La présidente rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d’enquête et fait prêter serment à MmePoinsot.

Mme Nelly OLIN, Présidente - Nous vous laissons maintenant exposer ce que, malheureusement, vous avez vécu dramatiquement.

Mme Nadine POINSOT - Je tiens tout d’abord à vous remercier, madame la Présidente, de m’accueillir parmi vous et de m’accorder une audition dans le cadre de cette commission d’enquête.

Comme je vous l’ai écrit, j’ai pu assister grâce à Internet à certaines auditions qui ont été retransmises et je suis extrêmement admirative face à votre patience, votre perspicacité et votre désir manifeste à tous d’apporter une solution satisfaisante à ce fléau malgré l’influence d’informations contradictoires auxquelles vous êtes soumis.

Comme vous le savez, notre petite fille Marilou avait 9 ans (elle aurait eu 11 ans vendredi) lorsqu’elle a été tuée, le1er janvier 2002, dans un accident de voiture, le chauffard responsable de cet accident conduisant sous l’emprise de cannabis.

Rapidement, avec son papa, nous avons appris que la conduite sous l’emprise de cannabis ne constituait pas un délit en France, bien que ce soit un produit illicite, et nous nous sommes beaucoup battus l’an dernier pour aboutir, le 23 janvier, à la création de cette loi. Le fait de conduire sous l’emprise de stupéfiants est donc maintenant un délit.

Il est vrai que nous avons aussi été aidés, comme je vous l’ai écrit, par un "bon vent politique". En effet, d’anciennes propositions de loi avaient été faites mais n’avaient jamais pu aboutir. Si tel avait été le cas, je ne serais peut-être pas là aujourd’hui, ce que j’aurais préféré.

Vous savez que la consommation de cannabis en France a beaucoup augmenté depuis une quinzaine d’années : vous avez eu tous les chiffres de toutes les sources. Je développerai un plus ce sujet tout à l’heure, mais il est évident qu’un laxisme politico-judiciaire a largement participé à la banalisation du cannabis. Mme Guigou, à la suite de certains de ses prédécesseurs, a émis une circulaire qui permet de "classer sans suite", si j’ose dire, le simple usager, ce qui a aussi contribué à la banalisation.

Je précise au passage que la circulaire Guigou est disponible sur le site du CIRC, ce qui est un comble.

Concernant les classements sans suite des simples usagers, M. Mattéi a récemment déclaré à Vienne, à propos de la loi de 1970, qu’une loi qu’on n’applique pas doit être réformée. C’est vrai, mais, dans ce cas, je pose la question de savoir pourquoi on ne l’a pas appliquée. Il en est de même pour les accidents de voiture : alors que des sanctions sont prévues dans le code pénal, pourquoi les magistrats n’appliquent-ils pas tout simplement les lois ?

Pour en revenir au cannabis, le meurtrier de notre fille était bien connu des forces de l’ordre. Il était consommateur et dealer lors de sa minorité, comme l’a dit sa maman. Quand l’accident est arrivé, il avait 18 ans et demi et son casier étant lavé, plus rien n’apparaissait. De toute façon, il avait déjà été interpellé, mais aucun cadre rééducatif ne lui avait été imposé : il avait eu un classement sans suite.

Certes, la loi de 1970 est obsolète et il faut la revoir. Il est vrai qu’un simple consommateur ne peut pas aller en prison, mais je pense qu’il sera difficile de distinguer un simple consommateur d’un petit ou d’un gros dealer.

Quant aux actions de la MILDT, puisque j’ai entendu que M. le Rapporteur était très intéressé à ce sujet, je pense que sa tâche n’est pas facile (je n’aurais pas du tout aimé être à sa place), que ses actions n’ont pas été complètement vaines et qu’elles ont souvent été interprétées de façon perverse, tout comme le rapport Roques. Néanmoins, concernant la politique de réduction des risques de la MILDT, puisque c’est son cheval de bataille, j’ai lu hier que M. Jean-Claude Désenclos, qui dirige le département des maladies infectieuses de l’Institut national de veille sanitaire, a déclaré que "la politique de réduction des risques est un échec pour l’hépatite C". On constate en effet une recrudescence de cette maladie.

