La présidente rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d’enquête et fait prêter serment à MM. Mutz et Metais.

Mme Nelly OLIN, Présidente. - Nous allons vous écouter sur une base de dix à douze minutes afin de permettre ensuite au rapporteur et à nos collègues sénateurs de vous poser un certain nombre de questions auxquelles vous pourrez répondre, la conclusion ou la dernière question revenant au rapporteur.

Monsieur le Directeur général, je vous donne volontiers la parole.

M. MUTZ. - Merci. Madame la Présidente, mesdames et messieurs les Sénateurs, mesdames et messieurs, c’est pour moi un très grand honneur d’intervenir aujourd’hui devant votre commission d’enquête pour vous exposer l’action de la gendarmerie nationale dans la lutte contre les drogues illicites.

Nous menons ce combat dans le cadre des directives définies dans le plan triennal élaboré par la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT). Un officier supérieur de gendarmerie est présent dans cet organisme. Il assure, comme ses homologues policiers et douaniers, un lien utile pour la cohérence et le suivi de la politique arrêtée.

La gendarmerie nationale s’est investie dans chacun des volets de cette politique, la prévention et la répression, en leur donnant un contenu qui tient compte des spécificités de l’institution.

Ces spécificités s’organisent autour des moyens propres à la gendarmerie, selon les modes d’action qui la caractérisent et en fonction de la physionomie de sa zone de compétence territoriale. La gendarmerie, tournée vers l’action, ne néglige pas la réflexion nécessaire à la compréhension de ce phénomène. A titre d’exemple, j’évoque le groupe d’étude commun police-gendarmerie sur les "rave-parties". Les conclusions de cet examen permettront d’élaborer une meilleure réponse opérationnelle.

J’attache la plus grande importance à la lutte contre les drogues illicites. Ce sujet tient une place essentielle dans le dispositif gouvernemental de lutte contre la délinquance. Chacun sait que l’usage de produits stupéfiants est la cause d’une délinquance active et souvent violente qui pèse directement sur l’insécurité ressentie par nos compatriotes.

Les trafics liés à cette activité criminelle financent une économie parallèle contre laquelle les groupes d’intervention régionaux (les GIR), notamment, mènent une action déterminée. Cependant, ces unités spécialisées, avec d’autres, s’affrontent à des réseaux animés par des malfaiteurs professionnels. Ils ne peuvent assumer l’indispensable prévention qui, pourtant, porte ses fruits à plus long terme.

Aussi, depuis plusieurs années, la gendarmerie nationale s’est-elle dotée d’outils appropriés pour réaliser une prévention professionnelle en direction des populations les plus vulnérables.

Je souhaite, dans cette courte intervention, vous livrer une information sur l’originalité de l’action conduite par l’institution pour décliner les instructions de la MILDT.

Si vous le permettez, je vais tout d’abord vous présenter l’action entreprise au plan de la répression. Avant de vous livrer quelques chiffres caractéristiques, je souhaite vous faire partager la réflexion qui justifie les choix accomplis par la gendarmerie nationale dans ce domaine. Evidemment, le colonel, qui est avec moi, tient à votre disposition l’ensemble des statistiques disponibles. Il les a abondamment étalées sur le bureau et vous voyez que nous en avons beaucoup.

Sur 95 % du territoire national, la gendarmerie assure la protection de 50 % de la population française. Cette typologie de son champ d’intervention conduit la gendarmerie à privilégier la répression des trafics locaux.

Certes, cette catégorie de délits ne met pas en cause des sommes et des volumes de produits comparables aux infractions relevées dans les grands centres urbains. Néanmoins, ils génèrent des troubles importants à la tranquillité publique. En effet, la consommation et le trafic de stupéfiants sont à l’origine d’une délinquance de voie publique très violente et très agressive. La détresse physique et matérielle des consommateurs aboutit à des comportements délictueux qui renforcent le sentiment d’insécurité. Je précise que ces actes ont un retentissement décuplé dans les zones rurales placées sous la responsabilité de la gendarmerie nationale.

En 2002, la gendarmerie a constaté 30 859 infractions liées aux stupéfiants et en a élucidé 35 486. Les faits élucidés, comme vous le remarquez, sont plus nombreux car les investigations permettent de résoudre des infractions non constatées.

Cela correspond à une augmentation de 14,6 % des faits élucidés par rapport à 2001. Cette variation est cohérente avec le degré d’investissement des enquêteurs de la gendarmerie dans la lutte contre ce type de délinquance.

Cet investissement s’explique aussi par la remarque que j’ai faite sur le caractère de délinquance source pour cette délinquance issue de la consommation et du trafic des stupéfiants. Il s’explique également par le vif intérêt manifesté par les magistrats du parquet et du siège pour la poursuite et la présentation à la justice des délinquants impliqués dans ce genre d’activité délictueuse.

Je rappelle enfin que la lutte contre les drogues illicites n’est pas conduite en gendarmerie par des organismes spécialisés. Une chaîne judiciaire parfaitement structurée sur le plan missionnel et territorial existe au sein de l’institution. Sa compétence est globale pour l’ensemble des infractions prévues par le code pénal. Ce choix découle de la dimension territoriale de la gendarmerie nationale. Elle doit assurer la protection des personnes et des biens sur une large zone géographique. Cela implique donc la polyvalence de ces militaires pour garantir le traitement de l’ensemble du spectre des événements susceptibles de leur échoir.

C’est également une nécessité pour répondre à la méthode de travail des 3 551 brigades territoriales qui irriguent l’ensemble du territoire national. Ces unités cumulent au niveau élémentaire l’ensemble des pouvoirs de police administrative et judiciaire reconnus aux forces régaliennes chargées d’appliquer la loi. L’action de ces unités se combine harmonieusement avec l’activité des unités judiciaires grâce à cette compétence professionnelle élargie.

