, à la polyconsommation.
Je travaille de façon très étroite avec le centre Méthadone de Poitiers. Nous voyons de plus en plus de polyconsommation. C’est un phénomène relativement nouveau, c’est-à-dire qu’ils associent volontiers les différents stupéfiants.
Pour ce qui est des prévalences de consommation, bien entendu le produit le plus consommé est le cannabis. Le rapport de l’OFDT était relativement parlant. Si je me souviens bien, un peu plus de la moitié des garçons avaient déjà expérimenté le cannabis à l’âge de 18 ans, dont un fort pourcentage, je crois de l’ordre de 12 %, étaient des consommateurs intensifs, c’est-à-dire qu’ils en consommaient plus de 20 fois par mois.
Me permettez-vous de prendre des notes pour donner des chiffres exacts ?
M. PLASAIT.- Oui, bien entendu. D’ailleurs si vous pouvez nous laisser des documents, nous sommes tout à fait demandeurs.
M. MURA.- Effectivement, c’est relativement frappant. En ce qui concerne le cannabis, 13,3 % des garçons à l’âge de 18 ans en consomment plus de 20 fois par mois, contre 3,6 % chez les filles. Là, il y a donc une différence tout à fait significative. Les abstinents, ceux qui n’ont jamais consommé à l’âge de 18 ans représentent chez les garçons 44,3 %. Autrement dit, 55,7 % en ont consommé au moins une fois.
En ce qui concerne ces usages réguliers, lorsque nous ciblons un peu mieux les garçons de 18 ans, en fonction des habitudes, ceux qui sortent le plus souvent, par exemple ceux habitués des boîtes, des rave party avec musique techno -c’est un questionnaire qui a été réalisé par l’OFDT-, nous arrivons à 36 % qui en consomment plus de 10 fois par mois. Sur la population générale des 18 ans, 6,4 % des garçons en consomment plus de 10 fois par mois et 13,3 % plus de 20 fois. De 6,4, nous passons à 36 %. Autrement dit, nous avons bien sûr une population très ciblée dans ce cas, pour le cannabis.
L’ecstasy je crois arrive en deuxième position, mais nous avons très peu de données là-dessus. Dans nos expertises judiciaires, notamment en ce qui concerne l’accidentologie, puisque maintenant cela se fait systématiquement, nous voyons que c’est loin d’être négligeable, nous avons une consommation en augmentation.
Pourquoi avec le cannabis et l’ecstasy avons-nous cette augmentation ? Lorsque nous interrogeons les jeunes, ils disent que ce n’est pas dangereux. Je crois que l’ecstasy est aussi à mettre dans le même panier en ce qui concerne la désinformation ou la non-information des jeunes à ce sujet.
M. PLASAIT.- Merci Docteur. Il y a une question plus précise dans la foulée de ce que vous nous avez exposé tout à l’heure à laquelle je souhaiterais que vous m’apportiez la réponse la plus précise possible. C’est celle du danger du cannabis à la première prise.
Le rapport INSERM nous dit dans ses conclusions et recommandations qu’il y a, contrairement à ce que l’on a dit souvent, à ce que nous avons souvent pu lire dans la presse d’ailleurs, des effets immédiats à dose faible du cannabis, avec altération de la perception temporelle, difficulté à accomplir plusieurs tâches simultanément, ce qui laisse à penser que cela induit des difficultés ou des dangers pour la conduite automobile par exemple et qu’à dose plus forte... Qu’est-ce qu’une dose plus forte que le premier joint ? C’est peut-être tout simplement d’ailleurs un premier joint renfermant un principe actif plus élevé, donc plus toxique que traditionnellement. Le rapport INSERM nous indique que ces doses plus fortes peuvent entraîner des difficultés de coordination motrice etc., voire, et là je souhaiterais que vous le confirmiez ou l’infirmiez, peut-être de façon exceptionnelle, ce que l’on a appelé des bouffées délirantes, qui pourraient donc par exemple expliquer que ce jeune de 20 ans ait cru pouvoir voler en sautant de la falaise.
Pouvons-nous dire effectivement que la consommation de cannabis peut être dangereuse, même si c’est éventuellement rare, dès la première fois pour soi et pour autrui, pour reprendre votre expression ?
