La présidente rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d’enquête et fait prêter serment à M. Lavacquerie.

Mme Nelly OLIN, Présidente - Je pense que vous avez un exposé à faire. En combien de temps tient-il ?

M. François-Georges LAVACQUERIE - Quinze à vingt minutes.

Mme la Présidente - Il serait souhaitable qu’il ne dépasse pas dix minutes, si vous le voulez bien, pour permettre au rapporteur et aux membres de la commission de vous poser un certain nombre de questions.

M. François-Georges LAVACQUERIE - Parfait. Je ferai donc quelques ellipses dans mon discours et, pour un certain nombre de points que je prévois polémiques, je répondrai aux questions.

Mme la Présidente - Je vous remercie et je vous donne la parole.

M. François-Georges LAVACQUERIE - Je remercie d’abord le Sénat et sa commission de nous avoir auditionnés. Cela témoigne de l’ouverture d’esprit du Sénat et de son désir d’entendre toutes les parties en cause, notamment les fumeurs, qui sont les premiers visés par la législation sur les stupéfiants.

Nous avons suivi avec intérêt les travaux de votre commission à la télévision et sur Internet, comme nous avons suivi d’ailleurs ceux de vos homologues canadiens, que nous avons beaucoup appréciés et étudiés.

Nous avons également été intéressés par ce que nous avons entendu, mais aussi parfois un peu inquiets, parce qu’il nous a semblé que le cannabis était, trop souvent à notre goût, présenté d’une façon particulièrement sévère, parfois même caricaturale, voire apocalyptique. Nous avons donc un peu l’impression d’être ici l’avocat du diable. Je vous rassure : c’est un bon diable et ce sont des choses que je vais essayer de vous démontrer.

Je vais vous préciser rapidement ce qu’est notre association. Nous existons depuis dix ans, nous avons 2 000 ou 3 000 adhérents répartis sur toute la France et l’objet de notre association est l’information sur le cannabis, que ce soit d’un point de vue agricole, médical ou récréatif, sur son statut légal et sur les problèmes que cela pose aux gens qui en consomment et qui sont, de ce fait, dans l’illégalité.

Notre groupe s’est créé en réaction à la stigmatisation des fumeurs et à des idées reçues trop souvent négatives sur le cannabis, et il vise à faire respecter un certain nombre de droits et de libertés. Pour nous, le fait d’user du cannabis est simplement l’exercice d’une liberté personnelle fondamentale, et nous nous référons pour cela à l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme, qui précise que la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Nous estimons que la consommation de cannabis n’excède pas ce genre de limite et qu’elle est comparable à celle de l’alcool ou du tabac.

Par ailleurs, nous avons beaucoup réfléchi sur la législation actuelle et sur ce que nous pensons souhaitable, tant pour les fumeurs que pour la société.

L’un des points qui fait que le cannabis est si facilement diabolisé, c’est son statut assez ambigu. C’est la drogue la plus illicite dont la consommation est la plus répandue, tant en France que dans le reste du monde : l’ONU estime qu’il y a environ 147 millions de consommateurs dans le monde et, rien que dans notre pays, 9,5 millions en ont déjà fait l’expérience. On peut évaluer en outre le nombre de consommateurs à un, deux ou trois millions, selon qu’ils sont occasionnels ou réguliers, ce qui fait beaucoup de monde. C’est un point particulièrement sensible pour la société, puisque ce caractère est particulièrement net dans la jeunesse. En effet, 55 % des jeunes garçons de 17 ans ont déjà essayé ce produit et 45 % des filles du même âge ont fait de même.

Le cannabis est une drogue qui est très ancienne, probablement la plus ancienne utilisée par l’humanité, mais également la plus neuve parce que, en Europe et en France, sa consommation est récente. C’est également une drogue qui a été évaluée de très nombreuses fois. La première, à l’époque moderne, est la commission anglo-indienne, et de nombreuses commissions ont ensuite travaillé sur ce point pour aboutir invariablement à la conclusion qu’il était très peu dangereux. Cette faible dangerosité n’implique pas une absence de dangerosité, mais, comparée à d’autres drogues, elle est assez peu dangereuse.

En dépit de tout cela, c’est la drogue la plus plébiscitée et celle qui focalise beaucoup d’inquiétudes dans la société. Je pense que c’est dû au fait de la nouveauté de cette consommation en Europe et à la jeunesse des gens qui en consomment.

