La présidente rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d’enquête et fait prêter serment à M. Darcos.

Mme Nelly OLIN, Présidente.- Monsieur le Ministre, au nom de mes collègues et de la Commission d’enquête, je vous souhaite la bienvenue. Nous sommes heureux que vous ayez, malgré votre lourde charge, pu vous libérer, parce que nous avons besoin de vous entendre sur ce problème particulièrement préoccupant, qui aujourd’hui prend une ampleur extraordinairement dramatique, touchant tous les milieux, de plus en plus jeune et qui est à la porte, quand il n’est pas à l’intérieur, des établissements scolaires.

C’est très volontiers que nous allons vous écouter, avec beaucoup d’attention.

M. DARCOS.- Merci Madame la Présidente, merci de votre accueil.

Je suis très heureux de venir parler devant cette commission d’enquête parlementaire, car le sujet qui vous préoccupe rejoint évidemment celui de mon propre ministère.

Je crois que vous avez déjà entendu Luc Ferry, qui vous a précisé que le domaine spécifique de lutte contre la toxicomanie dans les établissements scolaires relevait du ministère délégué à l’enseignement scolaire.

J’imagine que votre commission est fort bien informée, mais je commencerai peut-être par rappeler quelques chiffres, car pour nous ils sont alarmants. J’appellerai drogue ici tout ce qui d’une manière ou d’une autre contribue à déstabiliser gravement l’équilibre, la santé psychologique et physique des jeunes.

D’abord, nous savons que l’expérimentation de l’alcool est de plus en plus précoce et que chez nos élèves, en particulier chez les garçons, c’est à 13 ans et un mois que se trouve en moyenne l’utilisation précoce de la drogue. Pour les jeunes filles c’est un peu plus tard, à 13 ans et 6 mois. Les trois quarts des jeunes, le chiffre exact est 76,4 %, déclarent avoir consommé de l’alcool au cours de leur vie scolaire.

Si nous précisons les chiffres, parmi les lycéens de 14 à 19 ans, environ 60 % déclarent boire occasionnellement et 10 % plus d’une fois par semaine. Il est vrai que la bière est la boisson alcoolique la plus consommée, ce n’est peut-être pas la plus dangereuse, ni la plus alcoolisée, mais tout de même.

Le tabac, comme vous le savez, nous préoccupe beaucoup, puisque nous constatons que la loi Evin est pratiquement ignorée. 80 % des collégiens n’en ont jamais entendu parler. 63 % des lycéens considèrent que les adultes ne donnent d’ailleurs pas l’exemple dans les lycées, qu’ils ne voient pas pourquoi ils s’obligeraient eux-mêmes à une pratique qu’ils ne voient pas respectée chez les adultes ou chez nos propres personnels.

La consommation de tabac est elle aussi assez précoce, puisque les premiers usages de cette substance se situent vers 14 ans. Elle augmente très rapidement, puisque chez les lycéens nous considérons qu’à peu près un sur deux fume régulièrement.

Nous observons aussi que l’usage quotidien du tabac est plus fréquent chez les filles qu’il ne l’était naguère et que là aussi il y a eu une augmentation extrêmement rapide, l’usage répété pour les adolescentes rejoignant le chiffre que nous avons sur les adolescents, à peu près 4 adolescents sur 10 dès l’âge de 17 ans.

Le troisième point enfin, toujours sur cet état des lieux -je vous prie de m’excuser de donner des chiffres, mais ils permettent de voir un peu les statistiques que nous fournissent nos propres services- concerne les drogues illicites et le cannabis en particulier. L’âge moyen d’entrée dans la consommation se situe un tout petit peu avant 16 ans. Cette drogue est finalement assez souvent consommée, puisque l’on nous dit qu’un tiers de nos jeunes, en particuliers nos lycéens, avouent en avoir consommé au moins une fois au cours de leur vie et nous savons que 15 % en consomment régulièrement. L’augmentation de l’usage du cannabis est tout à fait sensible, puisque entre 14 et 18 ans l’usage du cannabis passe de 14 à 59 % chez les garçons et de 8 à 43 % chez les filles.

Les expérimentations sur les autres drogues, pour autant que nous le sachions, sont assez faibles, même si on nous parle d’une augmentation très perceptible de la consommation des drogues dites de synthèse.

Ces chiffres généraux sont confirmés par la révélation des trafics dans nos établissements. L’an dernier, nous avons arrêté -je ne parle pas de ceux que nous n’arrêtons pas- 741 dealers, qui dans les établissements scolaires pratiquaient le trafic de stupéfiants. Nous avons des chiffres à peu près constants, puisque de septembre à décembre 2001 nous avions arrêté 302 dealers et de septembre à décembre 2002, 285. C’est un peu moins, mais cela reste tout de même des chiffres très importants. Je le répète, je ne parle que de ceux que nous avons nous-mêmes révélés.

