La présidente rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d’enquête et fait prêter serment à M. Quéant.

Mme Nelly OLIN, Présidente - Je vais vous demander, si possible, de caler votre exposé sur une dizaine de minutes pour permettre au rapporteur et à nos collègues ici présents de vous poser des questions.

M. Alain QUÉANT - Je vais m’y efforcer, madame la Présidente.

Je vais vous exposer le rôle de la Direction de la police urbaine de proximité dans la lutte contre les drogues illicites. Si vous le voulez bien, pendant une minute ou deux, je vais très sommairement vous présenter ma direction, après quoi nous entrerons dans le vif du sujet.

La Direction de la police urbaine de proximité de la préfecture de police a été mise en place il y a peu de temps, le 18 avril 1999. C’est une maison relativement jeune qui est issue de la réforme des services actifs de la préfecture de police. C’est une nouvelle structure de 12 000 policiers, hommes et femmes, qui s’est vue assigner, lors de sa création, la mission de mieux prendre en compte l’insécurité quotidienne dans la capitale par une lutte contre la petite et la moyenne délinquance, une présence policière sur la voie publique plus importante et, surtout, mieux adaptée aux besoins des habitants et un travail de prévention et de sensibilisation en direction des publics vulnérables et des professions à risques.

L’objectif était donc de mettre en place, dans Paris, une véritable police de proximité comprise non comme un appendice d’un service central, comme cela a pu se faire ailleurs, mais comme un dispositif qui intégrait la totalité des missions de police incombant au niveau local.

Sans entrer dans les détails d’organisation et de structure, sauf si vous souhaitez m’interroger là-dessus, il faut souligner que notre dispositif est axé sur une organisation territoriale simple basée sur l’arrondissement parisien et dont la cellule de base est le commissariat central d’arrondissement.

Ce service, qui est placé sous l’autorité unique d’un chef, le commissaire central, a amalgamé les anciennes unités territoriales qui existaient auparavant. Il comporte trois axes principaux :

un service de voie publique, qui est une police d’intervention, sept jours sur sept et 24 heures sur 24 ; c’est Police secours, que vous connaissez bien ;

un service de la police de quartier, que l’on appelait autrefois l’îlotage et qui assure la présence policière sur la voie publique et les contacts avec les administrés, et auquel on peut attacher une unité chargée de la prévention et de la communication,

le service de l’accueil, de la recherche et de l’investigation judiciaire, qui est pour nous essentiel ; il s’agit d’un service de police judiciaire local qui fonctionne et assure un traitement judiciaire sept jours sur sept et 24 heures sur 24 dans chaque arrondissement.

Je ne vous citerai pas trop de chiffres, mais sachez qu’en 2002, nous avons enregistré 300 000 faits délictueux et criminels qui représentent 95 % de la délinquance et de la criminalité parisienne. Par rapport aux services spécialisés qui traitent un nombre d’affaires beaucoup plus restreint mais importantes, nous traitons un gros contentieux de masse.

Cette structure au plus proche du terrain et des préoccupations des usagers ne pouvait pas ignorer la prise en compte de la toxicomanie dans toutes ses composantes. Avant 1999, la brigade des stupéfiants de la Direction de la police judiciaire bénéficiait d’un monopole absolu du traitement judiciaire dans ce domaine. C’était et c’est toujours un service central chargé de lutter contre le trafic de stupéfiants à grande échelle (vous avez d’ailleurs entendu mon collègue, M. Peuch, son chef, il y a quelques jours), mais, avant 1999, il prenait en compte le dernier usager arrêté sur la voie publique de manière centrale. Il s’ensuivait que ce n’était peut-être pas la meilleure façon de traiter ce phénomène. De même, les aspects de prévention étaient traités par la Direction de la police judiciaire ou de la sécurité publique de manière peu cohérente.

Il y a donc eu, dès le départ, un protocole entre l’ensemble des directions de la préfecture de police pour assigner à chacun le rôle qui lui appartient. Concernant ma maison, notre mission se décline en quatre volets que je vais vous exposer successivement.