Récemment, mon prédécesseur en ces lieux, le ministre de l’intérieur, a donné son sentiment sur la loi de 1970, qui est l’objet, entre autres, de vos débats, estimant que celle-ci était une vieille loi mal appliquée et inapplicable et qu’il y avait urgence à la reprendre ou à la modifier. Il a également dit qu’il trouvait cette loi trop sévère en ce qui concerne les consommateurs, bien que M. Sarkozy ne passe pas pour excessivement laxiste. Sur tous ces points, nous sommes d’accord avec lui, mais nous jugeons les remèdes qu’il a proposés dangereux ou ambigus.

Il a évoqué deux possibilités : celle des amendes et les alternatives à l’emprisonnement. Les alternatives à l’emprisonnement auraient le même inconvénient que les poursuites actuelles : celle d’embouteiller la justice. Le ministre avait souligné que, sur les 71 000 personnes interpellées, seules 9 % avaient été punies, selon le mot qu’il avait employé, par la justice. Si on mettait des peines alternatives à celles de la prison, cet embouteillage ne serait pas corrigé et rien ne dit que les juges donneraient plus de peines alternatives qu’ils ne donnent de peines de prison.

Notre sentiment, c’est que si cette répression est excessive et si elle paraît au contraire trop faible aux yeux du ministre, il n’en demeure pas moins qu’elle est assez injuste. En effet, 90 % des gens ne sont pas punis, ce qui, d’après le ministre, signifie qu’ils sont dépénalisés de fait.

Nous pensons, nous, qu’il ne s’agit pas là d’un laxisme des juges mais de l’appréciation de la justice que 90 % de ces affaires ne méritaient pas de poursuites réelles et qu’il n’y avait pas là de quoi fouetter un chat. Il n’empêche que ces affaires ont occupé à notre avis d’une manière excessive les services de police et de justice.

Une répression apparemment moins sévère mais plus systématique serait-elle de nature à obtenir plus de résultats ? Il faudrait avant tout se poser la question de savoir quel résultat on veut obtenir. Si on veut faire régresser les consommations, l’expérience des législations qui ont été tentées dans divers pays montre que, selon que la législation est sévère ou laxiste, les résultats sont à peu près les mêmes, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de corrélation entre la sévérité des peines et des politiques et le niveau de consommation.

L’exemple bien connu et paradoxal, c’est la comparaison entre la France, pays qui est parmi les plus répressifs d’Europe, et la Hollande où, sans être légale, la consommation et l’achat de petites quantités pour les consommateurs est libre : la Hollande a un taux de consommateurs plus faible que celui de la France.

Notre association, le CIRC, qui a beaucoup réfléchi à ces questions, a fait des propositions dans ce petit livre que nous avons envoyé aux députés il y a cinq ans assorti d’un joint, ce qui nous a valu un procès et une publicité certaine.

Il nous a semblé d’abord qu’il fallait revenir sur la pénalisation des drogues en général, qu’il s’agissait, tant qu’il n’y avait pas péril pour autrui, de l’exercice d’une liberté fondamentale, que l’Etat sortait de son rôle en voulant prescrire des conduites individuelles et que nous souhaitions une politique de l’Etat plus neutre et plus respectueuse des libertés individuelles et publiques.

Nous proposons donc une réglementation. Nous avons le souci de faire du neuf, c’est-à-dire que la législation ne pénalise pas les consommateurs de certaines drogues comme le cannabis au détriment d’autres, et également de bâtir un cadre qui ne mette pas les consommateurs dans les mains des marchands.

D’une manière très précise, nous avons parlé de l’auto-production et du cannabistrot. L’auto-production est le sous-produit de la répression, c’est-à-dire que beaucoup de fumeurs finissent par cultiver eux-mêmes leur produit dans des jardins ou des placards, ce qui est très intéressant car on évite ainsi la plupart des inconvénients du marché illégal : ce n’est pas très cher, le produit est bien connu, on ne s’expose pas à des poursuites judiciaires et il n’y a pas de trafic.

Cela dit, tout le monde n’ayant pas la main verte ou un jardin, nous avons pensé qu’il serait bon qu’il y ait un système légal de distribution. Pour cela, nous n’avons pas fait des plans sur la comète ni des projets chimériques ; nous nous sommes fondés sur deux éléments : le système du cannabistrot hollandais et le régime des alcools et tabacs en France.