Comme vous, nous nous insurgeons contre l’absence de réaction de la part de la MILDT et de M. Roques contre les interprétations perverses qui ont été faites : vous avez eu copie du numéro spécial de Libération. Certains ont dit qu’ils n’étaient pas responsables des propos des médias, ce qui est vrai, mais on peut toujours réagir à ces propos.

Concernant les livrets de la MILDT, comme l’a souvent relevé M. le Rapporteur, le choix du titre "Savoir plus, risquer moins" était un peu risqué parce que cela pouvait prêter à confusion. Comme vous le savez, un collectif pro cannabisa créé très rapidement des affichettes en reprenant le même logo et la même présentation et en annonçant "cultiver plus, risquer moins" !

Il s’agit là de détails qui s’accumulent et que je vous donne pour évoquer les actions de la MILDT.

Nous recevons de plus en plus de témoignages d’accidents de voiture dans lesquels les stupéfiants sont impliqués. C’est ainsi que nous avons récemment reçu le témoignage d’une jeune fille qui a été tuée l’année dernière le jour de la fête des mères, ce qui n’est pas formidable non plus, dont le meurtrier était aussi sous l’emprise de cannabis et dans la voiture duquel on a trouvé du cannabis, un couteau, etc., mais aussi un livre dont je ne connais pas l’éditeur mais dont l’auteur est bien connu de ce collectif et dont le titre est : "J’attends une récolte". Ce n’est peut-être pas la peine de donner des conseils de botanique dans ce domaine, mais cela existe.

Par ailleurs, vous savez que j’interviens dans de nombreuses structures scolaires pour faire de la prévention et de l’information, dire ce qui se passe et avertir les jeunes. Il n’y a pas très longtemps, à Boulogne-sur-mer , où j’avais à côté de moi un représentant du 113, un organe émanant de la MILDT, qui présentait les livrets de son organisme, j’ai vu un groupe de jeunes de terminale ou de 1ère qui a rapidement passé sur les livrets concernant les drogues dites dures et dont l’un, en voyant le petit livret sur le cannabis, a dit : "C’est vachement bien, cette doc, ils donnent des conseils de consommation" ! Ce n’est pas vrai ; ils ne donnent pas de conseils de consommation, mais c’est ce qu’en pensent certains jeunes.

L’augmentation de la consommation de cannabis en France, comme vous l’avez entendu, est considérable et nous place tristement, malgré les contestations de certains, au troisième rang de la consommation européenne. Dans mon courrier, je vous ai exposé plusieurs facteurs, parce que je pense que l’explosion de cette consommation est due à plusieurs facteurs que je vais me permettre de reprendre ici.

 Le laxisme des pouvoirs publics qui, jusqu’à présent, ont permis aux trafiquants et aux consommateurs de sévir avec un sentiment d’impunité, puisque les délits étaient largement classés sans suite.

 Un aspect sociologique dont on hérite depuis 1968, malheureusement, notamment un certain terrorisme intellectuel qui qualifie certaines valeurs citoyennes de réactionnaires et d’atteintes à la liberté si on n’a pas le droit de fumer son petit pétard chez soi puisque c’est moins dangereux que de boire un verre avant de prendre le volant.

 La démission de certains parents qui ne savent plus quelle position éducative il faut avoir. Il est possible que ce soient des parents de 1968 qui, eux, ont été éduqués "à la dure", qui n’osent plus reproduire ce schéma certes un peu rigide et qui sont devenus, pour le coup, un peu trop laxistes.

 Un conflit de génération qui a toujours existé, l’argument des jeunes (je l’ai entendu souvent), étant que les parents buvant du vin, ils ne voient pas pourquoi les adolescents ne pourraient pas fumer un pétard. Pour eux, c’est à peu près la même chose.

 La pression du groupe : si un jeune refuse un joint, il passe pour un ringard ou un "bouffon", suivant les groupes. C’est un aspect plus psychologique qui peut s’expliquer par l’évolution de notre société.