Le premier est la prise en compte des phénomènes de toxicomanie et, surtout, le traitement des nuisances qu’ils engendrent. En effet, nous sommes confrontés au quotidien aux rassemblements de drogués et de toxicomanes dans certains sites, à la présence de véritables abcès de fixation (immeubles squattés, lieux publics, etc.) ou, de manière moins grave, à la présence dans des halls d’immeuble ou d’autres lieux, voire dans les jardins du Luxembourg, de jeunes usagers qui fument du cannabis, ce qui nécessite une véritable prise en compte. Vous savez qu’une modification législative à ce sujet permet aux gardes du Luxembourg d’instrumenter. C’est en traitant leurs procédures que nous constatons qu’il y a beaucoup d’usagers de cannabis. Je cite cet exemple car nous sommes en ce lieu.

Ces phénomènes, qui sont bien sûr très divers (on ne va pas comparer les trois fumeurs de joints du Luxembourg aux rassemblements de toxicomanes de la porte de la Chapelle), nécessitent une véritable prise en compte locale très fine d’importance et de sensibilité variable, et les habitants, bien entendu, y sont très sensibles et sollicitent fréquemment notre concours.

On estime, pour en revenir au 18e, qu’une centaine de polytoxicomanes en totale déshérence errent en permanence sur l’arrondissement. Il y a quelques mois, nous avions eu des phénomènes lourds dans le secteur de la place Stalingrad, ce lieu géographique situé entre le 10e, le 18e et le 19e arrondissement, qui a abouti à la mise en place d’un dispositif important qui a permis de résorber de façon notable les nuisances par une présence massive de police. Nous avons eu également la chance d’évacuer un certain nombre d’immeubles squattés parallèlement, ce qui a assaini le secteur et aussi dilué le phénomène. Certes, il a été un peu diminué, mais nous ne l’avons évidemment pas éradiqué..

Evidemment, le traitement de ces problèmes nécessite un partenariat avec les associations d’aide et de suivi des toxicomanes, mais il faut aussi savoir que ces structures, avec lesquelles nous entretenons généralement des rapports de partenariat très constructifs, constituent, surtout dans certains quartiers, un pôle de fixation des drogués et génèrent des nuisances, que ce soit des pôles fixes, comme des boutiques ou des centres d’accueil, ou des structures mobiles comme le Bus du Monde.

Vous êtes tous des élus, mesdames et messieurs, et vous savez que nos commissaires sont en relations avec leurs élus, qui leur disent souvent : "Cela doit se passer de préférence sur l’arrondissement ou le quartier d’à côté, mais surtout pas chez nous !"... Nous avons eu un problème rue Beaurepère il y a quelques années qui nous avait causé quelques soucis.

Pour prendre cela en compte, il faut une nécessaire action de répression.

Comme je vous l’ai dit, avant 1999, autant le trafic de stupéfiant organisé et structuré obtenait de bons résultats, autant le petit usage et le petit deal étaient tombés en déshérence en matière de répression. Nous avons donc repris la main puisque notre service a pris en compte la lutte contre l’usage simple, ce qu’on appelle dans notre jargon le deal de rue ou d’appartement et le petit trafic local, à l’exception, de manière absolue, de la lutte contre les réseaux organisés, que nous laissons à nos collègues de la police judiciaire.

Un protocole d’accord et des dispositifs ont été mis en place pour éviter les dysfonctionnements et le fait notamment que des actions locales brisent des enquêtes de longue haleine. Depuis quatre ans — je touche du bois —, nous n’avons eu aucun dysfonctionnement dans ce domaine, ce qui prouve que les systèmes d’alerte et d’information réciproques que nous avons mis en place ne fonctionnent pas trop mal.

Notre activité est en hausse croissante, en particulier depuis l’année 2001 où nous avons mis une structure en place. En effet, une maison de cette importance ne s’est pas mise en place en deux jours, comme vous pouvez vous en douter. Sachez que, de 2001 à 2002, la hausse globale des faits constatés en matière de stupéfiants a été de 50,42 % et le nombre de personnes mises en cause de 48 %.

Sur un plan quantitatif (j’insiste beaucoup sur ce point), ma direction a traité 5 229 faits constatés en 2002 sur l’ensemble des infractions de notre compétence dans le domaine de la toxicomanie, avec 6 261 personnes en cause, dont 10 % de mineurs.

