La présidente rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d’enquête et fait prêter serment à M. Mattéi.

Mme Nelly OLIN, Présidente.- Monsieur le Ministre, je sais, et je viens de le dire, combien votre emploi du temps est chargé, mais je crois que plus que quiconque aussi vous savez quel est le problème de société auquel la France est confrontée aujourd’hui face à ce que nous pouvons appeler un fléau, la drogue, qui en tout cas est en train de gâcher des générations entières et qui au lieu d’aller en régressant va, malheureusement, en progressant. Cela touche tous les milieux.

Les auditions auxquelles nous avons procédé nous inquiètent de plus en plus.

Nous aimerions vous entendre, Monsieur le Ministre, pour savoir quelles sont vos propositions, vos préconisations, ce que vous entendez mettre en place en tout cas. Je vous donne donc, Monsieur le Ministre, très volontiers la parole.

M. MATTEI.- Merci Madame la Présidente.

Mesdames, Messieurs les Sénateurs, je dois d’abord vous dire combien je suis heureux d’être là pour participer à vos travaux.

Vous voyez comme le hasard est étrange, jeudi dernier j’étais à Vienne pour la réunion sur les stupéfiants, regroupant un très grand nombre de pays appartenant à l’ONU. Ayant partagé un repas avec les autorités, elles m’ont signalé que peu de jours auparavant, une mission sénatoriale s’était rendue à Vienne, justement dans cet organisme international, pour se rendre compte et interviewer les personnes qui étaient là.

Ce sujet me tient particulièrement à coeur. J’y ai beaucoup travaillé à Marseille, comme adjoint au maire de Marseille, en charge de la lutte contre le sida et la toxicomanie, et ce pendant six ans.

En plus, c’est un des sujets que j’aborde volontiers pour montrer combien il y a des idées toutes faites et combien nous pouvons être amenés à évoluer.

Trop longtemps, et je l’ai vécu personnellement sur le terrain, la drogue a été perçue avant tout comme un problème d’ordre public, devenant par la même un sujet de polémique, de débats passionnés, de désaccords importants au sein de la société entre les responsables politiques ou les gouvernements.

Cependant, chacun a en mémoire que le sida a, dans ce domaine comme dans d’autres, profondément modifié notre perception à tous.

Avant 1985, les échecs fréquents du sevrage chez les toxicomanes donnaient aux médecins un sentiment d’impuissance, partagé par les Pouvoirs Publics.

Or, le drame du sida nous a obligés à nous engager dans des actions de réduction des risques pour tenter d’éviter l’hécatombe. Dès lors, on n’a plus considéré le drogué comme un délinquant, mais comme le maillon de la chaîne de l’épidémie et de la transmission. Dès lors, on a porté sur lui un regard un peu différent, on l’a considéré comme un patient nécessitant de l’aide, de l’humanité et enfin des traitements. Nous avons été amenés à proposer des traitements de substitution d’abord, mais aussi de l’infection au VIH et plus récemment des hépatites C. Dès lors, je crois que nous avons quitté les débats idéologiques et que la drogue est devenue un problème de santé publique.

En France, il y a entre 170 000 et 190 000 toxicomanes dépendant des opiacés. Ces chiffres m’ont été communiqués par la MILDT. La politique de santé en direction de ces usagers de drogue s’articule autour de deux grands axes : premièrement la réduction des risques infectieux liés à l’usage de drogues et deuxièmement les traitements de substitution.

Sur la réduction des risques infectieux liés à l’usage de drogues, il faut rappeler la décision courageuse de Mme Michèle Barzach, alors ministre de la Santé, qui a permis dès 1987 la vente libre de seringues en pharmacie.

A partir du milieu des années 1990, la réduction des risques s’est aussi appuyée sur la diffusion de kits d’injection. Des centres de soins et d’accueil de première urgence pour les usagers de drogues, particulièrement pour les plus démunis d’entre eux, ont été créés.

Je ne peux pas m’empêcher là, sortant un instant de ma fonction ministérielle, à ce point précis, de ne pas vous direcomment les choses se sont passées à Marseille.

En 1995, le maire de Marseille m’a confié cette lourde tâche et j’ai participé à une première réunion où le sujet était le suivant : où allions-nous implanter l’automate distributeur et échangeur de seringues ? Personne, évidemment, n’en voulait. J’ai réalisé alors qu’il y avait, et c’est commun à Paris, à Lyon et à Marseille, 8 secteurs à Marseille. Ma réponse a été de dire qu’il ne fallait pas en implanter un, mais en attribuer un à chaque secteur.

A partir du moment où nous avons dit à chaque mairie de secteur qu’elles avaient toutes droit à un automate et qu’elles allaient elles-mêmes en choisir l’implantation, la chose a été réglée en trois mois ; le dialogue avec les Comités d’intérêt de quartiers s’est parfaitement réglé, éventuellement avec mon intervention sur le plan de santé publique.

Ce qui est le plus intéressant, c’est que nous avons confié ces automates à des associations chargées d’en assurer la maintenance, et de nouer le contact avec le drogué qui venait là pour tenter de lui faire rejoindre la filière thérapeutique.

Au bout d’un an d’expérience, nous avons fait une évaluation, une enquête, qui a été menée par l’Observatoire Régional de la Santé, sur deux ans. Les résultats ont été absolument étonnants, non seulement cela fonctionnait, mais nous avions là ouvert l’accès à une politique de réduction de risques à des populations qui n’allaient pas en pharmacie chercher les seringues, ni même aux bus de Médecins du Monde. Nous avions donc ouvert la possibilité et l’accès à une nouvelle population.