Cette "mécanique" valorise et tire le meilleur parti de l’organisation pyramidale d’essence militaire qui singularise la gendarmerie nationale, de sorte que ce ne sont pas moins de 54 679 personnes qui ont été mises en cause dans des affaires de stupéfiants en 2002, dont 1 747 ont été écrouées après que 5 140 gardes à vue ont été conduites.

Les axes d’effort actuels portent sur une meilleure coordination avec nos partenaires européens et internationaux afin de mieux anticiper, sur un plan répressif, l’action des malfaiteurs. La coordination à l’oeuvre aujourd’hui doit être amplifiée pour produire des effets plus nets sur les conséquences nationales de cette activité illicite. La gendarmerie nationale s’est résolument engagée dans cette voie : elle encourage toutes les initiatives telles que les Centres de coopération policière et douanière (CCPD) ou le Collège européen de police (CEPOL).

En matière de prévention, l’implication de la gendarmerie nationale mérite d’être détaillée : son effort est également très important.

Pour profiter pleinement de l’atout que lui assure son implantation territoriale, la gendarmerie a pris le parti d’élaborer une formation spécifique pour la prévention contre l’usage des drogues illicites. Cette formation est adaptée à un exercice de proximité à l’égard des populations vulnérables : les enfants scolarisés et les parents d’élèves. Le dispositif actuel compte à peu près un sous-officier spécialisé par arrondissement, soit 530 au niveau national.

Ces sous-officiers sont appelés "formateurs relais anti-drogues" (FRAD). En 2002, ces militaires se sont adressés à 408 000 personnes. Les écoliers, les collégiens et les lycéens constituent 70 % de ce public. Ainsi, un enfant sur deux bénéficie, en zone de gendarmerie, d’une information complète sur les drogues illicites.

Depuis 1990, ce sont plus de 4 millions de personnes qui ont profité de l’effort de prévention soutenu par ces formateurs relais anti-drogue. C’est une performance intéressante quand on considère le nombre de sous-officiers impliqués directement dans cette mission. Il faut ajouter à cela l’action menée au fil de l’eau, chaque jour, par l’ensemble des gendarmes des unités territoriales.

Je souligne également que la gendarmerie nationale s’est dotée d’unités spécialisées dans la prévention à l’égard de la jeunesse dans les quartiers difficiles. Ces Brigades de prévention et de délinquance juvénile (BPDJ) n’ont pas de compétence répressive au sens judiciaire. Elles se consacrent exclusivement à un travail opiniâtre et patient au profit des jeunes gens vivant dans les zones les plus défavorisées. C’est 41 unités comptent dans leurs rangs 67 formateurs relais anti-drogue qui ont adapté le discours et les méthodes à leur public.

Ce sont ces unités qui donnent de la substance au protocole signé entre la gendarmerie et l’éducation nationale. Au sein de chaque Brigade de prévention de la délinquance juvénile, un référent "éducation nationale" cultive un partenariat serré avec les établissements relevant de sa circonscription. Cet investissement quotidien garantit une crédibilité productive auprès des jeunes et des enseignants. Dans ces conditions, les messages atteignent leurs cibles et la prévention s’exerce efficacement.

Au total, ces militaires spécialisés auront, en 2002, consacré 60 000 heures à cette mission au cours de 9 000 interventions. Cela signifie que, tous les dix jours, en période scolaire, chaque formateur assure une séance d’information dans un établissement de sa circonscription.

Mesdames et messieurs les membres la commission, j’ai tenté de vous décrire, très rapidement, la force de l’engagement de l’institution gendarmerie nationale que j’ai l’honneur de diriger dans cette mission de lutte contre l’usage des drogues illicites. Je souhaite que vous ayez pu mesurer le rôle déterminant que joue la gendarmerie pouratteindre les objectifs fixés par le gouvernement en matière de lutte contre la délinquance.

Je me félicite également de la qualité des relations établies entre les partenaires institutionnels qui prennent part à cette lutte. Je fais notamment allusion aux relations que la gendarmerie entretient sur cette question avec la police nationale et la douane. Nous avons dépassé le stade de la simple collaboration pour nous orienter vers une synergie durable ; c’est un atout supplémentaire qui profite à chacune des forces.

Enjeu de sécurité, enjeu de santé publique et enjeu de solidarité sociale, cette action collective contre ce fléau contemporain fait partie des priorités de la gendarmerie nationale.

Mme la Présidente. - Monsieur le Directeur général, je vous remercie. Colonel, souhaitez-vous intervenir ?

Colonel METAIS. - A ce stade, je ne pense pas que ce soit nécessaire.

Mme la Présidente. - Je donne donc la parole à M. le Rapporteur.

M. Bernard PLASAIT, Rapporteur. - Monsieur le Directeur général, merci de votre exposé. J’aurai tout à l’heure, mon colonel, quelques questions de chiffres à vous poser.

Voici ma première question, monsieur le Directeur général : quel bilan faites-vous de l’application de la circulaire du 11 octobre 1999 du ministre de l’intérieur, qui souhaitait favoriser la concertation entre les différentes autorités administratives et judiciaires et quel est le bilan des GIR en matière de lutte contre le trafic de drogue et la toxicomanie ?

M. MUTZ. - Je vais vous donner ce bilan, mais je tiens tout d’abord à dire que les GIR travaillent énormément dans ce domaine et que des arrestations ont lieu en permanence grâce à leur action. Les GIR sont, de ce point de vue, extrêmement efficaces. Pas plus tard qu’en fin de semaine dernière, l’opération à Colombes a permis de faire cesser un trafic de drogue extrêmement important Certes, l’enquête a débuté avant la création des GIR, mais elle a reçu ensuite leur concours, notamment celui des fonctionnaires du ministère des finances, qui en font partie, ce qui a été d’une aide très précieuse.