Il faut savoir que ce chiffre représente 87 % des faits constatés à Paris dans ce domaine, les 13 % restant étant à la charge de la police judiciaire, mais il faut savoir que si, numériquement, le pourcentage est beaucoup plus faible, le rapport est évidemment tout autre en termes qualitatifs et d’importance des affaires.

Les 5 229 faits se décomposent en 872 faits de trafic et de revente (c’est du petit trafic), 390 faits d’usagers revendeurs, c’est-à-dire des usagers qui achètent deux doses et en revendent une pour payer la leur, avec 510 mises en cause, et, surtout, 3 352 faits d’usage simple et de détention, ce qui représente 93 % des faits parisiens en ce domaine.

Il faut aussi souligner qu’au-delà de ces faits, un certain nombre de faits bénins, qui concernent des usagers inconnus des services de police ou qui détiennent de très faibles quantités de produits, bien entendu toujours du cannabis (certains n’ont que quelques miettes ou quelques rognures) font l’objet de simples notes par main courante et non pas de procédures. C’est une pratique assez répandue.

J’en viens à la réponse judiciaire à nos procédures, car les chiffres que j’ai donnés concernent uniquement les procédures diligentées. Cette réponse judiciaire est variable selon les types d’infraction, puisque 44 % des personnes gardées à vue pour revente ont été déférées au parquet, de même que 38 % des usagers revendeurs et 28 % des usagers simples.

Une expérience avait été menée en 2000-2001 sur le 18e, qui est un arrondissement pilote dans ce domaine, bien entendu, en liaison avec le magistrat référent, puisque le procureur de l’époque avait territorialisé son parquet et instauré dans chaque arrondissement des substituts référents. Le commissaire de police avait ainsi son magistrat qui connaissait bien les problèmes, ce qui permettait de mettre en place des micro-politiques pénales.

C’est ainsi qu’il avait été décidé au niveau local de privilégier de manière très intense l’injonction thérapeutique. Sur le papier, c’était très bien, mais les structures de suivi, si je puis dire, n’ont pas été au rendez-vous et, malheureusement, cela n’a pas donné les résultats que l’on avait espérés. Dans ce cas, on en revient au tout ou rien : soit la répression, soit rien du tout ou pas grand-chose.

J’en viens à mon troisième volet. Pour éviter que les jeunes accèdent à la drogue, nous menons une politique de prévention particulièrement active et forte dans ce domaine.

La politique de prévention est définie au niveau de la direction par un service qui m’est directement rattaché et elle est déclinée au niveau local par chaque commissaire central.

Il y a bien entendu un protocole entre les directions pour savoir qui fait quoi et il nous incombe la totalité des actions de prévention auprès des élèves des collèges et des écoles primaires, où cela commence, la Brigade des stupéfiants de la PJ s’occupant des lycées et des publics adultes.

Nous bénéficions pour ce faire de 18 policiers qui bénéficient de la qualification nationale de policiers formateurs anti-drogue. Pour vous situer leur action, je dirai qu’en 2002, ils ont mené 650 actions de formation et touché 16 849 jeunes au total sur l’ensemble des collèges, dont 80 % sont scolarisés dans des classes de 4e et 3e, c’est-à-dire les plus âgés du collège. Nous sommes maintenant partenaires officiels de la MILAD et nous participons, en dehors de Paris, à des actions de formation internationale et, bien sûr, à toutes les instances partenariales parisiennes de concertation ou de décision.

Le dernier volet qui monte en puissance et sur lequel nous sommes encore dans les limbes, c’est l’aspect des drogues illicites et de la sécurité routière.

La sécurité routière ayant été promue par le chef de l’Etat grande cause nationale, ma Direction, à Paris, effectue la totalité des procédures sur les accidents corporels et mortels et relève 93 % des constatations relevées sur Paris. Je ne vais pas développer cet aspect de la sécurité routière qui est en dehors du cadre de votre commission, mais sachez que, dès que la loi concernant l’usage des stupéfiants au volant est entrée en vigueur, nous avons pratiqué des dépistages systématiques sur les personnes mises en cause dans les accidents corporels et mortels. L’ensemble des accidents graves est traité par un service spécialisé, à Paris, qui y procède.