 D’un point de vue psycho-pathologique, une évolution de la personnalité, qui était relativement cadrée auparavant par certains principes éducatifs (qui étaient ce qu’ils étaient mais qui avaient au moins une valeur de cadre) appliqués par les enseignants, qui osaient engueuler les enfants, voire leur mettre une fessée (je ne dis pas du tout qu’il faut frapper les enfants), et qui rappelaient les enfants à l’ordre si les parents n’étaient pas capables de le faire.

 Un aspect religieux qui était aussi ce qu’il était, peut-être un peu rigide, mais qui contribuait également à maintenir certaines personnalités. Tout cela a largement disparu et certains individus errent et ne savent plus trop à quoi se raccrocher.

 L’évolution des mentalités avec l’adolescence qui se prolonge. Je vous ai parlé de "l’effet Tanguy". Il est vrai qu’actuellement, on reste chez papa maman très longtemps, mais c’est aussi parce que les parents le veulent bien, sans quoi on peut trouver des solutions.

 La montée de l’individualisme et la disparition de certaines valeurs comme le respect de l’autre (on le constate tous les jours dans la rue au volant) ou l’empathie (c’est le règne du "chacun pour soi").

 La recherche de sensations extrêmes. Il est vrai que certains jeunes fument raisonnablement du cannabis (cela existe), mais beaucoup, comme ils le disent eux-mêmes, se défoncent pour la défonce ! J’ai pu assister à certaines soirées au cours desquelles les jeunes ne s’arrêtent que lorsqu’ils sont malades, qu’ils ne peuvent plus aller plus loin.

 La culture de la facilité. Dans notre société, on veut tout, tout de suite. Avec Internet, on peut tout commander et le recevoir le lendemain. Il est vrai que le fait de prendre un "pétard", un anxiolytique ou autre chose est plus facile et plus rapide que d’entreprendre une psychothérapie pour régler certains problèmes.

Vous connaissez les effets du cannabis et sa dangerosité car on vous les a longuement exposés. Dans mon courrier, j’ai largement évoqué la dangerosité du cannabis au volant et je n’en ferai qu’un bref résumé. Il est évident, malgré les propos frileux de certains scientifiques, qu’on est incapable d’accomplir des tâches multiples simultanément sous l’emprise du cannabis alors que, lorsqu’on conduit, on fait plusieurs choses à la fois, heureusement.

Les temps de réaction sont augmentés et les perturbations notables de la vision, surtout la nuit, sont importantes (on récupère la vision moins rapidement après avoir été ébloui par des phares). On constate également des sorties de trajectoires, le fait que l’individu peut arriver sur un obstacle soit en ne le voyant pas, soit en l’estimant plus loin et des réponses en situation d’urgence détériorées ou inappropriées.

Si tous les scientifiques reconnaissent à peu près unanimement les effets du cannabis (euphorie, désinhibition, modification de la conscience et de la perception spatio-temporelle, perturbation sensorielle, syndrome amotivationnel), leurs avis divergent largement lorsqu’il est question de la conduite automobile, ce que j’ai beaucoup de mal à comprendre. Récemment, j’ai reçu un rapport de Marie-Berthe Biechler, qui travaille à l’INRETS et qui indique ceci : "Les experts judiciaires précisent qu’une valeur de THC proche de zéro ne signifie pas que l’effet du produit a disparu. La performance de la conduite peut être déficitaire alors que les concentrations sont près de la limite de détection".

On peut donc s’interroger sur l’opportunité de fixer un seuil pour la détection du cannabis au volant. Elle dit plus loin : "Un alcootest positif suffit généralement pour engager des poursuites. C’est pourquoi il n’est souvent pas procédé en plus à un test de dépistage de drogue beaucoup plus onéreux et, en cas de résultat positif, difficile à interpréter".

Cela me fait bondir, parce que si on ne fait pas de dépistage à partir du moment où l’alcootest est positif, cela veut dire que l’enquête en cours sera sous-évaluée. Comme les scientifiques sont déjà très frileux sur ces résultats, ils le seront encore plus.