Cette collaboration extrêmement étroite, à l’intérieur des GIR, entre des fonctionnaires de différents ministères qui ont à en connaître permet d’effectuer des opérations très ciblées et généralement extrêmement productives. Je pense que nous avons atteint, grâce aux GIR, une efficacité accrue dans la lutte contre le trafic des stupéfiants.

Quant au bilan, on peut vous le donner, évidemment.

M. PLASAIT. - Je vous remercie. Si vous pouvez nous communiquer des chiffres, ils nous seront utiles et nous en profiterons, bien entendu, mais votre réponse me convient parfaitement.

Monsieur le Directeur général, quelle est votre politique en matière d’interpellation ? Je vous pose cette question un peu vicieuse et je vous parlerai ensuite de la loi de 1970 et de la législation en cours, mais il me semble que des pratiques qui se sont instaurées du côté de la justice, de la police et de la gendarmerie contribuent finalement à une espèce de banalisation, voire de dépénalisation, dans la mesure où les interpellations ne seraient pas systématiques. On comprendrait pourquoi elles ne le seraient pas, dans la mesure où il y a un décalage considérable entre le nombre d’interpellations et les suites judiciaires qui sont données.

Je souhaite donc savoir quelle est votre politique en matière d’interpellation et, parmi les interpellations (vous me direz combien il y en a), quelle est la proportion de jeunes, éventuellement d’étrangers, pour que nous puissions comprendre si cette politique, finalement, sert davantage la prévention que la répression.

M. MUTZ. - Votre question est difficile. La modeste expérience dont je dispose du fait de ma présence depuis neuf mois à la tête de la gendarmerie, mais également mon expérience précédente en tant que préfet de région ou de département et les dix ans que j’ai passés à la préfecture de police me permettent de dire qu’il faut faire une différence entre le consommateur de drogue, le petit dealer et celui qui est vraiment l’intermédiaire ou le grossiste qui fournit la drogue.

De tout temps (je ne peux pas l’affirmer comme étant une politique, mais je pense que c’est une orientation que se donnent policiers et magistrats), on a essayé de démanteler les trafics, c’est-à-dire de remonter le plus haut possible pour faire cesser un certain nombre de filières de drogue en se disant qu’au fond, le consommateur lui-même est plutôt un malade ou quelqu’un qui utilise la drogue comme la cigarette, comme une aide psychologique, plutôt qu’un délinquant véritable.

Tous les efforts qui sont faits et que j’ai pu constater dans la police nationale portaient surtout sur les dealers d’habitude et sur les réseaux de trafiquants.

Depuis que je suis dans la gendarmerie, je m’aperçois que le gendarme, lui, compte tenu d’abord de sa zone d’intervention, qui est plus rurale, n’hésite pas à arrêter de tout petits trafiquants, voire des consommateurs portant de la drogue sur eux. La réponse judiciaire à l’égard de ce genre de personne est généralement très faible. On vous donnera les statistiques.

En revanche, à chaque fois que sont arrêtés des gens dont il est prouvé qu’ils sont des dealers d’habitude ou des trafiquants, la réponse judiciaire est forte et elle l’est de plus en plus.

Il y a donc pratiquement trois étages :

le gros trafiquant, qui est vraiment poursuivi et généralement puni lourdement par la justice ;

le dealer, qui, en général, est connu et arrêté plusieurs fois parce qu’il ne fait pas toujours uniquement du trafic de drogue et qu’il n’a pas d’autres activités délictueuses et qui, lui aussi, est poursuivi et condamné, mais à des peines évidemment plus faibles ;

l’usager, à qui on propose plutôt une désintoxication ou une mesure qui lui permet d’arrêter la consommation de drogues ou d’être mis face à ses responsabilités en l’éclairant sur le danger de se droguer.

Voilà ce que je peux répondre à votre question. Cela dit, on peut fouiller dans les chiffres et le colonel peut vous répondre.

M. PLASAIT. - Je serai heureux d’avoir des chiffres sur le nombre d’interpellations et la proportion de jeunes parmi celles-ci, mais je reviens sur votre réponse. J’ai parlé dans ma question de répression et de prévention parce que, dans mon esprit, l’interpellation d’un usager simple, même s’il n’y a aucune suite judiciaire, donne la possibilité, comme le disait d’ailleurs quelqu’un que nous avons auditionné, de le mettre dans le circuit de la prise en charge, ce qui a un effet de prévention tout à fait important.

A l’autre bout, il y a effectivement les trafiquants importants ou très importants sur lesquels la répression doit être sans pitié, mais, au milieu, il y a le petit trafiquant, le petit dealer, sur lequel il faut intervenir, même si le plus important est de remonter la filière, ce qui est évidemment difficile quand il se présente non pas comme dealer mais comme usager, en portant sur lui de quoi vendre mais en le présentant comme de quoi consommer.

Ma question est donc la suivante : la situation juridique dans laquelle nous sommes à cet égard n’est-elle pas un frein considérable à l’action de la gendarmerie et, si oui, quelles solutions pourrait-on imaginer ? Plus généralement, la situation juridique héritée de la loi de 1970 doit-elle, selon vous, être revue, en allant éventuellement jusqu’à sa remise en cause ?

M. MUTZ. - Je ne pourrai pas répondre complètement à la question, mais le colonel pourra peut-être en dire plus quemoi puisqu’il a été confronté, sur le terrain, aux phénomènes dont vous parlez.

M. PLASAIT. - Pardonnez-moi, mais je vais préciser ma question car c’est une chose dont nous avons besoin : à partir de quel seuil de possession de produit passe-t-on d’un état d’usager à un état de dealer ?

M. MUTZ. - Je laisse le colonel répondre.

Colonel METAIS. - Sur le terrain, la difficulté est grande. Pour notre part, nous avons poursuivi systématiquement les usagers — on nous en a fait grief ces dernières années —, en considérant que des textes existent et que la gendarmerie fait partie des services répressifs qui doivent les faire appliquer. Sans rechercher uniquement ce genre de délinquance, à l’occasion de leur service quotidien, quand ils avaient à relever des infractions sur les usagers, les gendarmes le faisaient. Dans les statistiques que nous tenons à votre disposition, vous verrez que les chiffres d’infraction constatés concernant les usagers sont en augmentation et que cette augmentation se poursuit.

