(procès-verbal de la séance du 29 novembre 2000)

Présidence de M. Bernard Cazeneuve, Président

M. Bernard Cazeneuve, Président : Nous accueillons aujourd’hui M. le Général Jean Fleury.

Mon Général, vous avez exercé d’éminentes responsabilités au sein de l’état-major des Armées, tout d’abord comme Sous-chef d’état major, puis, de 1987 à 1989, comme Chef d’état-major particulier du Président de la République. Vous étiez donc le conseiller le plus proche du chef de l’Etat en matière de défense, avant d’accéder à la fonction de Chef d’état-major de l’armée de l’Air.

En dehors des opérations aériennes conduites dans le Golfe et sur lesquelles le Ministre de la Défense vient de nous transmettre il y a quelques jours des documents déclassifiés, qui ont été communiqués à nos rapporteurs et mis à la disposition des membres de la mission, l’objet de cette audition est aussi de recueillir des précisions comme des appréciations plus personnelles d’un haut responsable militaire qui a eu à connaître de décisions essentielles pour l’organisation générale des Armées, décisions susceptibles d’avoir eu des incidences opérationnelles directes.

Votre audition intervient après d’autres auditions publiques, celles des Généraux Roquejeoffre, Schmitt et du Médecin général inspecteur Bladé. Nous espérons qu’elle complétera notre connaissance sur la chaîne de commandement de l’époque. Nous souhaitons que vous puissiez nous apporter des éléments d’information complémentaires de ceux qui nous ont été communiqués, notamment dans la perspective de l’audition du Général Bernard Janvier, prévue le 12 décembre prochain.

Je vous rappelle que notre méthode de travail est celle d’une imprégnation progressive des faits et de leur chronologie, sans omettre la connaissance de la répartition des rôles entre ce qui est purement militaire et ce qui relève de compétences techniques - en matière d’armement, par exemple - ou scientifiques, comme c’est le cas pour les vaccinations, l’administration de médicaments, voire les équipements de protection « NBC ». Sur ces points, la mission d’information a déjà recueilli des informations intéressantes. Il lui reste toutefois à mieux comprendre certains mécanismes de fonctionnement des Armées, notamment lorsque celles-ci sont en situation opérationnelle, sur le théâtre des opérations.

J’ajoute, pour les membres de la mission, que je leur ai transmis copie d’une lettre que vient de m’adresser le Médecin général Gautier, actuel directeur du Service de santé des Armées que nous avons déjà entendu, non pas en audition publique mais en audition à huis clos. Cette lettre fournit des précisions et des rectifications aux déclarations qu’il a faites devant la mission. Nous parlerons de cela entre nous, ultérieurement à l’audition du Général Fleury.

Si vous en êtes d’accord, mon Général, je propose que nous procédions comme nous l’avons fait avec ceux qui vous ont précédé. Nous vous entendrons pour un bref exposé, au terme duquel je donnerai la parole aux membres de cette mission. Mon Général, vous avez la parole.

Général Jean Fleury : Je vous remercie, M. le Président, de me recevoir et de me donner la parole.

Comme vous le rappeliez, j’étais Chef d’état-major de l’armée de l’Air lors des opérations « Bouclier du désert » et « Tempête du désert ». J’étais d’autant plus sensible à la question de la guerre chimique que j’avais été responsable, de 1978 à 1981, des programmes de matériels de l’armée de l’Air. A ce titre, j’ai été l’artisan de la mise en condition de cette armée pour le travail en ambiance chimique. J’avais d’ailleurs rencontré quelques oppositions en son sein, à cette époque, certains Généraux craignant en effet qu’un programme de protection chimique ne fasse croire que les forces aériennes pourraient un jour s’engager dans des opérations interdites par la Convention de Genève.

J’étais finalement parvenu à convaincre le Chef d’état-major de l’armée de l’Air, en raison du programme d’armements chimiques de l’URSS et du fait que ces derniers avaient été utilisés en Afghanistan, puis par l’intermédiaire de l’Irak - avec des conseillers russes - contre l’Iran. Le programme s’est ensuite déroulé avec l’entraînement des personnels, programme que j’ai été heureux d’avoir lancé lorsque mes responsabilités ont été celles de Chef d’état-major.

Mon exposé comprendra trois parties. Dans une première partie, je rappellerai les principes de base de la protection chimique de l’armée de l’Air, car c’est important pour comprendre certaines décisions et réactions. Dans une seconde partie, je présenterai les faits tels que je les connais. Je terminerai enfin par évoquer certaines questions, car poser les questions c’est souvent un peu y répondre.

Commençons donc par les principes de base.

Les armes chimiques sont des armes de nature fort différente les unes des autres, dont les effets sont très variés. J’ai apporté pour votre mission un document que j’avais rédigé lorsque j’étais Chef de l’état-major particulier du Président de la République. C’est une information technique sur les armes chimiques. Je l’avais rédigée à l’intention de M. Edgard Pisani, qui représentait à l’époque le Chef de l’Etat dans les négociations sur le désarmement. Ceci m’évitera d’être trop long.

Les armes chimiques ne sont pas des armes nouvelles. Elles ont véritablement vu le jour pendant la « Grande guerre » de 1914-1918, au cours de laquelle furent utilisés des produits comme l’ypérite. Au cours de la seconde guerre mondiale, elles n’ont pas été utilisées. Mais des armes beaucoup plus efficaces, les neurotoxiques, furent alors développées. Puis, après-guerre, les études se sont poursuivies avec des agents V. Je rappelle qu’avec ce type d’agents, une gouttelette de 0,2 mg sur la peau suffit à tuer un homme.

Ces produits chimiques peuvent être soit répandus par avion, soit projetés par l’artillerie ; cependant, du fait du lancement et des caractéristiques de ces armes, bien qu’on les appelle « armes de destruction massive », les zones de traitement s’expriment plus en hectares ou en dizaines d’hectares qu’en centaines de kilomètres carrés, comme c’est le cas pour les armes nucléaires. Ce sont donc des armes parfaitement adaptées à des attaques sur des points géographiques précisément limités : une zone du front, une base aérienne, une base navale.

Les dangers qu’elles représentent, et cela ressort déjà de mes propos, sont de deux types : le danger « liquide » - la gouttelette qui vient vous toucher - et le danger « vapeur » - le produit que vous allez inhaler. Face à ces dangers, il existe des mesures de protection. En cas d’alerte, les personnels se rendent dans des abris équipés de moyens de filtrage de l’air. S’ils sont à l’extérieur et surpris loin des abris, ils doivent disposer de vêtements pour se recouvrir - une sorte de poncho, un masque, des gants, des sur-bottes - et se rendre au plus tôt aux abris pour y subir une décontamination avant d’y pénétrer. En opérations, ils revêtent des vêtements spécifiques de protection contre ces produits, fabriqués essentiellement à base de tissu de charbon actif et, naturellement, un masque. Les véhicules disposent aussi de filtres. Tout cela obéit à des procédures extrêmement rigoureuses et requiert un entraînement indispensable.

La décontamination des hommes s’opère dans des centres analogues à des sas : c’est-à-dire que l’on entre dans un premier local où on se déshabille pour quitter les protections que des liquides auraient pu toucher. Cette opération s’effectue avec l’aide de spécialistes car, sinon, on se contaminerait soi-même. Puis on passe ensuite dans un second local où le danger des vapeurs est éliminé ; on enlève alors son masque. Enfin, on se rend à la douche, où l’on est décontaminé. Les véhicules font également l’objet d’une décontamination.

Pour les exercices d’instruction, il faut utiliser des produits aux caractéristiques hydrauliques identiques à celles de produits chimiques, des simili. C’est ainsi que sont réalisées des opérations au cours desquelles ont été effectuées des simulations de dispersion.