Le système hollandais fonctionne depuis vingt ans et permet d’empêcher que les mineurs consomment, de tempérer la consommation et de faire en sorte que les consommateurs ne soient pas en contact avec les systèmes délinquants. En dépit du fait que toute l’Europe déboule à Amsterdam, c’est un système qui marche bien. Il souffre de deux contradictions : le fait que le commerce en gros est interdit et donc que l’approvisionnement de ces lieux est illégal ; le fait d’être isolé, ce qui fait, comme je l’ai dit, que tout le poids de cette consommation retombe sur Amsterdam.

Nous proposons donc une extension au cannabis du régime des alcools et tabacs, avec une licence particulière et des restrictions à l’entrée aux mineurs (16 ou 18 ans, cela se discute), aux droits de publicité et aux droits de marque, ainsi que la vente en vrac. C’est notre expérience qui nous a amenés à proposer la vente en vrac. En effet, nous avons constaté que, lorsque les gens avaient leur compte, ils ne faisaient plus de pétards et qu’en revanche, s’ils avaient un paquet, comme on a des paquets de cigarettes, la consommation serait plus élevée. Nous avons donc pensé qu’il serait bon de n’autoriser que la vente en vrac, la gourmandise étant freinée par la paresse. Cet équilibre des vices nous paraît tout à fait appréciable.

Enfin, nous avons pensé qu’il serait bon que des mesures permettent d’orienter ce marché vers un système qui ressemblerait plus à celui du marché des vins, avec ses coopératives, ses cépages et ses appellations contrôlées, qu’à celui de la bière, avec ses marques internationales qui ont recours à beaucoup de publicité.

Ce sont des problèmes concrets et des solutions concrètes. J’aurais voulu parler de deux autres choses...

Mme la Présidente - Si vous le voulez bien, nous allons laisser la parole au rapporteur, puis aux commissaires ici présents, et si le temps nous le permet, vous pourrez ajouter quelques mots.

M. François-Georges LAVACQUERIE - Excusez-moi d’avoir peut-être été un peu trop long.

M. Bernard PLASAIT, Rapporteur - Merci, monsieur, de votre exposé. Nous comprenons mieux votre position. Vous dites que le cannabis est un bon diable. J’espère que ce bon diable ne conduira pas vers des enfers artificiels. La question est justement celle de la dangerosité. Nous ne voulons ni diaboliser, ni banaliser ; nous voulons savoir lavérité. A aucun moment, je crois, nous n’avons fait une présentation apocalyptique du cannabis, puisque ce sont les gens que nous avons auditionnés qui nous ont alertés sur les dangers de ce produit.

Or il me semble maintenant tout à fait clair que la communauté scientifique est totalement d’accord sur un certain nombre de points et discute sur quelques autres points. Sur les effets immédiats du cannabis et sur les effets à long terme, tout le monde est d’accord, y compris le professeur Roques, que nous avons auditionné. C’est d’ailleurs indiqué noir sur blanc dans le rapport de l’Inserm, qui a fait suite au rapport Roques.

Ma question est donc toute simple : mettez-vous en doute cette réalité de la dangerosité du cannabis ou non ?

M. François-Georges LAVACQUERIE - Cette question de la dangerosité est très relative. Le cannabis est une drogue et il y a des risques avérés, le premier étant le risque pulmonaire : que l’on fume de l’herbe, du gazon, du cannabis ou du tabac, il est clair que ce n’est pas bon pour la santé.

Il a aussi un certain nombre d’effets psychiatriques, mais ces effets sont peu nombreux et le rapport de la commission du Sénat canadien a conclu que les consommateurs récréatifs couraient peu de risques, à court et à moyen termes, que ce soit du point de vue de la santé mentale ou physiologique ou du point de vue social.

Il me semble que, de toutes les drogues dont on parle, à part peut-être le thé ou le café, le cannabis est la moins dangereuse et que cela doit être entendu.

M. le Rapporteur - Pardonnez-moi de vous interrompre. Vous nous parlez là en effet des éléments de dangerosité sur lesquels il y a encore interrogation d’une partie de la communauté scientifique, mais vous passez sous silence ce que l’on écrit, par exemple, dans le rapport de l’Inserm :

"Effets immédiats : la prise de cannabis altère de manière réversible certaines performances psychomotrices et cognitives. A la dose induisant somnolence, euphorie et sensation de bien-être (c’est-à-dire des petites doses) s’associent déjà une altération de la perception temporelle, des troubles de la mémoire et une incapacité à accomplir certaines tâches et, lorsque la prise est plus importante, des troubles du langage et de la coordination motrice..."