M. MURA.- Oui, je pense que la première fois peut être effectivement dangereuse. Nous ne pouvons pas systématiser, mais avec le cannabis nous avons un produit qui est d’abord un joint. On ne sait pas ce que c’est. Bien sûr, tout dépend de la qualité du produit, comme je l’ai montré tout à l’heure, et tout dépend de la quantité que l’on met dans un joint. On ne pourrait pas dire un joint cela va, deux joints bonjour les dégâts. Ce n’est pas possible avec le cannabis.
En plus, il y a une susceptibilité tout à fait différente selon les individus. Certains seront beaucoup plus sensibles dès la première inhalation, mais cela n’est pas valable que pour le cannabis, mais pour tous les produits psychoactifs.
Quoi qu’il en soit, les effets psychoactifs apparaissent dès le premier joint, tous, c’est-à-dire bien sûr tous les effets délétères en matière de conduite automobile, mais aussi tout ce qui concerne les problèmes de la mémoire. La perte de mémoire à court terme est observable dès le premier joint. C’est d’ailleurs ce pourquoi le cannabis est utilisé dans le cadre de la soumission chimique, c’est-à-dire dans le cadre des viols. Cela aide bien avec l’alcool. En général, l’association suffit pour diminuer toute la vigilance de la victime. En plus, il y a cette perte de mémoire à court terme, qui est un facteur important.
Les bouffées délirantes peuvent bien sûr arriver, d’autant plus s’il s’agit d’un sujet fragile.
Concernant les autres pathologies psychiatriques plus lourdes, comme la schizophrénie ou la psychose cannabique, je ne pense pas que nous puissions les observer dès le premier joint, mais tout le panel, toute la pléiade d’effets psychoactifs avec effectivement les problèmes visuels, celui de diminution de la vigilance sont observables dès le premier joint.
M. PLASAIT.- Docteur, il y a une querelle sur les traces persistantes de cannabis, qui font dire à certains qu’il est difficile de faire risquer une sanction à quelqu’un dont on trouverait dans son sang des traces de cannabis, alors même que la prise, la consommation remonte à plusieurs jours, voire plusieurs semaines et que, par conséquent, il y a certes des traces, mais plus d’effets.
Or, il y a la question à laquelle je souhaiterais que vous répondiez, qui est celle du stockage dans les graisses, vous y avez fait allusion tout à l’heure, et de la possibilité de relarguage en cas de stress du delta-9 THC dans le sang avec les mêmes effets qu’au moment de la prise ou au contraire pas du tout.
M. MURA.- Oui, nous avons effectivement un phénomène de stockage dans les graisses. C’est ce que je disais tout à l’heure, c’est ce qui explique les effets sur le cerveau. Néanmoins, cela se fait aussi au niveau de toutes les graisses. Nous avons cette fixation tissulaire. Théoriquement, en règle générale, une fois que le THC est fixé, il va se défixer très lentement et tellement lentement que l’on n’a pas d’effets consécutifs.
Cependant, il a été rapporté que chez certains sujets et dans certaines circonstances, mais là les travaux scientifiques ne sont pas suffisamment précis pour pouvoir être vraiment formels à ce sujet, nous ne savons pas très bien les circonstances dans lesquelles cela se produit, il y a un relarguage brutal du THC fixé dans les graisses et le sujet revit donc quelquefois plusieurs jours après ce qu’il ressent lorsqu’il est sous influence de cannabis. Je crois que pour être honnête il faut aussi dire que cela reste très exceptionnel, mais cela existe.
En ce qui concerne la durée des effets, là je répète ce que j’ai dit tout à l’heure, il ne faut pas qu’il y ait de confusion dans les esprits, le cannabis a une durée d’action de 3 à 8 heures en principe.
Lorsque nous allons trouver du cannabis dans les urines 15 jours après, théoriquement il n’y a pas de problème, sauf bien entendu lorsqu’il y a ce relarguage tissulaire.
M. PLASAIT.- Ai-je bien compris que votre avis sur le rapport Roques était que finalement il disait tout ce qu’il y avait à dire sur la dangerosité des différentes drogues et notamment du cannabis, mais qu’il y avait eu une interprétation déformée de ses conclusions ?
M. MURA.- Tout à fait. Le rapport Roques en lui-même a été très bien fait et est une excellente base bibliographique, puisqu’en fait il s’agissait d’une étude bibliographique, une revue de la littérature. Personnellement, je trouve que ce rapport est excellent.