Je le dis volontiers parce que je sais que mes collègues élus locaux sont quelquefois confrontés à des difficultés pour faire accepter ces structures. Ils sont en place depuis maintenant 8 ans et fonctionnent parfaitement bien. Je n’ai, à l’exception des toutes premières semaines, jamais eu la moindre réclamation. Cela fonctionne très bien.

Le deuxième axe est la politique de substitution en France. Elle repose sur un réseau de centres de soins spécialisés, les fameux CSST dont nous avons parlé dans le dernier PLFSS, puisque l’on n’a pas transmis le financement à la Sécurité sociale. Ces centres sont capables d’apporter une réponse médicale, sociale et de délivrer de la méthadone.

La politique de substitution repose sur une très forte implication désormais des médecins généralistes, qui ont en France, depuis 1995, la possibilité de prescrire du subutex comme traitement de substitution. Le subutex est en effet plus facilement maniable que la méthadone et expose moins au risque de surdose létale.

Il est intéressant maintenant de vous dire le résultat que cela a donné, depuis le temps. Ce choix s’est révélé parfaitement judicieux, puisque actuellement les deux tiers des usagers de drogue, soit environ 116 500, reçoivent un traitement de substitution. Trois quarts d’entre eux, c’est-à-dire à peu près 90 000, sont traités par subutex et suivis par un médecin généraliste.

Naturellement, tout ceci n’est possible que grâce à un effort financier important. Le ministère de la Santé consacre chaque année 14 millions d’euros à la seule réduction des risques.

La Mission Interministérielle de Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie (MILDT), qui coordonne les différents champs d’action publique de lutte contre la drogue, y consacre aussi une bonne partie de son budget, qui s’élève à 40 millions d’euros.

Le subutex est en termes de coût au 11e rang des médicaments remboursés par l’assurance maladie, ce qui représente un coût de 112 millions d’euros en 2002.

Enfin, le coût des centres spécialisés s’élève à 134 millions d’euros.

Les sommes mises bout à bout montrent bien -je l’avais déjà dit, mais je le répète dans un autre cadre, ici- que le budget consacré à la drogue n’est pas le seul budget de la MILDT, tant s’en faut. Les sommes sont considérables, puisqu’elles affleurent 300 millions d’euros.

Une fois que je vous ai dit cela, politique de réduction des risques, politique de substitution, vous êtes en droit de vous demander si cette politique sanitaire a porté ses fruits, si c’est utile, efficace. Ma réponse est oui.

Depuis la fin des années 1980, les ventes et distribution gratuite de seringues aux usagers des drogues n’ont cessé de croître, pour atteindre 18 millions d’unités en 1999. Cela signifie que de plus en plus de drogués y ont recours et ont pratiquement abandonné la seringue qu’ils se repassaient. Mais surtout, la transmission du VIH parmi les toxicomanes s’est considérablement ralentie. La prévalence a été divisée par deux entre 1988 et 2002, passant de 40 à 20 %.

Plus encourageant encore, une enquête très récente vient de retrouver une prévalence de VIH nulle chez les jeunes toxicomanes de moins de 30 ans. C’est donc une preuve éclatante de l’efficacité de la politique qui a été choisie et conduite.

Probable conséquence du développement important de la substitution, les surdoses mortelles ont chuté de 75 % entre 1995 et 1999. Elles sont actuellement stabilisées aux alentours de 120 par an.

Je dois vous dire aussi que chez les personnes incarcérées, les traitements de substitution sont maintenant poursuivis sans problème et la situation des personnes prises en charge s’améliore aussi dans le domaine du logement et de l’insertion professionnelle.

Enfin, il faut ajouter que le nombre d’interpellations liées à l’usage d’opiacés a lui aussi chuté. La santé publique ramène, en quelque sorte, l’ordre public. Pour autant, tout n’est pas résolu.

Nous orientons actuellement nos efforts dans plusieurs directions. D’abord, il faut améliorer la prévention de l’hépatite C. La réduction des risques si efficace sur le VIH semble se heurter à ce virus, dix fois plus contagieux et qui survit mieux sur le matériel d’injection. L’hépatique C infecte encore 40 % des toxicomanes de moins de 30 ans, c’est beaucoup trop. Un renforcement des actions de prévention en direction des usagers de drogues est prévu en 2003.

Le deuxième point d’effort est la couverture vaccinale des toxicomanes pour l’hépatite B. Elle doit être remboursée. Moins de la moitié des toxicomanes sont vaccinés, ce qui n’est pas acceptable, car ils sont pour l’essentiel d’entre eux suivis dans le dispositif médico-social. Un effort d’information doit être fait et le sera en direction des patients et des médecins.

Contrairement au VIH, le traitement des personnes infectées par l’hépatite C reste encore insuffisant, en raison des réticences des patients. Il faut, et c’est un point d’effort sur lequel mon ministère va s’appliquer, veiller à une meilleure coordination entre le dépistage et la prise en charge thérapeutique dans le cadre des réseaux de soins toxicomanie ville-hôpital.

Un dernier point d’effort est le détournement du subutex, parfois revendu dans la rue et même utilisé après dilution comme drogue par voie intraveineuse, ce qui doit faire l’objet d’une analyse attentive. J’annoncerai prochainement un train de mesures visant à contrôler spécifiquement ce phénomène.