En ce qui concerne la polyconsommation, c’est-à-dire le mélange de produits avec des psychotropes, le mélange de tabac et d’alcool, de tabac, d’alcool et de cannabis, les chiffres là aussi sont tout à fait inquiétants. Les trois quarts des expérimentateurs de cannabis restent fumeurs de tabac, dont 55 % régulièrement et la moitié des usagers de cannabis déclarent consommer aussi régulièrement de l’alcool. Nous avons donc là une population que nous finissons par repérer, polyconsommante -si je peux utiliser ce terme-, en tous les cas qui est presque déjà dans la situation addictive.

Quant aux médicaments psychotropes, là nous avons des statistiques moins alarmantes, mais nous sommes surpris de constater que leur utilisation est trois fois plus fréquente chez les filles (29 %) que chez les garçons (10,6 %) à l’âge de 17 ans. Il s’agit d’un usage désordonné, mais restant très important.

Concernant la population scolaire, la France se place par rapport à ses voisins européens parmi les pays de tête, puisque nous sommes à 12 %, pour une moyenne européenne de 10 %.

Pour résumer les grandes tendances nous dirons ceci, et j’en viendrai ensuite au dispositif de réplique : le pourcentage des jeunes ayant consommé au moins une fois du tabac se situe environ à 20 points au-dessus de l’année 1993. L’augmentation de la consommation de tabac reste constante, même si elle est moins signifiante. En 1999, à 18 ans, 59 % des garçons et 43 % des filles déclarent avoir pris du cannabis, contre respectivement 34 % des garçons et 17 % des filles en 1993. D’une manière générale, plus de 99 % des jeunes de moins de 19 ans ont expérimenté au moins une fois un produit psychotrope.

Vous le voyez, ces chiffres ne sont pas bons et, je le répète, ils sont ceux que nos propres logiciels, nos propres enquêtes nous permettent de savoir ; ils sont donc sans aucun doute en deçà de la réalité.

Comment réagir ? Que faisons-nous ? D’abord, évidemment il y a les dispositifs institutionnels, comme vous le savez bien. Peut-être pourrai-je passer un peu vite, car forcément votre commission a eu à en connaître.

Nous travaillons en particulier en collaboration étroite avec la Mission Interministérielle de Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie (MILDT) et notre Direction de l’Enseignement Scolaire (DESCO) a, avec son accord, son aide, en collaboration avec elle, généralisé ce que nous appelons des Comités d’Education à la Santé et à la Citoyenneté dans tous les établissements du second degré.

Ces Comités ont pour tâche essentielle de relayer l’action de la Mission Interministérielle, de créer des partenariats.

Nous avons même expérimenté dans 10 départements la mise en place d’un chef de projet Education nationale, qui auprès de l’Inspection de l’académie est responsable de la lutte générale contre la toxicomanie.

De même, nous avons renforcé notre programme de partenariat avec les services de la santé -je ne sais pas si Jean-François Mattéi a eu le temps de l’évoquer- dans le cadre des programmes régionaux de santé et des schémasrégionaux de santé.

Il existe aussi des dispositifs locaux, auxquels notre ministère est associé. Je pense en particulier au volet éducatif des contrats locaux de sécurité ou les nouveaux contrats locaux de sécurité et de prévention de la délinquance. Madame la Présidente, vous connaissez cela très bien.

Nous y consacrons tout de même quelques sommes, puisque le ministère de l’Education nationale concourt à l’action de la MILDT dans les établissements et la MILDT a décidé de participer à hauteur de près de 3 millions d’euros (fonctionnement et formation) pour l’action de prévention dans nos contrats, dans nos dispositifs locaux. Nous avons donc là une aide importante.

Par ailleurs, évidemment le ministère utilise ses propres ressources pour divers dispositifs, en particulier en finançant l’Observatoire français des drogues et de la toxicomanie, etc.

Indépendamment de ces collaborations, le troisième point, et c’est sans doute le plus important que j’ai à présenter ici, est de savoir ce que nous faisons, ou ce que nous tentons de faire. Quelle est la politique spécifique du ministère pour lutter contre les conduites addictives et contre leur développement ?

L’essentiel de ces mesures on été présentées très récemment, puisque c’est une communication que j’ai faite en Conseil des Ministres le 23 février dernier, dont je vous donnerai, si vous voulez bien Madame la Présidente, ainsi qu’à la Commission, un document complet.

Ces mesures touchent à la santé en général, mais évidemment la prévention des conduites addictives y tient une place prioritaire. Je vais les énoncer succinctement.

