La présidente rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d’enquête et fait prêter serment à MmeChoquet.
Mme Nelly OLIN, Présidente.- Je vais vous laisser exposer. Sur quel délai avez-vous prévu d’exposer ?
Mme CHOQUET.- Dix minutes.
Mme la Présidente.- Je vous en prie.
Mme CHOQUET.- Je me permets de me présenter. Je suis Marie Choquet, chercheur, Directeur de recherche à l’INSERM, où je travaille plus particulièrement sur la santé des jeunes.
L’approche que j’ai de l’adolescent en est une globale, j’étudie un ensemble d’aspects de la santé et en particulier avec des moyens épidémiologiques, c’est-à-dire que j’organise des enquêtes en population générale ou auprès des populations particulières si nous voulons focaliser sur un problème spécifique.
Depuis 1971, j’ai fait la première enquête autour de la consommation des substances psychoactives, comme on dit maintenant. C’étaient d’abord des enquêtes très globales sur l’alcool, le tabac, les médicaments et drogues, sans préciser lesquelles.
Nous avons pu aborder substance par substance en 1988, parce que bien sûr pour mener des enquêtes, il faut avoir une autorisation ministérielle et de l’ensemble des responsables, en particulier de l’Education nationale.
En 1993, nous avons fait la première enquête nationale, les autres étant régionales.
Nous participons depuis 1999 à l’enquête ESPAD, puis à l’enquête européenne sur la consommation des substances psychoactives. Actuellement, la tranche 2003 est terminée. Cette enquête se déroule tous les quatre ans.
J’avais envie de donner quelques tendances, bien que j’ai l’impression que vous savez déjà beaucoup de choses, puisque j’ai vu que d’autres personnes épidémiologistes avaient été auditionnées. Toutefois, peut-être que j’apporterai quelques particularités, dans la mesure où j’étudie l’ensemble des problèmes de santé des jeunes.
Comme vous le savez, la consommation de cannabis a très nettement augmenté. Elle a augmenté depuis le moment où nous avons commencé à l’étudier en 1988. 1988-1993, 1993-1999, nous avons constaté un doublement de la consommation, ce qui fait que maintenant nous arrivons à des taux relativement élevés.
Dans le même temps nous avons constaté, surtout les dernières années, une augmentation de la consommation de tabac. Il faut dire que cannabis et tabac sont des substances finalement consommées au même moment. Nous ne sommes pas étonnés de voir en même temps que l’augmentation du cannabis une du tabac, alors qu’en ce qui concerne l’alcool, nous avons constaté une augmentation entre 1971 et 1993, mais depuis nous avons plutôt une stabilité.
Si nous regardons maintenant les jeunes consommant plusieurs substances, évidemment avec l’augmentation de la consommation d’une substance, nous allons automatiquement, mathématiquement, augmenter la polyconsommation. Celle qui a le plus augmenté, mais pas plus que chacune des substances, est bien sûr la consommation simultanée de cannabis et de tabac.
Les autres drogues sont restées plutôt plus stables. La consommation, l’expérimentation des autres drogues est restée stable. Cela a amené d’une certaine façon une différence dans le temps. Avant, à peu près 5 % des jeunes qui ont consommé du cannabis ont pris une autre substance. Cette relation a plutôt tendance à diminuer à cause de l’augmentation du cannabis et la stabilité des autres produits.
Si nous regardons maintenant ce qui se passe en France par rapport à l’Europe, puisque l’enquête ESPAD montre cela, le cannabis a augmenté partout, dans tous les pays européens, mais nous pouvons dire que la France a été championne en la matière, dans la mesure où nous sommes passés d’une place moyenne en 1993, 1995, à une première aujourd’hui. Nos jeunes de 16 ans sont les plus nombreux à consommer du cannabis en Europe, dans les pays qui ont été inclus dans cette enquête.