C’était la première partie des propos que je voulais tenir devant vous.

Dans la deuxième, je voudrais dire que les progrès accomplis dans le domaine des addictions les plus sévères pour réduire les risques les plus urgents ont peut-être masqué un constat qui s’impose aujourd’hui : la prévention primaire reste le maillon faible de notre système sanitaire. Ne nous y trompons pas, réduire les dommages liés à la consommation de drogue n’est pas prévenir la consommation elle-même.

Si le nombre de jeunes expérimentateurs d’héroïne s’est stabilisé en France à un niveau relativement bas depuis 1993, 0,2 % des lycéens, au même moment le cannabis amorçait une forte poussée. Aujourd’hui, plus de la moitié des jeunes de 18 ans expérimentent le cannabis. Plus du quart des garçons (29 %) et 14 % des filles en ont une consommation régulière ou intensive.

Vous le savez, la France possède le record d’Europe de la consommation de cannabis chez les jeunes. Bien sûr, le cannabis n’est pas l’héroïne, les Français le savent bien, mais plus de 50 % des personnes interrogées perçoivent l’expérimentation de cannabis comme dangereuse.

Cette perception rejoint les données scientifiques les plus récentes, confirmant l’existence d’effets nocifs du cannabis sur l’attention, la mémoire, les performances intellectuelles et l’adaptation sociale. Les jeunes consommateurs vont moins bien à la maison, à l’école et avec les amis.

Le rôle de la consommation régulière du cannabis dans le déclenchement ou l’aggravation de psychose est de plus en plus solidement établi dans la littérature scientifique.

Par ailleurs, je n’aurais garde d’oublier le rôle cancérigène pour les gros consommateurs. Ce rôle est désormais démontré.

Il est, à mon sens, largement temps d’agir dans ce domaine au nom du principe de précaution si souvent brandi pour des causes moins solides.

La consommation du cannabis chez les jeunes, de mon point de vue, n’est pas une fatalité. Elle n’est pas due à la prétendue inefficacité de la prévention ou des législations, comme certains l’affirment, mais bien à l’absence d’informations claires, de programmes d’ensemble cohérents et de volonté politique.

Changer le comportement des gens est possible. La lutte contre le sida l’a montré. La guerre entamée contre le tabac le montre. Cette guerre menée avec succès par certains pays l’a montré avant même que nous en fassions nous-mêmes la démonstration.

Notre objectif est donc clair, il faut lutter contre la consommation de cannabis, prévenir l’expérimentation chez les jeunes et tout faire pour éviter le passage à la consommation régulière chez les expérimentateurs.

Le ministère de la Santé, la Mission Interministérielle de Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie et le ministère de l’Education nationale vont lancer une campagne d’information et des actions d’éducation et de prévention contre le tabagisme et le cannabis dans les établissements scolaires.

La loi doit aussi jouer son rôle dissuasif, mais je suis convaincu que ce rôle dissuasif sera d’autant plus important que la loi sera comprise.

Prévention et sanctions savent aussi se conjuguer. Le succès récent de la lutte contre l’alcool au volant en France vient de le montrer de façon éclatante.

L’interdiction de la consommation du cannabis, à mon sens, doit être maintenue. Les Français y sont d’ailleurs favorables dans leur grande majorité, à près de 75 %.

En revanche, la loi datant de 1970, dont l’objet principal était l’usage de l’héroïne, se révèle de mon point de vue désormais totalement inadaptée au cannabis et devrait être modifiée en ce sens.

Si nous avons des messages clairs à faire passer sur la dangerosité du cannabis, nous pouvons adapter les peines sans craindre que cela soit compris comme une dépénalisation de celui-ci.

Il faut aussi apporter à ces jeunes consommateurs de cannabis des conseils, ainsi qu’à leurs parents, à leurs amis. De véritables progrès doivent être réalisés pour repérer la prise précoce et assurer la prise en charge des adolescents consommateurs problématiques ou polyconsommateurs, plusieurs milliers en France, au sein de structures originales et adaptées.

Vous voyez, je vous disais qu’il fallait avoir des raisons claires et cohérentes pour maintenir l’interdiction du cannabis. Je veux simplement les résumer.

Premièrement, je vous ai parlé du principe de précaution. Dès lors que nous savons qu’il y a des risques potentiels, même si tel ou tel sont plus ou moins argumentés ou discutés, le principe de précaution nous interdit d’en autoriser la consommation. Tout le monde sait d’ailleurs que si le tabac était une substance sollicitant aujourd’hui son autorisation de mise sur le marché, sachant ce que nous savons de ses effets délétères sur la santé, l’autorisation lui serait refusée. A partir du moment où nous aurions cette attitude sur une substance réputée nocive, il faut naturellement maintenir l’interdiction sur celle qui est interdite.

La deuxième raison est la cohérence du message pédagogique. Comment voulez-vous que des jeunes comprennent, et j’avoue que chez certains je ne comprends pas l’ambiguïté du discours, qu’il ne faut pas fumer, que fumer tue, oui à la guerre contre le tabac, qu’il faut respecter la loi Evin dans les lieux publics, et dans le même temps leur dire qu’éventuellement fumer un joint n’a pas d’importance ? Il n’y a pas de cohérence dans ce message pédagogique. Je crois donc qu’il faut être très cohérent, nous faisons la guerre au tabac et au cannabis. Nous n’avons pas de chance, le tabac est déjà autorisé, il faut donc que nous en perdions petit à petit l’habitude ; mais pour le cannabis, il n’y a aucune raison de donner un contre-signal pédagogique.