Le travail en zone de gendarmerie est plus délicat en ce qui concerne les usagers revendeurs, c’est-à-dire les petits trafiquants, d’une part, parce que notre maillage territorial nous donne une force pour connaître de tout ce qui se passe dans la profondeur du territoire, mais, d’autre part, parce que les gros trafics sont plutôt en zone urbaine et périurbaine, même s’ils commencent à arriver dans la zone périurbaine et rurale, pour ne pas dire herbageuse dans les derniers confins.

M. PLASAIT. - C’est donc une évolution, une tendance.

Colonel METAIS. - Nous pourrons vous fournir ce que nous constatons en zone de gendarmerie, car nous avons des chiffres intéressants sur les évolutions des deux dernières années. On constate que, ces dernières années, dans les discours, l’usage s’était banalisé mais que, sur le terrain, les gendarmes voyaient de plus en plus de jeunes s’adonner à la consommation, ne serait-ce que dans un cadre convivial ou ludique, à l’occasion de certaines soirées et le week-end. En tout cas, à chaque fois que nous y avons été confrontés, nous avons relevé des infractions.

On le retrouve dans le phénomène des rave-parties, dont les statistiques remontent à 1994-1995. Nous suivons le phénomène depuis le début des années 90, puisqu’il est apparu en France à ce moment-là, et un groupe de travail police-gendarmerie nous permet maintenant d’affiner notre connaissance du phénomène. Chaque rave-party donne lieu au retour d’un questionnaire à l’échelon national que nous exploitons avec toutes les conséquences qui découlent de ces fêtes.

Pour les trafiquants et les usagers revendeurs, c’est beaucoup plus délicat : sur 48 104 interpellations l’an dernier, il y en avait, grosso modo, 41 000 concernant les usagers et 6 800 qui concernaient les usagers revendeurs.

M. PLASAIT. - Il se pose la question du seuil. Comment fait-on la distinction entre un usager et un usager revendeur ?

Colonel METAIS. - Cela ne tient pas tant à la quantité ou au poids de la possession mais au comportement et l’animation d’un groupe, soit à la sortie de collèges ou de lycées, soit à l’occasion de soirées. On ne peut guère quantifier.

Mme la Présidente. - Quand vous interpellez quelqu’un pour trafic, parce que c’est un petit dealer et que vous considérez que c’est lui qui deale dans le quartier, s’il vous dit : "Je ne suis pas dealer, si j’ai une barrette sur moi, c’est parce que je consomme", comment réagissez-vous ?

Colonel METAIS. - Il y a les constatations suite aux auditions, qui peuvent être faites dans le cadre des interpellations et qui sont versées en procédure, mais il y a aussi toutes les constatations qui découlent des filatures et observations. C’est une manière de voir comment un jeune peut animer un réseau. Ensuite, ce n’est pas la simple détention d’une barrette de shit ou de quelques grammes de poudre qui pourront prouver quelque chose.

M. MUTZ. - Je vais compléter cela, parce que j’ai en tête un certain nombre d’affaires qui ont été élucidées récemment par la gendarmerie. Lorsque les gendarmes arrêtent des soi-disant trafiquants de drogue qui ont sur eux trop peu de drogue, ce qui pourrait laisser penser que ce sont des consommateurs, ils peuvent s’apercevoir, à la suite des recoupements qui sont faits ou lors des perquisitions, que leurs comptes-chèques ou leur train de vie permet de penser qu’il y a autre chose. In fine, après les interrogatoires, les recoupements et les enquêtes, ces personnes peuvent avouer qu’elles ont dealé plusieurs centaines de kilos de drogue au cours des années écoulées.

Ce sont donc véritablement des enquêtes importantes qui sont menées lorsque les gendarmes s’aperçoivent qu’ils sont tombés sur une personne qui, manifestement, est un dealer et non pas un consommateur.

Je n’ai jamais arrêté moi-même de drogués, mais, pour avoir déjà accompagné des policiers dans ce domaine, je pense que le gendarme ou le policier fait la différence, en fonction de la situation sociale de l’intéressé, entre le pur consommateur et le dealer, qui est celui qui revend, même s’il ne le reconnaît pas spontanément au moment de son arrestation.

Colonel METAIS. - L’un des éléments à prendre en compte concerne également le train de vie. Selon le créneau d’âge, un jeune de 18 ans qui peut se payer un certain nombre de choses, quand on connaît son environnement familial, attirera forcément notre attention.

M. PLASAIT. - C’est justement la question que j’allais vous poser, mon colonel. Considérez-vous qu’il y a un bon usage et une bonne exploitation des ressources que donne la loi, d’une part, sur le proxénétisme de la drogue, c’est-à-dire la non-justification de ressources, que vous venez d’évoquer, et, d’autre part, sur la possibilité de la comparution immédiate pour les petits trafiquants et les usagers-revendeurs ? Considérez-vous qu’on utilise bien cet arsenal juridique ?

Colonel METAIS. - On commence à apprendre à bien l’utiliser. L’un des meilleurs moyens d’attaquer ce phénomène, c’est de le prendre là où cela fait mal, c’est-à-dire par l’argent. A chaque fois que l’on peut utiliser cet aspect financier dans les procédures, on tient le bon bout pour régler l’infraction, pour traiter le réseau ou pour l’anéantir, mais la consommation est là : c’est un besoin qui a été créé et il faut encore aller au-delà en s’attaquant à la source.

