La présidente rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d’enquête et fait prêter serment à M. Perben.

Mme Nelly OLIN, Présidente - Monsieur le Ministre, je vous donne bien volontiers la parole. Nous allons vous écouter avec une attention toute particulière.

M. Dominique PERBEN - Merci, madame la présidente. Mesdames et messieurs les Sénateurs, en fonction des indications que vous avez bien voulu me fournir, je vais présenter rapidement un certain nombre d’éléments. Je souhaiterais en effet évoquer les moyens juridiques actuels de lutte contre les drogues illicites et leur mise en oeuvre, ce qui me permettra de parler des orientations de la politique pénale et de la façon dont sont mises en application ces orientations, après quoi j’évoquerai le renforcement de l’efficacité de cette politique pénale avec un certain nombre d’évolutions ou de projets de modification législative.

S’agissant des moyens juridiques actuels et des orientations de la politique pénale, je rappellerai en quelques mots le cadre légal et réglementaire : la loi de 1970 relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie, la répression du trafic et l’usage des stupéfiants ainsi qu’au principe de l’incrimination de l’usage de stupéfiants. Il me paraît important de rappeler ce point.

Quant à la réponse judiciaire aux toxicomanies, le contexte général de lutte contre la toxicomanie a beaucoup évolué depuis un certain nombre d’années. C’est une évidence de le dire, mais il n’est pas inutile de le rappeler. Cela me paraît marqué en particulier par

la diversification des substances consommées, qui n’est pas toujours sans risques supplémentaires,

l’apparition de nouveaux produits de synthèse,

l’accroissement de l’expérimentation du cannabis chez les jeunes,

la consommation par ceux-ci de différents produits psychoactifs licites ou illicites.

A partir de là, quelles sont les orientations de la politique pénale ?

En premier lieu, l’objectif est de réduire la consommation de drogue et de diminuer le nombre de nouveaux consommateurs, en sachant que ce n’est pas vraiment ce qui se produit, pour être tout à fait clair.

La deuxième orientation de la politique pénale consiste à lutter contre la délinquance associée à la consommation etau trafic de drogue.

Troisième élément : la prise en compte de la personnalité du toxicomane. Cela me paraît tout à fait indispensable et très naturel.

Il s’agit également de prendre en compte le mode de consommation et le contexte général dans lequel évolue ce toxicomane, d’où la nécessité de faire un certain nombre d’enquêtes de personnalité.

Cela conduit assez naturellement à la mise en place d’alternatives aux poursuites qui prennent la forme du rappel à la loi, qui est une chose un peu sommaire, du classement avec avertissement, du classement avec orientation vers une structure sanitaire, sociale ou professionnelle, du classement sous condition de se rendre auprès d’une structure spécialisée ou, enfin, de l’injonction thérapeutique.

J’en viens au trafic de stupéfiants, après avoir évoqué les toxicomanes.

L’action répressive contre le trafic de stupéfiants constitue un volet complémentaire indispensable. Il s’agit d’appréhender les filières structurées d’importation et de distribution et aussi de travailler contre les économies souterraines que nous connaissons malheureusement dans un certain nombre de quartiers, en particulier dans un certain nombre de villes, mais de manière de plus en plus large aujourd’hui.

Dans cette perspective, l’action des parquets s’articule autour de deux objectifs essentiels :

améliorer la coordination dans la conduite de l’action publique en raison du caractère transversal du trafic de stupéfiant, de la diversité de ses formes et de la pluralité des services appelés à intervenir ;

recourir plus systématiquement aux dispositifs de nature à atteindre le patrimoine des trafiquants, qui est un point important.

Quelles sont les conditions de mise en application de ces orientations ?

S’agissant de la lutte contre l’usage de stupéfiants, j’évoquerai la mise en oeuvre des conventions départementales d’objectif. Ces conventions sont nées de la circulaire interministérielle de 1993 et ont initialement été mises en place dans quinze départements prioritaires avant d’être généralisées dès 1999. Comme vous le savez sans doute, elles proposent des réponses adaptées aux besoins identifiés dans les départements par les autorités judiciaires conjointement avec les autorités sanitaires. Ces conventions sont destinées à améliorer la prise en charge sanitaire et sociale des toxicomanes placés sous l’autorité de la justice par la diversification des alternatives aux poursuites et par l’amélioration de l’orientation des toxicomanes relevant d’une mesure judiciaire.

S’agissant des trafics de stupéfiants locaux, il est important de revenir sur l’action des Groupements d’intervention renforcée (GIR) et les effets du fonds de concours "trafic de stupéfiants". En effet, le développement de l’usage du cannabis génère des trafics locaux organisés dans les cités et les quartiers (nous le savons les uns et les autres qui avons des responsabilités locales). Au vu des rapports que les parquets nous ont fait passer, on constate que, dans un certain nombre de quartiers, l’activité économique clandestine devient l’activité économique principale. C’est bien pour cela que, lorsqu’on commence à s’occuper d’un quartier, on "perturbe" et que la violence s’exacerbe, au moins pendant un temps, parce que les représentants de l’ordre sont venus perturber un "confort économique" dont beaucoup vivent.

Ces trafics ont pour corollaire l’explosion d’une délinquance associée constituée de vols, de violences et de règlements de compte.

S’agissant des GIR, je rappelle qu’ils ont été créés en mai 2002 et qu’ils sont devenus opérationnels très rapidement, dès la fin du mois de juin. Leur mission, comme vous le savez, était principalement de lutter contre cette économie souterraine. Je rappelle que 268 fonctionnaires et militaires travaillent à plein temps dans les unités d’organisation et de commandement de ces GIR et que ces personnels peuvent bénéficier du concours de plus de 1 400 personnes ressources venant de la police, de la gendarmerie et des administrations partenaires, en particulier des douanes et des services fiscaux.

La mise en commun des compétences et des capacités des différentes administrations impliquées a été un vrai apport de cette structure d’organisation et d’action. Les 28 GIR, depuis leur création, ont été associés à 176 opérations, dont 34 % concernaient le trafic de stupéfiants ou le proxénétisme de la drogue, deux éléments qui sont liés.

