La présidente rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d’enquête et fait prêter serment à Mme Camus.

Mme Nelly OLIN, Présidente - Vous avez préparé un exposé. Sous quel délai pensez vous pouvoir le faire ?

Mme Marie-Françoise CAMUS - Dix à douze minutes.

Mme la Présidente - C’est parfait. Je vous laisse volontiers la parole, après quoi M. le Rapporteur, ainsi que nos collègues sénateurs, procéderont à quelques questionnements.

Mme Marie-Françoise CAMUS - Mesdames et messieurs les Sénateurs, au nom de toutes les familles en souffrance qui se confient à nous, je vous remercie de votre invitation. C’est une surprise et un honneur d’être écoutés au plus haut niveau dans l’une des institutions prestigieuses de l’Etat. Surprise, parce que nous sommes malheureusement davantage habitués à l’incompréhension et l’indifférence. Honneur, parce que vous représentez un pouvoir éminent et nous redonnez espoir.

Ce que je vous dirai aujourd’hui n’a rien de théorique. C’est la réalité brute au quotidien avec son cortège de difficultés et de drames, souvent ressentis comme des impasses dont il est difficile de sortir.

Si des familles de toute la France nous font confiance, c’est probablement parce que les écoutantes formées à "Phare" sont ou ont toutes été confrontées à des situations similaires. Ainsi, la compassion et la compréhension entre nous est immédiate ; personne ne se sent jugé, même lorsque la réalité va au-delà de tout ce que l’on peut décrire. L’entraide est alors spontanée.

Notre regard est obligatoirement différent de celui d’un professionnel qui n’a pas vécu ces situations et qui ne peut se sentir impliqué de la même manière.

Les personnes qui s’adressent à nous sont d’abord des mères de famille, souvent des grand-mères. Sans doute nous sentons-nous une complicité de femmes qui favorise les échanges. Certaines nous disent, quand la situation est trop pénible et invraisemblable, ce que nous savons toutes, nous, les mères : "Mais quand même, il est sorti de mon ventre". Les pères nous téléphonent peu, de façon plus brève. Quant aux jeunes, ils nous contactent surtout par Internet.

Vous savez que la toxicomanie, à l’heure actuelle, n’est plus seulement le fait de quelques marginaux. Notre société a orchestré une telle banalisation du cannabis auprès de nos enfants que, maintenant, bien des familles sont atteintes en France. La dangerosité du cannabis a été si fortement niée que le nombre de jeunes consommateurs a doublé entre 1998 et 2001.

Or la plupart ont, à un moment ou un autre, des idées de meurtre ou de suicide. Rares sont les familles qui ne nous en parlent pas. Heureusement, peu passent à l’acte, mais une drogue qui provoque de telles idées est-elle inoffensive ? Imaginez le climat familial lorsque les jeunes disent à leur père ou à leur mère : "Tu sais, je pourrais te tuer", car c’est principalement en famille qu’ils osent manifester ainsi leurs pulsions.

On commence à peine à réagir publiquement devant ce fléau qui menace la santé publique, non seulement la santé physique, comme avec le tabac, mais la santé mentale. Or tous ces jeunes consommateurs sont profondément marqués dans leur cerveau. Non seulement l’empreinte mnésique, le souvenir, est inscrit durablement dans le disque dur de la mémoire, mais encore les moments de lucidité n’existent guère tant que la personne reste sous l’influence du produit.

Le cannabis est une drogue lente, stockée des semaines dans les graisses du cerveau, et cela rend particulièrement difficile la prise de conscience sur la gravité des changements de comportement. L’insertion humaine et sociale de nos enfants en est compromise. Qui les entretiendra dans les années à venir quand les parents n’en pourront plus ?

Que répondre à cette grand-mère qui ne sait plus quoi faire de son petit-fils ? La maman, à bout de force, l’a mis dehors et ce jeune homme vole sa grand-mère, chez qui il s’est réfugié, et lui substitue sa voiture, bien qu’il n’ait pas le permis, risquant ainsi de la priver de son outil de travail, puisqu’elle est aide soignante et a absolument besoin de sa voiture pour se rendre à l’hôpital. Quand je lui demande si elle arrive à parler à son petit-fils, elle me répond : "Ce n’est pas possible, il est fermé comme une huître" !