A la sortie des collèges, comme les FRAD nous l’expliquent souvent, on commence à donner de la drogue gratuitement aux jeunes, on les habitue et on passe ensuite au racket. Enfin, pour pouvoir alimenter le racket, on dit : "Tu n’as qu’à faire comme nous. On va te donner des produits, tu vas faire partie du réseau et tu auras de l’argent". C’est ainsi que cela commence.

M. PLASAIT. - La comparution immédiate est-elle utilisée souvent ?

Colonel METAIS. - Les magistrats n’ont pas le temps de se consacrer...

M. PLASAIT. - Donc la réponse est non ?

Colonel METAIS. - Ils le font le plus souvent qu’ils le peuvent, mais...

M. PLASAIT. - On leur dira votre indulgence.

Colonel METAIS. - Les parquets sont encombrés par de nombreuses autres procédures et beaucoup essaient de jouer le jeu, mais ils ne peuvent pas y répondre. Il faut certainement d’autres relais, entre les éducateurs, les médecins, les services de police ou de gendarmerie et les magistrats, qui seront disponibles pour faire le rappel à la loi : les médiateurs de la République, par exemple. Il faut agir sur d’autres ressources.

M. PLASAIT. - J’en viens au rôle de la gendarmerie en matière de lutte contre le trafic international, que vous avez rappelé tout à l’heure. Qu’est-ce qui explique, à votre avis, ce décalage qui existe entre l’augmentation considérable des interpellations (sur dix ans, entre 1987 et 1997, elles ont augmenté de 185 % d’une manière générale, sans parler uniquement de la gendarmerie) et l’augmentation de 26 % seulement de l’arrestation de trafiquants ?

M. MUTZ. - Je suis incapable de vous répondre. Je ne peux le faire que sur le plan de notre coopération, puisque je me suis impliqué sur le plan de la connaissance de la mutualisation des informations sur le plan européen dans la lutte contre les drogues.

Premièrement, le fait d’avoir des gendarmes dans toutes les instances européennes permet d’être plus efficace dans la lutte contre la drogue.

Deuxièmement, l’implantation, qui se fait au fur et à mesure que nous le pouvons, que les accords sont passés avec les pays et que nous pouvons mettre un certain nombre de personnes dans les ambassades comme attachés de sécurité intérieure, permet d’avoir des renseignements sur un certain nombre de filières à partir des pays producteurs de drogue.

Troisièmement, nous avons, notamment aux Antilles, à Key West, un officier de gendarmerie qui se trouve auprès des Américains et qui est au siège de cette organisation américaine chargée de la lutte contre les narco-trafiquants dans la zone des Antilles.

L’ensemble de ces personnes qui se trouvent sur le terrain international permet d’échanger des renseignements et de réaliser un certain nombre d’arrestations de très gros trafiquants, ce qui a été le cas récemment aux Antilles. Vous vous souvenez du fameux bateau, le Winner, qui a été arraisonné, et de celui qui a été arrêté ensuite.

La marine nationale va aussi s’impliquer dans la protection de nos côtes en mettant, aux Antilles, un bâtiment plus spécialement chargé de la lutte contre les trafics de drogue par les arrivées maritimes à partir de l’Amérique du Sud.

Toutes ces mesures participent d’un véritable renforcement de notre bouclier pour essayer d’interpeller les gros trafiquants de drogue. Les douaniers font des prises extraordinaires. Ce sont eux, d’ailleurs, qui prennent des tonnes de drogue et qui sont sûrement les plus efficaces dans ce domaine, puisqu’ils disposent de renseignements internationaux extrêmement importants.

L’imbrication de ce réseau qui part de très loin et qui est formé de nos attachés de sécurité intérieure, des coopérations internationales, de la coopération européenne et du travail effectué sur le territoire national par la douane, la police, la gendarmerie, les services fiscaux et les directions de la répression des fraudes est absolument extraordinaire. Grâce à ce système, nous obtenons des résultats tout à fait significatifs.

M. PLASAIT. - C’est vrai, monsieur le Directeur général, et on est d’ailleurs toujours impressionné quand on voit, à la télévision, des tonnes et des tonnes de produits. Il n’en demeure pas moins qu’il existe un décalage entre le nombre d’interpellations, qui a augmenté de façon considérable et qui donne le sentiment qu’il y a de plus en plus deconsommation, ce qui est d’ailleurs confirmé par les statistiques, et le nombre d’arrestations, et donc de saisies, dont l’augmentation est nettement moindre.

A l’intérieur de l’Union européenne, où le fait que les différents pays sont liés par les conventions internationales qu’ils ont signées devrait faciliter la lutte contre le trafic, les différences de législation, qui sont créées par la loi elle-même ou par la pratique et qui sont souvent en contradiction avec ces conventions internationales, ne posent-elles pas un problème fondamental pour l’efficacité de la lutte contre la drogue ?

M. MUTZ. - Si on compare la législation hollandaise et la nôtre, par exemple, il est bien certain que c’est l’une des causes de l’arrivée de drogue chez nous. Le consommateur ou le petit dealer peut aller s’approvisionner aux Pays-Bas et je connais bien ce phénomène : j’étais sous-préfet à Sedan il y a vingt ans et c’était déjà le cas. On voyait bien ce trafic d’usage, qui n’était pas forcément du deal.

Il faudrait effectivement avoir, sur le plan européen, une législation identique de chacun des pays, et cela n’est pas valable seulement pour la drogue, d’ailleurs.

Colonel METAIS. - La législation pose en effet problème. En réalité, les services répressifs ne réussissent à bien travailler en matière de renseignement et, surtout, de décloisonnement et de rétention du renseignement, que depuis quatre à cinq ans.

Pour revenir à l’action qui est menée dans les Antilles, dont le directeur général vient de parler, je vous signale que nous avons implanté, sous l’égide de la MILDT et en liaison avec les douanes et la police nationale, un bureau de liaison permanent (BLP) en Guadeloupe où nous commençons à mettre des renseignements en commun. Nous avons un autre BLP à Lille dans lequel nous mettons en commun des renseignements, nous regardons de quelle manière on peut le mieux traiter le problème et nous agissons ensuite.