C’était là l’objet du programme que j’avais lancé en 1978. Il avait nécessité la réalisation de vêtements de protection instantanée, celle de vêtements de travail, ou encore de filtres pour les abris, etc. Quand, au bout d’un an, nous avons disposé des prototypes, j’ai décidé de procéder à une expérimentation grandeur nature : des avions ont répandu le simili au Centre d’expérimentation de l’armée de l’Air de Mont-de-Marsan, lors d’un exercice baptisé Ciguë I. Ce fut une catastrophe : le pilote muni de son équipement a été victime d’un évanouissement avant même de monter dans son avion ; avec leur masque, les opérateurs de DCA ne voyaient plus le viseur ; les filtres n’étaient pas adaptés au système de filtration des abris existant et les personnels supposés être contaminés par quelques gouttelettes de ce simili toxique se tassaient les uns contre les autres en se rendant au sas pour être décontaminés et se contaminaient tous mutuellement.

Il a donc fallu recommencer. En 1980, une deuxième tentative, appelée Ciguë II, a eu lieu, toujours à Mont-de-Marsan. Elle nous a donné satisfaction.

Nous avons pu alors lancer les équipements de série. En 1981, nous avons fait un essai sur une base opérationnelle à Nancy, qui a également donné satisfaction. Depuis lors, tous les dix-huit mois, les bases de l’armée de l’Air font un exercice de protection contre les armes chimiques.

Si je rappelle cela, ce n’est pas pour le plaisir de raconter mes campagnes, mais pour vous indiquer que la protection chimique n’est pas si simple. La mise en condition des personnels nécessite l’expérimentation des matériels avant leur construction en série. Il faut une doctrine de travail en ambiance chimique et un centre d’instruction, que l’armée de l’Air a créé à Cazaux. De nombreux exercices, élémentaires bien sûr mais aussi en grandeur nature, sont indispensables pour que les personnels acquièrent de véritables réflexes sur ces problèmes et aient moins peur de ce danger.

Telles sont les mesures qui ont été prises. Elles ont demandé un entraînement réel de l’ensemble des personnels de l’armée de l’Air, dont je tire la satisfaction d’avoir contribué à les mettre en _uvre avant que je ne sois nommé Chef d’état-major de l’armée de l’Air. Venons-en aux faits.

Le 15 septembre 1990, le Président François Mitterrand décide que les Armées françaises participeront à l’opération « Bouclier du désert ». J’arrête le principe, bien entendu, de n’envoyer que des personnels entraînés et préparés au travail en ambiance chimique. Ils emportent donc tous leurs équipements spécialisés.

En janvier 1991, le dispositif de l’armée de l’Air était le suivant : nous avions une base aérienne opérationnelle à Al Ahsa dotée de quarante avions de combat, d’un Transall d’écoute électronique, de deux hélicoptères Puma, d’un radar, de défenses contre les avions ennemis et d’un effectif en personnel de support d’environ mille personnes placées sous les ordres du Colonel Amberg, promu Général depuis lors.

La base de Riyadh assurait le transport et le ravitaillement en vol avec cinq avions ravitailleurs, cinq Transall, deux appareils de liaison et environ quatre cents personnes.

Quatre autres détachements étaient situés à Dhahran, sur la base américaine, où quarante mécaniciens de l’armée de l’Air française mettaient en _uvre les Mirage F1 koweïtiens qui avaient pu s’échapper au moment de l’invasion du Koweït, à Doha où nous avions un escadron de mirages F1 pour la défense aérienne du Qatar, aux Emirats Arabes Unis où nous disposions de missiles sol-air Crotale et de mécaniciens pour les Mirage 2000 des Emirats. Enfin, nous avions quelques personnels auprès de la division Daguet, avec des missiles Crotale et un radar permettant le guidage des avions au-dessus des troupes.

Tous les personnels avaient, bien sûr, leur équipement individuel. Des abris et des sas de décontamination avaient été mis en place par nos soins à Al Ahsa et à Riyadh. Le détachement de Dhahran bénéficiait de ceux de l’armée américaine. A Doha, au Qatar, mes personnels étaient dans un véritable hangar bétonné, bien aménagé avec filtrage de l’air et réalisé par l’armée de l’Air qatarie. Aux Emirats Arabes Unis, je ne me souviens pas de leur installation, mais il ne s’agissait pas forcément de centres bien organisés, car le nombre des personnels n’était pas très élevé.

Pour ce qui est de la division Daguet, le Général Bernard Janvier vous en parlera beaucoup mieux que moi, d’autant que je n’ai pas suivi de près ce qu’il faisait car je ne pouvais avoir qu’une totale confiance en lui. Je le connaissais depuis longtemps.

Mes personnels avaient été vaccinés, sur mon accord, concernant les principales maladies que nous risquions de rencontrer : fièvre jaune, hépatite, méningite, etc. Les médecins du Service de santé des Armées doivent connaître cela mieux que moi.

Les personnels de l’armée de l’Air ont-ils subi des attaques chimiques par épandage ou du fait d’opérations d’artillerie ? A ma connaissance, non. Si cela avait été le cas, comme j’étais informé de tout quotidiennement, je l’aurais certainement su. Il n’y a donc pas eu d’attaque chimique par avions ou par artillerie. Nous avons eu de nombreuses attaques de Scud, non pas sur Al Ahsa malgré de nombreuses alertes, mais sur Riyadh et Dhahran. A ma connaissance, ces Scud étaient équipés de têtes explosives et non de têtes chimiques. S’ils avaient été équipés de têtes chimiques, il est vraisemblable que leur température de rentrée en basse atmosphère, de l’ordre de 600 ou 700 degrés, aurait dissocié les molécules toxiques.

Pour la division Daguet, je préfère ne pas en parler. Je ne sais rien. Le Général Janvier vous dira ce qu’il en était.

En ce qui concerne les pilotes, dès le premier jour, douze de nos avions ont lancé des attaques à basse altitude. Ils étaient équipés de toutes les composantes de leur protection chimique, d’autant qu’ils attaquaient après d’autres avions et que des dépôts de toxiques auraient pu être attaqués. A ma connaissance, aucun produit chimique n’a atteint les avions. Quatre d’entre eux ont été touchés, mais par des munitions classiques.

Les missions suivantes se sont déroulées à haute altitude. Il n’y avait vraiment aucune raison qu’ils rencontrent des menaces ou des vaporisations de produits toxiques. Les avions avaient d’ailleurs toujours leur protection.

En ce qui concerne les médicaments, j’ai eu connaissance, fin décembre ou début janvier, de la mise en place par le Service de santé des Armées d’un médicament de l’éveil. C’est un médicament que je connaissais car il était en expérimentation à Mont-de-Marsan. Il permettait aux combattants de rester actifs pendant 24 ou 36 heures, sans avoir besoin de dormir. Ensuite, il y a un contrecoup, et on doit impérativement récupérer par le sommeil.

J’ai interdit l’utilisation ce produit pour plusieurs raisons. La première est que toutes ses conséquences, à moyen terme et à long terme, notamment sur le personnel navigant, n’étaient pas connues. La seconde est que je pensais que le conflit n’allait pas durer trois jours mais plutôt trente, et qu’il n’y avait donc aucune raison de s’en servir. J’en ai donc interdit l’emploi, sauf autorisation expresse de ma part.

Je vous rappelle que c’est le commandement qui est responsable de la santé de ses hommes. Certes, nous bénéficions de l’aide indispensable des médecins militaires. Ils font un travail remarquable et sont extrêmement compétents, mais c’est le commandement militaire qui décide en dernier recours. J’ai donc donné le feu vert aux vaccinations, car je pensais que c’était une bonne chose, suivant en cela l’avis du Service de santé. Pour le Virgyl, le médicament de l’éveil, j’ai refusé.