Premièrement, nous avons décidé de réorganiser complètement notre programme d’éducation à la santé, qui sera intégré dès l’école primaire, extrêmement tôt sur la totalité du cursus, de sorte que tous les comportements à risque, y compris d’ailleurs la conduite automobile, et spécifiquement évidemment celui des consommateurs de produits illicites et dangereux seront examinés, étudiés. Nous attirerons l’attention de nos jeunes sur ces questions. Autrement dit, nous ne considérons plus que c’est un tabou ; nous ne faisons plus comme si ces choses n’avaient pas lieu.

Deuxièmement, nous mettons en place un plan quinquennal avec la Mission Interministérielle, pour installer dans tous les établissements scolaires au moins un type de partenariat avec une association amie, avec un organisme de lutte quelconque, avec toutes sortes de partenaires pouvant contribuer à sensibiliser les jeunes.

Troisièmement, nous allons organiser dans les années 2003 et 2004 des journées interacadémiques à destination de nos formateurs, de nos coordonnateurs, de nos chefs de projet, de sorte qu’ils aient une véritable connaissance des méthodes de prévention qui existent par ailleurs, mais qui au fond ne sont pas forcément dans les cordes de nos propres cadres, qui ne sont pas habitués à ces questions. En fait, nous allons former nos cadres à la prévention en matière de drogue et de dépendance.

Quatrièmement, et je suis extrêmement ferme sur ce sujet, du moins j’espère pouvoir être entendu, la lutte contre le tabagisme va être conduite avec détermination. Mon objectif est simple, je l’ai répété, je l’ai d’ailleurs dit à nos cadres, il est de considérer que la loi Evin doit strictement s’appliquer dans les établissements scolaires, tant aux personnels qu’aux élèves. L’objectif à terme est d’arriver à des établissements sans tabac.

Des instructions très précises sont actuellement dirigées vers nos chefs d’établissement. Cette application sera évaluée lors des déplacements des corps d’inspection dans les établissements. Vous le savez, nous avons énormément d’inspections, de toute sorte. Ce point sur l’application ou non de la loi Evin devra faire partie systématiquement de l’évaluation d’un inspecteur, que c’en soit un d’espagnol, de mathématiques, peu importe. Quand il vient dans l’établissement, il entre dans sa mission de vérifier que la loi Evin est appliquée.

Il faut aussi que nous tenions compte de ceux qui sont déjà dans la dépendance. Les infirmières des établissementsscolaires pourront proposer aux adolescents, dans le cadre des actions de prévention, des tests de dépendance à la nicotine et leur communiqueront des informations sur l’accès au dispositif de sevrage. Elles auront d’ailleurs la possibilité de délivrer ponctuellement et gratuitement des substituts nicotiniques lorsqu’il sera considéré par le service médical que c’est nécessaire.

Par conséquent, un accord cadre entre les deux ministères, de la Santé et de l’Education nationale, va renforcer de façon visible cette prévention et cette lutte contre le tabac en milieu scolaire. Nous allons même créer dès la rentrée prochaine 20 centres ressources expérimentaux dans des établissements volontaires, qui seront équipés de matériel, de documentation, etc.

Enfin, sixième point, nous voulons travailler sur la loi de 1970, c’est-à-dire faire en sorte que la procédure disciplinaire que prévoit la loi puisse s’appliquer, bref que notre intolérance à la consommation et au trafic se manifeste, non pas évidemment contre l’élève lui-même qui serait en train de consommer, encore qu’il sera évidemment concerné par les procédures disciplinaires, mais surtout en vue de chasser et pourchasser les dealers dans nos établissements, qui seront systématiquement exclus de l’établissement et déférés aux autorités judiciaires ou signalés ainsi. Nous considérons que l’Education nationale ne sait pas et ne doit pas régler en son sein le sort de dealers, quels qu’ils soient, quel que soit leur âge, lorsqu’ils sont avérés comme tels. En revanche, il est de son devoir de remettre aux autorités judiciaires les élèves pratiquant ce type de trafic. Voilà dans quelle disposition d’esprit nous sommes.

Pour l’instant, nous considérons que l’urgence est une mobilisation accrue autour de la santé des élèves, une meilleure prise en compte des facteurs pouvant lui nuire.

Evidemment, nous savons que tout le travail que nous faisons sur le repérage du mal-être des jeunes -car nous ne renonçons pas à notre rôle d’éducateur et à notre mission de prévention, sur l’éducation et la santé- est une condition de réussite scolaire mais aussi de protection des enfants, qui sont les plus susceptibles de céder à ces tentations. Nous considérons donc que l’école, en liaison étroite avec les familles, a une mission particulière dans ce domaine et que contribuer à la prévention des conduites à risque constitue une de ses missions essentielles.