Dans les Antilles, ce bureau de liaison permanent devrait être amené de la Guadeloupe à Fort-de-France pour assurer une meilleure cohérence du dispositif d’action avec le préfet de région, le commandant supérieur de la marine sur place et le préfet maritime, pour coordonner l’action de l’Etat en mer, en liaison, comme le disait le directeur général, avec Key West, le Joint Interagency Task Force, qui nous donne un certain nombre de renseignements et nous permet d’intervenir sur des vedettes rapides avant qu’elles n’atteignent les côtes françaises. Nous apprenons à travailler ensemble mais c’est nouveau : cela ne dure que depuis quatre ou cinq ans.

M. PLASAIT. - Madame la Présidente, je vois que l’heure tourne et que mes collègues ont des questions à poser. Je communiquerai donc à M. le Directeur général la question des chiffres que je souhaite obtenir. Merci, mon colonel et merci, monsieur le Directeur.

Mme la Présidente. - Je vais passer successivement la parole à M. Lanier, M. Barbier, M. Béteille et M. Gouteyron, qui souhaitent poser des questions.

M. LANIER. - Ce que j’aime dans la gendarmerie, mon cher collègue, c’est qu’elle est dans la société comme un poisson dans l’eau et qu’elle amène le renseignement, c’est-à-dire qu’elle est à même, mieux que la police, de se renseigner, notamment par les conjointes qui font le marché. C’est ce qui m’avait incité, lorsque j’étais préfet, à créer, dans un nouveau département, à Créteil, une gendarmerie urbaine. Cela n’avait d’ailleurs pas été sans soulever des vagues considérables qui s’étaient apaisées par la suite du fait de l’utilité de cette mesure.

Dans le droit fil des questions que vous a posées M. Plasait, notre rapporteur, je souhaiterais savoir si vous formez les officiers et les sous-officiers, sur le thème de la drogue, à une certaine appréciation des délinquants qu’ils rencontrent, appréciation qui leur permet ou leur permettrait de passer du petit au moyen dealer, du moyen au grand dealer et du grand dealer, finalement, au mafieux, car c’est là qu’il faut exercer la répression. En effet, si on s’amuse à réprimer le petit dealer pour que le juge lui fasse un sermon et le laisse partir, cela ne sert qu’à éventer la chose et cela a même parfois des conséquences très graves sur le petit ou le moyen dealer.

Formez-vous les gens à cette appréciation afin de remonter la filière, c’est-à-dire, finalement, à viser juste dans la répression, là où on doit viser ?

Par ailleurs, cette action vous permet-elle de récupérer un certain nombre de jeunes et de faire de la prévention à leur égard pour essayer de les remettre dans le droit fil de la société, d’une manière ou d’une autre, en les confiant à quelqu’un ? Ce "quelqu’un" existe-t-il pour essayer de les remettre d’aplomb ?

Ces deux questions que je pose sont à mon avis primordiales, parce qu’il ne sert à rien de s’amuser à arrêter les petits ; il faut prendre les gros poissons.

M. BARBIER. - Monsieur le Directeur, dans votre exposé liminaire, vous nous avez présenté le bilan en matière d’actions d’information et de prévention, notamment dans les établissements. J’espère que les gendarmes ne sont pas trop démoralisés devant le fait que, malgré cette action, la consommation de cannabis touche 60 % des jeunes, comme on nous l’a dit il y a quelques instants, à un moment ou un autre de leur vie.

Pensez-vous que les techniques de prévention employées à l’heure actuelle, c’est-à-dire les cours et les exposés dans les établissements, sont efficaces et n’avez-vous pas réfléchi à d’autres méthodes de travail en petits groupes plus conviviaux ? J’ai assisté à un certain nombre de présentations de ce type et je me suis demandé s’il n’existait pas d’autres moyens d’action pour sensibiliser un peu plus les jeunes.

Parallèlement à cette question, comme la gendarmerie est très impliquée dans la journée citoyenne, ne pensez-vouspas que, plutôt que d’apprendre à démonter le Famas, il serait plus intéressant de profiter de ces quelques heures pour attirer l’attention des jeunes sur cette affaire ?

J’ai une deuxième question. Vous n’avez pas tellement évoqué le problème très difficile du rôle que jouent, en matière de trafic, les mineurs qui sont souvent utilisés par leurs aînés, les "grands frères", et les grands pourvoyeurs. La gendarmerie n’est-elle pas quelque peu désarmée devant ces mineurs de 15 ou 16 ans, voire moins,porteurs de petites doses, qui essaiment à travers les collèges et les lycées sous l’oeil très acerbe de leurs aînés ?

Je pense que le problème se situe là. Pour ma part, je suis dans une zone de police, mais les gendarmes constatent aussi que les grands trafiquants savent se mettre à l’abri d’une interpellation en utilisant tout un réseau, notamment de mineurs, quelquefois de plus en plus jeunes.

Il me reste une dernière petite question, sachant que la gendarmerie est bien placée à cet égard : avez-vous des statistiques en matière de découvertes de cultures de cannabis sur le territoire, qui semblent une pratique de plus en plus courante ?

Mme la Présidente. - Il y en a en Val-d’Oise.

M. BARBIER. - De même, concernant le dépistage par la conduite automobile, quels sont vos chiffres et vos expériences en la matière pour essayer de contrecarrer ce trafic important ?

M. BETEILLE. - Monsieur le Directeur général, dans votre exposé liminaire, vous nous avez rappelé utilement le lien qui existe entre la consommation de stupéfiants, la délinquance de voie publique et la délinquance d’appropriation, et j’ai donc deux questions à vous poser à ce sujet.

Tout d’abord, avez-vous une idée de la proportion que cela représente dans ce type de délinquance, celle qui est liée à ces consommateurs qui ont besoin de se procurer de l’argent pour satisfaire leur consommation ?