S’agissant du fonds de concours "trafic de stupéfiants", je rappelle que le décret de mars 1995 a créé ce fonds de concours destiné à recueillir le produit de la vente des biens confisqués dans le cadre de procédures pénales diligentées du chef d’infraction à la législation sur les stupéfiants. Le produit des recettes affectées au fonds de concours est géré par la Mission interministérielle et il est réparti entre les ministères de l’intérieur (30 %), du budget (30 %) de la défense (20 %), de la justice (10 %) et des affaires sociales (10 %).

Ont été affectés à ce fonds de concours 160 000 ¤ en 2001 et 243 000 ¤ en 2002. Nous avons pour objectif, s’agissant du ministère de la justice, de faire en sorte que ce fonds de concours soit davantage dynamisé pour assurer la complémentarité de son régime juridique avec les règles spécifiques des saisies douanières. Ce dispositif est une bonne illustration de l’articulation entre la lutte contre le trafic de stupéfiants et celle qui concerne l’usage des stupéfiants.

Quels éléments peut-on suggérer ou esquisser aujourd’hui en matière de renforcement de l’efficacité de la politique pénale ?

Je pense qu’il faut tout d’abord réaffirmer très clairement le refus de la banalisation de l’usage de stupéfiants. C’est en tout cas mon choix en tant que ministre de la justice. Par ailleurs, il est nécessaire de davantage harmoniser nos politiques pénales.

Le refus de la banalisation me paraît nécessaire. On considère en effet qu’entre 1992 et 2000, c’est-à-dire en huit ans, l’usage de cannabis est passé de 18 % à 28 % de la population des 18/44 ans. Cela ne s’améliore donc pas. L’usage de cannabis apparaît, dans la majorité des cas, comme un comportement qui peut être porteur de dangerosité. On en a parlé en particulier à l’occasion des textes sur la sécurité routière.

Je considère donc que l’interdiction légale de l’usage des stupéfiants doit être réaffirmée suffisamment pour qu’elle soit ancrée dans l’esprit de tout un chacun, et je ne pense pas qu’il soit bon que l’usage du cannabis puisse être vécu avec un sentiment d’impunité. A cet égard, la pénalisation de la conduite sous l’empire de produits stupéfiants a marqué une étape importante.

Par ailleurs — c’est évidemment complémentaire dans mon esprit —, je pense que l’accent doit être mis sur la prise en charge des mineurs, qui est le public sensible par excellence. Il faut développer les réponses éducatives. A cet égard, l’ordonnance de 1945 prévoit toute une série de réponses éducatives adaptées.

Quant à la question de l’harmonisation de la politique pénale sur l’ensemble du territoire national, je rappellerai simplement que le projet de loi que j’ai présenté ce matin au Conseil des ministres prévoit que le rôle du ministère de la justice est de veiller à la cohérence de l’application de la loi sur l’ensemble du territoire.

Quelles sont, dans cet esprit, les critiques qui résultent de l’évaluation des conventions départementales dont j’ai parlé tout à l’heure ? L’Observatoire français des drogues et des toxicomanies, en faisant part de son sentiment sur ce point, a souligné qu’il n’y avait pas suffisamment de cohérence et de vision d’ensemble des actions menées en termes de politique pénale sur l’ensemble du territoire. Nous devrons donc corriger les choses à cet égard et l’objectif d’harmonisation de ces politiques pénales doit être renforcé.

Ce bilan devra être suivi de l’élaboration d’un guide mémento pour fixer des critères harmonisés et dicter des orientations à suivre. C’est en tout cas l’idée que je me fais des suites à donner à cette évaluation.

S’agissant du renforcement de la lutte contre le trafic de stupéfiants, la problématique est simple et tout le monde est d’accord : il s’agit de combattre ceux qui en profitent, même indirectement, et de lutter efficacement et avec des instruments juridiques adaptés contre ceux qui en sont les instigateurs.

Où en est-on de la mise en oeuvre du délit de proxénétisme de la drogue, expression qui souligne une réalité ?

Premièrement, je vous rappelle que ce délit a été spécifiquement conçu par le législateur comme ayant vocation à être mis en oeuvre dans les enquêtes visant à lutter contre les économies souterraines. Six ans après son entrée en vigueur, on constate une méconnaissance relative de ce délit tant par les services d’enquête que par les magistrats. Un document méthodologique sur cette disposition sera donc réalisé et diffusé très prochainement aux magistrats, policiers et gendarmes.

Deuxièmement, le projet de loi qui a été approuvé ce matin en Conseil des ministres prévoit la création de pôles "criminalité organisée" et l’institution de procédures spécifiques au traitement de ce type de délinquance. Je pense que ces dispositions, si elles sont approuvées par le Parlement, permettront de renforcer notre dispositif de lutte contre les trafics de grande ampleur à travers, comme vous le savez peut-être, les juridictions interrégionales spécialisées et les dispositions procédurales spécifiques à ce type de délinquance.

Voilà, madame la Présidente, mesdames et messieurs les Sénateurs, le message et les informations que je pouvais vous délivrer à l’occasion de cette audition.

Mme la Présidente - Monsieur le Ministre, nous vous remercions infiniment de cet exposé qui a le mérite d’être très clair et qui va nous permettre de vous poser un certain nombre de questions, en vous remerciant par avance d’apporter des réponses. Pour ne pas perdre de temps, je donne la parole à M. Plasait, notre rapporteur, qui va vous poser quelques questions.

M. Bernard PLASAIT, Rapporteur - Monsieur le Ministre, vous avez répondu par avance à un certain nombre de questions. Néanmoins, j’aimerais avoir quelques précisions sur un certain nombre de sujets.

