(Procès-verbal du mardi 19 décembre 2000)

Présidence de M. Bernard Cazeneuve, Président

M. Bernard Cazeneuve, Président : Madame, vous êtes médecin spécialiste chargée de mission au sein du Cabinet du Haut Commissaire à l’Energie Atomique du CEA.

Je vous propose que nous procédions comme à l’accoutumée, après un court exposé introductif nous vous poserons un ensemble de questions permettant d’avancer dans nos investigations.

Mme la Docteure Flüry-Hérard : J’ai accepté bien volontiers de venir vous présenter l’essentiel des travaux menés au Commissariat à l’Energie Atomique (CEA) et sur lesquels des synthèses scientifiques ont été réalisées avec d’autres organismes internationaux, portant principalement sur les effets de l’uranium, et pas spécifiquement sur l’uranium appauvri.

Il faut retenir, des effets biologiques et de la toxicité de l’uranium naturel, d’une manière générale, que l’uranium est plus un toxique chimique que radiologique. Cela est lié au fait que les périodes radioactives des différents isotopes de l’uranium, à l’exception de deux d’entre eux, sont des périodes relativement longues. Ses d’effets toxiques sur l’homme et les animaux sont donc essentiellement liés à ses propriétés chimiques.

Deuxième point à souligner : l’uranium peut avoir des effets après une exposition humaine, à la fois par inhalation quand il est sous forme de poussière de petite taille, et par ingestion. Dans ce dernier cas, il faut avoir conscience que l’ensemble de la population ingère tous les jours de toutes petites quantités d’uranium. C’est un des composants normal de l’organisme humain. Nous ingérons et excrétons un à deux micro-grammes d’uranium quotidiennement.

La troisième possibilité d’exposition à l’uranium sont des dépôts cutanés. L’uranium peut, dans certaines conditions, pénétrer au travers de l’épiderme notamment par des plaies ou des brûlures.

La meilleure méthode pour détecter une exposition à l’uranium est la mesure de la concentration urinaire car, une fois absorbé, l’uranium passe dans le sang et va se répartir dans l’organisme pour se fixer de préférence dans le rein et le squelette. Il existe une élimination urinaire d’uranium qui peut se mesurer dans les populations humaines chez des sujets ayant pu être exposés.

Le réservoir d’uranium dans le corps humain est le squelette. Le passage secondaire se fait par la circulation sanguine avec une élimination par l’urine, si bien que de l’uranium dans l’urine peut être mesuré plusieurs mois, voire plusieurs années, après une exposition. Quant aux effets pathologiques, nous constatons des lésions essentiellement au niveau du rein, après des intoxications aiguës par de fortes doses d’uranium.

La seconde localisation dans laquelle on a trouvé de l’uranium est l’os. Mais pour ce qui concerne le risque du passage de l’uranium dans le cerveau et dans le système nerveux central, il reste très mal connu.

Nous n’avons pas de données sur l’homme, mais seulement une étude expérimentale récente faite par le Professeur américain T.C. Pellmar et publiée en 1999. Son étude utilisait des pastilles d’uranium appauvries implantées dans des muscles chez des rats. A partir de cette expérience, il a constaté un passage se faisant dans le cerveau. Cette accumulation dans le cerveau a été mesurée sur 18 mois.

Pour ces animaux, les fonctions cognitives n’ont pas été testées en parallèle. Il s’agit donc uniquement de données de métrologie. Nous ne disposons pas de relation entre ces données métrologiques et d’éventuelles conséquences sur le comportement des animaux.

Ces quelques points importants viennent en introduction. Je pense qu’il serait préférable maintenant que vous me posiez vos questions.

M. Jean-Louis Bernard : Cher confrère, le mot syndrome ne paraît pas adapté en raison du manque d’identité nosologique prouvée. Concernant l’inhalation de l’uranium appauvri il faut un temps d’exposition assez long et avoir absorbé des particules. Or, j’ai lu avant de venir à cette audition, que les lésions à l’uranium décelées chez les vétérans étaient liées à des blessures reçues dans leurs chars mais qu’en tout état de cause, elles ne résultaient pas du fait qu’ils aient piétiné le sable. Sachant que vous avez participé à ces recherches, pourriez-vous me confirmer cette notion ?