Nous travaillons aussi à la mise au point, avec la Direction de l’administration de la police nationale, de systèmes de tests plus simples que la prise de sang, à laquelle nous sommes obligés de recourir aujourd’hui, afin de nous permettre d’appliquer, ce que nous ne faisons pas aujourd’hui, la détection de l’usage de stupéfiants sur certaines infractions graves au code de la route que constatent tous les jours nos policiers sur la voie publique, sachant que, pour l’instant, nous ne pouvons pas faire ces tests.

Comme vous le voyez, madame la Présidente, mesdames et messieurs, la Direction de la police urbaine de proximité est impliquée dans la lutte contre les drogues illicites à un niveau très important. Elle se doit donc d’aborder la problématique dans tous ses aspects, mais si la répression ne peut être considérée comme une fin en soi, elle demeure, dans l’état actuel des choses, un outil nécessaire pour assurer un semblant de régulation du phénomène.

Une forte politique de prévention peut bien entendu limiter l’accès aux drogues par le jeune public. Toutefois, à mon sens — et je parle en homme de terrain —, la problématique la plus lourde s’avère le suivi et la prise en compte de ces très fortes populations de toxicomanes marginalisés qui n’ont plus aucun repère et qui constituent, dans certaines zones, une importante source de nuisances pour les habitants qui ont en général comme unique réflexe de se tourner vers nous. Nous ne pouvons agir malheureusement que de manière limitée, sans pouvoir prendre en compte de manière globale ces personnes en dérive.

Voilà ce que je voulais vous dire, madame la Présidente, mesdames et messieurs, et je suis bien entendu à votre disposition pour répondre à toutes vos questions.

Mme la Présidente - Je vous remercie de cet exposé, monsieur le Directeur.

M. Bernard PLASAIT, Rapporteur - Monsieur le Directeur, est-ce à vous de faire de l’information-prévention dans les écoles ? Autrement dit, est-ce que vous le faites parce que personne d’autre ne le fait et qu’il faut bien le faire ou pensez-vous que vous êtes mieux qualifiés que d’autres ?

M. Alain QUÉANT - Nous avons une qualification. Nous n’en revendiquons pas le monopole, évidemment, mais nous estimons qu’il est bon que nous le fassions et nous le faisons de manière particulièrement normée. Comme je l’ai dit, il ne s’agit pas que n’importe qui aille faire n’importe quoi dans une école. Seuls 18 policiers, sur une direction qui en compte 12 000, ont le label "policiers formateurs anti-drogue" (PFAD), une qualification nationale qui s’acquiert après une formation spécifique, et mènent cette action.

Globalement, nous suivons la demande, c’est-à-dire que nous n’imposons jamais à un chef d’établissement scolaire de venir faire une action chez lui. Nous lui faisons des offres de service, nous lui expliquons que nous sommes là, que nous pouvons l’aider et il prend ou non, mais je dois dire que nous avons de plus en plus de demandes, depuis un an et demi, et que, comme pour toute qualification nationale, il se pose des problèmes de formation...

M. le Rapporteur - Ne vous méprenez pas sur le sens de ma question : je ne doute pas une seconde que vos agents soient qualifiés et compétents et qu’ils le fassent avec coeur. Nous en avons d’ailleurs des témoignages multiples et cela me donne l’occasion de vous dire que vous rendez là un service éminent et reconnu.

Ma question est simplement de savoir si les choses ne vont pas mieux quand chacun fait son métier. Ne serait-ce pas, de votre point de vue, davantage aux enseignants d’inclure un dispositif et des séances d’information-prévention à l’école de telle manière que les policiers fassent davantage leur métier de policier ?

M. Alain QUÉANT - Bien entendu, mais je vois plutôt cela comme une action de prévention et de mise en garde quede formation, un peu comme le policier qui est au bord de la route et qui ne relève pas forcément les contraventions et qui, par sa simple présence, évite que des infractions soient commises.

Je crois encore — j’ai peut-être cette faiblesse — à l’impact de la fonction de police. On discute beaucoup de la loi de 1970 qui est en vigueur et sur laquelle je n’ai pas à me prononcer, mais les policiers formateurs expliquent cette loi dans les établissements scolaires en indiquant (c’est l’aspect pédagogique) ce qu’on risque si on fait telle ou telle chose, et le retour auprès des élèves est très bon.