Il n’y a pas eu que l’exploitation de la part des médias. Il y a eu, et j’ai eu l’occasion de m’en entretenir avec le Pr Roques, à mon avis une maladresse, qui a été dans les conclusions de vouloir, mais peut-être parce que c’était ce qui lui était demandé, classer les drogues par la dangerosité. Je pense que l’on ne peut pas et l’on ne doit pas comparer les dangerosités de ces produits, sauf à des fins politiques. Sinon en termes scientifico-médicaux, on ne doit pas comparer les dangerosités, chaque substance a sa dangerosité propre.
Est-ce que je préfère être tué par un anaconda ou par je ne sais pas quel autre animal toxique ? Quel est le plus dangereux ? Je ne sais pas. A partir du moment où il sont susceptibles de me tuer, ils sont tous les deux dangereux. Je crois que là, il ne faut pas rentrer dans ce genre d’exercice. Il l’a fait dans ses conclusions et c’était inévitable, c’est ce qui a le plus intéressé les médias.
Excusez-moi, puis-je rajouter quelque chose sur mon intervention de tout à l’heure à propos du stockage dans les graisses ? Est-ce possible ?
Mme la Présidente.- Oui, je vous en prie.
M. MURA.- Actuellement, nous débutons une étude avec une équipe INSERM sur justement ce problème de stockage dans les graisses. Nous le faisons chez le cochon, qui a beaucoup de graisses. Il est extraordinaire de voir la façon dont effectivement le THC se fixe dans les graisses, puisque chez le cochon nous ne le retrouvons même plus à la sortie pour l’instant. Dès que nous lui donnons du THC, il s’endort immédiatement, l’efficacité est donc maximale, mais après nous ne le retrouvons plus. Pour l’instant, nous ne le retrouvons même pas dans l’urine. Il a l’air de rester complètement dans les graisses.
Nous sommes partis pour faire deux à trois ans d’étude là-dessus avec une équipe INSERM. A ce sujet, j’avais fait des demandes auprès de la MILDT pour m’aider dans ce genre de travail, qui je pense pourrait faire avancer les choses. Pour l’instant, nous n’avons pas eu de réponse.
M. PLASAIT.- Docteur, vous avez dit un mot de la prévention. Pouvez-vous nous dire globalement si vous considérez que la prévention a été, et est bien faite dans la politique menée à l’heure actuelle ? Mais surtout, puisque vous avez insisté sur la dangerosité des drogues, notamment du cannabis, avec donc les risques pour le consommateur, cette consommation pouvant être à l’origine d’accidents d’ordre très divers, seriez-vous favorable à la mise en place d’une législation sur les conduites addictives en milieu professionnel ? Préconiseriez-vous la mise en oeuvre de contrôles obligatoires dans certaines entreprises, les entreprises sensibles évidemment ?
Le cannabis restant présent pendant plusieurs jours dans l’organisme, quelle serait la valeur probatoire, mais je crois que vous y avez en partie répondu tout à l’heure, des examens effectués ?
Avez-vous des propositions à faire dans ce domaine ?
Mme la Présidente.- Monsieur Mura, vous avez la parole. Je suis désolée, parce que c’est un sujet qui mérite tellement de temps, mais je vois que nos collègues commencent à lever les mains et j’aimerais que tout le monde puisse aussi poser des questions, au-delà de toutes celles que le rapporteur a posées, et que vous puissiez essayer de nous éclairer le plus possible.
M. MURA.- Je vais donc essayer d’être bref dans mes réponses.
En ce qui concerne l’information, je crois qu’il y a beaucoup de choses à voir et à revoir ou du moins à instituer. Je suis sans arrêt sollicité, et je ne sais pas si c’est normal ou pas, puisque ce n’est pas forcément mon métier, par des lycées, des collèges. Hier encore, j’étais dans un lycée. Je suis sollicité par des jeunes qui prennent rendez-vous, qui viennent me voir dans mon bureau. Je leur dis bien que je ne fais pas de consultations, ils me répondent : « Cela ne fait rien, nous voulons de l’information ». Je pense donc qu’il y a une lacune dans ce domaine.
Pour en revenir à la toxicomanie en milieu professionnel, je pense qu’il serait souhaitable de faire une politique par voie réglementaire, des règlements très précis à ce sujet.
C’est extraordinaire, quand j’en parle aux jeunes, quand je dis à ceux qui m’expliquent que le cannabis n’est pas dangereux que demain ils seront opérés par un chirurgien pour une appendicite par exemple et que celui-ci a fumé deux joints avant, ils disent que non, ils ne veulent pas. Là, je crois qu’il y aurait quand même un message aussi à faire passer à la population en général. Il y a quand même un danger réel pour la collectivité.