Voilà, Madame la Présidente, pour ce préambule. Je suis évidemment à votre disposition pour répondre à des questions, si je peux.

Mme la Présidente.- Merci Monsieur le Ministre pour votre exposé, la clarté de vos propos et la volonté que vous affichez de mettre fin à ce qui se passe dans les établissements scolaires.

Vous nous avez annoncé des chiffres. Vous avez dit que c’était ceux que vous connaissiez, mais qui étaient probablement bien en dessous, qu’ils étaient alarmants. Je crois, et chacun l’a compris, qu’un réel travail de terrain est à faire. Nous ne doutons pas de votre volonté et des moyens que vous mettrez en oeuvre pour parvenir à ce que tout cela cesse.

M. PLASAIT, Rapporteur.- Merci Monsieur le Ministre de votre exposé, notamment des chiffres que vous nous avez donnés.

Pour compléter peut-être un peu cet état des lieux, encore que bien sûr si vous ne pouvez pas y répondre là d’une façon précise, vous pourriez bien entendu nous apporter quelques précisions par écrit par la suite, d’abord, tout simplement, existe-t-il des indicateurs précis permettant d’assurer un suivi régulier de la consommation de drogue d’une manière générale, comme vous le dites, dans les établissements scolaires ? Si ces indicateurs n’existent pas, avez-vous l’intention d’en mettre en place ?

J’ai une question sur l’évolution depuis une dizaine d’années. Avez-vous des chiffres là-dessus ? Existe-t-il une différence de nature et d’intensité de ces phénomènes selon le type d’établissement et selon le degré ? Certaines académies sont-elles plus touchées que d’autres ?

Enfin j’avais une question sur la loi Evin, mais vous y avez répondu.

M. DARCOS.- En ce qui concerne les indicateurs, oui nous avons un système d’alerte, qui s’appelle SIGNA, relativement sophistiqué, qui dépend des chefs d’établissement eux-mêmes, qui le remplissent régulièrement et qui nous permet d’avoir une vue assez nuancée finalement sur les divers problèmes de violence, de déviances en tous genres. Dans ce logiciel, se situent les informations régulièrement suivies en ce qui concerne la consommation de drogue, nous avons donc des indications chiffrées relativement précises.

Vous me posiez une question sur le fait de savoir si cela avait augmenté ou pas. Je l’ai dit précédemment. Je ne vais pas revenir sur les chiffres. Mes deux dates étaient 1993 et 1999. Cela montrait en effet une augmentation extrêmement sensible. J’indiquais qu’en 1999, 59 % des garçons et 43 % des filles disaient consommer du cannabis. En 1993, ils n’étaient que 34 % des garçons et 17 % des filles. Là, nous avons donc des chiffres tout à fait inquiétants. Pour les filles, nous sommes passés de 17 % à 43 % en six ans.

Existe-t-il des établissements, des lieux, des académies, des territoires plus susceptibles d’accueillir des consommateurs ? La réponse est évidemment oui. Ce sont les mêmes établissements, les mêmes lieux qui nous posent tous les problèmes, car tout est lié : échec scolaire, intégration, violence sous toutes ses formes, violence sexiste, réapparition du communautarisme, drogue. Tout cela va ensemble.

Il y avait aujourd’hui même dans un journal du soir, que chacun connaît bien, une étude sur la Seine-Saint-Denis, faisant apparaître les difficultés principales de cette académie, même sans doute un peu exagérées. Evidemment, un paragraphe est consacré à la drogue.

Ce sont les mêmes lieux qui nous donnent les mêmes soucis. Ce sont aussi ceux sur lesquels nous avons le plus à agir. Il ne s’agit pas dans mon esprit d’évoquer là l’ostracisme ou la dénonciation de qui que ce soit, mais de constater que l’action éducative est plus que nécessaire dans ces endroits. Ce sont ceux où la drogue existe le plus.

Nous constatons deux phénomènes : le premier évidemment est que nous voyons très bien la porosité de l’établissement par rapport au quartier (intrusion, va-et-vient de ceux qui viennent de l’extérieur pour quelques trafics). Ce sont ces établissements que nous avons beaucoup de mal à sécuriser et pour lesquels d’ailleurs nous sommes plutôt favorables à l’idée d’une clôture, même si certains la dénoncent.