Nous constatons aussi que plus un comportement devient fréquent, plus nous avons aussi une diversité des comportements possibles. Nous pouvons globalement faire la différence entre ceux qui ont et ceux qui n’ont pas, quand il s’agit de produits consommés par moins de 5 % d’une population. Plus la consommation d’un produit augmente, plus nous allons avoir une diversité de comportements et avoir des non-consommateurs, il en reste, et des petits, des moyens et des gros. Plus un produit augmente, plus nous sommes obligés de regarder plus finement les comportements ; autrement, nous risquons fortement de nous tromper dans leur signification.
Nous constatons que, mais c’est une loi internationale que nous constatons bien sûr chez nous, plus un produit augmente, plus nous allons avoir des consommateurs réguliers.
Avec l’augmentation de l’expérimentation du cannabis, nous avons vu l’augmentation de la consommation régulière de cannabis. C’est une loi assez constante. Certains croient que l’on peut augmenter l’expérience sans augmenter la consommation régulière ; je ne sais pas par quel moyen. Il y a peut-être des moyens, mais jusqu’à maintenant nous n’avons toujours pas trouvé.
Cette augmentation de la consommation de cannabis a aussi changé la population qui le consomme. Automatiquement quand un produit devient important, mais ce serait pareil pour un comportement, il n’a pas tout à fait la même signification quand la moitié de la population le consomme ou 10 %. Automatiquement, cela va changer. En fait, les liens entre la consommation et les autres comportements à risque diminuent lorsque la consommation du produit augmente. D’une certaine façon, cela signifie qu’il est banalisé.
Néanmoins, la consommation de cannabis même expérimentale est associée aux troubles des conduites, mais de façon moins importante en fonction de l’augmentation de l’expérimentation. Je parle dans le temps. A un moment donné, plus on a consommé, plus on a des troubles associés bien évidemment. Dans le temps, les choses changent.
Si nous essayons de voir quelle est la population à risque, nous pourrions dire qu’en 1993 il fallait prendre comme critère de consommation régulière de cannabis le fait d’en avoir consommé au moins trois fois dans l’année. Aujourd’hui, ce sont les jeunes qui en ont pris au moins dix fois par mois qui ont les mêmes caractéristiques. Nous voyons donc bien comment finalement il faut aussi changer un peu de critère quand il s’agit du point de vue du comportement. Je ne parle pas de tout ce qui serait neurologique, ce qui n’est pas mon champ. Pour ce qui est du comportement, nous pouvons dire qu’aujourd’hui ceux qui en consomment dix fois et plus par mois sont équivalents à ceux qui en consommaient trois fois par an en 1993.
Là j’ai pas mal parlé de cannabis, parce que c’est le produit qui a le plus augmenté et qui fait partie maintenant dans les faits un peu du lot alcool-tabac-cannabis tellement le taux est actuellement assez proche des consommateurs de tabac, pas tout à fait mais s’en rapproche quand même très nettement. Nous aurions tort, bien sûr, d’oublier les autres drogues.
Parmi les autres drogues, la plus consommée est les médicaments contre la nervosité et l’insomnie sans ordonnance médicale. Je n’ai pas inclus ceux pris sur prescription médicamenteuse. Après, ce sont les champignons hallucinogènes et en troisième position l’ecstasy. Après, loin derrière, viennent les autres substances, à moins de 2 % parmi une population tout venant.
Sur ces autres produits, nous pouvons dire que la France est plutôt en deçà de l’Europe. Si par exemple nous sommes au même niveau de consommation de cannabis que les Anglais, nous avons un taux de consommation deux fois moindre que eux en ce qui concerne les autres substances, en particulier donc les champignons hallucinogènes, l’ecstasy, l’héroïne, la cocaïne, le crack, etc.
La seule chose où de nouveau la France est "meilleure" que l’Europe est sur les médicaments, mais nous savons qu’en ce qui concerne ceux prescrits, nous sommes aussi les premiers d’Europe. Il n’est donc pas étonnant de voir que lorsqu’un pays est le premier d’Europe au niveau des adultes, il y a de grandes chances bien sûr que chez les jeunes la chose se constate de façon identique. Il ne faut jamais oublier que les produits les plus consommés sont bien sûr ceux qui prévalent le plus dans les populations adultes. Il y a bien sûr une continuité entre les jeunes et les adultes.