Ensuite, peut-on dire que tous ces délinquants sont motivés par la consommation de drogues comme l’héroïne, c’est-à-dire de drogues dures, ou qu’il y a une part, que j’aimerais connaître, de consommateurs de cannabis ?

M. GOUTEYRON. - Ma question rejoindra celle qu’a posée notre collègue Barbier tout à l’heure. Je suis en zone de gendarmerie, en zone rurale, et cela m’amène à vous interroger, monsieur le Directeur général, car il n’est pas possible de ne pas poser cette question ici. Quel rôle attribuez-vous aux maires dans le travail qui est le vôtre dans ce domaine ?

Je rencontre régulièrement les gendarmes dans ma petite commune, en moyenne une fois par semaine, et je peux dire que ces problèmes sont évoqués de façon rarissime. Or je sais que le problème se pose, y compris dans une zone rurale comme la mienne.

Ma question est donc la suivante : pensez-vous que la coopération entre les gendarmes et les maires est suffisante ?

Ma deuxième question rejoint celle du docteur Barbier et concerne le milieu scolaire. Moi aussi, j’ai assisté à un certain nombre de réunions d’information et je me demande — je l’avoue — si le milieu scolaire est bien adapté à ce type de démarche.

Je me demande s’il ne faut pas imaginer d’autres formules plus souples, en plus petits groupes et dans d’autres milieux. En effet, le milieu scolaire a quelque chose d’artificiel, de compassé et d’organisé, du moins je l’espère encore, et je ne suis pas sûr que ce soit (même si c’est une commodité, puisque tous les enfants d’un certain nombre de classes d’âge passent dans le primaire et le collège) le meilleur moyen de les saisir. J’aimerais donc avoir votre avis sur ce point.

Accessoirement, pouvez-vous me dire si vous trouvez chez les enseignants une coopération suffisante dans ce domaine ?

Mme la Présidente. - Vous avez une série de questions, monsieur le Directeur général et mon colonel, et je vais vous demander d’y répondre le plus brièvement possible .

M. MUTZ. - La première question porte sur la manière dont sont formés nos officiers et nos sous-officiers dans le domaine de la drogue. Une information est faite dans le cadre de leur formation d’officiers de police judiciaire et je pense qu’elle est bonne parce qu’elle leur permet, par l’expérience de leurs formateurs, de les préparer à ce qui les attendra sur le terrain, sachant qu’ensuite, c’est l’expérience de terrain qui permet de savoir si les gens sont des usagers ou des dealers.

Dans la plupart des cas, lorsqu’il y a présomption de deal, les brigades de gendarmerie font remonter les enquêtes à la brigade de recherche, à la section de recherche ou aux GIR afin d’obtenir des compléments par des spécialistes et des gens qui disposent de beaucoup plus de temps pour faire les enquêtes et les approfondir. Ils ne les gardent pas au niveau des brigades.

A cet égard, nous ne sommes plutôt bons (et je vous demande de me pardonner ce "cocorico") par rapport à d’autres polices que j’ai connues : les gendarmes sont plutôt bien formés.

J’en viens à la question sur l’information et la prévention dans les établissements scolaires, en mettant ensemble tous les établissements scolaires. En fait, notre jeunesse connaît un réel problème qui vient du fait que presque tous les gens qu’admirent nos jeunes se droguent et le disent publiquement dans la presse, ce qui est absolument dramatique. Je suis désolé de vous le dire comme je le pense, mais je suis moi-même père de plusieurs enfants, je peux vous parler de la lutte que je mène déjà pour qu’ils ne fument pas et je sais combien tout cela est fragile et difficile parce qu’évidemment, ma voix compte, mais qu’à côté d’un certain nombre de vedettes du show-biz, j’apparais parfois comme un moralisateur plutôt qu’un éducateur. C’est donc assez difficile.

Je dois dire que des parents en vont même jusqu’à échanger des joints avec leurs enfants, pensant par là les émanciper et leur dire de ne pas y toucher !

C’est très difficile. Je pense que la démission — si on peut l’appeler ainsi — et ce manque de sens familial ou de sens des responsabilités que l’on doit avoir à l’égard des jeunes doit être partagé par tous. Il n’appartient pas à une catégorie ou une autre de lutter contre la drogue. C’est toute une chaîne qui doit se mettre en route à partir des parents en continuant par les enseignants, les policiers, les gendarmes et toute la chaîne sociale pour y parvenir.

Je vous donne ici un témoignage très personnel : mon fils, qui est dans un établissement parisien, me dit qu’autour de lui, on fume beaucoup. A Paris, les enfants sont plus aisés qu’en zone rurale et ils y goûtent tous sans qu’on sache comment les produits arrivent parce que, bien entendu, on ne peut pas mettre un policier devant chacun des établissements. Il faudrait donc à tout prix que les parents et les enseignants, ensemble, fassent quelque chose de très fort dans la lutte contre la drogue, sans quoi on n’y arrivera pas.

Cela m’amène à la question sur les maires. Vous avez tout à fait raison de dire, monsieur le Sénateur, que les gendarmes ne vous parlaient pas beaucoup de ces problèmes jusqu’à présent dès l’instant qu’il s’agissait de procédures judiciaires, tout simplement du fait du secret de l’instruction et aussi parce que, dans une petite commune rurale, si le gendarme dit au maire que le fils de M. Martin ou de M. Dupont fume, pour peu qu’il sache que le maire ne s’entend pas bien avec lui, il aurait peur de faire une indiscrétion. C’est pourquoi, jusqu’à présent, les gendarmes ne disaient rien.

Je vais donc faire en sorte que nos gendarmes soient de plus en plus proches des élus. C’est l’une des instructions qui m’est donnée par le ministre de l’intérieur et je vais la développer. Je veux que les gendarmes soient proches de leurs élus et leur disent ce qui se passe, sachant que, bien entendu, toute connaissance a une limite qui est soit celle du judiciaire, soit celle des relations entre les hommes.