Par ailleurs s’organise une sorte d’économie parallèle, qui a des effets tout à fait négatifs sur l’image de la culture scolaire. J’ai moi-même, au cours d’une visite dans un petit collège de la banlieue de Toulouse, en parlant avec des professeurs d’élèves de 6ème, entendu dire ceci : "Vous comprenez, ce jeune garçon, en n’étant pas en classe mais devant l’établissement et en faisant simplement le guet pour surveiller l’arrivée éventuelle de policiers ou d’éducateurs, pour permettre le trafic, gagne 150 francs par jour. Pourquoi voulez-vous qu’il ait l’idée de la réussite scolaire ? Il gagne presque autant que son père qui est RMIste." Nous voyons donc très bien que dans ces quartiers il y a une espèce de fusion entre une sorte de culture parallèle, de culture de quartier et l’établissement, qui nous crée beaucoup de soucis évidemment.

M. PLASAIT.- Je vous remercie.

Dans le cadre de l’information, prévention, évidemment très importante en milieu scolaire, dont d’ailleurs on nous a dit qu’elle devrait commencer très tôt, dès le CM, j’ai compris évidemment à travers vos propos quelle pouvait être votre philosophie.

J’emploie ce mot et je pose cette question parce qu’évidemment j’étais un peu préoccupé quand je regardais les différents documents qui ont été publiés dans les années précédentes, notamment un bulletin de l’Education nationale que j’ai ici, le n° 9, dans lequel on trouve des phrases à la fois éloquentes et un peu inquiétantes, telles que : "La prévention est aussi apprendre à se confronter aux risques. Il faut s’attacher davantage au comportement qu’aux produits consommés", qui appelait une réflexion des élèves et du corps enseignant sur ce qui relève d’une prise de risque acceptable. Tout cela était en quelque sorte la doctrine officielle de l’Education nationale, puisque cela paraissait dans un bulletin officiel.

Je n’imagine pas que vous ayez cette même conception et cette même philosophie. D’une façon pratique, concrète, quelles orientations avez-vous données à la MILDT de telle manière que dans son approche, il y ait quelque chose de différent de ce qu’elle a pu avoir dans le passé à cet égard, pour le prochain plan triennal ?

M. DARCOS.- Concernant le bulletin que vous évoquez en particulier, il a été décidé de refaire entièrement ces documents. Ceux-ci sont annulés. Pour nous, ils ne correspondent pas à la doctrine de ce ministère. En accord avec la MILDT et avec les partenaires, ils sont actuellement en cours de réécriture. Ils ont une approche radicalement différente, éducative, non pas à partir du CM, comme vous le disiez Monsieur le rapporteur, mais très tôt, à partir du CP. Nous considérons que tout le circuit scolaire doit évoquer cela.

Quand nous parlons d’éducation à hauts risques, il ne s’agit pas d’éduquer les jeunes à prendre des risques, même pas celui de fumer une cigarette, mais au contraire de leur apprendre que ce n’est pas en prenant des risques inutiles en tout cas que l’on se grandit.

De même que nous luttons par exemple, pour donner une autre comparaison, contre l’image de la voiture rapide et violente. En effet, nous considérons que la prise de risque d’aller vite n’en est pas une qui grandit celui qui la choisit.

Nous allons donc refaire entièrement les documents. Notre doctrine est plutôt évidemment de n’avoir aucune complaisance vis-à-vis de ce type d’expérimentation, autant qu’il est possible évidemment, de le formuler dans un cadre scolaire, car nous ne pouvons pas entrer dans les familles. Nous restons dans notre mission scolaire.

En tous les cas, les BO seront entièrement refaits. Je pense d’ailleurs qu’ils seront dans leur nouvel état dès la fin de l’année civile et opérationnels pour l’année 2003-2004, si je ne m’abuse.

M. PLASAIT.- Merci beaucoup.

J’ai une dernière question concernant les CESC. Finalement, c’était une très bonne idée qu’avait eue le Premier Ministre de l’époque, je crois que c’était en 1990, où Lionel Jospin avait institué les Comités d’Environnement Social. Cela a échoué parce que l’on ne s’était pas donné les moyens que cela fonctionne. Ils ont été remplacés, je crois que c’était sous le ministère de M. Allègre, par les Comités d’Education à la Santé et à la Citoyenneté. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, cette bonne idée n’a sans doute pas eu de bons résultats parce que les moyens, la mise en place n’a pas été réelle, sauf à croire ce que disent les documents officiels, à savoir que 75 % des établissements seraient effectivement équipés. Cependant, d’après ce que nous entendons dire, à la suite des différentes auditions et visites, nous serions loin du compte. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?

M. DARCOS.- Je ne peux que me référer aux chiffres officiels que me donnent mes propres services, à savoir que les Comités d’Education à la Santé et à la Citoyenneté sont actuellement implantés dans 73,7 %, c’est-à-dire pratiquement les trois quarts. Il est possible que certains soient plus ou moins en sommeil. Le but est précisément de les réactiver, comme je l’ai dit.