Pour parler de deux substances sur lesquelles j’ai plus particulièrement travaillé, qui sont l’ecstasy et les stéroïdes anabolisants, nous voyons que les jeunes consommateurs de ces produits sont des expérimentateurs tous azimuts. Nous n’avons pas d’une part les jeunes qui consomment alcool, tabac et cannabis et d’autre part ceux qui prendraient l’ecstasy au hasard d’une soirée, au cours de laquelle on leur aurait passé le produit sous le manteau. Les jeunes consommateurs d’ecstasy sont d’ailleurs les plus consommateurs d’autres substances, ce sont donc des personnes qui savent ce qu’elles consomment.
Il en est d’ailleurs de même de ceux qui prennent des stéroïdes anabolisants. Ce sont aussi très souvent des personnes consommatrices d’autres substances. Toute naïveté dans la matière ne serait probablement pas de mise.
Si nous regardons maintenant les facteurs associés à cette consommation, nous sommes d’abord étonnés que ce ne le soit pas nécessairement à ce que nous imaginons, c’est-à-dire le divorce des parents, le fait d’être en ZEP ou pas, en lycée professionnel, dans l’enseignement privé ou de faire une activité sportive. Ces facteurs jouent très peu sur le fait de consommer ou pas. Nous avons quasiment autant de consommateurs dans l’enseignement privé que public. Nous en avons même pour certaines catégories plus parmi ceux ayant une activité sportive intense. Globalement, nous pouvons dire que ce ne sont pas des facteurs jouant un rôle très important.
En revanche, nous constatons que s’il y a une différence, ce sont plutôt les élèves de ZEP qui sont moins consommateurs en particulier d’alcool. Nous allons trouver beaucoup de jeunes de l’immigration dans ces lieux. Il faut bien le dire, quand on est moins consommateur d’un produit, on l’est aussi souvent moins d’autres produits. Il y a un enchaînement dans un sens comme dans l’autre.
Par contre, ce qui est extrêmement associé et nous pourrions dire probablement des facteurs dont nous pouvons redouter qu’ils soient étiologiques, c’est le contrôle familial, c’est-à-dire le fait que les parents sachent où sont les jeunes le samedi soir. C’est une question un peu anodine, mais à laquelle les jeunes répondent bien. Cela ne signifie pas que les jeunes ne sortent pas, qu’ils restent chez eux, mais en tout cas quand les parents ont un oeil sur ce qui se passe, les jeunes sont quand même très nettement moins consommateurs.
Bien sûr nous n’avons pas tout étudié, mais parmi les variables que nous avons examinées, ce sont les deux qui sortent. Il y a le fait de sortir beaucoup. Nous pouvons donc quand même redouter que les lieux de sorties des jeunes ne soient pas suffisamment "sécurisés" par rapport à la drogue. Je crois que nous aurions intérêt à peut-être mieux sécuriser les lieux où les jeunes se rencontrent, plutôt que de montrer des produits, comme nous pouvons parfois le voir.
En ce qui concerne le lien avec la scolarité, plus les jeunes sont consommateurs, plus ils ont des difficultés scolaires, ils aiment moins l’école, sont plus absents. Il est parfois difficile de savoir dans quel sens joue le lien. Est-on plus consommateur parce que l’on a des difficultés ou a-t-on plus de difficultés parce que l’on est consommateur ? Le lien entre les deux n’est pas toujours évident, mais il est probable. C’est ce que montrent les enquêtes étrangères, que c’est un enchaînement, c’est-à-dire que les jeunes en difficulté vont consommer et cette consommation va avoir un effet aussi sur l’augmentation de ces difficultés. Nous pouvons imaginer plutôt une liaison en spirale.