J’ajoute, parce que nous en avons parlé à Vienne, qu’à partir du moment où un pays autoriserait ou tolérerait le cannabis, il se mettrait en situation de devoir prendre la responsabilité de s’assurer de la qualité du produit consommé et donc entrerait dans une démarche de contrôle de qualité et naturellement de distribution éventuelle. Nous voyons bien la logique dans laquelle nous entrons.

Je résume donc les trois réponses qui m’amènent à dire non à la dépénalisation du cannabis : la précaution sanitaire, la cohérence pédagogique et le refus d’un système organisé, sous le couvert de l’Etat.

En revanche, je le redis, la loi de 1970 doit être adaptée et, à mon avis, nous devons aller vers une proportionnalité des peines. Le niveau de contravention pour la consommation occasionnelle devrait être retenu. Là aussi c’est un contre-message pédagogique, on peut enseigner l’instruction civique aux enfants, mais si la loi n’est pas appliquée... Il vaut mieux faire en sorte qu’elle puisse l’être. C’est donc un message fort que je passe à la haute assemblée.

Je terminerai en disant que nos efforts en matière de lutte contre la toxicomanie s’intègrent dans un combat beaucoup plus vaste, que je mène depuis mon arrivée au gouvernement, visant à redonner à la prévention et à la santé publique toute sa place.

Nous allons dans les semaines à venir, soit avant l’été, soit immédiatement à la rentrée pour ce qui concerne le Sénat, devoir discuter de la nouvelle loi de politique de santé publique, qui doit fixer les grandes priorités à moyen terme dans le domaine de la santé publique. La lutte contre la toxicomanie fera l’objet, avec la lutte contre le tabac et l’alcool, qui sont deux autres drogues dévastatrices pour la santé, des orientations prioritaires pour les cinq années à venir.

Voilà les quelques mots que je souhaitais tenir devant vous, avant de me plier au jeu des questions et réponses, s’il y en a.

Mme la Présidente.- Merci Monsieur le Ministre d’avoir exposé comme vous l’avez fait, d’une manière aussi claire, l’état de la situation et la volonté que vous avez de mettre en place un certain nombre de mesures.

Je vais demander à M. le rapporteur de bien vouloir poser ses questions, et ensuite mes collègues s’ils en ont, je vous remercie d’y répondre.

M. PLASAIT, Rapporteur.- Merci Madame la Présidente.

Monsieur le Ministre, j’ai écouté avec beaucoup d’intérêt votre exposé, qui je crois résout la contradiction que j’avais cru pouvoir observer entre les louanges de la politique de réduction des risques et le fait que, comme cela nous a été dit assez souvent pendant les auditions, il n’y avait pas eu au cours des dernières années suffisamment d’information et de prévention au moment où nous assistions à l’explosion de la consommation du cannabis.

Par exemple, il nous a été souvent dit qu’une des publications de la MILDT, « Savoir plus pour risquer moins », était déjà, par son titre même, une sorte de renonciation à la prévention de la drogue, la volonté de gérer le mieux possible ce phénomène.

Or vous nous dites, si je vous comprends bien, que la politique de réduction des risques était absolument nécessaire, évitait des morts, était un problème majeur de santé publique, qu’elle a d’ailleurs porté ses fruits, a eu debons résultats et qu’il faut la maintenir.

Cependant, cette politique de réduction des risques s’insérer dans un ensemble : il doit y avoir une politique forte de prévention des risques de la toxicomanie, donc de la consommation du cannabis, parce que nous assistons à une explosion, et aussi d’un autre type de drogue, dont nous avons compris à travers cette enquête que c’était peut-être le grand problème de demain, à savoir les drogues chimiques (ecstasy, drogues de synthèse, etc.).

Si c’est bien ce que vous nous dites, je crois que l’inquiétude que je pouvais nourrir est levée. J’abandonne donc la partie prévention, à charge pour vous bien sûr de me corriger si j’ai mal compris votre pensée.

Ma première question sera donc : sur la prise en charge sanitaire et sociale, la question en particulier d’une politique globale de lutte contre les drogues licites et illicites, c’est-à-dire le fait que l’alcool et le tabac aient été mis dans le champ de compétence de la MILDT, vous paraît-elle devoir être maintenue ?

Qu’en est-il de la mise en oeuvre réelle des centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie, puisque je crois que dans un premier temps vous n’aviez pas signé le décret d’application, mais que finalement vous l’avez fait, dans certaines conditions ? Pouvez-vous nous donner des précisions là-dessus ?

M. MATTEI.- Monsieur le rapporteur, je suis très heureux que vous ayez expliqué votre cheminement au fur et à mesure que je déroulais mes arguments.

Il est vrai qu’avant l’épidémie de sida, les drogués -j’étais déjà en médecine depuis près de 25 ans- étaient d’abord et avant tout considérés comme des délinquants, des voyous, des personnes que nous marginalisions et que nous essayions de ne pas trop voir. Evidemment, nous ne nous intéressons pas aux personnes que nous cachons, nous n’apprenons donc pas à les connaître.