Je crois difficile de contester ces chiffres, parce qu’ils sont faits à partir de documents circulant depuis l’établissement lui-même. Je ne vois pas des proviseurs nous envoyer des documents en disant : "J’ai un CESC, il n’existe pas."

M. PLASAIT.- La question est : fonctionne-t-il ?

M. DARCOS.- En tous cas, notre volonté de les réactiver est absolue. Il est vrai que certains étaient peut-être en sommeil, c’est évident, d’où l’idée que l’inspecteur de l’académie, à chaque rentrée, le réunisse et le préside. Nous sommes ainsi certains qu’il sera activé à chaque rentrée. C’est la décision que nous avons prise. Nous vérifierons qu’à chaque rentrée il est installé et animé, réanimé.

M. PLASAIT.- J’ai une dernière question, qui m’est inspirée par ce que vous disiez tout à l’heure sur ce caractère insupportable de voir les revendeurs, les dealers quelquefois à l’intérieur de l’établissement, ou à la périphérie de celui-ci, ce qui détruit évidemment le message pédagogique que l’on peut envoyer, qui est la mission même de l’Education nationale.

Seriez-vous favorable au fait que la législation française évolue vers ce qui existe aux Etats-Unis, c’est-à-dire vers l’idée de la circonstance aggravante lorsqu’une infraction à la législation sur les stupéfiants est commise dans un périmètre proche de l’école ?

M. DARCOS.- Je peux répondre à titre personnel, à défaut d’avoir concerté ma réponse avec mon collègue Luc Ferry. J’y suis favorable et d’ailleurs pas seulement pour la drogue, parce que d’une manière générale je trouve que s’organise autour des établissements scolaires une sorte d’activité illicite qui n’est pas seulement celle de la drogue. Cela attire là toute sorte de racketteurs.

Je trouve que cela fait partie de notre devoir en effet de considérer que le périmètre où circulent des jeunes, jusqu’à l’endroit où ils vont prendre le bus doit faire l’objet d’une attention particulière et en effet qu’il puisse y avoir une circonstance aggravante à être dealer ou racketteur lorsque l’on est près d’un établissement scolaire et que l’on s’adresse à des mineurs.

M. PLASAIT.- Merci Monsieur le Ministre.

M. LANIER.- Je vous poserai une question un peu simple, mais qui me taraude depuis très longtemps parce que j’assiste à des Conseils d’Administration de plusieurs lycées dans mon département ou collège. C’est le rapport entre l’Education nationale et les familles, c’est-à-dire une entité de plus en plus inexistante, me semble-t-il, comme interlocuteur, avec des parents d’élèves souvent très agités dans les réunions, mais qui sur le plan de la coopération avec l’Education nationale et entre autres sur le problème qui nous intéresse, la drogue, me paraît quand même pouvoir faire l’objet de progrès. Comment pourrions-nous les réaliser ?

M. DARCOS.- Mon ami Lucien Lanier me pose une vaste question. Ce qui est certain, c’est que le consensus entre la famille et l’école, qui a fondé au fond l’école républicaine, a beaucoup perdu de son intensité dans ces dernières années, pour deux raisons.

La première est d’abord parce que la famille a changé (familles monoparentales, éclatées, enfants qui ne savent plus très bien avec qui ils vivent).

J’ai moi-même fait l’expérience dans une école maternelle, en dernière année, de voir que beaucoup d’enfants ne savent plus quel est leur lien de parenté avec les personnes qui les attendent à la sortie de l’école. Quand vous demandez à un enfant qui vient le chercher, il répond : "C’est Jean-Pierre." Quand vous lui demandez qui est-ce, il répond : "C’est la personne qui vit avec maman." Ils s’y perdent un peu.

Quand on parle de la famille aujourd’hui, on parle de quelque chose qui n’a évidemment pas du tout le même caractère que ce que qui existait à l’époque de Jules Ferry, qui recommandait aux instituteurs de se conduire en pères de famille.

Deuxièmement en ce qui concerne les parents, il faut bien dire clairement que nous voyons des parents plutôt que les parents. Nous voyons même des fédérations de parents plutôt que les parents. Nous en voyons particulièrement une, la Fédération de Conseil de Parents d’Elèves, contre qui je n’ai rien à titre privé, mais dont nous voyons bien que l’activité a un caractère très marqué par l’ambiance politique, qui se conduit plutôt avec nous dans un rapport syndical plutôt qu’en communion autour de valeurs partagées. Je n’ai pas à en juger, je l’observe simplement.

Bien sûr il faut associer les familles, s’adresser aux associations familiales. Bien sûr, nous ne pouvons pas lutter contre des difficultés se posant à l’école sans connaître l’environnement familial. Il faut que nous établissions plus de contacts avec elles, mais je le répète, c’est devenu de plus en plus difficile. Nous manquons un peu de personnel spécialisé dans ce domaine.