La circulaire du 17 juin 1999 qui prévoit que l’emprisonnement ferme à l’égard d’un usager n’ayant commis aucun délit connexe ne doit plus être utilisée qu’en ultime recours me conduit à vous demander combien il y a actuellement de personnes incarcérées pour simple usage. Même si vous ne me donnez pas la réponse immédiatement, je souhaiterais l’avoir, car il nous a été quelquefois dit, d’une façon non innocente, qu’il y aurait un usage très important de la possibilité d’emprisonner pour simple usage. Je voudrais donc pouvoir mettre les choses au point et avoir des chiffres clairs à donner à tous ceux qui, honnêtement, voudront traiter du sujet.

M. Dominique PERBEN - Au cours de ces cinq dernières années, le nombre de condamnations à des peines d’emprisonnement ferme pour usage illicite est passé de 494 cas en 1997 à 395 cas en 2001. Je parle ici uniquement des quantum de prison ferme. C’est un chiffre qui n’est pas considérable mais qui n’est pas négligeable. Je vous ferai passer le tableau.

M. le Rapporteur - Vous avez évoqué tout à l’heure les indications que vous donneriez aux parquets de telle manière qu’il n’y ait pas des politiques différentes en matière de poursuites, notamment pour simple usage. Cela suscite de notre part une interrogation : pourriez-vous parler des seuils dans une circulaire ? En effet, nous avons étéparticulièrement frappés de constater que, selon les parquets, on trouve des pratiques extrêmement différentes puisque, lorsqu’on veut distinguer le simple usage du trafic, il faut apprécier la quantité que porte sur lui celui qui, bien entendu, se prétend à chaque fois simple usager.

Dans certains cas, la limite est fixée à 10 grammes alors que, dans d’autres, cela peut aller jusqu’à 400 grammes. Une politique qui, sur l’ensemble du territoire, peut avoir des distorsions aussi importantes ne peut être évidemment que sujette à critiques. Avez vous, de ce point de vue, l’intention d’arriver à une harmonisation ?

M. Dominique PERBEN - Je pense que l’harmonisation est nécessaire au moins en ce qui concerne les peines requises, puisque, comme vous le savez, le siège est totalement indépendant. Sous cette réserve, nous avons donc envoyé un questionnaire préparé par la Direction des affaires criminelles pour avoir la réaction des parquets et recueillir leurs suggestions. A partir de là, je transmettrai aux parquets une grille de lecture, étant entendu qu’ensuite, les tribunaux décident en toute liberté dans le cadre de la loi.

M. le Rapporteur - Bien sûr. Je parle ici du fait que le commissaire de police qui a interpellé quelqu’un en possession de cannabis s’entend souvent dire par le procureur : "Ne le déférez pas, remettez-le en liberté parce qu’il a une faible quantité de cannabis sur lui et donc qu’il n’est pas trafiquant mais simple usager". Ce qui pose problème, c’est qu’on peut aller de 10 grammes à 400 grammes. Est-il acceptable qu’un procureur puisse dire au commissaire de police : "Relâchez la personne que vous avez interpellée parce qu’il s’agit d’un simple usager" alors qu’elle a 400 grammes de cannabis sur elle ?

M. Dominique PERBEN - Mon objectif est évidemment de faire cesser ce type de distorsions d’un parquet à l’autre. C’est la raison pour laquelle j’ai posé un certain nombre de questions aux différents parquets et que j’ai fait poser ces questions par la Direction des affaires criminelles. Ce questionnaire visait aussi à avoir connaissance de ce que j’appellerai "les bonnes pratiques" des parquets. Nous verrons ainsi ceux qui ont eu des idées intéressantes et établi des formules un peu élaborées pour pouvoir les diffuser sur le plan national.

L’objectif, comme vous le souhaitez à très juste titre — je partage entièrement votre sentiment —, est d’avoir une politique nationale cohérente et qu’on cesse de me dire, comme vous me le dites vous-même à juste raison, qu’il y a une règle ici et une autre là. C’est pour y mettre un terme que nous avons engagé cette procédure de questionnaires pour déboucher sur une instruction générale.

M. le Rapporteur - Monsieur le Ministre, dans la boîte des outils qui sont à la disposition des juges, on en trouve certains que vous avez évoqués et sur lesquels je souhaite vous interroger, notamment la loi du 17 janvier 1986 ou la loi de 1996 sur le proxénétisme de la drogue. Celle de 1987 relative au blanchiment est-elle, selon vous, suffisamment utilisée ?

Par ailleurs, je souhaite revenir sur l’incitation à usage, qui est prévue par l’article L 630 et qui a souvent été évoquée ici même ou dans les déplacements que nous avons pu faire. Souvent, les gens qui souffrent de constater cette banalisation du cannabis dont vous parliez tout à l’heure mettent en avant le fait que beaucoup d’exemples viennent d’en haut, notamment tel tennisman de haut niveau qui se vante publiquement de fumer du cannabis ou tel animateur de télévision qui, de façon quasi hebdomadaire, vante également les mérites du joint. L’incitation à usage ne pourrait-elle pas être invoquée plus fréquemment ?

M. Dominique PERBEN - Sans doute. Je ne sais pas combien de fois elle a été invoquée de façon réelle. En 2001 (ce sont des chiffres provisoires qui doivent être définitifs depuis), il y a eu 27 condamnations à ce titre en matière deprovocation à l’usage de stupéfiants, un chiffre plutôt en diminution par rapport à 1997, 1998, 1999 et 2000. Voilà l’ordre de grandeur. C’est effectivement assez faible.

M. le Rapporteur - Monsieur le Ministre, le procureur et le juge peuvent invoquer l’injonction thérapeutique et le juge d’application des peines peut faire des mises en liberté conditionnelle sous condition de soins. A-t-on des chiffres sur ce point ? Sait-on si le juge d’application des peines se préoccupe de cette question de la toxicomanie et s’il prononce souvent des remises en liberté conditionnelle sous cette condition de soins ?

M. Dominique PERBEN - Non. Nous n’avons pas ici les chiffres que vous cherchez, mais je les demanderai à la Direction de l’administration pénitentiaire et je vous les ferai parvenir.