Certaines personnes s’occupaient des drogués. Quelques-unes écrivaient ici ou là. Chacun sa méthode. Je n’ai pas peur de dire que cela ne rentrait pas dans le champ de la médecine à proprement parler, à quelques exceptions près.

L’arrivée du sida a tout de suite montré que les usagers de drogues intraveineuses étaient inclus dans la chaîne et qu’il fallait aller les chercher. Nous sommes donc allés les chercher et nous avons découvert que premièrement lorsque nous agissions à leur niveau, l’épidémie de sida pouvait s’arrêter, que deuxièmement ils étaient vraiment malades et troisièmement qu’il fallait nous en occuper.

Cela ne réglait pas du tout le problème de l’amont, c’est-à-dire le trafic, le dealer, le producteur, le maffieux et tous ces circuits qui doivent être évidemment condamnés avec force, mais je ne suis pas du tout entré dans ce volet, puisque je pense que le ministère de l’Intérieur s’est exprimé avant moi, nous n’allions donc pas doublonner. Je ne voudrais pas vous donner le sentiment de ne m’intéresser qu’au volet soins. Je sais qu’il y a l’amont, qu’il est indispensable, mais il fallait prendre en charge le malade.

Nous intéressant d’abord aux drogués intraveineux, nous avons approché les autres, les drogues synthétiques, l’ecstasy et le cannabis naturellement. Nous avons donc commencé à avoir une vision globale des choses.

Cette vision globale des choses a conduit les neurobiologistes à construire -il y a notamment eu le rapport Roques- une théorie globale disant en définitive que quelle que soit la substance ayant un neurotropisme, que ce soit l’alcool et même le tabac, le cannabis, les drogues plus dures ou les psychotropes, parce que nous oublions toujours les psychotropes... Je ne vous en ai pas parlé, mais quand j’entends qu’il faut faire des examens sur les drogués au volant, à mon avis il serait tout aussi important de dépister ceux qui ont pris un tranxène le matin et qui ont pris le volant de la voiture. A mon avis, leur réactivité est aussi atteinte, probablement, simplement ils ont avalé une pilule psychotrope.

Nous nous sommes aperçus qu’il y avait des mécanismes communs, d’où en pratique l’oeuvre de Mme Maestracci au niveau de la MILDT, qui a été de prendre les choses en les globalisant. Bien sûr quand nous prenons les choses par le mécanisme, il y a un tout. Personne ne conteste aujourd’hui que ces mécanismes sont communs.

En revanche, pourquoi ai-je hésité ? J’ai pris le problème par le biais des consultants, des patients, des usagers : d’une façon générale l’alcoolique, sauf le polyconsommateur naturellement, n’est pas forcément celui qui prend des psychotropes, le consommateur de cannabis pas forcément celui qui boit de l’alcool à en devenir un éthylique chronique. Les populations ne sont pas les mêmes. J’avais manifesté un doute sur le fait qu’une personne victime de ce que nous appelons l’alcoolisme mondain, mais bien imprégnée quand même, se présentant à une consultation de sevrage se retrouve dans la même salle d’attente que des jeunes utilisant d’autres drogues.

J’avais posé la question à Didier Jayle lorsqu’il est arrivé, je lui avais dit : "Je n’ai pas signé, parce je comprends bien que les problématiques peuvent être souvent les mêmes, que les troubles du comportement peuvent se rejoindre sous la forme de dépendance, c’est-à-dire l’aliénation de sa propre liberté. Ce qui est en commun vis-à-vis de tous ces gens, c’est qu’ils ont aliéné leur liberté, mais les publics sont différents." C’est là qu’il m’a répondu : "Laissez-moi réfléchir, regarder les choses et je vous dirai."

Il m’a dit qu’il fallait quand même mutualiser des équipes, mais il est vrai qu’il faut probablement qu’il y ait des entrées différentes selon les populations qui viennent. C’est dans cet état d’esprit que j’ai signé, étant bien entendu, je vous le confirme sous la foi du serment, que de mon point de vue l’alcool, le tabac, le cannabis, l’héroïne et les psychotropes sont des substances que je considère comme des drogues, qui à des degrés divers aliènent la personne humaine.

Vous avez parlé des drogues synthétiques. Tous les spécialistes, et nous en avons aussi parlé à Vienne, pensent que c’est le grand danger de demain, parce que l’on pourra composer des drogues avec des substances inattendues, imprévues. Il faudra que sur le domaine de la santé publique, nous ayons véritablement la prévention consistant à saisir le comportement anormal. Il faudra probablement que nous développions cela.

Ensuite, j’ai en partie répondu à votre question sur les CSST. J’ai souhaité l’année dernière que les centres de soins spécialisés pour les toxicomanes soient financés par l’assurance maladie, tout simplement parce que ce sont des soins et que cela démontre bien que ces centres doivent être en lien éventuellement avec l’hôpital ou avec des réseaux ville-hôpital. Il y a une forte symbolique à ce qu’ils ne soient plus financés par l’Etat, mais par l’assurance maladie.

Voilà ce que je pouvais vous dire, étant entendu que naturellement nous sommes loin d’être parvenus au but et que les choses sont encore extrêmement compliquées.

Mme la Présidente.- Merci Monsieur le Ministre.