Je bondis aussi quand on parle d’argent concernant les accidents de voiture. J’ai récemment lu que le coût de l’insécurité routière pour la collectivité est évalué à environ 30 milliards d’euros. Par conséquent, quand j’entends Mme Biechler dire qu’un dépistage de drogue est beaucoup plus onéreux qu’un alcootest, cela me fait bondir (je n’ai pas d’autre mot). Je vous ai indiqué le tarif exact des dépistages et vous verrez que ce n’est pas aussi onéreux que cela. Si on compare ce chiffre aux 30 milliards, je pense que l’on pourrait faire des économies à moyen terme.

Je passe sur les différents points que j’ai soulevés dans mon courrier pour rester avec ce que dit Mme Biechler : "Contrairement à l’alcool, qui induit une conduite plus risquée, le cannabis induirait une conduite moins dangereuse". Là aussi, je suis dubitative. Elle dit également : "La proportion de conducteurs conduisant sous l’influence du cannabis et impliqués dans les accidents est suffisamment importante et la nocivité du produit dans certaines situations est assez bien établie pour que le cannabis puisse être considéré comme un facteur potentiel", ce qui commence à m’intéresser, mais, plus loin, elle remet en question la méthodologie de l’étude de Patrick Mura, critique qui a été largement reprise par M. Got, qui a très violemment critiqué la méthodologie de certains scientifiques.

M. Mura a en effet précisé que la fréquence des accidents serait multipliée par 2,5 par le cannabis et une très récente analyse québécoise laisserait supposer que la consommation de cannabis multiplie par deux le risque d’accident. Je me dis que si la fréquence est multiplié par 2,5 à Poitiers et par 2 au Québec, il n’est pas nécessaire de se demander encore si la conduite sous cannabis est dangereuse, alors qu’aujourd’hui, je rappelle que c’est un produit illicite.

Pour en finir avec Mme Biechler, sachez que je l’ai personnellement entendue dire, lors d’un colloque à l’Assemblée nationale, en novembre de l’année dernière : "Quand on fume, on est plus cool, on prend moins de risques et on conduit plus lentement". Il est possible qu’elle ne parlait pas pour elle, mais c’est bien elle qui a dit cela. Je pense que cette affirmation reste à vérifier. Il est possible que certains conducteurs conduisent moins rapidement, mais nous avons pu vérifier qu’ils ne restent pas dans leur file.

Vous comprenez aisément que je suis extrêmement révoltée quand je lis les propos de tels scientifiques reconnus.

Par ailleurs, le taux de détection concernant la conduite sous emprise du cannabis a été fixé à 1 nanogramme (ng). Je précise que l’analyse toxicologique du meurtrier de notre fille a révélé un taux de 0,9 ng. Certes, le prélèvement a été fait quatre heures après et il y a donc un problème de délai évident, mais des tests psycho-comportementaux ont été effectués à l’hôpital et, même quatre heures après, tous ses tests ont échoué ; il était incapable d’en réussir un. Je pense donc que, comme cela a été dit précédemment, même un petit taux laisse des traces et qu’on est toujours sous emprise.

J’ajoute que ce taux étant de 0,9 et que les dossiers reconnus n’étant que ceux qui sont égaux ou supérieurs à 1 ng, notre accident échappe à l’étude épidémiologique, ce que je trouve dommage.

J’en viens à l’aspect du relargage, qui a été évoqué ici plusieurs fois. Je ne suis pas scientifique, même si j’ai fait quelques études, mais je pense être assez bien informée des problèmes du cannabis. Il est vrai que ce phénomène existe, mais il apparaît que le relargage (comme je me le suis fait longtemps expliquer par un toxicologue qui n’a pasété auditionné) a lieu après le stress, donc après un éventuel accident, mais ne le précède jamais. En tout cas, les doses relarguées sont infinitésimales et indétectables et elles n’ont rien à voir avec une consommation.

Concernant la consommation passive, je pense aussi que c’est un mythe. L’un de vos auditeurs, qui n’est pourtant pas pour le cannabis, aime à dire qu’il faudrait, pour en ressentir les effets, respirer la fumée de cinq fumeurs de cannabis qui fumeraient sans arrêt durant deux heures dans une voiture complètement fermée. Vous pensez bien que l’individu sort de la voiture avant d’être contaminé !