M. le Rapporteur - Monsieur le Ministre, je vais laisser la parole à mes collègues, quitte à vous interroger encore, s’il reste un peu de temps, sur d’autres points qui me paraissent importants. Cependant, je ne voudrais pas laisser passer l’occasion de vous demander ce que vous pensez d’une éventuelle modification de la loi de 1970 au terme de laquelle on rappellerait bien entendu l’interdit et le fait que la transgression de l’interdit doit être sanctionnée, tout en considérant que la sanction de cette transgression par une peine de prison pour simple usage paraît démesurée et sans doute mal adaptée à la situation, mais en rappelant de façon très forte cette interdiction par une palette de sanctions, en cas de transgression de l’interdit, qui soit assez large, bien adaptée et effectivement applicable et donc appliquée ?

Je pense par exemple que le fait de supprimer la peine de prison doit bien entendu entraîner le fait que toute mesure prise devra avoir un caractère éducatif, pour rappeler à l’usager les dangers qu’il court lui-même mais aussi ceux qu’il fait courir aux autres.

Nous pourrions ainsi avoir une palette qui pourrait aller, pour les adolescents primo-usagers, de l’obligation d’assister à une séance d’information en présence des parents, c’est-à-dire un rappel à la loi et à la santé, jusqu’à, pour l’adolescent récidiviste, une séance éducative beaucoup plus longue, par exemple d’une journée, avec une première sanction comme la confiscation de la mobylette... J’arrête ici la liste de ce que l’on pourrait imaginer. Pensez-vous que cette voie serait la bonne ?

M. Dominique PERBEN - Très franchement, je ne sais pas si le problème se pose au niveau de la loi. Je me demande si l’essentiel ne se pose pas au niveau de la pratique, de la jurisprudence, puis de l’exécution de la peine et, par ailleurs, de la politique de prévention.

En effet, il est bien difficile de distinguer les choses dans la réalité. On n’est pas simple consommateur très longtemps. D’ailleurs, y a-t-il véritablement de simples consommateurs sachant qu’il y a très vite revente, échange, transport et détention de stupéfiants ? La limite est très floue et très incertaine. Le fait d’accentuer les conséquences de la distinction repose sur le présupposé que cette distinction soit réelle. Or elle l’est bien peu. C’est une première réflexion.

Par ailleurs, j’ai plutôt le sentiment qu’il faut que nous fassions un très gros effort d’harmonisation nationale (vous l’avez souligné à travers vos questions et je vous ai dit ma détermination dans ce domaine) mais aussi de prévention, de rééducation et de réinsertion, effort qui, lui, n’est pas exclusivement judiciaire.

Si nous devons développer une dynamique publique, c’est davantage dans ce sens qu’il faut agir, me semble-t-il, plutôt que de rouvrir un débat à caractère législatif dont les conséquences me paraissent incertaines dans l’état actuel de mes connaissances du dossier et de la pratique. Je ne sais pas vraiment si la modification de la loi est une priorité. Nous sommes beaucoup plus dans une problématique concrète et pratique de mise en oeuvre des politiques publiques.

Mme la Présidente - Ont demandé la parole M. Barbier, M. Muzeau, M. Girod et M. Béteille. Nous allons procéder à cette série de questions après quoi je vous demanderai, si vous le voulez bien, de faire une réponse globale, monsieur le Ministre.

M. Gilbert BARBIER - J’aurai deux questions à vous poser, monsieur le Ministre.

Tout d’abord, on s’aperçoit que, surtout dans nos cités, les mineurs sont au premier plan de l’activité et que, très souvent, les gros dealers font faire la vente par l’intermédiaire des mineurs. Il y a de plus en plus de jeunes de moins de 18 ans qui interviennent. Bien entendu, ils sont très souvent consommateurs, comme vous l’avez dit, mais ce sont aussi parfois des trafiquants d’importance qui agissent pour le compte d’Untel. Pensez-vous que l’ordonnance de 1945 est suffisamment dissuasive et permet suffisamment d’interventions pour traiter ce problème ?

Par ailleurs, vous nous avez beaucoup parlé de politiques nationales. Malheureusement, nous sommes dans un espace européen assez transparent et difficile à gérer, celui de l’espace Schengen, et, au cours de l’enquête parlementaire que nous avons menée, nous avons constaté un grand défaut d’harmonisation des législations entre les différents pays d’Europe, que ce soit avec les Pays-Bas, qui posent d’énormes problèmes, ou avec la Belgique, pays dans lequel une partie de la consommation va passer en un simple délit contraventionnel.

Vous êtes aussi, localement, proche de la Suisse, monsieur le Ministre, et vous savez que les Suisses vont dépénaliser totalement le cannabis alors qu’ils ne sont pas dans l’espace de Schengen et que leur frontière n’est pas très hermétique.

Enfin, face à l’élargissement qui est proposé avec les dix nouveaux pays qui vont entrer dans l’Union européenne, notamment ceux de l’Europe de l’est, ne risque-t-on pas de permettre à la filière des Balkans de pénétrer de façon très simple à travers notre pays ?

M. Roland MUZEAU - Monsieur le Ministre, vous avez indiqué tout à l’heure dans les chiffres que vos services vous ont transmis que, de 1997 à 2001, il y avait une évolution de 494 à 395 incarcérations d’usagers de drogue, des chiffres que l’on peut considérer comme stables en cinq ans. Pourriez-vous, non pas forcément aujourd’hui mais ultérieurement, nous indiquer s’il s’agit d’incarcérations pour usage de multi-récidivistes ou, plus précisément, comme j’ai tendance à le croire, d’usagers convaincus de deal ? La précision me paraît utile.

Lors de nos auditions, nombre de hauts responsables, tant de la justice que de la police, nous ont indiqué qu’à leur avis, le panel des "dispositifs répressifs" était suffisamment large et qu’il y avait là matière à traiter cette question des drogues illicites. Vous venez d’ailleurs d’indiquer quel était votre sentiment et vous avez précisé qu’il fallait probablement travailler sur l’éducation, la prévention et la réinsertion. Pouvez-vous nous dire plus précisément vers quels axes, sur ces trois domaines que je partage, vous avez l’intention d’apporter votre contribution ?