Il y a bien sûr une augmentation très forte des violences parmi les consommateurs, mais je tiens à dire que ce ne sont pas uniquement ceux de cannabis, nous retrouvons ces mêmes associations pour les consommateurs de tabac et d’alcool.
Là où les choses deviennent me semble-t-il intéressantes, c’est de voir les différences de sexe, parce qu’il y a d’abord des drogues masculines et des drogues féminines, mais avec l’âge, elles deviennent de plus en plus différenciées par sexe. Si une drogue est masculine, ce qui est particulièrement vrai pour l’alcool par exemple, elle va le devenir d’autant plus avec l’âge. Nous voyons bien que là joue la perception sociale comme un point très important dans la consommation ou non d’une substance. Il en est de même pour les filles, qui sont plus consommatrices de médicaments. Cette différence entre les sexes augmente encore avec l’âge.
A la fin de l’adolescence, nous pouvons dire que globalement il y a bien des comportements masculins et féminins. C’est vrai pour les consommations, mais pour l’ensemble des comportements. Il y a des comportements plus masculins, qui sont tout ce qui concerne les conduites violentes, l’absentéisme, et des comportements plus féminins, en particulier la dépression, les tentatives de suicide, tout ce qui a trait au corps et au malaise plus intériorisé.
Nous constatons que les filles qui consomment ont plus que les garçons des comportements dits masculins, toute proportion gardée bien évidemment. Nous trouvons que le lien entre tabac, cannabis, alcool mais aussi la consommation avec les violences etc. est plus fort chez les filles que chez les garçons. Quand une fille consomme, c’est un indicateur plus important de gravité que lorsque c’est un garçon, même si les liaisons existent et que nous pouvons estimer que la gravité existe pour tous.
Il me semble que cette spécificité féminine est souvent oubliée, rarement notée quand nous voyons les reportages sur les banlieues ou des choses comme cela. Il est très étonnant de voir que le féminin est souvent absent. Or, ce sont souvent elles qui sont le plus en difficulté quand elles sont consommatrices.
Certaines liaisons sont méconnues, comme celle entre consommation et tentatives de suicide, fugues et là encore plus chez les filles que chez les garçons.
J’ai aussi analysé plus particulièrement les non-consommateurs, parce qu’il m’a semblé intéressant de le faire. Je vais terminer là-dessus. D’abord il y a peu de non-consommateurs, c’est-à-dire ceux qui n’ont jamais essayé ni alcool ni tabac ni cannabis (8 %). Ce pourcentage a été divisé par deux depuis 1993. Nous en avions 15 % environ en 1993 et là plus que 8 %.
Ce qui les caractérise, c’est une concurrence de trois facteurs assez étonnants. C’est probablement pour cela qu’ils sont si peu nombreux. Ce sont des jeunes issus de familles socialement peu intégrées. Ils ont une mère souvent qui n’a pas fait d’études, ou un père, ce qui est quand même relativement rare en France ; nous pouvons donc supposer qu’ils sont plus des enfants de l’immigration. Ils sont plus en ZEP, donc ce sont des jeunes qui de par leurs caractéristiques familiales sont plutôt en difficulté.
Par contre, et c’est là où cela devient intéressant, du point de vue personnel ce sont plutôt des jeunes qui investissent l’école, qui ont de bonnes notes scolaires, qui n’ont pas de troubles autres du comportement et qui d’une certaine façon sont en train de récupérer des choses qui s’étaient mal passées pour leurs parents, qui veulent donc absolument devenir des Français à part entière, si nous pouvons l’exprimer ainsi. C’est assez étonnant.
Nous avons toujours constaté que les Français de souche étaient les plus consommateurs et en particulier bien sûr des drogues les plus répandues, que sont l’alcool et le tabac.
Mme la Présidente.- Madame, merci infiniment pour cet exposé et ces études auxquelles vous avez procédé.
M. Bernard PLASAIT, Rapporteur.- Madame, je vais laisser la parole à mes collègues. Je voulais simplement vous demander deux petites choses.