J’ai appris au début de ce mois l’existence d’un autre médicament de prévention face aux attaques chimiques. Je dois dire qu’en tant que Chef d’état-major de l’armée de l’Air, je n’en ai pas souvenir. Soit le Service de santé des Armées ne m’en a pas informé, ce que je considérerai comme regrettable, soit il y a eu un dysfonctionnement dans la chaîne opérationnelle de l’état-major des Armées, car il est vrai que nous n’avions pas d’aviateurs dans cette chaîne. C’est un peu le problème au sein de ces structures interarmées : si l’on joue l’économie, on n’a pas le spécialiste qu’il faut au bon moment ; si l’on multiplie par trois - un aviateur, un terrestre et un marin -, cela coûte très cher. Dernière hypothèse, il y aurait eu un raté au sein de l’armée de l’Air.

Si j’en avais eu connaissance, j’aurais demandé les résultats des expérimentations, en m’attachant tout particulièrement à connaître ce qu’il pouvait en être pour le personnel navigant. J’aurais alors probablement décidé de son emploi ou de son non-emploi. Plus vraisemblablement, j’aurais donné des consignes d’emploi extrêmement strictes au nom du principe de précaution. De toutes façons, je pense que tant pour le médicament de l’éveil que pour cet autre fameux médicament, nous devons aujourd’hui, dix ans après, bien connaître les conséquences à long terme.

Je connaissais l’existence d’atropines dans les trousses de protection chimique et j’étais tout à fait favorable à leur emploi puisque c’est une utilisation « après coup » - si l’on est touché, cela ne peut être pire.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Ce médicament dont vous avez appris, en début de mois, l’existence et son absorption par le personnel militaire, lequel est-ce ?

Général Jean Fleury : C’est la « protructimine », je ne me souviens plus exactement du nom...

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Le bromure de Pyridostigmine.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Vous dites ne pas en avoir été informé ?

Général Jean Fleury : Je ne m’en souviens absolument pas.

M. Bernard Cazeneuve, Président : J’ai là une note du Médecin général inspecteur Miné, alors directeur central du Service de santé des Armées, adressée à M. le Général d’armée aérienne, Chef d’état-major de l’armée de l’Air, en date du 19 septembre 1990. Son objet est le suivant : Prétraitement par la Pyridostigmine des personnels navigants de l’armée de l’Air.

Général Jean Fleury : Je ne m’en souviens pas.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Vous avez été informé ; cette note le montre. C’est une note du Service de santé des Armées qui vous a été adressée. Par conséquent, il n’y a pas eu de dysfonctionnement puisque cette note existe ; elle vous était directement adressée. Elle émane du Service de santé des Armées et elle indique très clairement le médicament dont il s’agit.

Général Jean Fleury : Je ne m’en souviens absolument pas.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Nous mettrons cela sur le compte du nombre et de l’importance des notes qui vous parvenaient à cette période.

Général Jean Fleury : Ce n’est peut-être pas remonté jusqu’à moi ?

M. Bernard Cazeneuve, Président : Vous avez été informé, j’ai ici cette note de septembre 1990. Il s’agit d’un document déclassifié. Elle vous est adressée et émane du Service de santé des Armées et débute ainsi : « Par le message cité en référence, vous rappelez au personnel navigant exposé aux risques chimiques existant actuellement dans la zone du Golfe arabo-persique de ne pas absorber de comprimés de Pyridostigmine. »

Donc, non seulement vous avez été informé, mais vous demandiez que cette molécule ne soit pas absorbée. Vous preniez des décisions.

Général Jean Fleury : Ah ? D’accord.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Je vous le signale parce que c’est plutôt bien que vous ayez réagi.

Général Jean Fleury : Tout à fait. Vous voyez, je ne m’en souvenais pas.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Toujours dans le même ordre d’idée, j’ai une note de 1986 pour l’état-major de l’armée de l’Air intitulée « Prétraitement par la Pyridostigmine dans l’armée de l’Air », où il est dit : « La direction centrale du Service de santé des Armées a l’honneur de faire connaître à l’état-major de l’armée de l’Air que seul le prétraitement par la Pyridostigmine est contre-indiqué au personnel naviguant. »

Je m’étonne que vous vous rappeliez du Modafinil et que vous ne vous souveniez plus du bromure de Pyridostigmine.

Général Jean Fleury : Mais je ne suis pas surpris de ma réaction.

M. Bernard Cazeneuve, Président : De quand date cette note ?

Général Jean Fleury : Septembre 1990, apparemment.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Au stade de l’exposé du Général Fleury, il était, à mon avis, important de préciser cela de manière à ce qu’il puisse poursuivre son exposé avec des faits rétablis dans leur réalité.

Général Jean Fleury : Tout à fait.

M. Charles Cova, Vice-président : Je rappelle que le document dont fait état Mme Rivasi date, lui, de 1986.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : C’était une position de la direction centrale du Service de santé des Armées qui le déconseillait au personnel navigant. Le document que vous avez mentionné date du 22 septembre 1990.

M. Bernard Cazeneuve, Président : S’il vous plaît, rétablissons les choses dans leur cadre, pour la clarté de l’audition, pour les membres de la mission comme pour la presse puisqu’il s’agit d’une audition publique. Le Général Fleury nous a indiqué dans son exposé liminaire qu’il n’a pas été informé de l’existence de la Pyridostigmine. C’est inexact. J’ai ici cette note de 1990 qui vous était adressée, mon Général, puisqu’elle a été envoyée au Chef de l’état-major de l’armée de l’Air, fonction que vous occupiez à l’époque.

Général Jean Fleury : Tout à fait.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Cette note dit le contraire. Vous convenez avec nous que vous ne vous en souveniez plus ?

Général Jean Fleury : Absolument.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Les choses sont rétablies.

La première note de 1986 est antérieure à votre prise de fonction. Vous pouviez donc très bien ne pas en avoir été informé, mais pas pour ce qui concerne la seconde note.

M. Claude Lanfranca, co-rapporteur : Je souhaitais seulement apporter un renseignement d’ordre médical. Depuis 1985, on savait que le bromure de Pyridostigmine provoquait des myosis, c’est-à-dire un rétrécissement de la pupille provenant d’un trouble de l’innervation de l’iris. Par conséquent, on ne pouvait pas en administrer aux pilotes. Cela, indépendamment de la guerre du Golfe.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Mon Général, vous pouvez poursuivre votre exposé.

Général Jean Fleury : Je dirai simplement pour terminer que, pour moi, la santé des personnels de l’armée de l’Air était, d’une façon générale, bonne, et même plutôt meilleure que dans d’autres formations. J’ajouterai, perfidement peut-être, que l’interdiction d’alcool a été, à cet égard, un élément positif.

M. Bernard Cazeneuve, Président : L’interdiction d’alcool, mon Général, est un élément positif pour quiconque doit piloter un engin !

Général Jean Fleury : Oui, je crois que c’est assez bénéfique tant au plan physique que psychique, bien que je ne rejette pas le bon goût du vin...

M. Bernard Cazeneuve, Président : Nous avons d’ailleurs modestement légiféré en la matière. (sourires)

Général Jean Fleury : Comme je vous l’indiquais précédemment, je me suis posé des questions. Je me les pose toujours d’ailleurs, car je m’étonne que le taux des anomalies de santé rencontrées chez les personnels ayant participé aux opérations au Moyen-Orient ait été très différent de celui que l’on rencontre dans la même tranche de population en France. Je m’interroge car si le taux était du même ordre, la question serait réglée. En revanche, s’il est supérieur, je pense qu’il faut examiner cela de plus près, en établissant la comparaison entre les différents détachements, ceux de la division Daguet, de la base d’Al Ahsa ou de ceux stationnés de Riyadh, les autres composantes du corps expéditionnaire étant trop peu nombreuses pour constituer des échantillons significatifs. Il faudra ensuite savoir, bien évidemment, qui a consommé quoi ? Grâce aux trousses médicales, les médecins doivent le savoir.