Mme la Présidente - Merci, mon cher collègue. Monsieur le Ministre, souhaitez-vous répondre à cette première série de questions ?

M. Dominique PERBEN - Volontiers.

A mon avis, ce n’est pas l’ordonnance de 1945 qui pose question et il faut plutôt répondre à ce problème dans l’esprit de la question qui m’a été posée par le rapporteur tout à l’heure. Si j’avais une incitation à donner aux parquets, ce serait plutôt dans la poursuite des délits d’utilisation de mineurs dans un trafic ou d’incitation de mineurs à l’usage de stupéfiants. C’est là que, manifestement, il y a une faiblesse. Les chiffres de condamnation sont extrêmement faibles au titre de ces deux délits et je pense que cela dénote une absence de volonté de poursuivre sur ces textes.

Quant aux mineurs eux-mêmes, je pense que la question ne se pose pas véritablement et que l’ordonnance, de ce point de vue, ne pose pas question. Cela rejoint d’ailleurs la question qui vient de m’être posée par le sénateur Muzeau. Je ne pense pas que ce soit au niveau du panel des infractions que le travail soit à faire. A mon avis, le dispositif législatif existe et c’est beaucoup plus dans la mise en oeuvre de cette législation qu’il y a des efforts à faire et, par ailleurs, dans la lutte contre ce qui permet ces délits. Cela rejoint le débat qui m’a beaucoup occupé aujourd’hui et qui concerne la lutte contre la grande criminalité.

Il n’y a pas d’étanchéité entre les réseaux de grande criminalité et les systèmes d’économie souterraine qui génèrent la petite délinquance. C’est parce qu’on a de grandes organisations criminelles que l’on constate aussi le développement d’une petite délinquance, en particulier par la drogue. On peut également évoquer la prostitution, le trafic d’armes ou l’utilisation du produit des hold-up.

Par conséquent, si vous me demandez ce que je souhaite faire, je vous répondrai que l’objectif est de renforcer les moyens de la justice et des services enquêteurs, c’est-à-dire de la police judiciaire et de la gendarmerie, pour lutter contre ces réseaux de grande criminalité. C’est de cette façon, en particulier dans le domaine de la drogue, que l’on atteindra un objectif positif au bénéfice de tous les jeunes qui n’auront pas la tentation d’aller vers ces risques.

Sur l’harmonisation et la situation européenne, il est certain que la question de l’ouverture des frontières pose problème sur le plan judiciaire comme sur celui de la police, et c’est bien parce que nous sommes dans une société de plus en plus ouverte sur l’extérieur, pour des raisons liées autant à la réglementation qu’aux progrès technologiques, qu’il s’agisse des facilités de transport ou des possibilités de communication de toutes sortes, que l’on assiste au développement d’un certain type de délinquance. Il est donc très important d’améliorer l’harmonisation des législations et la coopération judiciaire.

Mon sentiment — c’est tout à fait conforme aux orientations qui ont été prises, y compris par les gouvernements précédents, en matière de politique européenne —, c’est que nous devons harmoniser suffisamment pour rendre la coopération judiciaire possible. C’est le bon axe. Ne cherchons pas une harmonisation totale de nos systèmes judiciaires, qui est une chose impossible du fait des traditions et des attachements à des cultures particulières. La pratique que j’ai, après dix ou onze mois, des conseils européens me montre que l’harmonisation complète de nos systèmes, en particulier dans le domaine pénal, est un objectif que l’on ne peut pas atteindre.

En revanche, il faut une harmonisation suffisante pour que la coopération judiciaire puisse prendre tout son sens et accompagner l’harmonisation des actions policières que nous connaissons.

Je ne sais pas quels ont été les contacts que vous avez eus avec la Belgique, mais la coopération policière et judiciaire entre la France et la Belgique est un exemple plutôt positif. C’est une frontière extraordinairement traversée, compte tenu de l’urbanisation qui existe tout au long de cette frontière, ce qui pose un problème très important, et nous progressons assez vite, aussi bien sur le plan policier que sur le plan judiciaire. C’est un bon exemple.

Le mauvais exemple, ce sont les relations avec la Hollande, malgré quelques hésitations positives du gouvernement. La vérité, c’est que nous n’avançons pas. Quatorze pays ont une position, dont la France, et un pays est totalement isolé : les Pays-Bas. Dans le domaine de la justice, la règle est celle de l’unanimité et nous ne pouvons pas aboutir à une directive commune en matière de drogues, et en particulier de petit trafic, puisque les Hollandais demandent une exception leur permettant de maintenir les ventes de petites quantités en matière de drogue, ce qui est très dommageable.

Les quatorze autres pays sont très déterminés, qu’il s’agisse du nord ou du sud de l’Europe, et il y a vraiment, aujourd’hui, une position commune très volontariste de l’ensemble de l’Europe. Il n’y a donc que cette difficulté hollandaise.

Cela dit, sur l’harmonisation, les choses avancent, y compris par rapport aux Balkans. En effet, nous travaillons actuellement avec un certain nombre d’autres pays sur la lutte contre la criminalité organisée originaire de cette région de l’Europe et j’espère que nous avancerons.

Concernant la question des multi-récidivistes, malheureusement, nos outils statistiques ne nous permettent pas d’avoir des analyses très opérantes. Comme je viens de l’entendre, c’est tout à fait dommage, mais ce sont des choses complexes. Les fichiers police-gendarmerie permettent certaines analyses.

S’agissant de la prévention et de la réinsertion, nous axons notre action sur les conventions départementales d’objectifs et je pense que c’est un bon outil pour lutter contre la récidive. C’est bien dans cet esprit que nous sommes décidés à continuer à travailler.

Mme la Présidente - Merci, monsieur le Ministre. M’ont demandé la parole M. Girod, M. Béteille et M. Chabroux.

M. Paul GIROD - Monsieur le Ministre, je vais vous poser trois questions, si vous me le permettez.

La première concerne nos jeunes. En quel état jugez-vous que se trouve actuellement la protection judiciaire de la jeunesse ?