Cela veut dire que la communauté scientifique, à travers le rapport de l’Inserm, a signalé le fait que cette dangerosité immédiate du cannabis peut avoir des effets sur l’individu, mais aussi sur autrui, et c’est là que la liberté individuelle s’arrête.

M. François-Georges LAVACQUERIE - Ce que vous décrivez là revient à expliquer en termes médicaux et scientifiques ce que les fumeurs appellent l’effet "high". Il est très clair que le cannabis modifie la perception de l’espace et du temps et altère la mémoire et que l’on peut en parler en ces termes scientifiques, mais c’est simplement la description de l’effet qui est recherché par les fumeurs. Cet effet n’est pas dangereux. Il est réel, mais cela ne veut pas dire pour autant qu’il est dangereux.

Par ailleurs, quelle que soit la dangerosité d’une drogue, avérée ou non, cela ne justifie pas en soi son interdiction : l’alcool tue 40 000 personnes chaque année, il est impliqué en outre dans des dommages causés à autrui très importants et bien documentés et il n’est pas pour autant interdit. Son usage est simplement régi et restreint par un certain nombre de dispositions.

Quant au tabac, qui tue 68 000 personnes par an, il est en vente libre absolue.

M. le Rapporteur - Je suis d’accord avec vous : alcool et tabac sont deux fléaux sociaux. Faut-il en ajouter un troisième ?

M. François-Georges LAVACQUERIE - Il n’y a pas besoin de l’ajouter. Il est là et les chiffres de l’Etat en témoignent : il y a des millions de personnes qui fument.

M. le Rapporteur - Je suis désolé, mais vous ne pouvez pas dire qu’il y a des millions de personnes qui fument. Vous pouvez dire ce que disent les statistiques officielles, c’est-à-dire que 7 millions de personnes, en France, ont fumé du cannabis au moins une fois.

M. François-Georges LAVACQUERIE - Absolument.

M. le Rapporteur - Mais en termes de consommation régulière ou fréquente, on est très loin de cela, puisque les fumeurs quotidiens sont estimés à 250 000 ou 300 000. Ce n’est donc pas un phénomène de société tel que l’on puisse imaginer qu’il soit irréversible.

M. François-Georges LAVACQUERIE - Je ne sais pas s’il est irréversible. Rien n’est irréversible à part la mort, dans ce pays.

Mme la Présidente - Comme partout, d’ailleurs.

M. François-Georges LAVACQUERIE - Tout à fait. Ce qui est certain, en tout cas, c’est que cette consommation augmente régulièrement. Vous dites que 250 000 personnes en consomment tous les jours, ce qui est un fait, mais j’ajoute que les gens qui en font un usage habituel, d’après les statistiques du ministère de l’intérieur, représentent 25 % des jeunes. C’est le ministre lui-même qui a donné ces statistiques.

De toute façon, la question des libertés ne dépend pas de 10 millions ou d’un million de personnes. Il s’agit d’un certain nombre de vos concitoyens qui fument du cannabis.

M. le Rapporteur - Le problème n’est pas là. Si le cannabis est inoffensif...

M. François-Georges LAVACQUERIE - Je pense qu’il l’est en grande partie.

M. le Rapporteur - ...il faut le légaliser parce que c’est alors une question de liberté individuelle. En revanche, s’il est dangereux pour le consommateur et autrui, il faut l’interdire.

M. François-Georges LAVACQUERIE - Il n’est pas dangereux.

M. le Rapporteur - S’il y a doute, il faut appliquer le principe de précaution et ne pas prendre la référence par rapport au tabac et l’alcool. En effet, si on peut contrôler les choses, tant mieux, mais en ce qui concerne l’alcool et le tabac, on fait de nombreux efforts et je ne vois pas pourquoi on inciterait à la consommation et on permettrait une consommation plus facile. Alors que l’on assiste déjà à une explosion de la consommation, sachant que plus un produit est à disposition, plus il est consommé, on accroîtrait l’explosion de la consommation et, contrairement à ce que vous dites d’ailleurs, l’explosion du trafic. On aurait donc ainsi péché contre la santé publique.

Je ne vois pas bien où serait l’intérêt de libéraliser un produit dont vous dites vous-même qu’il est nocif.

M. François-Georges LAVACQUERIE - Je n’ai pas dit qu’il était nocif ; c’est vous qui me le faites dire. Je dis qu’il présente des risques très faibles. Vous ne trouverez pas, dans toute les littératures mondiales, un seul cas documenté de décès attribuable au cannabis alors que, chaque année, dans ce pays, on compte 60 000 décès dus au tabac.