Que dire à ces parents qui ont peur de leur adolescent et de ses actes de violence, même en voiture, rendant tout trajet avec lui impossible ? Voici aussi toutes ces familles qui voient revenir s’installer à la maison leur grand gaillard de 25 ans qui, après des essais malheureux de vie autonome, a un comportement régressif déconcertant, prince déchu qu’il faudra parfois mettre sous tutelle.

Je ne m’attarderai pas sur l’enfer vécu dans les familles. Le respect devant autant de souffrances exige une sobriété qui relève de la dignité des personnes. Ni sensiblerie, ni voyeurisme ne sont de mise quand un jeune vient à tout casser à la maison, souvent à cause des relargages de cannabis, parfois à provoquer son père, frapper ses frères et soeurs ou sa mère.

En revanche, je voudrais insister sur les moyens à mettre en oeuvre d’urgence :

la création de centres de désintoxication,

la nécessité d’une prévention efficace à l’école,

l’urgence d’enrayer la promotion commerciale de la drogue.

1 - La création de centres de désintoxication.

Certes, certains jeunes arrêtent rapidement, dès le début de la consommation. Des familles nous remercient par ces mots, tantôt par écrit, tantôt oralement : "Vous nous avez aidés à être plus fermes et plus conscients des conséquences sur le cerveau".

D’autres ont besoin de soins psychiatriques. J’ai peine à croire, comme le dit l’Académie de médecine dans son rapport du 19 février 2002, que seulement 1 % des consommateurs de cannabis relèvent d’un suivi psychiatrique. Dans les appels que je reçois pour des problèmes de cannabis, au moins une famille sur cinq fait état de délires suffisamment graves pour nécessiter des soins adaptés. Schizophrénie ou non, les hôpitaux psychiatriques n’ont pas les moyens de faire face. Le problème est particulièrement crucial pour les enfants, car avant 16 ans et trois mois, l’hospitalisation adulte n’est pas possible et les lieux d’accueil manquent.

Pour la majorité des jeunes "accros" au cannabis, l’hôpital n’est pas adapté. Il faut des centres de désintoxication. Arrêter une addiction sans un soutien très ferme et exigeant est impossible pour beaucoup. Quand un jeune dort en classe, incapable d’aucune attention ni effort intellectuel, sa place n’est plus au lycée. Faudrait-il alors des centres "spécial cannabis" ? Non, car à focaliser sur un produit, le risque serait de basculer sur un autre.

Il faut simplement des lieux de réel sevrage sans aucun produit de substitution. Des jeunes encore en âge scolaire ne peuvent pas être envoyés dans les centres de post-cure actuels prévus pour les héroïnomanes, où l’on distribue méthadone ou Subutex. Il faut de nombreuses structures variées qui tiennent compte de l’âge, avec des projets d’établissement adaptés, la seule exigence commune étant la non consommation d’aucun produit modificateur de conscience.

Il ne s’agit pas de tout inventer. Nous devons bénéficier de l’expérience des centres qui obtiennent des résultats tangibles. Il en est ainsi d’APTE, près de Soissons, ou de Trampoline, en Belgique (j’ai apporté le livre sur ce sujet).

Il sera bien entendu nécessaire que ces structures travaillent en lien étroit avec les parents. Trop souvent, les familles ont été évincées alors que ce sont elles qui vivent cette épreuve sur le long terme. La qualité de leur présence, même dans les moments de distance, est un des atouts majeurs pour la réussite des projets.

2 - La nécessité d’une prévention efficace à l’école.

Cette deuxième urgence est aussi impérieuse que la première. Il est en effet nécessaire d’effectuer une prévention à l’école crédible et adaptée à chaque tranche d’âge, depuis le CM jusqu’à la fin de la scolarité. L’offre de drogue étant omniprésente, les enfants doivent être armés très tôt, pouvoir en parler avec des adultes avertis et responsables, autant en famille qu’à l’école. A l’adolescence, ils ont besoin d’en discuter avec les parents de leurs copains ou d’autres adultes qu’ils côtoient. La formation scientifique et médicale des parents et des enseignants faite avec l’aide de pharmacologues et de toxicologues est aussi importante que celle des jeunes.

Beaucoup de lycéens sont étonnés quand nous leur donnons ces informations (la lenteur d’élimination du cannabis, sa bio-accumulation, etc.) et se demandent pourquoi personne ne les avait avertis encore. En effet, pour rappeler un état des lieux, la politique actuelle de ces dernières années a été marquée par l’idée de la réduction des risques.