Plusieurs personnes auditionnées disent qu’en France, la consommation de cannabis est importante malgré le fait que nous ayons les lois les plus répressives. Il est vrai que nous avons les lois les plus répressives, mais, comme l’a rappelé M. Mattéi, elles ne sont pas appliquées. Je pense donc qu’il se pose un énorme problème d’éducation et d’information des magistrats.

Du fait du drame que nous avons subi et que nous subissons tous les jours, il est vrai que mes propos concernent largement le problème des stupéfiants et du cannabis sur la route, mais nous sommes bien conscients de l’ampleur et de la difficulté de la tâche qui vous incombe.

Nous pensons qu’il faut réprimer, même s’il ne faut pas le faire n’importe comment, qu’il faut poser un cadre qui permettra à certains de reprendre le bon chemin, et qu’il faut insister sur une bonne information et une bonne prévention auprès des enfants. Certes, il faut mener des actions de prévention auprès de ceux qui consomment, mais surtout à un niveau primaire, c’est-à-dire avant la consommation.

Marilou avait 9 ans et elle nous avait déjà posé des questions sur la drogue en demandant pourquoi les gens se droguaient. Elle était en CM1 et elle était curieuse, mais je pense qu’elle n’est pas la seule dans ce cas : beaucoup d’enfants ont des grands frères, des grandes soeurs ou même des parents qui fument et se posent des questions. Je pense que c’est à ce niveau qu’il faut intervenir avant qu’ils soient confrontés au cannabis, sachant que, de toute façon, ils le seront à leur arrivée au collège.

Il faut donc que l’on puisse leur donner des outils pour se défendre afin qu’ils n’aient pas honte de passer éventuellement pour des ringards aux yeux de ceux qui fument.

Voilà ce que je voulais dire. Je vous remercie de m’avoir écoutée.

Mme la Présidente - Je vous remercie beaucoup, madame, de ce témoignage émouvant. M. le Rapporteur a quelques questions complémentaires à vous poser par rapport à ce que vous venez d’évoquer.

M. Bernard PLASAIT, Rapporteur - Je vous remercie beaucoup, madame, de votre témoignage, et nous comprenons bien votre émotion qui est, pour nous, très importante. En effet, la raison principale pour laquelle nous souhaitions vous écouter, c’est qu’il faut introduire dans ce débat — j’allais dire enfin — la dimension humaine, de telle manière qu’il ne soit pas confisqué par des experts ou des gens qui, trop facilement, dans leur réflexion dégagée desréalités du terrain, jouent quelquefois les apprentis sorciers en parlant avec beaucoup de légèreté de libéralisation et de dépénalisation. Votre témoignage est donc très intéressant et très important.

Quand vous parlez de la dangerosité du cannabis au volant, je voudrais vous demander d’aller un peu plus loin. En effet, vous avez dit que cette dangerosité était avérée pour un certain nombre des effets du cannabis, que, pour d’autres, il y avait des discussions de scientifiques, et vous avez même parlé du relargage en disant que, finalement, il n’avait peut-être pas d’incidence sur les accidents automobiles du fait qu’un expert vous avait expliqué qu’il ne pouvait avoir lieu qu’à l’occasion d’un stress, mais, précisément, le stress peut être le fait de l’accident lui-même et il peut précéder l’accident. Il peut se produire un événement qui, créant un stress, produit un relargage d’un produit, même s’il est en effet dégradé et n’est pas le delta 9 mais le delta 8.

Je pense que nous aurons sur ce point un certain nombre de précisions et d’éléments solides lorsque l’étude épidémiologique qui est en cours sera terminée, mais, en tout état de cause, ne pensez-vous pas qu’à tout le moins, un principe de précaution devrait s’appliquer ?

Mme Nadine POINSOT - Absolument. De toute façon, nous sommes ravis d’avoir la loi dite "Marilou", mais elle n’aurait pas dû exister du fait de la loi de 1970. Le problème, c’est que, malheureusement, cette loi n’était pas appliquée. Par conséquent, ne serait-ce qu’au nom du principe de précaution, il fallait avoir cette loi, mais je pense qu’au nom de ce même principe, il faut reposer un cadre socio-législatif clair et net pour tous les jeunes.