D’abord concernant l’ecstasy et les drogues de synthèse, nous avons compris à travers nos auditions et nos visites que pour beaucoup, le grand danger à l’avenir, la grande consommation des jeunes dans l’avenir serait les drogues de synthèse. Dans vos études, sentez-vous monter cette tendance ?
Mme CHOQUET.- Il est vrai que parmi les drogues autres que celles que j’ai citées, ce sont celles qui auraient le plus augmenté. Le problème est que nous n’avons pas nécessairement des données nous permettant de l’affirmer, parce qu’en 1993 nous n’avions pas la question en tant que telle. C’est donc plutôt par soustraction, d’une certaine façon, que nous pourrions dire qu’en effet c’est la drogue qui a le plus augmenté.
Je crois que les personnes qui disent qu’elle a tant augmenté vont plutôt se baser sur des études étrangères que françaises, ce qui peut être effectivement assez intéressant, parce que lorsque nous voyons l’image de l’Europe, il est vrai que les produits de synthèse ont le plus augmenté. Souvent on cite l’Angleterre, qui a eu une augmentation très importante. Quoi qu’il en soit, sur tous les produits autres que le cannabis, nous ne sommes pas tout à fait dans la même tendance que ce que nous constatons en Angleterre. Peut-être, mais je n’en suis pas sûre.
M. PLASAIT.- Oui, d’autant que ce pronostic avait été fait au temps du LSD. Nous avions imaginé que ce serait une explosion et en réalité, cela n’a pas été le cas.
Mme CHOQUET.- En réalité, nous ne l’avons jamais constaté. Il faut toujours être prudent. C’est un peu comme d’ailleurs pour le cannabis, nous constatons une augmentation et après une stabilité, puis éventuellement une diminution et nous avons quelque chose en sinusoïde, mais nous n’avons jamais 100 % d’une population par exemple qui aura expérimenté du cannabis. Aucune enquête, dans aucun pays, même les pires, n’a vu des taux de ce type. Nous sommes à 50 % pour un âge de 16 ans. Nous pouvons supposer, ou l’espérer tout au moins, que nous avons atteint notre taux maximal.
M. PLASAIT.- Je vous remercie.
Une autre question me préoccupe un peu. Vous avez parlé des champignons comme étant une des consommations importantes. Or, ce n’est sans doute que la troisième ou la quatrième fois, mais pas beaucoup plus, peut-être que nous entendons parler de champignons. Je suis en train de me demander si nous ne sommes pas passés à côté d’un phénomène plus important que ce que nous pouvions imaginer. Pouvez-vous nous dire quelques mots de plus là-dessus ?
Mme CHOQUET.- Je suis d’accord avec vous, parce que si nous regardons les autres consommations par exemple, par âge, car nous regardons aussi ce qui se passe par âge et c’est un assez bon indicateur, si par exemple un produit augmente peu avec l’âge, nous supposons que nous avons mieux maîtrisé la chose que s’il augmente de façon exponentielle.
Parmi tous les produits autres que l’alcool, le tabac, le cannabis et les médicaments parce que c’est un peu particulier, notamment pour la France, c’est le seul produit qui augmente très sensiblement avec l’âge. A l’âge de 19 ans, 10 % des garçons en ont expérimenté et 4 % des filles. Nous avons toujours cette différence par sexe. Par rapport à 14 ans où nous en avons 3 %, vous voyez que cela a triplé entre 14 et 19 ans, ce qui n’est pas vrai par exemple quand nous regardons ne serait-ce que l’ecstasy ou d’autres substances. Nous pouvons donc penser que nous sommes peut-être passés à côté de quelque chose. Nous-mêmes avons été très étonnés de ce constat.
M. PLASAIT.- J’ai une autre question, qui sort peut-être un peu de votre champ d’investigation, d’étude, mais qui est un des points nous préoccupant. Quel type de message a le plus de chance de toucher les adolescents ? Avez-vous des éléments de nature à nous éclairer sur ce sujet ?