Il est hors de doute qu’il y ait eu un stress. Cela dit, ce sont les pilotes qui ont combattu pendant quarante-trois jours qui ont connu le stress le plus fort, d’autant qu’ils subissaient régulièrement des alertes de tirs de Scud au cours de la nuit.

Ce stress est également le fruit de conséquences liées aux vaccins - bien que l’on sache cela depuis longtemps et que ce soit donc sans problème - et de conséquences climatiques, encore que le climat le plus difficile était celui de la base d’Al Ahsa située au niveau de la mer, contrairement à Rafha, située à 1200 mètres d’altitude. Il y a eu aussi les problèmes d’alimentation, car nos camarades de l’armée de Terre ne bénéficiaient pas d’installations fixes et ont consommé beaucoup de rations de combat. De plus, les produits frais n’avaient pas, dans ce cadre, les mêmes aptitudes à la conservation que sur la base d’Al Ahsa ou de Riyadh.

Enfin, la division Daguet a-t-elle été exposée à des risques liés à des dépôts de munitions qui auraient pu contenir des substances chimiques ? Je n’en sais rien. Les Américains ont détruit des dépôts. J’ai vu des reportages qui m’ont, du reste, grandement surpris. Manifestement, j’ai eu le sentiment que ces reportages ne correspondaient pas à des unités engagées en ambiance chimique. Indiscutablement, des questions se posent, auxquelles malheureusement je n’ai pas de réponse.

Je vous remercie, M. le Président, de m’avoir permis de vous donner un certain éclairage en rapportant mes souvenirs. Je suis très heureux que cette mission ait été constituée pour nous livrer une analyse impartiale sur ce qui a pu se passer. Il était bon que je vous présente la façon dont l’armée de l’Air était organisée pour faire face à la menace chimique représentée par les unités iraqiennes. Je suis maintenant prêt à répondre aux questions.

M. Claude Lanfranca, co-rapporteur : Comme les autres officiers généraux que nous avons auditionnés, vous dites qu’il y a pas eu d’alerte chimique. Beaucoup disent qu’ils n’ont pas eu de déclenchement des appareils de détection type détalac. Or je lis dans une note officielle que « la fréquence des alertes - cinquante et une en six mois - a largement contribué à la formation, à la condition psychologique du personnel. » Sur quoi était basée ces alertes ?

Général Jean Fleury : Pour moi, c’étaient les alertes concernant les Scud. Les Américains, vous le savez, avaient un dispositif de satellites qui détectaient les départs de tirs par infrarouge ; ce système mesurait l’impact probable et il transmettait l’alerte aux détachements. Il y a donc eu régulièrement des alertes. Les personnels allaient aux abris. Il fallait faire très vite. Les Américains avaient des moyens permettant de donner l’alerte en précisant la zone vraisemblable de retombée. Il n’empêche que rien n’est tombé sur Al Ahsa qui était à quelque cent kilomètres de Riyadh. Mais l’alerte était tout de même lancée.

M. Claude Lanfranca, co-rapporteur : Ainsi, ces alertes n’étaient pas déclenchées à partir des détecteurs de pollution chimique.

M. Aloyse Warhouver : M. le Président, je relève que chaque fois que des responsables des différents états-majors sont auditionnés, le terme de stress est employé. Le stress peut certes laisser des traces psychosomatiques, mais pourquoi ce stress serait-il, dans le Golfe, plus fort qu’ailleurs ? La surmédiatisation de ce conflit a-t-elle joué ? Les militaires engagés réagissaient-ils différemment que ceux qui ont vécu des guerres plus longues, qui en avaient pris tellement l’habitude qu’ils ne prêtaient plus attention aux mêmes phénomènes ? Cela peut-il laisser des traces ? Cette surmédiatisation que la population a vécu, a-t-elle frappé l’armée ?

Général Jean Fleury : Il est difficile de répondre. Il y a eu un stress plus élevé dès l’instant qu’il y avait un risque chimique que l’on connaissait mal. Ce n’est tout de même pas très agréable. Il y a eu un stress à cause de ces alertes de Scud qui conduisaient les hommes à courir aux abris régulièrement pendant la nuit. Dire que ce stress était très dommageable ? Pour ma part, je me suis rendu à Riyadh. Il y a eu des attaques de Scud. Je vous avoue que j’ai dormi.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Je reviens sur la question de la Pyridostigmine, car il me semble qu’il y a eu une mauvaise interprétation des choses.

Dans le premier document, qui date de 1986, la direction centrale du Service de santé des Armées indiquait à l’état-major de l’armée de l’Air qu’il valait mieux que les pilotes n’utilisent pas la Pyridostigmine. Les raisons évoquées étaient celles liées à la capacité oculaire dont parlait M. Lanfranca, mais on avait aussi relevé chez les volontaires qui avaient expérimenté ce produit un problème concernant la capacité à effectuer certaines tâches. On s’était en effet rendu compte que plus nombreuses étaient les tâches à effectuer, plus il y avait de handicaps quant à leur exécution.

Mais la note que vous avez reçue, Général Fleury, dit le contraire. Ainsi, en 1986, on vous demandait effectivement de ne pas faire prendre la Pyridostigmine aux pilotes puis on précise, postérieurement, que « cet ensemble de considérations me conduit à lever les restrictions contenues dans mes correspondances des 7 février et 17 avril 1986. »

En fait, nous ne savons pas si, oui ou non, les pilotes ont pris ce médicament parce que, s’il était auparavant déconseillé de le prendre, cette note lève les restrictions. Donc, vous ne savez pas si vous avez demandé à vos militaires de suivre la nouvelle directive - ce qui revenait à leur administrer la Pyridostigmine - ou si, comme pour le Modafinil, vous avez décidé qu’ils n’en prendraient pas ? Vous ne pouvez pas répondre ?

Général Jean Fleury : Je ne sais pas répondre à cette question.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Ma question suivante porte sur les munitions. J’ai eu en main des documents sur l’emploi des armes et j’ai vraiment besoin de vos compétences à ce sujet car je ne suis pas une spécialiste.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Madame, juste une précision quant à la question précédente. La note que vous venez de citer, en date du 19 septembre 1990 commence ainsi : « Par le message cité en référence, vous rappelez aux personnels navigants exposés au risque chimique existant actuellement dans la zone du Golfe arabo-persique, de ne pas absorber de comprimés de Pyridostigmine. » Vous avez donc, mon Général, donné à vos soldats la directive de ne pas prendre ce médicament.

Cette note, qui vous parvient le 19 septembre 1990, indique que vous aviez donné instruction à vos soldats de ne pas prendre ce médicament...

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Ce n’est pas...

M. Bernard Cazeneuve, Président : ...Non ! Pardonnez-moi, mais je tiens à ce que tout soit clair. Ces documents seront annexés au rapport. Je m’efforce d’être précis : cette note date du 19 septembre 1990. Il s’agit d’une note déclassifiée qui émane du Médecin général inspecteur Jean Miné, directeur central du Service de santé des Armées, adressée au Chef d’état-major de l’armée de l’Air, c’est-à-dire le Général Fleury. Cette note a un objet : Pré-traitement par la Pyridostigmine du personnel navigant de l’armée de l’Air. Elle commence par une phrase, que je cite une seconde fois : « Par le message cité en référence, vous rappelez au personnel navigant exposé au risque chimique existant actuellement dans la zone du Golfe arabo-persique, de ne pas absorber de comprimés de Pyridostigmine. J’ai l’honneur de vous faire connaître les commentaires qu’appellent, de ma part, cette directive. ».