Nous aboutissons à ce genre de question qui tracassait des petits de 5e venus demander : "Madame, la bonne drogue qui n’est pas daubée, où faut-il l’acheter ?", car on a réussi à faire croire aux jeunes que le danger est l’adjuvant et non pas la drogue.

Arrêtons cette démagogie qui veut seulement prévenir les risques liés à l’usage. Il est inadmissible de vouloir enseigner à nos enfants à gérer leur consommation ou à cultiver la fascination de la drogue.

Une prévention efficace aboutit normalement à la détermination d’éradiquer la drogue à l’école. Au besoin, le chef d’établissement doit pouvoir se faire aider d’une équipe cynophile, soit un chien spécialement dressé et son maître, pour repérer d’éventuels contrevenants autant à l’école que dans un périmètre scolaire facile à délimiter. Cela aurait l’avantage de lever un climat de suspicion toujours désagréable quand on ne sait pas où se trouve exactement la drogue et d’aller droit au but sans perdre de temps. Il n’est pas pensable de fouiller les élèves. Ce serait traumatisantpour tout le monde. Les jeunes ont horreur d’être soupçonnés à tort. Des contrôles urinaires pourraient aussi être pratiqués à l’infirmerie pour soutenir les plus fragiles.

Des sanctions rapides et pertinentes seraient dissuasives car, parfois, un règlement d’école bien appliqué est mieux compris que la loi avec un grand "L". Pour grandir, l’enfant a besoin de recevoir autant de signes d’amour que de signes de fermeté. Ces exigences de bon sens devraient bien sûr être élargies à tout un environnement social. Pourquoi n’y a-t-il pas encore de contrôle urinaire sur les stupéfiants avant de passer le permis de conduire ? C’est bien dès le démarrage qu’on doit prévenir la drogue au volant.

3 - L’urgence d’enrayer la promotion commerciale de la drogue

Il est nécessaire non seulement de sanctionner la publicité pour la drogue et l’incitation à se droguer, mais aussi de retirer du marché tout ce qui contribue à fabriquer cette mode du pétard et de la drogue, présentée comme la manière incontournable de rester jeune et branché. Depuis près de 25 ans, certains ouvrages ou revues incitatifs sont tolérés dans la plupart des circuits commerciaux. ASUD est subventionnée par le ministère de la santé.

Il ne suffit pas de faire de temps à autre un procès à un promoteur de drogue, procès symbolique qui aide surtout à lui faire mieux vendre sa littérature. Encore faudrait-il appliquer la loi et retirer de la vente sa marchandise. La promotion de la drogue est de plus en plus orchestrée par tout un environnement médiatique. Le pétard ou la feuille de cannabis décore les vêtements des jeunes, parfois les canettes de bière ou même les yaourts ! Faudra-t-il donc nous en mettre partout ? L’incitation à consommer devient petit à petit : "Consommez de la drogue !", situation inadmissible. Comment échapper à ce bourrage de crâne ?

Je vous remercie de votre attention qui nous va droit au coeur, juste au moment où l’exaspération des familles atteint un point maximum. Quand des parents sont atteints dans leurs enfants, ils sont blessés dans ce qu’ils ont de plus cher au monde. Rien ne les arrêtera pour tenter jusqu’au bout de les sauver.

Mme la Présidente - Je vous remercie beaucoup, madame, de ce témoignage sur les drames que vivent les familles et de vos préconisations pour l’avenir. M. le Rapporteur va vous poser un certain nombre de questions.

M. Bernard PLASAIT, Rapporteur - J’avais une série de questions auxquelles vous avez déjà, madame, très largement répondu dans votre exposé, ce dont je vous remercie.

Dans votre dernière partie, vous dites qu’il faut arrêter de faire le "marketing" de la drogue. Je suis particulièrement sensible à cette remarque, parce que je suis allé la semaine dernière en Espagne, où j’ai vu qu’il y avait des boutiques à en-tête du "docteur Cogolo", avec une grande feuille de cannabis. On a pu observer que ce symbole de la drogue qu’est la feuille de cannabis est également utilisé de façon massive dans notre pays, puisqu’on peut trouver par exemple des bonbons portant l’indication "cannabis". Certes, ils ne tombent pas directement sous le coup de la loi puisqu’il est indiqué, non pas sur le bonbon mais sur le paquet, qu’il n’y a pas de THC, mais on pourrait imaginer que cela tombe sous le coup de la loi sur l’incitation à usage.