La deuxième concerne la lutte sur le terrain. Il m’est arrivé d’entendre des maires de villes importantes se plaindre des liaisons qu’ils ont avec les procureurs en ce qui concerne ce qui était autrefois les plans locaux de sécurité (cela a dû changer de nom parce que tout cela change tout le temps) et je voudrais donc savoir quelle est votre position sur l’information du maire, l’échange d’informations et, éventuellement, l’implication des polices municipales, qui sont elles aussi des polices de proximité et dont je ne suis pas sûr qu’on utilise suffisamment les capacités de renseignement et d’alerte.

J’en viens à ma troisième question. Nous avons entendu s’exprimer deux écoles en ce qui concerne la lutte sur le terrain : l’une qui consiste à dire qu’il faut laisser courir assez longtemps les phénomènes, quitte à ce que la population finisse par ne plus rien comprendre à ce qui se passe au motif qu’il faut remonter les filières très haut et ne taper que lorsqu’on tient le gros bonnet ; l’autre qui consiste à dire qu’il faut assécher le plus vite possible les dealers sur le terrain de telle manière que les gros bonnets se retrouvent isolés. Quelle est votre doctrine en la matière ?

M. Laurent BÉTEILLE - Pour l’essentiel, monsieur le Ministre, beaucoup de réponses ont déjà été données. On parlait tout à l’heure du délit d’incitation et de facilitation à autrui. Cela dit, j’ai l’impression qu’il ne peut pas s’appliquer aux acteurs, chanteurs, danseurs ou autres qui feraient la promotion d’un produit, dans la mesure où, dans ma mémoire, ces délits supposent que l’on propose le produit concrètement. N’y a-t-il pas matière, en l’occurrence, à revoir quelque peu la réglementation ou la législation ?

Sur ce point, je pense que ce serait sans doute utile, malgré la nécessité de ne pas assécher la matière littéraire, c’est-à-dire ce qui a pu ou pourrait être écrit...

Plus sérieusement, en ce qui concerne les structures d’accueil de post-cure et les dispositifs permettant — vous le confirmerez peut-être — d’inciter les délinquants, une fois sanctionnés, à suivre une cure, il semble que nous manquions cruellement de structures pour cela. Cela ne bride-t-il pas actuellement les tribunaux dans le choix qu’ils opèrent pour sanctionner les infractions qui leur sont soumises ? N’y a-t-il pas là une carence grave qu’il conviendrait de régler non pas immédiatement mais dans le temps ?

M. Gilbert CHABROUX - Monsieur le Ministre, on nous a parlé, au cours des auditions, d’un système qui nous intrigue : celui des "go fast", des voitures très rapides qui roulent à 200 ou 250 km/h, qui remontent d’Espagne et que l’on ne peut pas intercepter. Nous sommes vraiment très intrigués parce que c’est une chose que nous ne comprenons pas. Pouvez-vous nous apporter quelques informations à ce sujet et nous dire pourquoi on ne peut pas intercepter ces véhicules sur les autoroutes et pourquoi les services qui savent ce qui se passe (il paraît que cela se fait au vu et au su de tout le monde) ne peuvent rien faire ?

Mme la Présidente - Voilà, monsieur le Ministre, une bonne série de questions.

M. Dominique PERBEN - S’agissant de la protection judiciaire de la jeunesse, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, j’estime, dans l’esprit du rapport que la Cour des comptes avait réalisé il y a un peu plus d’un an, que c’est une administration en grande difficulté, une administration sous administrée. Sans attendre la remise par la Cour des comptes du rapport définitif, qui n’est toujours pas intervenue, disposant des rapports provisoires, j’ai engagé le renforcement de l’administration centrale de la Protection judiciaire de la jeunesse, qui est en partie réalisée et qui me paraît indispensable si nous voulons avoir une restructuration convenable de cette administration.

Par ailleurs, je souhaite renforcer progressivement, en fonction des disponibilités en termes de ressources humaines, le rôle des responsables régionaux et départementaux de cette administration.

Ensuite, il nous faudra faire un effort de recrutement — c’est prévu dans la loi d’orientation — en termes d’éducateurs, étant précisé que le recrutement est très difficile. Beaucoup de jeunes qui sortent des écoles d’action sociale s’orientent vers d’autres spécialités et beaucoup de jeunes hésitent à s’engager dans le secteur de la réinsertion de délinquants et vont plus volontiers vers d’autres secteurs qui, pour être également difficiles, sont quand même moins déstabilisants.

Il nous faut donc trouver des moyens pour étoffer cette administration. Tout récemment, j’ai fait passer un texte réglementaire devant le Comité technique paritaire ministériel pour ouvrir le recrutement PJJ en cours de carrière, c’est-à-dire pour faire en sorte que nous puissions recruter des femmes et des hommes ayant déjà une expérience professionnelle et pouvant s’orienter vers ce type d’action. Je pense que ce serait important. J’ai en effet observé que, dans un certain nombre de centres d’hébergement pour jeunes délinquants, l’équipe éducative a à peu près l’âge des délinquants, ce qui rend les choses un peu difficiles. Je me mets à la place d’une femme de 20 ans qui doit s’occuper de garçons difficiles de 16, 17 ou 17 ans et demi ; c’est une tâche impossible et cela pose un problème tout à fait évident.

Je suis donc très conscient de la difficulté de cette administration, qui a besoin d’être confortée, davantage guidée et évaluée.

Par ailleurs, je vous signale une autre difficulté que vous connaissez certainement, monsieur Girod : l’articulation entre la PJJ et l’Aide sociale à l’enfance, c’est-à-dire, en d’autres termes, l’articulation des compétences entre l’Etat et les départements. Intellectuellement, la séparation est facile à faire entre l’enfance en danger et l’enfance délinquante ou les jeunes en danger et les jeunes délinquants, mais, dans la réalité — on le sait bien quand on a un peu d’expérience de terrain —, un jeune peut être à la fois en danger et délinquant. Ce n’est pas si simple.