Effectivement, si les enseignants étaient prêts à prendre le relais, il pourrait en être autrement, mais le sont-ils ? Je me pose la question. Je répète que cela me coûte 18 fonctionnaires sur 12 000 et je pense que c’est un investissement qui n’est pas tout à fait perdu.

On a beaucoup polémiqué sur ce qui s’était passé à Toulouse lors de la visite du ministre de l’intérieur, il y a quelques semaines, mais, pour notre part, notre politique de prévention, dans ce domaine comme dans d’autres, se fait de manière très normée. La préfecture de police est une vieille maison très centralisée et notre credo consiste à dire qu’il faut faire des activités de prévention, mais jamais en tant que moniteur de sport ou qu’animateur. Pour notre part, nous disons à nos fonctionnaires : "vous êtes policiers et vous devez toujours l’être avant tout". Ceux qui vont faire de la formation dans un collège sont souvent des gradés en uniforme de police et nous ne faisons jamais d’interventions en civil. En termes d’image, c’est très fort.

M. le Rapporteur - Parlons justement de la loi de 1970 que vous évoquez et dites-nous ce que vous en pensez ou, plutôt, si vous ne croyez pas que, finalement, comme un dealer se présente toujours uniquement comme un consommateur, il n’y a pas quelque chose à revoir, sinon dans la loi de 1970 elle-même, du moins dans son dispositif ou dans l’application qui en est faite et dans les circulaires d’application qui ont été données par le ministère de la justice aux procureurs. En fait, c’est la question des seuils qui se pose : qui décide du seuil qui va permettre de considérer que l’on est en présence d’un usager simple ou d’un usager-revendeur ? Avez-vous des instructions de la part du procureur ?

M. Alain QUÉANT - Non. C’est pratiquement du cas par cas. Les instructions sont verbales et pratiquement au cas par cas. Chaque affaire fait bien entendu l’objet d’un compte rendu au procureur de la République, conformément à la loi, mais la suite dépend de l’explication. Je vous ai parlé tout à l’heure de la territorialisation qu’avait mise en place M. Dintillac. A certains égards, elle a été très bénéfique. Cette expansion au 18e n’a pas totalement réussi parce que les structures n’ont pas suivi mais, sur le fond, j’estimais que c’était une bonne mesure. Cependant, cela a entraîné, dans ce domaine comme dans d’autres qui n’ont rien à voir avec l’objet de votre commission, des disparités d’action publique d’un coin à l’autre de Paris, puisque les substituts référents, sous couvert de mettre en place des micro-politiques pénales locales, faisaient qu’un usager-revendeur n’était pas pénalisé de la même façon dans le 15e que dans le 19e.

M. le Rapporteur - Vous avez évoqué tout à l’heure les élus qui vous font souvent le reproche de laisser perdurer un désordre à l’ordre public, avec des dealers qui s’organisent en véritables marchés, pratiquement au vu et au su de tout le monde, certes sur certains points de la capitale seulement, mais tout de même assez importants, en vous accusant de ne pas faire cesser ce désordre et de ne pas chasser les dealers au motif que vous avez besoin de remonter les filières. Vous avez un peu évoqué ce problème tout à l’heure, mais je voudrais savoir quelle réponse vous leur apportez. Pourriez-vous être plus précis sur ce sujet ?

M. Alain QUÉANT - Je peux vous dire que nous ne remontons pas les filières car ce n’est pas notre mission. En 1999, on ne chassait pas du tout les dealers, effectivement. Je ne vais pas faire le procès de la structure qui existait auparavant puisque j’y appartenais, même si c’était dans d’autres fonctions, mais nous ressentions le besoin de faire autre chose.

Je me permettrai, si vous me le permettez, de vous refaire l’historique. En 1999, les policiers de la Direction de la sécurité publique chassaient les dealers comme ils le pouvaient. Dès qu’ils en avaient, comme ce n’étaient pas des affaires fondamentales, ils allaient à la brigade des stupéfiants qui leur disait : "nous traitons les grands réseaux et vos affaires ne nous intéressent pas", pour le dire en termes choisis pour cette assemblée. C’est ainsi que les fonctionnaires se démotivaient. Comme leur chef n’avait pas en charge le suivi de l’affaire, cela croissait et perdurait.