M. PLASAIT.- J’ai deux dernières questions. Quand on parle de la politique de substitution, nous sommes évidemment aussi un peu interpellés. Nous avons fait quelques visites, en hôpital en particulier. Nous avons écouté des médecins. A certains moments, nous pouvons nous demander si le parti n’est pas un peu pris de considérer que la substitution doit régler le problème de façon définitive et que l’on a donc un peu abandonné, l’idée qu’elle était une étape vers la sortie de la drogue. Je voudrais que vous nous disiez quelle est votre conception, votre philosophie là-dessus.

M. MATTEI.- Mon sentiment est très clair à cet égard. Je pense que vous avez raison, la substitution par la méthadone ou le subutex n’est pas pour le drogué l’équivalent de l’insuline pour le diabétique. Nous ne pouvons jamais priver un diabétique d’insuline. La substitution doit être l’entrée dans le sevrage. On doit y tendre progressivement, avec peut-être des rechutes, des difficultés, mais ce doit être l’objectif naturellement. Ce n’est pas quelque chose installé définitivement, car ce serait une solution de facilité et abandonner les personnes à leur sort.

Mme la Présidente.- Dans un hôpital, nous avons vu une personne depuis neuf ans sous traitement de substitution. Neuf ans est quand même une longue période. Il est vrai que nous ne sommes pas médecins, mais nous avions l’impression que ce serait à vie.

M. MATTEI.- Madame la Présidente, si vous me permettez, si les drogués sont des malades, leur maladie s’exprime par des troubles du comportement, une fragilité neuropsychique. La comparaison doit se faire avec les malades mentaux.

Quand vous mettez un malade mental sous une prescription médicamenteuse pour mélancolie, schizophrénie, psychose maniaco-dépressive, pour troubles obsessionnels convulsifs, vous ne savez pas quand vous pourrez le sevrer. Naturellement si une psychothérapie est engagée à côté, c’est bien pour essayer le moment venu de diminuer les doses, de les supprimer, mais ce n’est pas gagné d’avance.

Autrement dit quand je fais ma réponse, je ne vous dis pas que cela doit conduire au sevrage, mais simplement qu’il ne faut jamais perdre de vue que l’objectif éventuel signant la guérison est le sevrage.

M. PLASAIT.- Je voulais vous interroger sur le trafic de subutex. Vous venez de nous dire que vous alliez prendre des mesures. Pourriez-vous nous donner, pas forcément dans l’immédiat mais dans les jours à venir, quelques éléments là-dessus, de telle manière que ce que nous allons dire dans le rapport corresponde à la réalité de la situation au moment où il sortira ?

M. MATTEI.- Monsieur le rapporteur, pour vous dire combien c’est d’actualité pour nous, mes collaboratrices viennent de me tendre une note, deux réunions sur le mésusage et le détournement de la buprénorphine au dosage subutex se sont tenues au cabinet le 14 janvier et le 20 mars pour faire le point sur la situation, envisager diverses mesures. L’objet de cette note est de proposer au ministre des mesures.

Je ne sais pas quels sont vos impératifs, mais je ne verrais aucun inconvénient, si vous en étiez d’accord, à vous faire passer un document qui, sans entrer dans le détail des choses, pourrait au moins vous montrer les différentes pistes poursuivies. Je ne voudrais pas vous infliger la lecture de trois pages écrites d’une manière serrée.

Mme la Présidente.- Monsieur le Ministre, nous avons un impératif de délai, avant la fin du mois si c’était possible.

M. MATTEI.- Avant la fin du mois, vous n’aurez probablement pas les décisions, mais les pistes sur lesquelles travaille le ministère de la Santé eu égard à ce sujet extrêmement important.

Mme la Présidente.- Merci beaucoup Monsieur le Ministre.

M. PLASAIT.- Dernier point, il s’agit de vous faire part de mon étonnement, de mon inquiétude ou même peut-être de mon indignation devant un journal, que j’ai sous les yeux, de l’association ASUD, qui s’appelle le Journal des Drogués Heureux. J’en ai deux numéros et dans les deux c’est la même chose, il y a tout un dossier sur le cannabis et tout l’intérêt que l’on peut y trouver.

Je croyais que c’était réservé à la Hollande ou à l’Espagne, mais à la fin il y a de la publicité pour un ouvrage sur du cannabis dans mon jardin, comment cultiver les meilleurs plants, etc. C’est vraiment le journal des consommateurs qui voudraient bien pouvoir être heureux.

En ouvrant l’ouvrage en question, je m’aperçois que ce numéro a pu paraître grâce au soutien de l’association Ensemble contre le Sida et de la Direction Générale de la Santé, du ministère de l’Emploi et de la Solidarité.

M. MATTEI.- Je partage votre indignation, en tout cas votre étonnement. Nonobstant ce que vous venez de dire et de lire, j’ai une tendresse particulière pour l’association ASUD et d’abord parce que dans "ASUD" il y a "SUD" et qu’elle est née à Marseille.

Des drogués qui s’en sont sortis se sont constitués en association. Ils assument la surveillance de deux de mes automates dans les quartiers nord de Marseille.

Il est vrai que lorsque vous les voyez à côté des drogués dont ils s’occupent, vous ne savez pas lesquels sont les drogués et lesquels sont les anciens. Il est vrai qu’ils ont parfois tendance à franchir la barrière pour aller chercher le copain.

Je pense que vous avez raison. Je n’ai pas connaissance de cela. Si vous me saisissiez en vous étonnant, cela me permettrait de revenir vers eux en leur disant que nous les aidons, que nous sommes admiratifs du travail de rue, de quartier, qu’ils peuvent faire, mais que probablement ce n’est pas le bon usage et le bon message que celui utilisé là.