Mme CHOQUET.- D’abord, les comportements ne sont pas tant liés aux messages que ce que nous croyons. Le message en soi n’est pas ce qui fait consommer un jeune. Ce qui le fait consommer, c’est que la société consomme la substance, nous le voyons avec l’alcool, le tabac, l’attitude qu’a la société en général sur une substance.
Il me semble que sur le cannabis, cette augmentation peut être quand même partiellement expliquée par le fait que certains disaient que cela ne faisait rien, que c’était moins grave que l’alcool. Comme tout le monde consommait de l’alcool, on se dit que si c’est moins grave, consommons les deux au fond.
Après, il y a bien sûr aussi les difficultés personnelles des uns et des autres.
Je ne suis pas sûre que les messages aient autant d’importance que cela. Déjà, il faut bien dire que l’attitude des adultes va être prédominante. Comment allons-nous réagir en tant qu’adultes dans notre propre consommation et sur l’image que nous donnons aux jeunes vis-à-vis des substances ? Il me semble que c’est un point assez important.
Par exemple quand nous regardons les Suédois, ils ont une très faible consommation de cannabis. Je leur ai demandé pourquoi ils en avaient peu, car après tout ils sont un pays développé. Ils disent que chez eux, cela ne se fait pas. C’est un message indirectement donné par les adultes, cela ne se fait pas.
M. PLASAIT.- C’est ce que nous avons constaté.
Mme CHOQUET.- A partir de là, le contrôle social d’une certaine valeur de proximité va jouer un rôle très important. D’ailleurs quand nous demandons aux jeunes pourquoi ils ne consomment pas, bien sûr cela ne prévaut pas à 100 %, mais ils répondent que c’est parce que leurs parents ne veulent pas. Une attitude assez claire sur des choses par les parents est peut-être parmi les protections possibles, probablement une des meilleures.
Effectivement, dans ce cas-là le message est plutôt indirect que direct par les publicités, etc. Il faut aussi faire des messages bien évidemment, mais cela ne peut pas se faire sur un substrat, si je puis dire, d’incohérence, de consommation élevée. S’il y a une prise de conscience des adultes, à ce moment-là les jeunes demandent à avoir des informations claires, mais aussi les dangers. Ils le demandent, surtout les petits, qui sont beaucoup plus sensibles à tout ce qui est danger, que les plus grands, qui souvent demandent plus de données scientifiques.
Les dangers seraient plus adaptés aux plus petits, parce qu’au fond il faut qu’ils ne commencent pas. Pour les plus grands, pour ceux qui ont parfois déjà consommé, les données scientifiques pourraient éventuellement faire qu’ils ne continueront pas ou qu’ils modéreront, qu’ils essaieront de contrôler leur consommation.
Je vous dis, cela reste au total peut-être epsilon, enfin non, je crois qu’après tout si la publicité existe, c’est qu’elle fonctionne ; mais sur tout ce qui est comportements à risque, c’est quand même plus une ambiance sociétale qu’uniquement le message.
Si nous avons comme objectif de diminuer la consommation d’alcool et de tabac chez les adultes, cela peut être un excellent vecteur de diminution de consommation chez les jeunes et même d’autres produits. Nous voyons quand même qu’ils vont vers des produits illicites une fois qu’ils en ont consommé des licites. Je ne dis pas que l’un est la cause de l’autre, parce que ce n’est bien sûr pas ainsi que cela se présente. Les Américains appellent cela les "get away". C’est la drogue introductive, celle qui va permettre de dire qu’après tout, cela fait du bien. Agir aussi sur ces drogues et en tant que société responsable sur l’ensemble de la population est probablement une meilleure façon de faire.