En tout cas, il est vrai que le maire doit jouer un rôle. Il peut le faire à travers les instances de coordination contre la délinquance, mais aussi, plus profondément, sur une relation renouvelée et plus approfondie avec les élus locaux.

Vous avez parlé, monsieur le Sénateur, de la journée citoyenne qui, après l’école, pourrait être un rendez-vous permettant de remettre nos jeunes dans le droit chemin. Le problème, c’est que je ne sais pas si ces quelques heures passées en journée citoyenne peuvent suffire pour attirer l’attention de nos jeunes contre ces phénomènes. On peut penser aussi à des campagnes de publicité. Il faut trouver des moyens modernes pour faire connaître aux jeunes tous les inconvénients que comporte l’utilisation des drogues.

Sur le rôle des mineurs dans le trafic des grands pourvoyeurs, lorsque j’ai été préfet de l’Essonne, je me suis beaucoup intéressé à la vie des quartiers les plus difficiles — Dieu sait s’il y en avait — et j’ai constaté qu’à l’époque, le dealer donnait 50 francs à un gamin de 6 ou 8 ans en lui demandant de le prévenir s’il voyait arriver des policiers ou une personne qu’il ne connaissait pas dans le paysage, mais le gamin ne savait pas vraiment pourquoi il devait le faire et le policier ne pouvait décemment pas interpeller un enfant de 10 ans et l’emmener au poste pour l’interroger et lui demander qui lui avait dit cela.

C’est extrêmement difficile et on s’est aperçu qu’en définitive, les petits dealers étaient généralement des mineurs, que les gros étaient des adultes et que ces mineurs avaient recours à des enfants pour assurer des rôles d’observation, ce qui, comme vous vous en doutez, rend très difficile l’établissement des faits par les services de police et de gendarmerie.

On a ensuite le problème des gens qui se droguent et qui ont des conduites néfastes du fait de la drogue, en versant soit dans la délinquance sur le terrain, soit dans la délinquance automobile. La loi sur la sécurité intérieure a introduit, en cas d’accident avec blessure ou mort d’homme, un dépistage systématique de la drogue. Je reste persuadé qu’un certain nombre d’accidents quasiment inexplicables viennent de la consommation de drogues, mais aussi de médicaments. En effet, vous savez que le Français est celui qui consomme le plus de médicaments psychotropes qui sont de nature à avoir les mêmes effets sur le conducteur que la consommation de drogues. C’est un vrai problème. La loi sur la sécurité intérieure l’introduit maintenant et c’est une bonne chose.

Dans le domaine de la délinquance, nous nous apercevons (j’ai eu l’occasion de le dire en présentant les résultats de la criminalité et de la délinquance au mois de janvier dernier) que, si la délinquance baisse, elle devient de plus en plus dure. Les arrestations de délinquants par la police se soldent de plus en plus par des blessures ou, à l’extrême, par ce que je viens de vivre à Nîmes et que je mets sur le compte de la peur — tout cela est épouvantable — du gendarme ou du policier lui-même à l’égard des personnes impliquées.

Lorsque la poursuite d’une voiture fait que, par moment, on essaie de mettre les gendarmes dans le fossé alors qu’ils n’y sont guère habitués (ce n’est pas tous les jours qu’ils ont affaire à des personnes aussi déterminées), on se dit que ce sont des gros voyous, sans quoi ils s’arrêteraient. S’ils n’ont volé qu’une poule dans un poulailler, ils vont s’arrêter et ce ne sera pas trop grave.

Il faut compter avec la peur qui est accrue dans les zones rurales dépourvues d’éclairage, ce qui est bien différent de ce que nous connaissons en zone urbaine, où l’arrestation se fait sous les éclairages urbains, où on voit les gens et où on sait quelles sont leurs réactions.

Tout cela est extrêmement difficile, et cela dépend souvent à la fois d’un manque de respect à l’égard des représentants de l’ordre mais aussi d’une attitude qui est due à la consommation de drogues pour se donner du courage et effectuer un certain nombre de faits délictueux.

Je ne sais pas si nous avons les chiffres à ce sujet, mais je pourrai vous les donner.

Mme la Présidente. - Vous pourrez nous donner une communication écrite sur ce point.

M. MUTZ. - Je pense avoir répondu à toutes les questions qui m’avaient été posées.

M. PLASAIT. - Une dernière question, monsieur le Directeur général : quel est le rôle de la gendarmerie dans les raves parties ?

Mme la Présidente. - Nous aimerions aussi avoir le nombre d’interpellations.

M. MUTZ. - Le colonel Métais est en train de vous les chercher et il va vous les donner.

Le rôle de la gendarmerie est celui qui nous a été donné par le ministre de l’intérieur : aucune rave party ne doit se dérouler désormais de façon sauvage. Autrement dit, ne sont autorisées que celles qui sont déclarées par un certain nombre d’associations.

Ensuite, lorsqu’elles sont déclarées, la responsabilité en revient à l’organisateur, et la gendarmerie assure en périphérie une certaine sécurité afin d’éviter tout débordement de la délinquance en dehors des lieux mêmes de la rave-party, mais vous vous doutez bien qu’il est exclu qu’ils interviennent à l’intérieur de ces rave parties, où chacun sait qu’il y a du trafic de drogue, de l’alcool et bien d’autres choses.

Mme la Présidente. - Nous voudrions bien obtenir des compléments d’information et nous sommes vraiment navrés— je vous prie, au nom de la commission, de nous en excuser — de vous imposer ces délais qui nous sont impartis.

Merci beaucoup, monsieur le Directeur général. Merci également, mon colonel. Nous n’hésiterons pas à vous solliciter à nouveau en cas de demande complémentaire d’informations.


Source : Sénat français