Mme la Présidente.- Merci Docteur.
M. BARBIER.- Monsieur, vous êtes toxicologue. Le problème qui se pose, vous avez évoqué cela rapidement, est l’usage des médicaments comparé à celui du cannabis. Pour le toxicologue, notamment en matière de danger pour autrui, c’est-à-dire de conduite automobile par exemple, je voudrais savoir quel est votre avis sur l’utilisation d’un certain nombre de médicaments, et Dieu sait que les benzodiazépines sont largement utilisés, sur l’utilisation du néocodion, qui est donné très largement par tous les pharmaciens de France.
Ne sommes-nous pas un petit peu en porte-à-faux en sanctionnant les conducteurs qui vont avoir du cannabis dans leur sang quelques heures ou quelques jours après, alors que par rapport à l’utilisation des médicaments nous n’avons pas de législation permettant d’interdire systématiquement la conduite ?
Cette question est quand même difficile à traiter, surtout quand on s’adresse à des jeunes, parce qu’ils vous renvoient souvent la balle en disant : « Vous autorisez bien des personnes âgées qui consomment nombre de médicaments psychotropes à prendre la voiture ».
Je voulais vous poser une deuxième question. Vous avez évoqué le problème de la dépendance au cannabis. Il semble que les scientifiques divergent sur cette affaire, puisque tout le monde sait très bien, et cela a été encore dit dans les auditions que nous avons eues précédemment, qu’à 25 ans la chute de consommation est pratiquement totale. Il reste quelques accrocs, mais qui sont extrêmement réduits. La consommation de cannabis notamment se fait entre 15, 16 et 25 ans. Ensuite cela disparaît, quand on entre dans la vie active d’une manière plus ferme ou que l’on se marie. Ce problème de dépendance est-il une accoutumance ? Liez-vous ces phénomènes ? Est-ce prouvé par les toxicologues ?
Mme la Présidente.- Merci. Docteur, je pense que nous allons pouvoir grouper les questions, même si cela semble être un exercice plus difficile, parce que quelquefois elles risquent de se chevaucher. Cela vous permettra de répondre peut-être d’une manière un peu plus globale.
Mme PAPON.- Lorsqu’un conducteur est impliqué dans un accident corporel, la loi prévoit donc de réaliser des dépistages au bord des routes. Cela ne vous paraît-il pas difficilement applicable avec les techniques actuelles de dépistage ?
Voici ma seconde question. Dans certains pays, les dépistages salivaires sont pratiqués. Les tests salivaires vous paraissent-ils fiables ?
M. MAHEAS.- Des études nous permettent-elles de comparer dans les accidents en règle générale, que ce soit dans le domaine du travail ou dans celui des accidents de la route, la prise de médicaments avec la prise de drogues illicites ? A-t-on des statistiques là-dessus ?
Ma deuxième question va dans le sens de Mme Papon. Combien coûtent un dépistage urinaire du cannabis et un dépistage dans le sang ?
Quel est le nombre à peu près, si vous le savez, de dépistages qui ont été pratiqués jusqu’à présent, compte tenu de la loi qui existe sur les accidents mortels, où il y avait dépistage de drogues illicites dans le sang ?
M. MUZEAU.- Docteur, je partage pleinement votre constat. Vous avez suffisamment bien souligné la minimisation par les jeunes des effets du cannabis. Vous avez donné un cas concret d’un jeune qui est rentré dans votre cabinet, vous expliquiez qu’il ne voulait pas se faire opérer par un chirurgien qui avait fumé. A quoi attribuez-vous ce comportement de minimisation de l’usage du cannabis ?
M. MURA.- En ce qui concerne les médicaments, nous parlons de médicaments psychoactifs. Etant donné qu’il s’agit de produits psychoactifs, ils ont bien entendu un retentissement sur l’aptitude à conduire un véhicule en toute sécurité.
Cela a-t-il été quantifié ? J’ai montré les résultats uniquement pour le cannabis, mais nous avions inclus bien entendu les médicaments psychoactifs. Vous vous souvenez, le facteur de risque était pour le cannabis de 2,5. Pour les médicaments psychoactifs, il était de 1,7. Le risque est donc multiplié par deux avec les médicaments psychoactifs.
Que faire avec les médicaments ? C’est un problème important, qu’il faut aborder, mais nous ne pouvons pas l’aborder de la même façon que le cannabis, d’abord parce que ce sont des produits licites, alors que l’autre est illicite.