Mme la Présidente - Je vais vous interrompre, parce que je lis le journal comme tout le monde tous les jours et ne croyez pas que je le fouille à dessein. En venant au Sénat, j’ai lu un article d’un quotidien (je ne sais plus s’il s’agit du Monde ou de Libération) daté d’aujourd’hui précisant : "Défenestration d’un fumeur de cannabis : prison avec sursis. Le tribunal correctionnel de Créteil a condamné à des peines allant de quatre à douze mois de prison avec sursis quatre jeunes âgés de 22 à 25 ans qui avaient offert un double joint d’un puissant cannabis à un jeune homme qui s’était ensuite défenestré, pris d’un fort malaise."

Si vous estimez qu’il n’y a pas de danger dans le cannabis, que ce soit en consommation ou en offre pour consommer, permettez-moi de vous dire que c’est un exemple donné ce matin dans le journal qui est plus qu’inquiétant.

M. François-Georges LAVACQUERIE - C’est une affaire qui a trois ou quatre ans et qui est bien connue. La personne a consommé effectivement du cannabis, ce qu’on appelle "une moustache", c’est-à-dire un double pétard, et elle a mal apprécié les effets. Cela dit, c’est un effet très rare et les millions de personnes qui en ont consommé et les centaines de milliers qui en font un usage quotidien ne font pas ce genre de chose. On ne peut pas baser une interdiction sur un cas.

M. le Rapporteur - Il ne s’agit pas que d’un cas. Le rapport de l’Inserm, qui est une bible en la matière, parle de la possibilité, en cas de consommation répétée, à long terme, de bouffées hallucinatoires.

M. François-Georges LAVACQUERIE - Il peut y avoir des bouffées hallucinatoires et des effets de panique. Le rapport du Sénat canadien a montré que les effets psychiatriques étaient, grosso modo, une entrée sur mille dans les hôpitaux psychiatriques. Après avoir examiné également toute sortes d’études, il a conclu qu’il y avait très peu de cas attribuables au cannabis.

En revanche, il y a une causalité : on s’est rendu compte que beaucoup de schizophrènes ou de psychotiques avaient un attrait pour le cannabis, mais la corrélation n’est pas la causalité. Je tiens à dire que, de toute façon, ce n’est pas la dangerosité qui doit mener à l’interdiction d’un produit. Sinon, il faudrait interdire l’alcool et le tabac, dont la dangerosité, elle, n’est pas sujette à caution.

Il ne s’agit pas de faire de la promotion d’un produit mais de laisser les citoyens majeurs décider des risques qu’ils veulent encourir pour des bénéfices illusoires dont ils seront eux-mêmes juges et d’encadrer les cas dans lesquels ils pourraient représenter un danger pour autrui.

M. le Rapporteur - Vous avez parlé de majeurs. Que faites-vous des mineurs ?

M. François-Georges LAVACQUERIE - Je pense qu’il faut faire la distinction entre quelqu’un qui a 12 ou 13 ans et quelqu’un qui en a 16 ou 17. Il se trouve qu’à l’adolescence, tous les êtres humains testent leurs limites et que c’est à ce moment-là qu’ils commencent à avoir des aventures sexuelles et à faire des expérimentations. C’est une chose qui est naturelle et saine. Il faut donc faire en sorte que ces expériences nécessaires, toutes les sortes d’expériences qui se font à ce moment-là, n’entraînent pas, pour les jeunes, de conséquences irrémédiables.

M. le Rapporteur - Vous croyez que le système de distinction entre les différents âges pourrait être applicable ?

M. François-Georges LAVACQUERIE - Aux Pays-Bas, ce système fonctionne très bien. Il y a une consommation plus faible de cannabis chez les jeunes qu’en France et il est possible d’y interdire aux mineurs de moins de 18 ans ou de moins de 15 ans de prendre ces produits ou de les consommer dans ces bars.

M. le Rapporteur - Pour revenir des Pays-Bas, je ne suis pas convaincu par le système. En effet, il est très clair que les cannabistrots locaux permettent l’achat d’une quantité beaucoup plus importante de cannabis que ce que la loi tolère théoriquement, et, en particulier, que l’on peut très bien acheter des joints et aller les fumer chez soi.