Je crois que de ce point de vue la décentralisation, va donner une cohérence aux politiques départementales en matière de santé, d’action sociale, de prévention, les assistantes sociales, la médecine scolaire. Tout ceci sera repris au niveau départemental. Je pense que cela permettra à l’école de conserver évidemment à cet égard toutes ses missions, mais d’avoir là un système plus réactif, du moins je l’espère.

Mme la Présidente.- Merci Monsieur le Ministre.

M. CHABROUX.- Monsieur le Ministre, comment cela se passe-t-il d’une manière concrète lorsqu’il y a un problème de drogue important dans un établissement (consommation, deal) ? Comment cela se passe-t-il avec la police, avec la justice ? Vous avez dit que ce n’était pas à l’Education nationale de traiter jusqu’au bout ces problèmes, qu’il fallait s’en remettre aux autorités judiciaires, mais quelle est la coopération ? La police peut-elle venir ? Y a-t-elle accès ? L’Education nationale ne se replie-t-elle pas un peu sur elle-même ? Le chef d’établissement, le corps enseignant ne cherchent-ils pas à traiter eux-mêmes le problème et à ne pas le faire transparaître à l’extérieur ? Je pose cette question. Maintenant, y a-t-il une ouverture un peu plus grande de l’école et une meilleure collaboration avec la police et la justice ?

M. DARCOS.- Monsieur Chabroux, je crois que les choses ont beaucoup évolué à cet égard. Il y a encore une quinzaine, même une dizaine d’années, l’idée que des uniformes apparaissent dans les cours de récréation, que les professeurs discutent avec un commissariat, tout ceci paraissait quand même obliger des entités ennemies à se croiser, en tous les cas sinon ennemies, du moins très séparées.

Les choses ont beaucoup changé. La plupart des établissements scolaires qui sont dans des zones sensibles, dans des ZEP, classés sensibles sont habitués à travailler avec le commissariat, avec la protection judiciaire de la jeunesse, avec tout ce qui se fait en matière d’action sociale ; ils sont donc habitués à se voir. Ils ont même d’ailleurs des réunions formelles à cet égard régulièrement en ce qui concerne les ZEP et les établissements sensibles. En conséquence, la collaboration est meilleure.

Je crois que lorsque vraiment un cas avéré non pas de consommation mais en tous les cas de trafic apparaît, l’établissement n’hésite pas à faire appel à la police et à remettre le cas à la protection judiciaire de la jeunesse, qui en fait ensuite son affaire.

En revanche, vous avez certainement raison pour ce qui est d’un jeune vu pour une fois avec une cigarette de cannabis. Il est tout à fait possible en effet que l’établissement cherche à régler la chose par lui-même, qu’il considère qu’il s’agit encore de son acte éducatif, que ce n’est pas la peine d’alerter tout le monde, que cela mérite en tout cas d’être regardé avec circonspection. Il a donc établi des contacts avec les familles, avec l’environnement social pour savoir ce qui se passe là-dessous. C’est le rôle de nos conseillers principaux d’éducation, qui font cela fort bien et celui des assistantes sociales.

C’est aussi beaucoup -et je tiens à le signaler devant la Commission, celui de nos infirmières, qui ont beaucoup plus un rôle de prévention et de médiation que de distribution de soins. Voilà, je crois, comment les choses se passent.

Mme la Présidente.- Monsieur le Ministre, avant de donner la parole à M. le rapporteur, je voudrais vous parler quand même de la formation des instituteurs dans les ZEP. Dieu sait que j’en parle aussi en connaissance de cause, puisque j’ai la "chance" d’avoir toute ma ville en ZEP.

Nous avons des jeunes qui ont beaucoup de valeurs, mais qui sont quelquefois démobilisés vu la dureté des ambiances de la ville par moments.

Je crois aujourd’hui que comme les parents, ces jeunes instituteurs qui sortent de l’IUFM sont peut-être un peu non pas en manque d’informations mais de formation. Les parents n’osent pas aborder la question de la toxicomanie ou de la consommation, parce que pour la famille cela reste un sujet encore tabou.

Ne pensez-vous pas que nous pourrions donner aux jeunes sortant de l’IUFM une formation spécifique, afin qu’ils puissent chaque matin, chaque semaine ou chaque mois, dans leur cour, avoir une heure d’explications claires pour dire ce qu’est la drogue, quels dangers elle présente, vraiment quelque chose de concret ? Je ne suis pas sûre qu’ils soient préparés à cette réalité. Ne serait-ce pas à envisager ?