On se trouve donc parfois dans des situations où le conseil général a l’impression de payer pour l’Etat (c’est une situation fréquente en termes de perception) ou parfois dans des situations inverses. J’ai donc proposé à plusieurs départements d’expérimenter des formules de répartition des tâches diversifiées et nous commençons à y travailler pour essayer d’améliorer les choses.

Dans ce domaine, la tâche est immense et je pense que nous avons vraiment intérêt à conjuguer les efforts de la façon la plus pragmatique possible si nous voulons arriver à des résultats.

Voilà une réponse qui, comme vous l’avez compris, est pleine de modestie. En même temps, je suis convaincu de l’urgence d’améliorer les choses.

J’ajoute que cette situation de l’administration de la PJJ est une réalité. Beaucoup des éducateurs de cette administration éprouvent une extraordinaire passion pour leur métier mais se sentent un peu abandonnés et, au fond, sans objectifs suffisamment définis par ceux qui doivent le faire, c’est-à-dire le pouvoir politique, bien sûr, mais aussi les responsables administratifs. Nous avons donc vraiment, en l’occurrence, un champ d’action important pour améliorer les choses.

Par ailleurs, le débat sur la liaison procureur/maire s’est un peu ouvert ces derniers mois et des questions m’avaient été posées, ici même, au Sénat, lors de la discussion du texte de loi d’orientation de cet été.

Suite à cela, j’ai demandé au président Hoeffel, le président de l’Association des maires de France, de désigner, ce qu’il a fait récemment, un certain nombre de maires qui vont travailler dans un petit groupe avec des magistrats, en particuliers des parquets, non pas pour fixer le principe d’une information procureur/maire qui me paraît naturelle, mais pour essayer de préciser quelle pourrait être la règle du jeu. En effet, la problématique n’est pas simple : il ne faut pas non plus que le maire se trouve dans une situation dans laquelle il partagerait des informations qu’il n’a pas forcément à partager, y compris dans son intérêt.

Mon objectif est donc d’essayer de fixer un cadre méthodologique qui permettrait de dire aux procureurs de la République : "voilà ce qu’il vous est naturel de dire aux maires quand ils vous interrogent" et de dire aux maires également, par l’intermédiaire de l’AMF : "Voilà quel peut être le cadre de votre relation avec les procureurs de la République.

C’est donc une affaire qui avance, et je pense qu’avant l’été, on devrait pouvoir écrire ce petit guide méthodologique pour bien fixer les relations entre les uns et les autres, ce qui me paraît une nécessité. Il n’y a pas assez d’informations et il faut donc fixer les choses.

En ce qui concerne les techniques d’enquête, je tiens à vous assurer de ma grande modestie : je ne suis que ministre de la justice et non pas enquêteur de terrain. J’ai envie de répondre qu’il faut faire un peu les deux. Les policiers professionnels, les procureurs et les juges d’instruction le savent. A certains moments, il faut savoir, même si c’est toujours dangereux, laisser perdurer la commission d’un délit pour atteindre un objectif en termes d’efficacité.

En même temps, le but de la justice n’est pas de laisser se commettre des délits. Il y a donc là un équilibre qui ne peut être que du concret et de l’opérationnel. Il est impossible de définir une règle générale.

Quant aux structures d’accueil, monsieur le Sénateur Béteille, il est bien certain qu’il faut les améliorer. Cela dit, je peux vous faire part de quelques statistiques que l’on me donne à l’instant : au niveau national, il y aurait 286 structures différentes. C’est donc un domaine évidemment très important, mais qui est davantage interministériel que lié directement, comme vous le savez, au ministère de la justice.

Maintenant, concernant les "go fast", c’est l’Office central de répression du trafic illicite de stupéfiants qui règle cette affaire qui est liée sans doute à des moyens techniques. Je découvre le fait qu’il y a des voitures qui roulent à 250 km/h sur les autoroutes. Je pensais que c’était très exceptionnel. Si vous ne le rencontrez pas, je transmettrai cette information au ministre de l’intérieur. Je découvre cette réalité à l’occasion de cette réunion de la commission d’enquête.

Mme la Présidente - Je vais me permettre de vous poser deux ou trois questions.

Premièrement, vous vous félicitez des bonnes relations et de la coopération entre la France et la Belgique et il est vrai que, sur le terrain, en allant à Valenciennes, nous avons rencontré les douaniers belges et les procureurs du roi. Nous avons conscience qu’un bon travail est fait en commun et qu’il permet probablement de faire avancer les choses dans le bon sens.

Nous n’avons pas eu le même sentiment en revenant de Saint-Martin, où nous nous sommes aperçu que la coopération entre Saint-Martin, partie française, et Saint-Martin, partie ex-hollandaise, ne fonctionne pas du tout : il n’y a aucun échange d’informations ni aucune coopération, sauf, peut-être, entre les douaniers, sans que nous en soyons bien certains, dans un territoire dont la partie française se trouve dans une situation particulièrement préoccupante.

Nous avons entendu des choses terribles au sujet de trafics de drogue inimaginables en volume et nous avons surtout beaucoup entendu qu’il y avait, de ce côté, un sous-encadrement judiciaire tout à fait préjudiciable au règlement des problèmes à Saint-Martin, dont la Guadeloupe est le centre. En matière de trafic, nous avons entendu parler de très grandes quantités de produits qui partaient dans tous les sens et d’une lutte contre ce trafic connaissant tellement de difficultés sur le terrain que l’on n’est pas près d’endiguer cette vague. Il serait bon, par conséquent, de voir de quelle manière on pourra aider Saint-Martin, qui est une source — nous en sommes convaincus — de gros approvisionnements.

Vous avez fait référence aux quartiers difficiles et aux groupes GIR. Il est vrai que, lorsqu’ils interviennent dans les quartiers (je suis maire d’une banlieue difficile et je sais de quoi je parle), leur action est efficace et qu’ils font tomber certains trafics largement implantés.