En plus, les médicaments sont quand même, indépendamment du problème du néocodion dont je veux bien parler trente secondes, des produits utiles. Que je sache, à part dans certaines applications thérapeutiques, mais là ce n’est plus le joint mais les dérivés de synthèse, les cannabinoïdes, nous ne pouvons pas dire que le cannabis soit utile pour l’organisme. Il faut donc considérer la chose de façon différente.
Comment la considérer ? Il faut impérativement commencer, je crois, par classer les médicaments par ordre de dangerosité, faire des classes de médicaments peu dangereux pour la conduite automobile et autres pratiques du genre, moyennement dangereux etc. jusqu’à très dangereux. Il faudrait à ce moment-là carrément interdire de conduire avec les très dangereux si le facteur de risque est très important.
Pour les autres il y a peut-être des choses intermédiaires, c’est-à-dire limiter la conduite aux déplacements professionnels. Pour les peu dangereux au moins mettre en garde, ce qui n’est pas fait actuellement.
Ce qui a été fait dans le cadre de la loi Gayssot, c’est l’apposition d’un pictogramme. Seulement cette mesure est actuellement inefficace, puisque les sociétés pharmaceutiques, ayant peur d’avoir des problèmes si elles n’avaient pas mis de pictogrammes et s’il y avait eu des accidents derrière, en ont mis un sur toutes les boîtes de médicaments. Finalement cela n’a donc aucune portée, aucun intérêt.
Il faut donc revoir cela, effectivement faire appel à des spécialistes. Là je peux citer un nom, si vous me permettez. Le Dr Charles Mercier-Guyon, d’Annecy, est tout à fait spécialiste de ce problème. Il avait d’ailleurs en son temps remis à un ministère, je ne sais plus lequel, un rapport qui a été classé, qui a dû être mis dans un tiroir. Pourtant, ce rapport était très bien fait.
On m’a posé une question sur le problème de la dépendance. Je ne suis pas un spécialiste de la dépendance, mais des spécialistes en France disent qu’au niveau international, maintenant la dépendance au cannabis est reconnue, puisqu’elle entre dans les critères du DCM4. Ce sont des critères qui ont été établis par les Américains dans le cadre de l’Association américaine de psychiatrie. Il répond à un certain nombre de ces critères, il entraîne donc une dépendance.
D’ailleurs, cette dépendance est tout à fait objectivée chez le nouveau-né d’une mère toxicomane, puisque lorsqu’unefemme enceinte consomme pendant sa grossesse, le bébé à la naissance présente des troubles du comportement que connaissent bien toutes les sages-femmes et qui sont manifestes, avec des troubles neurologiques évidents, qui disparaissent au bout de quelques jours, voire quelques semaines. On a donc bien effectivement un problème de dépendance et là ce n’est pas subjectif.
Pourquoi cela diminue-t-il à partir de 25 ans ? Je crois que c’est surtout lié, et là il me semble que nous rejoignons les problèmes de législation, au fait que pour le papa intégré dans la société, qui a des enfants, un métier etc., le contact avec le produit est beaucoup plus difficile à avoir. Il est difficile pour un père de demander à son fils d’aller lui chercher du cannabis dans la cour de l’école. Il y a donc aussi ce problème, il est beaucoup plus difficilement accessible. Je crois que c’est un des paramètres entrant en jeu.
Je réponds maintenant au problème du dépistage, comment l’appliquer. Il y a actuellement plusieurs solutions, tout à fait complémentaires.
Il y a le dépistage urinaire bien sûr, qui fonctionne très bien mais qui n’est pas, j’en conviens, très facile. Certains l’emploient, comme les Allemands, notamment par exemple les stations-services d’autoroutes etc. Nous pouvons trouver des lieux avec des WC publics, mais ce n’est pas très pratique.
Nous attendons avec impatience qu’un dépistage salivaire arrive. Pour l’instant, le dépistage salivaire ne fonctionne pas. Pourquoi ? C’est parce que le marché pour l’industrie du diagnostic, essentiellement américaine, n’est pas suffisant pour qu’elle mette au point un dépistage salivaire. La raison est tout à fait technique, scientifique. Actuellement, tous les tests qui existent sont dirigés sur les urines, parce que là il y a un marché, surtout aux Etats-Unis.
Tout à l’heure, je parlais de toxicomanie en milieu professionnel. Aux Etats-Unis, c’est un marché énorme. Je disais tout à l’heure que nous avions beaucoup de retard. J’ai connu un laboratoire américain au nord de San Francisco qui faisait 2 000 tests cocaïne par jour dans le cadre de la médecine du travail. Cela ne se fait pas en France.