M. PLASAIT.- Je vous remercie et je vous saisirai, Monsieur le Ministre.

M. MATTEI.- Merci.

M. MUZEAU.- Monsieur le Ministre, j’ai beaucoup apprécié votre déclaration quand vous indiquiez que la santé publique ramenait la sécurité publique. Cela nous fait nous évader un peu de cette pression ambiante qui est toujours plus de sécuritaire, la peur de l’autre et quelques fantasmes sur qui sont les autres, les affreux drogués, etc.

Vous donnez votre appréciation positive sur le travail qui a été mené par la MILDT au fil des années et sur les effets extrêmement intéressants sur la réduction des overdoses, sur une autre perception de l’usage des automates. Ma commune a été une des premières à mettre en place ces automates dans chacun des quartiers et quasiment au pied de chaque pharmacie. J’ai eu les mêmes réactions que vous dans cette ville et quelques semaines après, celles-ci n’existaient plus. Il est vrai que la fin ou la quasi-fin des overdoses constatées dans les halls d’immeubles ou dans les vide-ordures a été bien plus bénéfique que les polémiques qui ont eu lieu autour de l’installation de ces automates. J’ai donc beaucoup apprécié votre positionnement et je tenais à vous le dire.

J’aimerais avoir votre sentiment quant à votre perception du degré d’information du corps médical dans son ensemble, à commencer par les médecins libéraux, sur leur rôle et les moyens d’information dont ils disposent pour discuter avec leurs patients, les familles, les jeunes qu’ils reçoivent afin soit de les mettre en garde, soit de leur montrer quelles voies peuvent être utilisées pour les soins et la prévention. J’ai le sentiment qu’ils ont eux-mêmes de réelles difficultés d’accès à l’information en général.

M. MATTEI.- Monsieur le Sénateur, vous posez une question bien délicate, parce qu’il est vrai que les médecins généralistes ne sont pas formés pour des malades toxicomanes.

Ils peuvent, au fil de leurs trois années de résidanat, prenant des gardes, être confrontés à telle ou telle urgence et donc par bribes et par morceaux retrouver un fil conducteur. Ils peuvent s’y intéresser, suivre un diplôme universitaire et donc progresser, mais il est vrai qu’ils ne sont pas préparés à cela.

Quand je dis que vous posez une question difficile, c’est parce que cela pose tout simplement la question de la formation médicale continue et également celle pour le médecin d’aller chercher les informations dont il a besoin, y compris sur Internet. Quelqu’un qui ne sait rien sur la drogue aujourd’hui et qui veut bien se donner la peine d’aller surfer sur le Net trouve pratiquement tout ce qu’il veut pour mieux savoir, y compris d’ailleurs les différents rapports qui sortent. Le vôtre sera sur le Web, sur le site du Sénat, j’en suis sûr.

Autrement dit ce qui m’inquiète aujourd’hui, c’est davantage l’état d’esprit du corps médical qui ne va pas chercher des informations dont il a pourtant besoin. Je suis là un peu déconcerté.

Je me permets d’ouvrir une toute petite parenthèse, qui n’a rien à voir avec le sujet, à propos de la pneumonie asiatique. J’ai eu quelques émissions avec des appels de médecins me disant : "Nous n’avons pas été informés. Vous ne nous informez pas." La réponse a été simple : "Le temps que nous vous adressions l’information, le jour où vous la recevrez, elle sera périmée, alors que vous avez en temps réel sur le site du ministère de la Santé ou de l’Institut de veille sanitaire toutes les recommandations de l’OMS. A l’instant même où c’est décidé, vous l’avez." Je ferme ma parenthèse.

Une révolution est à faire et il faut expliquer aux médecins -nous allons nous y employer et reprendre notre bâton de pèlerin- leur signifier qu’ils ne savent pas tout et qu’ils ont la possibilité de mieux se former par les formations continues et Internet si besoin est.

Les vrais généralistes qui s’intéressent au phénomène de la drogue, j’en ai connu quelques-uns, deviennent extrêmement compétents très vite et cela se sait. D’ailleurs, cela les conduit quelquefois à être ennuyés. En effet, cela se sait tellement que les drogués viennent tous les voir.

M. CHABROUX.- Monsieur le Ministre, j’irai dans le même sens que Roland Muzeau, j’ai trouvé votre exposé très intéressant. Votre façon d’aborder les problèmes de la drogue, de la toxicomanie me semble tout à fait ouverte. Vous parlez des patients, des malades, des soins. Vous faites un bilan qui me semble satisfaisant de la politique de réduction des risques, vous mesurez bien les résultats par rapport au VIH, à l’hépatite C, où des progrès sont encore à accomplir, le problème de l’hépatite B. Votre exposé me semble tout à fait clair et équilibré sur ce sujet.

Vous avez également ouvert le champ et parlé du tabac, de l’alcool, des médicaments psychotropes ; je crois que c’est une bonne façon de parler des drogues et de la toxicomanie.

Je voudrais quelques précisions complémentaires. Vous allez bientôt présenter une loi de programmation de santé publique. Vous avez dit que vous alliez mettre l’accent sur la prévention, parler du tabac, de l’alcool. Allez-vous également parler dans cette loi des drogues illicites ? L’accent sera-t-il vraiment mis sur la prévention de l’ensemble des drogues ? Allez-vous parler des médicaments psychotropes ?