Mme Marie-Françoise CAMUS - Tout à fait. Cela relève de l’article L 630 du code de santé publique qui n’est jamais appliqué.

M. le Rapporteur - Exactement. Votre témoignage sur cet aspect de la question est donc très important, parce qu’il attire plus encore notre attention sur le fait qu’il existe un climat général qui ressemble à de la promotion commerciale pour le cannabis...

Mme Marie-Françoise CAMUS - ...qui est de la promotion commerciale.

M. le Rapporteur - Il s’agit donc d’un aspect de la question qu’il faut impérativement traiter. Merci de ce témoignage.

Je voudrais maintenant savoir comment votre association se fait connaître.

Mme Marie-Françoise CAMUS - Par le bouche à oreille. Nous n’avons aucune subvention et nous n’avons pas d’argent en dehors des quelques cotisations que nous donnent certaines personnes mais que nous n’exigeons pas et qui sont spontanées. Quand nous aidons une famille en difficulté, nous n’allons pas lui demander une cotisation.

Nous sommes donc davantage soutenus par des gens qui ne sont pas encore confrontés à la question mais qui ont pris conscience du problème, et notre but est aussi de faire comprendre à l’ensemble de la population que, dans ce domaine, il vaut mieux prévenir que guérir.

M. le Rapporteur - Cela veut-il dire que, lorsqu’une famille a des enfants qui ont, par exemple, des problèmes avec le cannabis, si elle a entendu parler de vous, elle vous appelle pour vous demander des conseils ?

Mme Marie-Françoise CAMUS - Nous avons également publié ce petit livre : "Le Phare, familles face à ladrogue", avec l’indication d’un numéro de téléphone, et je passe plusieurs heures par jour au téléphone à répondre aux familles qui m’appellent de toute la France. Nous avons d’autres numéros de téléphone, mais, sur ce livre, il n’y a que le numéro où je réponds personnellement.

M. le Rapporteur - Quels sont les produits les plus consommés et pour lesquels vous êtes les plus sollicités ? J’imagine que le cannabis est très présent, mais voyez-vous aussi monter la consommation, et donc les problèmes liés à celle-ci, d’ecstasy et de drogues chimiques ?

Mme Marie-Françoise CAMUS - Nous sommes dans une société tellement médicalisée que les jeunes ne se rendent absolument pas compte qu’un petit cachet de rien du tout peut donner la mort. Il est très important que des parents réagissent contre cela.

Cela dit, le gros problème, c’est le cannabis, du fait de tout cet environnement médiatique qui en fait une mode. Il n’est pas admissible qu’une mode porte sur le cerveau. Une mode doit porter sur les vêtements et la coiffure et non pas sur le cerveau !

M. le Rapporteur - C’est donc le cannabis qui, pour le moment, représente le problème principal.

Mme Marie-Françoise CAMUS - On assiste à une croissance exponentielle des consommateurs de cannabis qui a eu lieu avec l’appui politique de médecins qui ont abusé de leur titre.

M. le Rapporteur - Puis-je vous demander ce que vous pensez de la réaction du corps enseignant quand on aborde avec lui le problème de l’information et de la prévention en matière de drogue ? D’une manière générale, vous paraît-il motivé pour que cette information, à l’évidence insuffisante, soit donnée et est-il lui-même suffisamment formé pour répondre ?

Mme Marie-Françoise CAMUS - Pas du tout. Il faut former les gendarmes, les policiers, les enseignants et les parents à cette connaissance médicale des méfaits sur le cerveau. A cet égard, nous avons l’appui d’une petite minorité d’enseignants qui en sont conscients et qui ne peuvent pas accepter que leurs élèves se détruisent, parce que cette démarche est souvent irréversible. Il faut vraiment motiver l’ensemble du corps enseignant et des parents pour arriver à une cohérence de pensée. On a remplacé la cohérence de pensée par la pensée unique de la réduction des risques, ce qui n’est absolument pas adapté à l’école.

Bien sûr, il vaut mieux prendre un préservatif ou une seringue propre plutôt que de se donner la mort ou le sida, mais ce n’est pas avec de telles évidences que l’on fait de l’éducation affective pour les enfants ni qu’on leur apprend à dire non à la drogue.