M. PLASAIT.- Puis-je compléter ?

Mme la Présidente.- Oui, bien sûr, Monsieur le rapporteur.

M. PLASAIT.- Merci Madame la Présidente. C’est une idée un peu complémentaire, une question jointe. Sauf si je me trompe, mais d’après ce que j’ai compris, il n’y a pas eu beaucoup d’opérations de grande envergure du point de vue de l’information prévention dans des établissements scolaires et quand elles ont lieu, c’est le plus souvent le fait d’intervenants extérieurs. Il faudrait sans doute que ce soient les enseignants eux-mêmes qui se sentent concernés par ce problème d’information prévention et qui, étant motivés, dispensent eux-mêmes la bonne parole.

Mais n’a-t-on pas encore un problème de ce point de vue du fait même d’une sorte de culture chez beaucoup d’enseignants qui les prédispose à avoir une certaine complaisance vis-à-vis par exemple du cannabis ? N’y a-t-il pas une imprégnation d’une partie du corps enseignants d’une culture qui ne les prédispose pas à avoir envie de diffuser ce message de prévention ?

M. DARCOS.- Ce sont deux questions différentes. L’une est plus concrète que l’autre, j’y répondrai plus nettement.

En ce qui concerne la formation des IUFM, il est vrai qu’il n’y a pas de formation systématique à toutes ces questions, pour la bonne raison que les IUFM sont généralistes et qu’il n’est pas certain que nos futurs professeurs se retrouveront dans des situations d’avoir à en connaître finalement. Cependant, nous avons décidé en effet, dans le cadre du plan santé, d’ajouter des modules de formation sur ces questions.

Par ailleurs, nous avons proposé que les professeurs qui seront affectés dans ce que nous appelons les PEP, les postes à exigences particulières, en échange du fait qu’ils restent trois ans dans cette mission aient un accompagnement, une formation continue à toutes ces questions. L’idée au fond est de faire en sorte que les jeunes professeurs nommés dans des zones difficiles et qui auront des exigences particulières restent quelque temps, se stabilisent, voire qu’ils arrivent à plusieurs du même lieu de formation, en équipe et habitués à travailler ensemble et qu’ils aient une formation spécifique à ces questions. D’ailleurs, ils la réclament.

Je pense que là aussi le système est assez réactif. Nous en parlons avec les directeurs de nos IUFM. Je crois que grâce à l’aide du plan santé, nous allons pouvoir mieux y préparer nos professeurs.

Pour ce qui est des mentalités profondes de nos enseignants face à la consommation de cannabis en particulier, je ne sais pas s’il faut généraliser. Toute une génération d’enseignants est arrivée au moment de la massification, au moment où nous avons eu de grands besoins en matière de personnel, c’est-à-dire dans les années 1970. A cette époque, je le rappelle, on construisait en France un collège par jour. Nous avons eu là des générations très importantes de jeunes gens qui avaient fait leurs études avant ou après 1968 et de ce point de vue je rejoins parfaitement l’analyse de mon collègue et ami Luc Ferry, sur le fait qu’il y a eu une imprégnation mentale de cette époque.

Les enseignants entrés à cette époque sont ceux qui partiront à la retraite dans les 20 années à venir. Je crois donc que le renouvellement qui se dessine, qui va être très important puisque nous allons renouveler 40 % de nos personnels entre maintenant et 2010, soit 400 000 personnes tout de même, permettra de faire évoluer les mentalités, à supposer, ce que je ne dis pas, qu’il y ait une complaisance majoritairement chez nos enseignants face à la consommation du cannabis. C’est à supposer que ce soit le cas.

En tout cas il y a devant nous un très joli pari, qui est de renouveler de manière très importante nos personnels et de voir arriver des jeunes gens, de futurs professeurs qui auront une mentalité je crois beaucoup plus consciente de l’évolution récente des événements que ne pouvaient avoir des personnes qui sont entrées à l’école à une époque où tout cela était quand même très rare, épisodique.

J’ai été enseignant pendant très longtemps. J’ai commencé moi aussi d’ailleurs après 1968, puisque c’était en septembre 1968, date fatidique. Franchement, cela n’existait pas. Je ne connaissais pas d’élèves qui fumaient du cannabis. Cela n’existait pas. Nous avons bien été obligés de nous adapter. Je crois que nos personnels s’adapteront, parce qu’ils aiment les élèves, parce qu’ils savent où est l’intérêt des jeunes et parce qu’ils veulent essayer de venir à leur secours.

M. PLASAIT.- Merci Monsieur le Ministre.

Mme la Présidente.- Merci infiniment Monsieur le Ministre. Nous vous souhaitons aussi beaucoup de courage, parce que je crois que vous avez énormément de travail.


Source : Sénat français