Depuis 1999, chaque commissaire central, notamment ceux du 18e et du 19e, qui sont bien sûr les plus touchés, mais tous les autres également, a en charge un aspect qui n’est pas juridique mais qu’en tant qu’élus, vous pouvez parfaitement comprendre : la physionomie de son territoire ; il en est responsable. Effectivement, il est plus facile d’avoir une bonne physionomie dans le 15e ou le 16e qu’à la porte de la Chapelle. En tout cas, le fait de dire qu’on laisse faire les dealers pour remonter les filières — je vous parle très librement — n’est pas vrai au niveau de ma direction et il est exceptionnel que des services spécialisés nous disent : "Dans ce domaine, il faut laisser les choses en l’état". Ils pourront dire que cela va durer un jour ou deux, le temps de faire une surveillance, mais cela restera très limité dans l’espace et le temps.

En revanche, nos moyens d’action ne sont pas illimités. Le meilleur moyen de neutraliser les dealers, monsieur le Rapporteur, c’est de les arrêter, mais, pour ce faire, il faut établir des flagrants délits. Nous pratiquons ce que j’appelle la dispersion, dont les résultats sont assez aléatoires parce que ces personnes reviennent au bout d’un moment.

Je peux vous citer l’exemple de Stalingrad, où il se posait un problème très lourd et où nous avons vraiment, comme on le dit vulgairement, mis le paquet. Cela a fonctionné, mais il se produit, comme nous le disons dans notre jargon, un effet "splash", c’est-à-dire que nous traitons un endroit et que cela s’éparpille.

Je pense quand même — mais je ne vais pas lancer un cocorico — que nous nous occupons maintenant beaucoup des phénomènes de deal et que l’on constate une petite amélioration de la physionomie, même si la situation n’est évidemment pas parfaite.

M. le Rapporteur - Justement, je ne peux que me féliciter de constater que la police de proximité a permis d’avoir une action plus efficace et régulière contre les dealers. Même s’il y a cet effet "splash", il est sûr que ce que j’appelais le désordre à l’ordre public, c’est-à-dire un spectacle qui, aux yeux du citoyen, est parfaitement contradictoire avec l’idée que l’on se fait de la vie dans les cités et qui est un mauvais exemple pour les enfants, est un phénomène qui doit disparaître, même momentanément.

Cela dit, il est aussi important de remonter les filières et de démanteler les réseaux. La distinction entre police de proximité pour cette action locale de terrain régulière et la police d’investigation est une bonne chose, mais n’a-t-on pas joué à effectifs constants dans la réforme, n’a-t-on pas déshabillé Paul pour habiller Jacques et n’y a-t-il pas un déficit pour la police d’investigation au profit de la police de proximité ?

M. Alain QUÉANT - Avant la réforme, j’étais à la Direction de la police judiciaire et je vais vous dire très précisément combien de policiers de la brigade des stupéfiants ont été mutés à la Direction de la police urbaine de proximité : trois sur un effectif d’une centaine.

Cela dit, il faut savoir que la Direction de la police judiciaire a perdu, dans sa composante globale, 600 fonctionnaires qui sont venus chez nous, mais ces 600 fonctionnaires, à l’exception d’une vingtaine qui faisaient le service de nuit des divisions de police judiciaire et que nous avons pris chez nous pour faire le même travail dans nos structures, étaient des gens des commissariats de quartier. Ces gens ne faisaient donc pas de la police d’investigation au sens où on l’entend. Ils ont continué sous une autre structure et un autre drapeau, avec des méthodes de travail un peu différentes, à faire le travail qu’ils faisaient auparavant.

Par conséquent, ce que nous appelons les brigades centrales de la police judiciaire, c’est-à-dire la brigade des stupéfiants, ont perdu trois fonctionnaires et elles peuvent s’en remettre. Quant à la brigade criminelle et la brigade de répression du banditisme, elles n’ont pas été touchées par la réforme.