Quand nous intervenons dans une école, nous tenons toujours à ce que les parents soient partie prenante, pour qu’ils puissent être les relais. Les meilleurs éducateurs des jeunes sont ceux qui vivent au quotidien avec les jeunes, les parents et les enseignants ou éventuellement les responsables sportifs. Ce sont eux qu’il faut former pour qu’ils puissent relayer l’information scientifique que l’on donne sur les méfaits du cerveau.

En fait, on mélange tout. Nous avons un argumentaire très simple , "Savoir dire non à la drogue" que nous donnons à ces parents relais pour obtenir une certaine cohérence avec ce que nous avons dit pour qu’ils puissent reprendre cela par petits groupes de dix jeunes au maximum, que chacun d’eux puisse formuler son non à la drogue et que les éducateurs soient attentifs, parce que certaines questions se posent à un moment pour l’un et à un autre moment pour l’autre. Ce n’est pas un intervenant extérieur ponctuel qui suffit.

Mme la Présidente - Vous nous dites que la politique de réduction des risques convient à ceux qui sont déjà dans la drogue, mais que...

Mme Marie-Françoise CAMUS - C’est discutable, mais ce n’est absolument pas adapté pour les enfants.

Mme la Présidente - ...c’est insuffisant, notamment parce que cela n’empêche pas les jeunes de rentrer dans la drogue, sachant qu’il n’y a pas suffisamment d’information et de prévention.

Mme Marie-Françoise CAMUS - On ne leur précise pas les méfaits sur le cerveau. C’est par là qu’il faut commencer. Je ne dis pas que cela suffit, mais il faut aussi leur apprendre l’esprit critique, les former et voir cette arnaque !

M. le Rapporteur - A votre avis, quand cela commence-t-il ?

Mme Marie-Françoise CAMUS - Dès le CM. Sinon, pour certains, c’est trop tard quand ils arrivent au collège. Une information simple peut très bien être faite par des parents avertis.

M. le Rapporteur - Vous nous laisserez, je l’espère, le livre que vous avez apporté et qui est édité par votre association. J’ai vu qu’à votre gauche, vous avez aussi des revues que vous nous avez montrées tout à l’heure.

Mme Marie-Françoise CAMUS - Ce sont des revues d’ASUD.

M. le Rapporteur - Pourrez-vous nous remettre également ces documents ?

Mme Marie-Françoise CAMUS - Bien sûr. Ce sont des numéros pris au hasard, mais c’est vraiment le style d’ASUD.

M. le Rapporteur - Je vous remercie, madame. J’en ai terminé, madame la Présidente.

Mme la Présidente - M. Chabroux a maintenant des questions à poser.

M. Gilbert CHABROUX - J’ai suivi votre exposé, madame la Présidente. Je voulais vous poser la question des moyens dont vous disposez, mais vous avez répondu à M. le Rapporteur à ce sujet et je me rends compte que votre association n’a que plus de mérite à mener son action contre les drogues et la toxicomanie puisque vous ne percevez pas de subvention et qu’il s’agit pratiquement uniquement de bénévolat.

Mme Marie-Françoise CAMUS - Uniquement.

M. Gilbert CHABROUX - Je trouve cela tout à fait remarquable, mais je voudrais savoir pourquoi vous visez tout particulièrement le cannabis. Je comprends bien que...

Mme Marie-Françoise CAMUS - A cause de sa croissance exponentielle.

M. Gilbert CHABROUX - Certes, mais pourquoi, dans votre exposé et dans les documents que vous nous avez remis, n’est-il pratiquement question que du cannabis ? Vous ne parlez pas, ou très peu, des autres drogues, licites ou illicites. Vous faites une place à l’alcool, par exemple, mais elle est toute petite.

Mme Marie-Françoise CAMUS - Tout à fait. Quand nous faisons des préventions auprès des jeunes, nous parlons spécialement du tabac, de l’alcool et du cannabis, et nous faisons des comparaisons scientifiques sur les méfaits des différents produits. Il s’agit de leur montrer que le tabac est l’intrus dans le système des fonctions vitales (manger, boire, dormir, etc.) qui va leur faire croire que c’est bon alors que c’est mauvais. Le tabac va déjà leur faire croire qu’ils en ont besoin quand il y a une dépendance à la nicotine.

Cela dit, nous insistons bien sur tous les dégâts que le tabac cause à la santé (un cancer sur deux, les problèmes de grossesses dues au tabac), mais nous leur montrons surtout la différence entre un produit modificateur de conscience et un produit qui permet quand même de travailler et de se marier, à la condition que l’on "ne pue pas", comme je le leur dis, ou d’avoir quelqu’un qui supporte que l’on pue ! J’ai l’habitude de parler aux collégiens de cette manière et j’ai besoin d’être directe avec eux.