Certains sont étonnés qu’il soit interdit de fumer du cannabis : ils pensent que c’est autorisé. Il faut donc que ce soit clairement dit et que les médias arrêtent de tout mélanger pour entretenir cette banalisation qui nous pourrit la vie.

M. le Rapporteur - Vous organisez des rencontres dans les collèges et les lycées, comme vous l’avez dit tout à l’heure, et vous venez d’en dire un mot à l’instant, mais pourriez-vous nous dire de façon plus précise quelle est la réaction des enfants dans les écoles, lorsque vous évoquez ces problèmes ? Sont-ils réceptifs aux messages que vous pouvez leur donner malgré le manque d’informations et, peut-être, la désinformation dont ils sont victimes ?

Mme Nadine POINSOT - Ils le sont. Il se trouve que je n’ai jamais fait de demandes moi-même et qu’on m’a toujours sollicitée, sachant que j’ai même un peu de mal à répondre à la demande. Je commence par présenter une partie informative sur le cannabis, puisque c’est le produit le plus utilisé, et ses effets, puis j’évoque notre drame et je fais une transition pour en arriver à la dangerosité du cannabis au volant. Je m’adresse en fait à des jeunes qui conduisent des scooters et j’élargis mes propos en disant que, lorsqu’ils vont faire la fête, s’ils veulent absolument fumer ou boire, soit ils s’organisent pour rester sur place, soit l’un d’eux, comme les capitaines de soirée, ne boit pas et ne fume pas mais qu’en tout cas, ils ne doivent absolument ni conduire sous l’emprise d’un produit, ni monter dans la voiture d’une personne qui a consommé.

Ils sont très réceptifs. Tout d’abord, ils sont très frappés émotionnellement par notre histoire et, plusieurs fois, on m’a dit ceci : "C’est bien ce que vous faites, madame, parce que, pour le cannabis, on ne savait pas que cela pouvait être aussi dangereux. On nous bassine toujours avec l’alcool mais, maintenant, on a compris et on s’organise". Apparemment, même s’ils ne le font pas tous encore, je pense que le message commence à bien passer pour ce qui concerne l’alcool, mais j’ai l’impression qu’il faut recommencer le travail pour les stupéfiants. Il faudra faire ce travail.

En tout cas, ils sont réceptifs. Nous avons de bons échos et cela essaime doucement.

M. le Rapporteur - Je vous pose la même question vis-à-vis des enseignants. Trouvez-vous les enseignants réceptifs à l’idée qu’il faut organiser systématiquement une information et estimez-vous que leur formation est satisfaisante ? Sont ils suffisamment informés et formés pour être justement sensibilisés comme il le faudrait à la façon de faire passer le message auprès des enfants ?

Mme Nadine POINSOT - Je ne connais pas leur formation proprement dite, mais, pour les divers enseignants que j’ai rencontrés, cela dépend : certains sont partie prenante pour évoquer ce problème avec leurs élèves (ce sont d’ailleurs ceux-là qui organisent les rencontres) alors que d’autres y sont farouchement opposés parce qu’ils n’arrivent pas à boucler leur programme. Ils disent que ce n’est pas leur boulot, sachant qu’on leur demande déjà de faire de la gym, de la musique, de la danse et de l’éducation civique. Ils estiment que cela ne leur revient pas.

M. le Rapporteur - Ils ne perçoivent donc pas que c’est un problème important ?

Mme Nadine POINSOT - Pour ceux-là, non.

Mme la Présidente - Il me reste une dernière question : y a-t-il des exemples, à l’étranger, d’organisation de la société (je ne parle pas seulement de législation) qui vous paraissent satisfaisants et dont on pourrait s’inspirer ?

Mme Nadine POINSOT - Je n’en ai pas connaissance, mais je suis toute neuve dans ce domaine.

M. le Rapporteur - Merci beaucoup, madame.

Mme la Présidente - Plus personne ne souhaitant vous poser de question, nous vous remercions beaucoup, madame.


Source : Sénat français