Par conséquent, le Général Fleury, qui est bien à l’époque Chef d’état-major de l’armée de l’Air, a donné l’instruction à ses soldats de ne pas prendre ce médicament. Cette directive donnée, elle fait l’objet d’un commentaire de la direction centrale du Service central de santé des Armées en date du 19 septembre 1990, portant sur les effets de la Pyridostigmine sur les militaires. Ce commentaire contredit la note de 1986 dont Mme Rivasi a donné lecture, et qui indiquait, elle, que ces comprimés de Pyridostigmine pouvaient avoir des effets sur le comportement des militaires.

Pour savoir si ces médicaments ont été absorbés ou pas, il nous faut nous livrer en tant que parlementaires à un travail complémentaire qui consiste à demander au ministère de la Défense et aux niveaux concernés, c’est-à-dire à l’état-major des Armées et au Service de santé des Armées, si ce commentaire a fait, à la suite de la directive que vous avez donnée, l’objet d’une contre-directive. En cas de contre-directive, les médicaments auraient été absorbés. Sans contre-directive, ils ne l’auraient pas été car, dans l’armée, une directive doit venir en contredire une autre, sinon les ordres demeurent inchangés.

Nous devrions être donc en mesure de donner une réponse assez facilement.

Général Jean Fleury : Malheureusement, je ne peux pas vous répondre. Il faudrait que l’on plonge dans tous les dossiers et archives pour obtenir ces renseignements.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Nous allons le faire.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Nous allons également recueillir le témoignage des pilotes. Ils vont nous dire s’ils en ont pris ou non.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Nous ferons ce travail. Je voulais simplement dire, et notamment à la presse, que ce travail est un travail rigoureux : nous auditionnons des personnalités ; nous avons des documents qui comportent des éléments très précis. Ces éléments apportent des réponses qui peuvent faire l’objet de demandes complémentaires auprès du ministère de la Défense. C’est ainsi que nous travaillons. Nous ne faisons pas du sensationnel ; nous ne sommes pas ici pour faire des gros titres, mais pour rétablir les faits dans leur rigueur.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : J’en reviens aux armes. J’ai eu un bilan des missions offensives des avions français. Lorsque je lis « tir des quatre : bingo », que veut dire « bingo » ?

Général Jean Fleury : « Bingo », cela veut dire que le tir a atteint son but. Cela signifie que la munition a touché la cible visée.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Et que veut dire « Bidons largués » ?

Général Jean Fleury : Ce sont les réservoirs supplémentaires de carburant que l’on largue en vol afin que les avions accélèrent à basse altitude. Le premier jour, tous les réservoirs supplémentaires, dits « bidons », ont été largués précédemment à l’attaque.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Qu’y a-t-il dans les bombes à pénétration que vous avez utilisées pour les bunkers et les aéroports ?

Général Jean Fleury : Ces bombes ressemblent un peu à une roquette. C’est donc un projectile qui une fois largué, accélère, commence à s’incurver et à qui un deuxième propulseur donne encore une accélération pour lui faire pénétrer le béton de la piste et exploser sous la piste.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Que contiennent-elles ?

Général Jean Fleury : Des explosifs classiques. Je ne connais pas les formules chimiques.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Vous ne savez pas si elles contiennent de l’uranium ?

Général Jean Fleury : Non. Il n’y a pas d’uranium appauvri dans les munitions françaises, à ma connaissance. Cela a été regardé de près car l’uranium appauvri, par sa masse beaucoup plus élevée que les autres métaux, a un pouvoir de pénétration beaucoup plus efficace. A ma connaissance, il n’y en avait pas dans l’armée de l’Air.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Vous n’en avez donc pas utilisé. Mais saviez-vous que les Américains employaient des obus-flèches ou des bombes à base d’uranium appauvri ?

Général Jean Fleury : Oui, je connaissais l’existence d’obus-flèches à uranium appauvri, mais je ne peux pas garantir qu’ils aient été utilisés. Ces armes entraient toutefois dans la panoplie américaine, je le confirme.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Les Américains ont-ils utilisé les bombes « Durandal » ?

Général Jean Fleury : Je ne peux pas vous répondre. Ils ont effectivement acheté des bombes de type « Durandal », lorsque j’étais Chef d’état-major. Les ont-ils utilisées ou pas ? Je ne peux vous répondre sur ce point.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Concernant les armes utilisées par les alliés, il n’y avait pas communication de l’utilisation faite par les uns et les autres ?

Général Jean Fleury : Il y avait des objectifs à détruire. Par conséquent, les différentes armées de l’Air avaient leurs munitions. Qu’un F15 soit équipé d’une arme ou d’une autre me laissait totalement indifférent. Cela ne laissait cependant pas indifférent le poste de commandement qui organisait l’ensemble des frappes pour avoir un plan cohérent, mais ce n’était pas le problème de chacun des détachements opérationnels.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Quel est le fabricant français qui vend les bombes pour les avions ?

Général Jean Fleury : Les bombes de pénétration étaient fournies par Thomson-Brandt pour la BAP 120 et la BAT 100. Pour ce qui est de la bombe « Durandal », je pense qu’elle était fabriquée par Matra, mais je risque peut-être de me tromper.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Lorsque vous avez bombardé des sites chimiques irakiens, avertissiez-vous les troupes à terre que vous alliez bombarder ces sites ? Existe-t-il une liaison entre l’armée de l’Air et l’armée de Terre ?

Général Jean Fleury : Je pense qu’il faut répondre un peu différemment à votre question.

Premièrement, à ma connaissance, les objectifs que nous attaquions n’étaient pas des dépôts chimiques car les Français ont attaqué des objectifs militaires, c’est-à-dire des dépôts de munitions de type conventionnel.

Deuxièmement, je ne suis pas sûr que les Irakiens, dans leurs dépôts sur l’avant du front, sur des bases comme As Salman, aient mis des munitions chimiques. Cela dit, c’est à vérifier. Je n’ai pas la réponse. Le Général Bernard Janvier saura sans doute vous le dire.

Troisièmement, comme je l’indiquais tout à l’heure, les attaques d’objectifs résultaient d’un plan d’ensemble et d’un plan groupé. Nous avons attaqué un certain nombre de petits hangars où se trouvaient des avions. Nous avons aussi attaqué des dépôts de munitions. Nous avons beaucoup attaqué les chars de la Garde présidentielle irakienne, qui étaient dispersés dans le désert. Je n’ai pas du tout le souvenir d’attaques menées sur des dépôts d’armes chimiques. Je suis donc très réservé sur l’existence de telles attaques.

Votre question porte aussi sur les relations entre les armées de l’Air et de Terre. Il y a eu trois phases très différentes dans la bataille.

La première, au cours des dix premiers jours, était la conquête de la supériorité aérienne. Les objectifs étaient de neutraliser les pistes, pour que les avions irakiens ne puissent pas décoller, et de détruire les radars et les systèmes de communication de la défense aérienne irakienne.

Lors de la deuxième phase, les trente jours suivants, nous avons préparé l’attaque de l’armée de Terre. Il s’agissait de casser tous les flux logistiques qui pouvaient aider l’Irak et de détruire son artillerie. Le Général Janvier vous parlera sûrement des « sacs à feu », sortes d’entonnoirs équipés de pièces d’artillerie pour pulvériser toute division arrivant par les axes de pénétration. Nous avons attaqué ces dispositifs en liaison avec l’armée de Terre, bien sûr, pour savoir ce qu’il valait mieux attaquer, et comment s’y prendre.

Enfin, lors de la troisième phase, c’est-à-dire lorsque l’armée de Terre a été engagée, nous avions une coordination complète. C’est la raison pour laquelle j’avais installé un radar de l’armée de l’Air auprès de la division Daguet.

M. Charles Cova, Vice-président : Mon Général, vous nous avez dit que les avions français, les Jaguar, n’avaient pas attaqué de dépôts de munitions qui auraient pu contenir des armes chimiques. A votre connaissance, les Américains l’ont-ils fait ?