Je fais aussi une comparaison sur les effets de l’alcool et du cannabis et, dans ces préventions, tabac alcool et cannabis prennent autant de place.

Si j’insiste ici sur le cannabis, c’est parce que nous sommes confrontés au problème de sa croissance exponentielle. Il ne s’agit pas de se focaliser sur le cannabis. Nous avons bien sûr conscience de la difficulté des jeunes qui touchent à des choses bien plus graves, notamment à l’ecstasy, mais qui sont quand même beaucoup moins nombreux que tous ceux à qui on a dit : "L’herbe, ce n’est pas grave, c’est moins dangereux que le tabac". On a besoin de démonter tous ces mensonges avec eux et de leur montrer que c’est trois ou quatre fois plus cancérigène. On insiste surtout sur le cerveau et on leur montre bien des images du cerveau et les effets que cela produit.

M. Gilbert CHABROUX - Je voudrais avoir encore quelques précisions. Une enquête récente de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies montre que les Français sont devenus plus sévères sur les drogues licites (l’alcool et le tabac) et moins sévères par rapport au cannabis et qu’un Français sur quatre serait pour la vente libre du cannabis. Je souhaite savoir comment vous interprétez cela.

Mme Marie-Françoise CAMUS - C’est à cause du mensonge médiatique.

Mme la Présidente - Je vous prie de laisser finir M. le Sénateur.

M. Gilbert CHABROUX - Par ailleurs, que pensez-vous des propos de l’OFDT lorsqu’il précise qu’il n’y a pas de liens entre les politiques publiques, libérales ou répressives, et les niveaux de consommation du cannabis. La France a l’une des politiques les plus répressives : la loi de 1970, si elle est appliquée strictement, est très répressive. Or vous dites que la consommation de cannabis s’accroît exponentiellement. Comme cela ne peut pas être la loi qui conduit à ces effets, c’est sans doute lié à d’autres facteurs ou d’autres raisons. Pourriez-vous analyser cela ?

Mme Marie-Françoise CAMUS - Vous savez bien que la loi n’est pas appliquée et qu’il y a un décalage considérable entre la pratique et la loi. Une banalisation de fait intervient de plus en plus, notamment du fait de la circulaire de Mme Guigou, et la loi n’est pas appliquée.

Prenons l’exemple de la Suède, qui est aussi un pays moderne.

M. Gilbert CHABROUX - Nous y sommes allés.

Mme Marie-Françoise CAMUS - La Suède a connu une période laxiste qui a fait des dégâts considérables, avec une génération sacrifiée, et elle a opéré une marche arrière qui fait qu’actuellement, il y a très peu de consommateurs de cannabis par rapport à la France. La France a été champion d’Europe, si je puis dire, quant à la montée exponentielle de la consommation du cannabis.

M. Gilbert CHABROUX - J’ai encore une question à vous poser. Vous avez parlé de centres de désintoxication et dit qu’il manquait de nombreux lieux d’accueil et de structures. Pouvez-vous préciser l’étendue des besoins ?

Mme Marie-Françoise CAMUS - Je vous remercie de cette question, parce que nous sommes très démunis. Il n’existe pratiquement pas de centres de désintoxication comme il en faudrait alors que chaque lycée aurait de quoi en remplir un. Il faut donc des centaines de centres de désintoxication sans substitution, avec un encadrement très ferme et très attentif à chacun.

M. Gilbert CHABROUX - Un centre de désintoxication par lycée ?... Excusez-moi, mais je me permets de relever ce que vous dites.

Mme Marie-Françoise CAMUS - Dans chaque lycée, il y a peut-être des dizaines d’enfants qu’il faudrait envoyer dans ces centres : ils perdent complètement leur temps dans les lycées et leur situation ne fait que se dégrader d’année en année. On ne peut pas laisser les choses en l’état et attendre que cela s’aggrave de plus en plus.

Souvent, quand ils ont dix ou quinze ans de consommation derrière eux, c’est encore plus difficile pour décrocher. Ils aimeraient bien le faire, mais ils ont déjà gaspillé des années qui ne reviendront pas.

Mme la Présidente - Plus de questions ? Il nous reste donc à vous remercier, madame.


Source : Sénat français