Cependant, je tiens à dire à ce jour que la situation est quand même extrêmement grave dans nos quartiers, parce qu’il faut savoir qu’on se sert des jeunes de plus en plus jeunes pour se protéger. Ils servent de trafiquants (même si ce trafic, à leur niveau, est faible) et de surveillants dans les quartiers pour donner l’alerte quand la police vient ou pour autre chose, et je pense que c’est une grosse préoccupation en ce qui concerne les quartiers en difficulté.

Il me reste un point : les rave parties. Notre commission s’est efforcée de vérifier ce que rapportait aux trafiquants de drogue une rave party, qui commence un vendredi et qui finit un lundi matin. Bon an mal an, nous en sommes arrivés à un calcul (pardonnez-moi de parler encore en francs) de 5 millions de francs.

Je pense qu’il est inacceptable de penser que l’on peut continuer à laisser ces choses se faire, parce que c’est la drogue qui est donc vendue au vu et au su de tout le monde, même si on y met de la surveillance ou des moyens de prévention et de santé, comme on l’a entendu dire tout à l’heure. En l’occurrence, c’est la porte ouverte à tous les abus. J’aimerais savoir quelle est votre position sur ce point également.

J’ai été un peu longue et je vous prie de m’en excuser, monsieur le Ministre.

M. Dominique PERBEN - Je vous en prie. S’agissant de Saint-Martin, comme vous le savez, les Caraïbes prises au sens large (je ne parle pas spécifiquement des Antilles françaises) constituent un point de passage important du trafic international de drogue. Il existe une convention pour la zone Caraïbes qui permet une coopération policière des différents systèmes de police de la zone avec des systèmes juridiques très différents les uns des autres et avec des bonnes volontés variables selon les Etats.

Nous avons aussi une bonne coopération avec les services américains, qui font un travail très important dans la mer des Caraïbes et qui permettent un travail assez efficace.

S’agissant des relations avec Saint-Martin, j’en connais les difficultés. J’ai eu l’occasion, dans le cadre d’autres responsabilités, d’essayer d’améliorer les choses à l’époque. Il y a quelques années, nous avions négocié avec les Hollandais une convention de surveillance de l’aéroport international de Saint-Martin, partie hollandaise, j’ai signé ce texte dans les années 1994 ou 1995 et je pense qu’il n’est toujours pas appliqué, ce qui montre la détermination des autorités locales de Saint-Martin dans sa partie dite hollandaise, qui est en réalité extrêmement autonome et quasiment indépendante, comme vous le savez. Nous sommes devant une vraie difficulté.

Je regarderai de façon précise les conséquences pour l’administration judiciaire. Peut-être conviendra-t-il effectivement de renforcer nos capacités d’action, mais nous avons un vrai souci de voisinage avec cette île partagée en deux, ce qui permet beaucoup de choses.

Quant aux rave parties, la politique qui a été engagée par mon collègue de l’intérieur est raisonnable et pragmatique. En essayant d’amener progressivement ces pratiques vers un système contrôlé et relativement réglementé, je pense que c’est la manière la plus intelligente de faire la part du feu, si je puis dire, et, progressivement, d’essayer de réduire les risques pour les jeunes qui participent à ce type de phénomène. C’est de cette manière que, progressivement, on pourra essayer d’endiguer ce type de pratique.

En ce qui concerne l’utilisation des mineurs pour les trafics de stupéfiants, il est vrai qu’il y a eu très peu de condamnations. Pour moi (je le répète et je l’ai déjà dit tout à l’heure en réponse à M. Barbier), c’est vraiment un objectif de politique pénale. Le chiffre est incroyablement faible puisqu’il est d’une seule condamnation en 2001. Il y a là, manifestement, une nécessité pour faire en sorte que ces jeunes soient le moins possible utilisés par des adultes à des fins tout à fait condamnables.

Mme la Présidente - Merci, monsieur le Ministre. Monsieur le Rapporteur, vous avez encore quelques points à fairepréciser.

M. le Rapporteur - Monsieur le Ministre, sur Saint-Martin, nous avons été particulièrement frappés par une espèce de sous-équipement qui ne facilite sans doute pas la résolution des problèmes locaux : manque de prison, absence de procureur sur place, difficultés de déférer devant le procureur qui se trouve à 250 km, etc. Nous avons bien mesuré sur place l’importance de Saint-Martin comme une plaque tournante du trafic dans la région et, compte tenu de l’aspect particulier de l’île, partagée en deux vue sa situation géographique, je pense que ce sous-équipement sera de nature à aggraver les choses sur le terrain et qu’il est donc de notre devoir d’attirer votre attention sur ce point.

Je voulais vous poser une question sur le premier bilan que vous avez peut-être de l’application de la loi Dell’Agnola. Je voudrais savoir quels tests sont actuellement utilisés pour permettre de détecter les stupéfiants en cas d’accident de la circulation et si vous avez le projet d’instaurer éventuellement des tests comportementaux, comme une expérience en a été faite en Belgique et sur le territoire français, en Haute-Savoie, à Annecy.

M. Dominique PERBEN - Il est un peu tôt pour parler du bilan de la loi Dell’Agnola. Il faut un peu de temps pour analyser les choses et y réfléchir utilement.

Vous savez que les tests sont faits à partir d’analyses d’urine et de prises de sang, ces dispositifs étant un peu plus compliqués que pour l’alcool. Il faut aussi que la mise en oeuvre des moyens soit faite à une échelle suffisante à travers les services du ministère de l’intérieur pour que nous puissions tirer quelque bilan que ce soit de l’application de la loi.

La loi a permis l’affirmation d’un principe que j’ai évoqué tout à l’heure, et je pense que c’est une bonne chose, d’autant que, grâce aux analyses que nous faisons maintenant de façon assez précise des causes d’accidents de la circulation, on constate que l’usage de stupéfiants n’est pas négligeable, surtout quand il est associé à de l’alcool, ce qui est très souvent le cas. Pour autant, il est impossible aujourd’hui de faire un bilan de l’application de la loi qui n’en est qu’à ses débuts.

Mme la Présidente - Merci, monsieur le Ministre, de nous avoir consacré ce temps. Votre audition va largement enrichir nos travaux.


Source : Sénat français