Mme la Docteure Flüry-Hérard : Pour revenir à l’uranium appauvri, et d’après les principales études faites par les Américains, nous constatons une certaine disparité entre les résultats biologiques et les déclarations des vétérans. Sur le plan clinique et biologique, chez les militaires touchés et pour lesquels nous avons la certitude d’une exposition à l’uranium appauvri par des blessures de petits éclats de taille millimétrique, profondément implantés sous la peau ou dans le tissu musculaire sans avoir pu être retirés chirurgicalement, il a été constaté, sur les 15 ou 20 sujets ayant accepté de se faire suivre, un relargage très progressif de cet uranium appauvri. De ce fait, les concentrations urinaires ont « augmenté » entre les années 1994 et 1997 mais aucune lésion fonctionnelle rénale associée n’a été décelée.

Sur les cinq vétérans les plus exposés, qui présentent donc les taux urinaires les plus élevés, des recherches de troubles neurologiques associés ont été effectuées. Quelques troubles restant difficiles à interpréter sur les fonctions cognitives ont été constatées. En raison du nombre limité de sujets étudiés, il n’est guère possible d’affirmer quoi que ce soit en termes de troubles neuro-endocriniens et sur ce qui relève de l’hypothalamus et de l’hypophyse. L’ensemble des données hormonales est normal à l’exception d’une petite augmentation de la prolactine mais sans troubles associés.

Actuellement, chez ces vétérans, devenus des patients porteurs de concentrations les plus élevées dues à une contamination à l’uranium, le suivi est fait au moyen de tests urinaires. Nous avons deux marqueurs mais nous ne savons pas aujourd’hui s’ils correspondent directement à l’exposition à l’uranium appauvri ou s’ils témoignent d’autres expositions communes aux conditions de la guerre du Golfe.

Ces données concernent les vétérans blessés. Les Américains ont toutefois recensé un certain nombre de troubles dits neurologiques ou neuromusculaires avec des modifications des fonctions cognitives ou du comportement, sur des sujets n’ayant pas été blessés et dont les urines ne contenaient pas d’uranium. Nous ne pouvons pas préciser dans ces cas la notion d’exposition. La difficulté tient au fait que l’uranium n’a pas été recherché dans les urines immédiatement après leur séjour dans le Golfe mais plusieurs années après. En résumé, même avec des tests très sensibles, nous ne pouvons donner des résultats car il faut qu’il y ait eu une exposition et plus particulièrement une inhalation.

Cette dissociation a frappé les Américains : il y a des personnes exposées à l’uranium appauvri de manière certaine, mais également d’autres qui se plaignent de troubles alors qu’elles ont peut-être été exposées à des niveaux divers chez lesquelles il a été constaté des syndromes dont aucun signe n’est spécifique. L’association ne permet donc pas une orientation précise vers quoi que ce soit de particulier actuellement et nous n’avons pas d’indicateurs biologiques.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Connaissez-vous la LAI de l’uranium ?

Mme la Docteure Flüry-Hérard : Non, pas de mémoire.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Pour le calcul des doses, il est intéressant de connaître la limite annuelle d’inhalation. Il existe en fait deux limites : la limite annuelle d’inhalation et celle d’incorporation. La première est constituée par la quantité de becquerels inhalées, cette quantité détermine la dose maximum admissible. Il existe une équivalence entre une quantité de particules que l’on peut inhaler et la dose maximale.

C’est une information intéressante que vous ne donnez pas à la mission. La LAI est très basse car elle est de 3 000 becquerels par an. En résumé, si cette quantité est inhalée annuellement, nous obtenons la dose maximum admissible. Or, à l’époque, elle a été établie sur 5 milli Sievert (mSv). Si nous faisons les calculs, elle est encore plus basse. Selon vous, l’uranium est avant tout un toxique chimique peu radioactif. Je ne partage pas votre avis quant à l’inhalation de ce produit. Il s’avère, d’après des études, que l’uranium inhalé peut provoquer des effets sur l’alvéole pulmonaire et c’est pour cela que la limite annuelle d’inhalation est très basse.

La limite annuelle d’incorporation est une limite très élevée ; tout dépend d’ailleurs du type d’exposition. Par rapport au champ d’investigation de notre mission, le problème est de savoir la quantité respirée par les militaires français, anglais et américains, quand ils étaient sur des terrains contaminés, notamment par des bombes à base d’uranium, ou encore lors d’inspection de chars irakiens, selon des témoignages recueillis auprès de soldats.