Général Jean Fleury : A ma connaissance, les Américains ne l’ont pas fait non plus. Au terme des debriefings que nous avons eus avec eux, il semble que les stocks chimiques soient restés centralisés et n’aient pas été poussés vers l’avant. Ma réponse résulte de conversations, de debriefings, et je ne peux, là encore, avoir une absolue certitude. Je ne peux pas assurer totalement qu’il n’y ait pas eu de munitions chimiques dans des dépôts ayant fait l’objet d’attaques aériennes.

M. Charles Cova, Vice-président : Dans le même ordre d’idée, vue votre compétence en matière « NBC », pensez-vous que si des dépôts chimiques avaient été bombardés, le dégagement qui en aurait résulté aurait pu contaminer les troupes de la division Daguet engagées au sol ?

Général Jean Fleury : Tout dépend de la date à laquelle de tels faits se seraient produits.

M. Charles Cova, Vice-président : Je pense aux attaques aériennes des 17 janvier et 28 février 1991 ?

Général Jean Fleury : Non. Le 17 janvier, sûrement pas. Le 28 février, il peut y avoir de la substance persistante au sol, qui reste encore un peu, mais pas de danger de vapeurs.

M. Charles Cova, Vice-président : Du persistant dans les poussières ?

Général Jean Fleury : Oui. Mais tout dépend des produits mis en place par les Irakiens, et encore, aurait-il fallu qu’ils en aient mis en place. J’ai quelques doutes à ce sujet, mais, je le répète, aucune certitude.

Ensuite, cela dépend des produits chimiques qu’ils ont utilisés. Par exemple, tous les produits utilisés par l’Irak contre les Iraniens étaient des produits qui, dès le lendemain, voyaient leurs effets terminés. Il existe des produits qui persistent plus longtemps. Mais je ne connais pas le détail de la production irakienne en ce domaine.

M. Claude Lanfranca, co-rapporteur : Mon Général, on a souvent entendu dire ou lu qu’il y avait eu des enfouissements de matériels, et plutôt dans des périodes d’attaque que de retrait. Si vous étiez au courant, quelles en ont été les raisons ?

Général Jean Fleury : Je ne comprends pas.

M. Claude Lanfranca, co-rapporteur : Je parle de l’enfouissement de matériels utilisables par les soldats. On a enterré du matériel sur place dans des moments non pas de départ mais plutôt lors d’attaques. En connaissez-vous la raison ?

Général Jean Fleury : Je ne peux absolument pas répondre à cette question. Je ne peux que faire des suppositions et risquer d’amener votre mission sur des fausses pistes. Il faut poser cette question au Général Janvier.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Nous avons un document comportant une carte sur laquelle figurent toute une série de sites d’usines chimiques irakiennes : Samarra, Al Qaim, Mossoul, Salman Pak, etc. Aviez-vous établi une relation de collaboration suffisante avec les Américains pour savoir ce qu’ils ont bombardé dans ce cadre ?

Général Jean Fleury : Oui et non. L’ensemble des frappes faisait l’objet d’une planification en trois étapes.

La première étape, une semaine précédant l’attaque, fixait les idées générales de ce que nous allions faire.

Ensuite, lors de la deuxième, et après celle de l’air task order, qui était diffusé quarante-huit heures avant l’opération, on précisait à chacun sa mission. Cet ordre d’opération tactique était établi à partir du poste de commandement (PC) allié aérien à Riyadh. Au sein de ce PC, j’avais deux officiers dont le rôle était essentiellement de veiller à ce que les ordres donnés et les missions confiées aux Français s’intègrent parfaitement dans les directives politiques fixées par le Chef de l’Etat et le Gouvernement français.

Il est parfaitement vrai qu’un des objectifs des Américains, dès le début des opérations et en parallèle avec l’obtention de la supériorité aérienne, a été de détruire les capacités chimiques et nucléaires irakiennes pour que, dans l’hypothèse d’un retrait rapide du Koweït, elles soient déjà détruites.

A ma connaissance, ces installations étaient situées assez loin dans le pays et nous ne sommes pas intervenus de ce point de vue. Nos objectifs étaient beaucoup plus proches, plus à la portée des Jaguar, les avions français n’étant pas très gros parce que cela coûte plus cher et que la politique était de ne pas mettre trop d’argent dans le budget de la Défense. Nous ne sommes pas allés très en profondeur en Irak.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Avez-vous établi, dans le cadre de l’armée de l’Air, un circuit donnant à peu près les orientations des avions par rapport à l’Irak ?

Général Jean Fleury : Excusez-moi, je ne comprends pas votre question.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Vous dites que vous n’êtes pas allés au Nord. Quel a été le circuit des avions français ?

Général Jean Fleury : Les huit premiers jours, ce fut le Koweït. Par la suite, nous avons travaillé sur les divisions de la Garde présidentielle, qui étaient situées en arrière du Koweït ; puis, sur l’axe de pénétration de la division Daguet.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Ce sont là les missions offensives du mois de janvier et du mois de février.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Si nous pouvions avoir un document concernant l’artillerie lourde, ce serait bien.

Général Jean Fleury : (dépliant une carte de la région) Voici la péninsule de l’Arabie Saoudite et voici l’Irak.

Nous avons, la première semaine, attaqué des objectifs irakiens au Koweït. Ensuite, nous avons attaqué les divisions blindées juste derrière. Enfin, nous avons terminé avec l’axe de pénétration allant de Rafha à As Salman.

Pour vous expliquer d’un mot, la stratégie de Saddam Hussein était la stratégie française de 1939 : établir une ligne Maginot le long de la frontière et s’arrêtant à la frontière belge, c’est-à-dire, dans ce cas précis, à la frontière saoudienne, pour que les assaillants ne passent pas par là ; mais, contrairement à 1939 - et comme l’aurait souhaité le Général de Gaulle - des divisions blindées étaient installées derrière cette ligne pour pouvoir intervenir en cas de percée.

C’est donc essentiellement en arrière de cette ligne que nous avons travaillé. Les Américains ont travaillé plus en profondeur et les Britanniques ont travaillé sur l’ouest de l’Irak. Pour notre part, nous ne sommes pas allés très loin, le maximum étant As Salman, et nous n’avons jamais dépassé l’Euphrate.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Vous avez insisté tout à l’heure que sur le fait que vous veilliez, en tant que responsable militaire, à la bonne protection de vos troupes en cas d’attaque. Vous disiez que cela relevait de votre rôle et que c’était aussi le rôle du Service de santé des Armées de veiller à ce que cela soit fait.

Une note qui nous a été communiquée, une note déclassifiée, comporte un paragraphe intitulé : « Protection du personnel navigant ». Cela concernait donc vos troupes. Voici ce qu’on y lit : « Le niveau d’équipement et d’entraînement des pilotes différait selon le type d’avions mais, dans la majorité des cas, la connaissance du matériel n’est pas très bonne, les pilotes arrivant sans formation. Cependant, l’officier NBC de la base, ancien instructeur de l’Ecole des techniciens de la sécurité de l’armée de l’Air (ETSAA), a les connaissances nécessaires à la formation de ce personnel. Les séances ont commencé le 10 janvier. »

Dois-je en déduire que les pilotes qui ont été envoyés sur place disposaient de compétences et d’une préparation nettement insuffisantes, comparées au risque ? Cela s’inscrirait incontestablement en contradiction avec le principe de précaution et de vigilance qui a présidé à votre exposé.

Général Jean Fleury : Je ne suis pas du tout d’accord avec cette note. De quand date-t-elle ?