Je vous pose cette question pour prolonger un peu celle de M. Muzeau par rapport au corps médical. Ce matin, nous recevions le Dr Hautefeuille, du centre Marmottan. Il nous disait que l’on passait très facilement des anxiolytiques aux drogues illicites. On commence par des doses faibles, puis on les augmente. Les médecins prescrivent, ne regardent pas trop. Je ne peux pas porter de jugement, mais si ces médicaments sont surdosés ou associés à l’alcool, on a très vite tendance à aller plus loin et à consommer des drogues illicites.

Il me semble que tout est lié et que s’il doit y avoir un volet prévention dans cette loi de programmation de santé publique, il faudrait qu’il soit le plus large possible.

Vous avez dit que si vous aviez à vous prononcer sur le tabac et son autorisation de mise sur le marché, vous diriez non. Vous n’engagez que vous en disant cela. Nous pourrions revenir sur une autorisation de mise sur le marché. Je pense qu’il y a des problèmes assez vastes. Nous les mesurons tous. Il est quand même bien de dire cela et d’élargir encore une fois le champ et de prendre en compte toutes les drogues. Je souhaiterais qu’il y ait quelque chose sur les médicaments psychotropes et que nous puissions responsabiliser un peu plus le corps médical.

Vous avez fait allusion aux problèmes qui pourraient se poser, à la conduite automobile, que sais-je. Cela mériterait d’être signalé et souligné.

Par rapport à l’application de la loi de 1970, vous avez évoqué une interprétation. Faut-il la remettre complètement en question ou est-ce un problème de pratique ? Faut-il vraiment dépenser beaucoup d’énergie pour une réforme législative ? Ce qui compte, c’est sans doute de maintenir l’interdiction du cannabis. Ne pourrions-nous pas adapter l’application de la loi et éviter cette réforme législative ?

Il me semble que le plus important, ce sur quoi il faudrait mettre l’accent, soit quand même la prévention, l’éducation et l’insertion. Là, il y a sans doute des choses à faire.

Mme la Présidente.- Monsieur le Ministre, avant de vous redonner la parole, je souhaiterais saluer l’arrivée de M. le ministre délégué à l’enseignement scolaire, M. Darcos, à qui je vais demander d’avoir la gentillesse de bien vouloir patienter quelques instants.

Monsieur le Ministre, c’est très volontiers que je vous redonne la parole.

M. MATTEI.- Merci Madame la Présidente.

Monsieur le Sénateur Chabroux, je vous confirme que la loi de politique de santé publique abordera ces sujets. Vous comprendrez aussi que je ne veuille pas la dévoiler à l’avance, mais cette loi pourra surprendre, car ce sera une première loi de santé publique.

Or, une loi de santé publique est basée sur des objectifs quantifiés. Autrement dit, dans une loi de santé publique nous déterminons les outils, nous fixons les stratégies et ensuite nous énumérons les objectifs quantifiés que nous voulons atteindre dans la période donnée. C’est cela la démarche de santé publique. Il est donc clair que nous pouvons parfaitement, c’est même prévu, envisager des objectifs quantifiés à atteindre sur les sujets que vous avez évoqués.

Je pense que lorsque vous parliez des psychotropes, à de fortes doses etc., vous faisiez allusion à un produit qui s’appelle le rohypnol, qui était en vente à deux dosages. Pour le dosage élevé, le fait de consommer la boîte entière, associée à d’autres produits, avait des résultats qui effectivement ouvraient la voie ensuite à la consommation de drogue. C’est la raison pour laquelle, si ma mémoire est bonne, le dosage fort a été supprimé du marché.

Pour le tabac, bien entendu vous avez raison, c’était une hypothèse d’école. Nous sommes dans une civilisation internationale, mondiale, le tabac est partout. Avouez comme moi, mais je pense que vous n’êtes pas loin de penser ainsi, que si nous étions vierges de tout usage passé du tabac sur le globe et si le tabac nous était soumis aujourd’hui pour autorisation de mise sur le marché, l’enquête pharmacologique ayant démontré les risques sanitaires, probablement que cette substance ne serait pas autorisée.

Je vais répondre très vite à vos deux autres questions. Oui, les médecins généralistes seront impliqués dans la prévention, car il sera prévu notamment dans cette loi une consultation de prévention à intervalle régulier par les médecins généralistes. C’est là qu’ils interviendront.

Enfin pour la loi de 1970, je ne suis pas sûr de m’être bien fait comprendre. Je suis favorable au maintien de l’interdiction de la consommation de cannabis et naturellement d’autres drogues, mais je souhaite simplement que nous revoyions l’échelle des peines, parce que nous ne devons pas punir de la même façon celui qui fume un joint, qui aujourd’hui devrait, dans la bonne application de la loi, aller en prison. Chacun comprend que ce n’est pas possible.

Il ne s’agit pas de nous relancer dans un long chantier législatif ; il suffirait de toiletter cette loi ou même d’identifier deux ou trois articles plus spécifiques et une proposition de loi pourrait parfaitement répondre à l’ensemble, me semble-t-il.

Voilà. Je vous remercie pour vos questions.

Mme la Présidente.- Monsieur le Ministre, nous vous remercions aussi pour la disponibilité que vous avez eue à notre égard, sachant que vous avez beaucoup de choses à faire. En tout cas, cela nous a permis de poursuivre et d’éclairer nos travaux. Merci infiniment à vous.


Source : Sénat français