Il est évident que dans les urines, ce que nous trouvons par exemple pour le cannabis est le THCCOOH, un métabolite. Les anticorps qui servent à rendre positifs les tests sont dirigés vers ce métabolite, mais dans la salive ce n’est pas celui-là que nous trouvons. Nous trouvons le principe actif, le THC, c’est donc pour cette raison que cela ne fonctionne pas.
Pour une industrie du diagnostic c’est facile, il faut donc fabriquer des tests dirigés vers le THC et à ce moment-là cela fonctionnera. Pour l’instant, cela n’existe pas.
Il paraît que les Etats-Unis travaillent dessus aussi parce qu’ils ont senti que l’Allemagne était intéressée, l’Italie aussi. L’Europe commence à les intéresser. Il est donc vraisemblable, dans les mois qui suivent nous aurons un dépistage salivaire qui fonctionne.
Comment faire le dépistage actuellement ? Il y a soit les urines, soit, et c’est ce qui est pratiqué aux Etats-Unis, cela fonctionne très bien et c’est ce que je crois il est raisonnable de proposer actuellement, la réalisation des tests comportementaux simples. Ils seraient faits par les forces de l’ordre et en plus tout à fait compatibles avec la loi DELL’AGNOLA, puisqu’il est précisé que lorsqu’un ou plusieurs éléments permettent de suspecter qu’il y a une prise de stupéfiants, lorsque le sujet présente des troubles de l’équilibre, lorsqu’en sortant de la voiture il titube, lorsqu’il a les yeux tous rouges, lorsqu’il n’arrive pas à parler, lorsqu’il est manifestement ivre... Combien de fois j’ai eu des gendarmes venant me demander des résultats d’alcoolémie. Quand je leur dis zéro, ils me répondent que ce n’est pas possible, la personne était complètement ivre. C’était l’ivresse cannabique ou avec un autre produit.
Des tests tout à fait simples, bien codifiés, permettraient de faire un premier criblage. Aux Etats-Unis, cela s’appelle les tests DRE (Drug Recognition Expertise). Ces tests ont, d’après leurs statistiques, une fiabilité supérieure aux tests urinaires. A partir de là, si c’est positif, on fait une prise de sang. Là, nous avons une fiabilité à 100 %.
Cela nécessite une très faible formation. Je reparle encore du Dr Mercier-Guyon, d’Annecy. Il est allé se former aux Etats-Unis. Dans son département, en Savoie, il a commencé à former des policiers et des gendarmes. Je crois que ce serait une bonne chose de généraliser cela. Ce serait simple. Cela coûterait beaucoup moins cher que tous les autres systèmes. Si c’est au moins aussi efficace que les tests urinaires, ce serait quand même beaucoup plus pratique.
En ce qui concerne le coût dans les urines il faut rechercher les quatre paramètres. Les quatre paramètres coûtent aux alentours de 100 francs. Le coût d’ensemble bien sûr est plus élevé, c’est bien évident, puisque là on fait appel à des technologies beaucoup plus importantes. Je n’ai pas en tête le coût exact, mais c’est plusieurs centaines de francs.
M. MAHEAS.- Plusieurs centaines de francs ?
M. MURA.- Pour faire une analyse, lorsque nous avons une recherche de stupéfiants dans le sang, cela se fait par chromatographie gazeuse, spectrométrie de masse. Cela prend une journée. Cela coûte effectivement relativement cher. Je crois que si nous faisons les quatre familles de stupéfiants, c’est de l’ordre de mille et quelques francs.
Je dis toujours, lorsque l’on parle d’argent dans ce domaine, que le coût social d’un mort est beaucoup plus et c’est la première cause de mortalité chez les jeunes.
Je ne vous ai pas parlé de l’exemple de la Sarre, mais si vous me donnez l’occasion, s’il me reste deux trois minutes, j’aimerais bien vous en parler tout à l’heure.
Mme la Présidente.- Nous avons été tout à fait intéressés. Si vous avez une contribution complémentaire écrite ou des documents à nous transmettre pour compléter votre audition, nous sommes preneurs.
Je tiens au nom de tous les membres de la Commission à vous remercier. Nous regrettons beaucoup que le temps et le délai de notre commission soient aussi réduits, mais nous avons été particulièrement intéressés, sachez-le.
Source : Sénat français
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