M. Bernard Cazeneuve, Président : C’est un document de janvier 1991. Il s’agit du compte rendu de la mission effectuée du 8 au 15 janvier 1991 par le pharmacien chimiste en chef Failly, « relative à la défense NBC des éléments air stationnés en Arabie saoudite ». J’ai bien entendu ce que vous avez indiqué tout à l’heure.

Général Jean Fleury : Je conteste, parce que...

M. Bernard Cazeneuve, Président : Vous avez dit qu’un chef militaire doit veiller à ce que tout se passe bien pour ses troupes, qu’elles ne soient pas exposées inutilement. Vous avez dit également que c’est le rôle du Service de santé des Armées d’examiner cela. J’ai là un compte rendu de la mission effectuée par un homme du Service de santé des Armées, compétent sans doute, concernant la protection de vos troupes, qui comporte un paragraphe intitulé « Protection du personnel navigant », dont le contenu est tout de même assez ennuyeux.

Général Jean Fleury : Oui, mais je conteste ce que je viens d’entendre parce que tous les personnels ont suivi des entraînements. Toutes les bases aériennes de l’armée de l’Air faisaient des exercices d’ensemble au moins tous les dix-huit mois ; cela s’appelle des évaluations tactiques, au cours desquelles on réalise un exercice avec épandage.

Je suis allé sur place moi-même. J’ai pu vérifier le dispositif. Je ne peux pas partager cet avis. J’y suis allé deux fois, l’une avant et l’autre pendant les opérations. Je conteste totalement ce point de vue.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Quand une opération a lieu, elle se base toujours sur le fondement d’un ordre d’opération. Nous avons d’ailleurs demandé communication de la totalité des ordres d’opération. Une fois qu’elle a eu lieu, elle fait l’objet d’un compte rendu d’opération qui émane, bien entendu, des militaires qui ont été en charge de sa conduite.

Elle peut également faire l’objet de comptes rendus complémentaires émanant du Service de santé des Armées. Ces documents vous sont-ils communiqués, au nom du principe assez classique d’amendement des dispositifs existants ou d’un retour d’expérience ?

Général Jean Fleury : Des rapports ont été faits. Il y a eu de nombreux groupes de travail qui ont travaillé ensuite sur leur exploitation, généralement sous l’autorité de l’état-major des Armées. Beaucoup de choses ont été faites en ce sens, mais je n’en ai pas un souvenir totalement rigoureux.

M. Bernard Cazeneuve, Président : L’ordre d’opération du détachement Daguet à Koweït City, qui date du 27 février 1991, concerne moins votre domaine, mais je relève un point intéressant dans la définition des missions : « Rétablir, en liaison avec les autres forces alliées, la souveraineté de la France au Koweït - il s’agit de notre ambassade - ; assurer la dépollution et la remise en ordre et la sécurité de l’ambassade et de ses enceintes, participer en coordination avec les Alliés à l’aide humanitaire au profit des Koweïtis dans le domaine de la dépollution - dépiégeage, déminage -, de la santé - soins aux blessés et malades, lutte contre les épidémies... » Que recouvre ce concept de dépollution ?

Général Jean Fleury : Pour moi, la dépollution consiste à enlever tous les engins explosifs n’ayant pas explosé. Il s’en trouvait un peu partout, en englobant éventuellement les dispositifs de piégeage.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Parmi les armes que vos hommes ont été amenés à enlever et qui n’avaient pas explosé, aurait-il pu se trouver des armes chimiques ou autres ? Avez-vous des éléments à ce sujet ?

Général Jean Fleury : Je n’ai pas d’éléments sur ce point. Je ne pense pas, du moins a priori, que ce soit l’armée de l’Air qui ait été chargée de réaliser cette dépollution. Je serais très surpris qu’il y ait eu là un risque chimique. Cela paraît impossible. Je donne là un avis.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Nous avons également un ordre de redéploiement, en date du 11 mars 1991, qui indique que « la menace chimique, dans l’état actuel des choses, peut être considérée comme quasi nulle ». Cela me conduit à me demander quels sont les éléments d’information sur lesquels on se fonde pour faire une déclaration de ce type quand on est militaire et que l’on rédige un ordre d’opération ?

Général Jean Fleury : J’aurais besoin d’une précision : de quand date ce document ?

M. Bernard Cazeneuve, Président : Il date de mars 1991. C’est un ordre de redéploiement, un document émanant du Général Roquejeoffre.

Général Jean Fleury : A cette date, les opérations étaient terminées et l’on considérait qu’il n’y avait eu aucune attaque chimique et donc aucune trace de produits ou de problèmes de cette nature, tout au moins dans la zone concernée.

M. Bernard Cazeneuve, Président : C’est donc un regard rétrospectif ; ce n’est pas un regard sur les risques d’opérations militaires irakiennes pendant le redéploiement ?

Général Jean Fleury : Tout à fait. C’était fini. Il n’y avait plus de risque militaire. C’est comme cela que je l’interprète, et c’est comme cela que je l’aurais écrit.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Avez-vous participé aux opérations effectuées après l’opération Daguet, et appelées opérations « Libage » et « Aconit », au nord de l’Irak ? J’ai le témoignage d’un Colonel qui indique que deux expéditions se sont déroulées dans ce secteur : une expédition humanitaire pour les populations kurdes et une expédition de surveillance du cessez-le-feu.

Général Jean Fleury : Il y a eu effectivement par la suite des opérations avec mise en place d’avions pour vérifier le cessez-le-feu et protéger les populations kurdes.

Je vais essayer de puiser dans mes souvenirs, mais j’ai quitté ma fonction le 1er décembre 1991. Je pense que la mise en place de ces avions a eu lieu pendant que j’étais encore Chef d’état major de l’armée de l’Air. En revanche, concernant la mission humanitaire, je ne pense pas que l’armée de l’Air ait apporté une contribution.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Ce n’est pas la même époque. C’était d’avril à août 1991. Vous étiez donc encore Chef d’état-major. L’armée de l’Air a-t-elle participé à ces opérations ?

Général Jean Fleury : Pas à ma connaissance.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Parce que, pour reprendre ce que disait le Président Cazeneuve, lorsque vous dites que le risque chimique était nul, nous voyons bien là qu’il existait une certaine inquiétude ; les troupes irakiennes remontaient vers le nord et, malgré tout, des éléments laissaient à penser qu’ils avaient pu contaminer l’eau. On n’est jamais à l’abri d’un risque chimique irakien, sachant le nombre de sites chimiques irakiens qui pouvaient exister.

Je vous invite à consulter le numéro de « Sciences et Avenir » paru ce matin même. Un reportage montre des images de contamination de soldats par l’uranium. Nous voyons les gens en tenue NBC qui décontaminent des soldats. Avez-vous été alerté, averti de ces poussières radioactives, qui ont contaminé des gens ?

Général Jean Fleury : Ma réponse est négative. Mais l’uranium appauvri ne doit pas être très radioactif.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Mais il est très toxique à l’inhalation.

Général Jean Fleury : Il est possible qu’il soit toxique, mais il n’est pas radioactif.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Il est radioactif car quand on dit qu’il est radiotoxique, cela signifie que c’est un émetteur alpha. Une fois que l’uranium a pénétré les alvéoles pulmonaires, vous savez, cela peut causer des dommages irréversibles !

M. Bernard Cazeneuve, Président : Sur ce point, qui est important, je n’ai, pour ma part, aucun document, ni aucune photo identifiés. J’ai beaucoup de respect pour la presse, mais sur d’autres dossiers je me suis rendu compte que l’on procédait parfois par amalgame. Par conséquent, je vérifierai ces éléments. S’ils sont vrais, nous l’indiquerons. S’ils ne sont pas exacts, nous le dirons aussi.

Nous avons d’ailleurs posé, avec Mme Rivasi, une question au ministère de la Défense concernant un document qui montrait des photographies légendées dans une de ses publications d’information. Dans le rapport de la mission, nous mentionnerons la réponse apportée par le ministère sur l’origine de ces photos qui sera, je pense, extrêmement éclairant à la fois sur ce qu’elles visent et sur l’utilisation et l’exploitation qui ont pu en être faites par certains.