M. le Rapporteur - Je vous remercie. Vous avez évoqué le quartier Stalingrad. Je voudrais donc vous demander quelles ont été vos relations avec le Collectif anti-crack, qui a eu une action très spectaculaire au moins d’un point de vue médiatique. Avez-vous pu mesurer l’efficacité de son action sur le terrain, cela vous a-t-il gêné ou avez-vous eu une coordination avec ses membres ?

M. Alain QUÉANT - Nous avons eu de bonnes relations avec eux. Je ne pourrai pas dire que cela nous a aidés. L’intérêt de ce collectif, c’est que cela a permis de mettre un coup de projecteur sur le site. En tout cas, cela ne nous a gênés en aucun cas, d’autant plus que, compte tenu de la qualité de nos relations, si nous avions une action à mener ou quelque chose qui nous intéressait, nous pouvions très bien leur demander d’éviter de faire ce jour-là une démonstration sur tel ou tel site et cela se passait globalement très bien. Les relations étaient donc très bonnes, d’autant que le secteur de Stalingrad est dirigé par un chef de secteur qui regroupe trois arrondissements et qui est lui-même fortement impliqué dans ce domaine.

M. le Rapporteur - Cependant, vous n’iriez pas jusqu’à appeler de vos voeux la création d’associations de cette nature, aussi remuantes que l’a été ce collectif ?

M. Alain QUÉANT - Je n’irai pas jusque là, mais ce collectif ne nous a pas gênés.

M. le Rapporteur - J’aurai une dernière question à vous poser. Vous avez parlé tout à l’heure du dépistage des contrôles. Evidemment, on comprend la difficulté que représente le dépistage en matière de stupéfiants, le problème que posent les tests, leur lourdeur, leur coût, etc., mais envisagez-vous, comme le font d’autre pays, d’utiliser des tests comportementaux ? Il s’agirait de faire un premier test d’alcoolémie, qui, s’il est positif, serait suivi par des tests comportementaux, eux-mêmes suivis, s’ils sont positifs, d’une analyse d’urine dans le car qui aboutirait, si elle est positive, à envoyer la personne à l’hôpital pour une prise de sang.

M. Alain QUÉANT - Actuellement, toutes les voies sont ouvertes et les décisions ne sont pas prises. Une expérience est en cours dans le 18e, où nous avons une population particulière.

M. le Rapporteur - Quelle est la raison pour laquelle vous avez pris le 18e comme arrondissement pilote ?

M. Alain QUÉANT - Tout simplement parce que c’est là que le problème se pose avec le plus d’acuité. C’est le seul arrondissement de Paris qui, avec le 19e (quand je parle du 18e, je veux bien entendu parler du pôle 18-19e), connaît cette situation.

M. le Rapporteur - Toute autre raison que l’on pourrait supputer ne serait que fortuite ?

M. Alain QUÉANT - Bien entendu ! Amenez-moi les cent toxicomanes du 18e dans le 15e ou le 14e et ce seront ces deux arrondissements qui seront principalement concernés. Il faut être très clair sur ce point. Le nord-est parisien, pour être large, est un secteur dans lequel il y a beaucoup de communautarisme, où il est facile, pour des marginaux, de se glisser dans la foule sans se faire remarquer et où on trouve également une forte concentration d’immeubles squattés que nous avons beaucoup de mal à évacuer pour de nombreuses raisons juridiques et administratives et qui constituent tout naturellement des abcès de fixation.

Si nous avons cent toxicomanes en déshérence qui tournent en permanence aux confins de la porte ou du square de la Chapelle, c’est tout simplement parce qu’ils cherchent des dealers et qu’ils savent qu’ils ont plus de chances d’en trouver là-bas que porte de Versailles. C’est uniquement pour cela que cet arrondissement m’intéresse.

M. le Rapporteur - Monsieur le Directeur, je vous remercie beaucoup de toutes vos réponses.

Mme la Présidente - Nous vous remercions infiniment, monsieur le Directeur, et nous avons beaucoup apprécié de vous entendre. Il était intéressant d’avoir votre point de vue et d’apprendre la manière dont vous travaillez sur tous les secteurs. Nous avons bien compris qu’il y avait des "poches".

M. Alain QUÉANT - Je travaille sur des poches, mais nous travaillons sur le reste aussi.

Mme la Présidente - En tout cas, bon travail à l’avenir, monsieur le Directeur.


Source : Sénat français