M. François-Georges LAVACQUERIE - Absolument. C’est la vente à emporter ou à consommer sur place.

M. le Rapporteur - Je m’arrêterai sur les constatations que nous avons pu faire là-bas, mais cela m’amène à revenir sur votre affirmation de tout à l’heure sur le fait qu’il n’y avait pas de corrélation entre les législations et la quantité d’usagers d’un produit. Vous avez cité la France et la Hollande.

M. François-Georges LAVACQUERIE - Je pourrais citer aussi la Suède.

M. le Rapporteur - J’allais justement le faire. Premièrement, en ce qui concerne la France, vous ne pouvez pas dire qu’il n’y a pas de corrélation parce qu’il ne faut pas essayer de corréler la consommation avec la législation mais avec la pratique. Comme la législation n’est pas appliquée, vous ne pouvez pas dire que la France très répressive n’a pas empêché l’explosion de la consommation de cannabis.

M. François-Georges LAVACQUERIE - Je le constate.

M. le Rapporteur - En revanche, la Suède, qui, elle, est beaucoup plus répressive dans l’application que dans la lettre de la loi, a le taux de consommation le plus faible d’Europe puisqu’il est de l’ordre de 1,5 % à 2 %.

M. François-Georges LAVACQUERIE - Absolument. La Suède a également un régime sur l’alcool que la plupart des Français n’apprécieraient pas.

Pour en revenir à cette question de la corrélation entre les politiques répressives et la consommation, ce n’est pas moi qui le dis mais M. Raymond Kendall, qui a été pendant quinze ans secrétaire-général d’Interpol.

M. le Rapporteur - Il s’agit d’un dépénalisateur notoire.

M. François-Georges LAVACQUERIE - Qu’il soit dépénalisateur ou prohibitionniste, le fait est qu’il a eu une expérience assez importante et qu’il a expliqué de nombreuses fois que le fait de penser qu’une aggravation de la répression ou de la législation permettrait de faire baisser la consommation était une idée reçue.

J’ajoute que, dans le rapport de la commission canadienne, sont étudiées toutes ces corrélations par rapport au nombre de policiers et aux peines d’emprisonnement et que l’on ne trouve jamais de liens. En revanche, la répression a un coût très important.

M. le Rapporteur - J’observe simplement que M. Kendall est le seul de son espèce, puisque, partout ailleurs, c’est le contraire qui est dit.

J’ai une dernière question à vous poser. Vous vous êtes prononcé officiellement dans vos documents en faveur de l’abrogation de la loi de 1970. Cela signifie-t-il qu’au-delà de la dépénalisation du cannabis, dont vous venez de nous parler et qui semble être l’objectif principal de votre association, vous êtes en faveur de la légalisation de toutes les drogues ?

M. François-Georges LAVACQUERIE - Nous sommes effectivement pour l’abrogation de la loi de 1970 et pour le fait que plus personne ne soit poursuivi ou n’aille en prison pour la consommation d’une drogue, quelle qu’elle soit. Pour ce qui relève des autres drogues, nous n’avons pas de modèle précis à donner. Nous avons donné un modèle à notre avis applicable et fondé sur la réalité pour la distribution du cannabis, mais nous ne sommes pas allés au-delà. Nous ne nous sommes pas préoccupés de ce qui ne fait pas partie de notre champ d’activité.

M. le Rapporteur - Si je vous comprends bien, cela veut dire que vous êtes pour la légalisation de l’usage de l’héroïne, de la cocaïne et des autres drogues.

M. François-Georges LAVACQUERIE - En tout cas, nous sommes hostiles au fait que la consommation d’une drogue, si dangereuse soit-elle, emmène quelqu’un en prison, mais nous ne savons pas comment cette distribution pourrait être faite. Je rappelle simplement que, depuis que la France a mis en place les programmes de substitution avec la méthadone et le Subutex, le nombre de surdoses est passé de 540 à 114 en moins de cinq ans, alors qu’il était passé de 1 à 530 sur 25 années.

J’ajoute que la Suisse, pays raisonnable s’il en est, a un programme de distribution d’héroïne qui a permis de stabiliser les toxicomanes qui entrent dans ce cadre et de réduire la délinquance et la petite criminalité qu’ils commettaient et que cette politique a été approuvée par la population.

M. le Rapporteur - La Suisse a aussi le projet d’installer des salles d’injection, ce qui, soit dit en passant, me fait froid dans le dos. Je vous remercie.

Mme la Présidente - Il n’y a plus de questions. Par conséquent, nous vous remercions, monsieur.


Source : Sénat français