Aujourd’hui, nous ne savons pas. Nous ne pouvons pas déduire de cette photo que l’uranium appauvri a été utilisé. Il n’y a aucune indication de source pour cette photographie ; je ne connais pas les conditions ni le lieu dans lesquels elle a été prise. Nous devons vérifier. Nous ne pouvons pas - ou alors nous sortons de l’objectif de rigueur scientifique qui est le nôtre - considérer que des documents qui n’ont pas fait l’objet d’un travail de vérification et d’investigation de notre part auprès des administrations concernées, sont exacts. A partir de cette photographie, il semblerait qu’il ait eu de l’uranium appauvri, mais je ne peux l’affirmer. Je n’en sais rien.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Si vous voulez, j’ai une position un peu plus affirmative que celle de notre Président dans la mesure où cette affirmation vient des Américains. Concernant les Français, jusqu’à preuve du contraire, je n’ai pas eu d’informations montrant que l’on a utilisé de l’uranium appauvri. Mais savez-vous si les obus-flèches sont à base d’uranium.

Général Jean Fleury : Il faudrait demander cela à mes homologues de l’armée de Terre. A priori, je vous répondrais que non. Mais demandez-leur. Leur réponse sera plus crédible que la mienne.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Il y a eu, je crois, un rapport du Congrès américain sur l’utilisation de l’uranium appauvri par les Américains. En tant que Chef d’état-major de l’armée de l’Air, vous m’avez dit être informé de cette utilisation ; mais étiez-vous informé des risques ?

Ce qui motive ma question est que vous avez tenu un discours, que j’ai très bien entendu, en disant que vous deviez informer vos pilotes pour assurer une meilleure protection. Si vous étiez au courant de cette utilisation de l’uranium appauvri par les Américains, avez-vous informé vos soldats des risques pour que, s’ils étaient dans une zone contaminée, ils puissent prendre le minimum de précautions nécessaires ?

Général Jean Fleury : Je vous répondrai que le rôle et les missions de l’armée de l’Air sont totalement différents. Pour un pilote, s’il y a un obus incorporant de l’uranium appauvri et s’il respire cette sorte de poussière, c’est vraiment trop tard, et cela est complètement égal ; c’est avant qu’il doit sauver sa peau.

Donc, je peux difficilement répondre à cette question. Les risques pour l’armée de l’Air sont nuls.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Cela ne vous perturbe pas.

Général Jean Fleury : Non, pas dans le cas de l’armée de l’Air. Je serais responsable des personnels à terre, du combat de la mêlée terrestre, cela me préoccuperait. Mais, pour ce qui est de la mêlée aérienne, mon problème est tout autre.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Supposons que vos pilotes fassent un atterrissage forcé dans une zone contaminée. Cela peut arriver. Vos pilotes peuvent, un jour ou l’autre, dans des circonstances de guerre, être au contact. Les pilotes ne sont pas toujours en vol. Ils peuvent aussi être contraints à un atterrissage dans des conditions difficiles, en zone contaminée. C’est pour cela que votre réponse ne me satisfait pas pleinement.

Général Jean Fleury : Malgré tout, son emploi par les Américains me laissait indifférent. Je n’ai jamais pris en compte une guerre contre les Etats-Unis. Cela aurait été différent si les Soviétiques avaient utilisé l’uranium appauvri, mais je n’avais pas d’informations à ce sujet. Cela ne veut pas dire d’ailleurs qu’ils n’en disposaient pas.

M. André Vauchez : Mon Général, vous avez répété à plusieurs reprises qu’il n’y avait pas eu d’attaques chimiques de l’Irak sur nos soldats. Mais vous avez évoqué les différents bombardements de la France, de l’Angleterre et des Etats-Unis. Pensez-vous que des établissements chimiques aient peut-être été touchés.

Général Jean Fleury : C’est très possible.

M. André Vauchez : Après un tir, on dresse donc un bilan de l’opération. Avez-vous eu connaissance, de la part des Américains, de bilans faisant état de pertes de population irakienne en dehors du point d’impact et de souffle, c’est-à-dire à une distance où cette population aurait dû être indemne s’il n’y avait pas eu de produits chimiques ? En d’autres termes, selon vous, des Irakiens sont-ils morts en raison d’émanations de produits chimiques ?

Général Jean Fleury : De tous les debriefings avec les Américains auxquels j’ai participé, je n’en ai jamais entendu parler. Cela ne veut pas dire qu’il n’y en ait pas eu, mais que je n’en ai jamais entendu parler.

M. Charles Cova, Vice-président : Le Général Fleury a répondu à mes interrogations. Comme il le disait à Mme Rivasi, la mêlée aérienne n’a rien à voir avec les tirs d’obus-flèches. L’armée de l’Air les tire éventuellement mais, ensuite, les pilotes rentrent. Effectivement, il peut y avoir un crash et l’éjection d’un pilote qui tombe dans une zone contaminée, mais c’est relativement rare. Il n’empêche que je pense que cela devrait faire partie des directives qui devront être données à l’avenir.

Général Jean Fleury : En effet, cela fait partie de la « culture générale » des militaires appelés à combattre.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : En cas de pollution chimique, avez-vous établi, dans votre état-major, des modèles de dispersion ? En cas de bombardement d’un site chimique, en fonction du vent, par exemple, avez-vous réalisé des modèles d’évaluation quant à l’effet de dispersion du nuage ?

Général Jean Fleury : Nous disposons de modèles non pas pour le chimique mais pour le nucléaire. C’est un domaine que nous connaissons bien. Il fait l’objet d’exercices. Il y a toute une doctrine en fonction du vent et en fonction de la nature, parce qu’un incendie de plutonium, c’est d’une autre conséquence que de l’uranium appauvri

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Je suis d’accord, mon Général, mais s’il y a une explosion dans un site contenant de l’ypérite, comme c’est indiqué dans les documents parce qu’il existe tout de même toute une liste de gaz super-toxiques, entre le VX, le soman et bien d’autres, je puis vous assurer que vos troupes subiront de très lourdes pertes.

Général Jean Fleury : Je parlais de comparer le plutonium à l’uranium appauvri. Puisque nous n’avons pas d’armes chimiques, nous n’avons pas de modèles de dispersion des produits. Mais nous avons des modèles de dispersion de tous les nuages, précisément pour couvrir le cas de fumées toxiques dues à un incendie, en particulier de plutonium. Nous disposons de ces éléments comprenant toutes les procédures : les systèmes d’alertes, les systèmes de bouclage, les systèmes de calcul des points de retombée en fonction du vent.

Nous avons aussi, bien évidemment, en collaboration avec la protection civile, des procédures en cas d’attaques nucléaires de notre territoire et de problèmes de retombées. Dans ce cas précis, c’est la protection civile qui est directrice des opérations qui se déroulent à partir de stations radar de l’armée de l’Air.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : La mission pourrait-elle disposer de documents sur ces modèles de dispersion ?

Général Jean Fleury : Bien sûr. Cela ne pose, à mon avis, aucun problème.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Nous les demanderons.

Général Jean Fleury : Se posent ensuite les problèmes en cas d’incendie de ces produits, de leur toxicité, de leur durée de toxicité, etc. Je ne suis pas spécialiste ; il conviendrait d’interroger les pharmaciens-biologistes spécialisés. Tout ce que je peux dire, c’est que l’incendie est un élément plutôt favorable parce qu’il détruit les molécules. Mais il n’y a pas que les situations d’incendie.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Nous vous remercions, mon Général, de ces éléments d’information que vous avez apportés à la mission d’information.


Source : Assemblée nationale (France)