C’est ce que nous avons vu sur l’alcool par exemple, puisque nous avons une diminution de la consommation d’alcool en France. Toutes les courbes le montrent. Nous avons une diminution de consommation régulière d’alcool chez les jeunes. Certes, ils s’enivrent. C’est donc contre l’ivresse qu’il faut lutter, mais la consommation régulière d’alcool chez les jeunes est relativement faible et c’est un effet d’une certaine façon, en tout cas cela va dans le même sens, je dirais même multiplié, que ce que nous avons constaté chez les adultes.
M. PLASAIT.- Madame, je vous remercie beaucoup.
Mme la Présidente.- Merci Madame.
Monsieur Barbier, je crois que vous avez des questions à poser.
M. BARBIER.- Oui, Madame la Présidente. J’ai deux petites questions.
Vous n’avez pas trop parlé de l’évolution du comportement. Avez-vous un suivi de ces consommateurs ? Jusqu’à quelâge ? Vers 25 ans, la consommation notamment de cannabis disparaît-elle ? Avez-vous des donnés scientifiques sur ce secteur, qui est quand même important ? A quelle période ?
Deuxième question, vous nous avez dit qu’en matière d’attitude, de comportement des jeunes, quel que soit le milieu, quelle que soit l’origine, la consommation est à peu près la même ou varie très peu. Vous n’avez jamais évoqué notamment lors de la consommation chez les filles d’ecstasy et de drogues assez fortes de ce type les problèmes liés à la sexualité. Est-ce un facteur que vous avez analysé dans ce domaine ?
Mme CHOQUET.- D’abord sur l’évolution, il y a diverses façons de la voir. Par des coupes transversales, nous pouvons suivre l’évolution du phénomène, à savoir si nous avons une augmentation de la consommation ou pas. C’est surtout ce que j’ai fait, ce dont j’ai parlé.
Sur le suivi des jeunes, c’est-à-dire ce que deviennent les consommateurs en tant qu’individus, nous avions déposé un projet, parce que ces études coûtent très cher et pour lequel nous n’avons jamais eu les moyens de le faire.
En France, nous ne disposons pas d’une enquête de suivi des adolescents, et ce quels que soient leurs problèmes d’ailleurs, pour voir ce qu’ils deviennent ultérieurement. Pourtant je suis d’accord avec vous, si des nouveautés sont à amener en matière de recherche, il faut bien sûr suivre régulièrement les phénomènes. La nouveauté serait dans le suivi des individus pour savoir ce qu’ils deviennent.
Nous avons une toute petite expérience de suivi, mais sur un an seulement, ce qui ne correspond bien sûr pas à la question que vous vous posez, qui est plus à long terme. Néanmoins nous constatons que sur un an, qui consomme consommera. Grosso modo c’est ce que nous constatons et en particulier d’ailleurs pour le tabac, qui est le produit finalement assez banalisé mais qui rend les jeunes assez dépendants. Quand ils sont consommateurs, il leur est assez difficile de s’arrêter. Il y a aussi le cannabis, mais dans une moindre mesure.
Si nous faisons la hiérarchie des produits addictogènes, ce serait le tabac d’abord, le cannabis et in fine l’alcool, au regard de ce que nous voyons sur un an de consommation.
En ce qui concerne les filles, nous constatons que quel que soit le produit, à part les médicaments, elles sont moins consommatrices. C’est aussi vrai, bien sûr, pour l’ecstasy. Cependant comme pour l’ensemble des consommations, celles consommatrices d’ecstasy vont beaucoup plus mal que les garçons consommateurs. Nous retrouvons cette différence quelle que soit la substance, mais nous en avons beaucoup moins. Par contre, il y a chez elles beaucoup plus d’absentéisme, beaucoup plus de violence et cette dernière est particulièrement forte, en particulier chez celles consommatrices de drogues illicites.
Mme la Présidente.- Merci infiniment Madame. Nous avons bien noté qu’il vous manquait quelques moyens pour poursuivre des choses particulièrement utiles pour l’avenir.
M. PLASAIT.- Ce sera mis en exergue.
Mme CHOQUET.- Merci beaucoup.
Source : Sénat français
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