Avez-vous réalisé des évaluations ? Avez-vous eu accès aux données de la Délégation Générale de l’Armement (DGA) pour connaître la quantité de poussières radioactives dans un char qui a été traversé par un obus flèche ? Des calculs peuvent être réalisés pour savoir si un soldat a pu dépasser la dose limite ou pas, en fonction de la quantité d’air respiré et en tenant compte du nombre de poussières radioactives, en sachant également que nous sommes dans un milieu confiné. L’uranium 238 et l’uranium 235 ont à peu près la même LAI.

Mme la Docteure Flüry-Hérard : La LAI est commune pour l’uranium 235 et 238 alors qu’ils sont différents. La LAI est un repère, mais elle n’est pas suffisante pour faire une analyse biologique approfondie. Cela reste un simple guide. Au niveau des poumons, la LAI correspond à une quantité d’uranium qui entraîne une toxicité chimique très importante.

Dans la plupart des études réalisées après inhalation, l’uranium n’est pas le seul radionucléide ; il peut être associé à d’autres types d’irradiation. C’est la toxicité radiologique qui est évaluée.

Concernant votre demande sur les quantités de poussières éventuellement relevées, je ne fais ni partie de la DGA, ni du Service de santé des Armées. Il est donc évident que les seules données en ma possession sont celles qui sont publiées. Je n’ai pas d’informations spécifiques relevant d’activités qui ont été des actions de guerre dans le Golfe. Je ne suis jamais allée sur le terrain des opérations.

Au moment de l’impact, le chiffre admis comme celui de la quantité pouvant être plus virulente, car envoyée sous forme de petites particules se mettant à brûler après l’impact, est de l’ordre de 10 milligrammes par m3 et par obus. C’est une concentration très importante se faisant dans un rayon de 4 mètres autour de l’impact. Un phénomène de sédimentation intervient très rapidement après impact, de l’ordre de quelques minutes environ. Tout dépend toutefois du nombre d’obus et de la situation dans laquelle se trouvent chacun des intervenants.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Avez-vous une idée des doses supportées ? Nous sommes confrontés à un problème par rapport à nos soldats. L’information qui nous est donnée est de 10 milligrammes par m3. Pour un obus rentrant dans un char, puisque nous parlons de ce cas précis, il serait intéressant de connaître ces doses, car il existe deux paramètres. Il faut tenir compte du nombre de particules présentes dans l’air et de la dose, après sédimentation, restant dans le char. Qui pourrait nous fournir ces informations ?

Mme la Docteure Flüry-Hérard : A priori, le Service de santé des Armées pourrait éventuellement détenir de telles études. Il pourrait sans doute vous donner ce type d’information sur l’uranium appauvri. Mes données sont publiques et je ne détiens aucune information de cet ordre. Ma présence ici porte sur les aspects biologiques et sur des questions posées, en général, en matière de santé.

M. Claude Lanfranca, co-rapporteur : Ce n’est pas une critique, ni une volonté de polémiquer, nous sommes entre nous mais il faut bien avouer que l’uranium appauvri est dangereux. Si, par exemple, je demande à mon médecin si l’arsenic est dangereux, il me répondra positivement. Le vrai problème n’est pas là mais de savoir si des individus en ont ingéré. Pour l’uranium appauvri, c’est la même chose.

Vos propos sur les LAI - même s’ils éclairent le débat - ne sont pas le problème posé. Il est question de savoir si les soldats ayant inhalé des poussières d’uranium appauvri pendant un temps suffisamment long, peuvent être affectés de ce fait. Sans cela le doute persiste. Je connais un jeune homme qui était dans le Golfe Persique en 1987. Souffrant d’un rhumatisme chronique évolutif, il est, à présent, dans le doute après avoir lu un article dans la presse. Il faut dire la vérité à ces personnes. Il a été dit que les obus flèches à tête d’uranium n’explosent pas et mettent le feu lorsqu’ils sont tirés. En mettant le feu, des particules doivent être projetées. Ces particules peuvent-elles être inhalées ou ingérées et comment peuvent-elles être retrouvées dans l’organisme ?

Mme la Docteure Flüry-Hérard : Par rapport à la documentation la plus récente en ma possession, des tests ont été réalisés sur les conséquences de l’impact qui est la véritable fonction de la flèche, ainsi que sur celles de l’incendie.

Lors de l’impact, on constate une pulvérisation d’une partie de l’uranium appauvri, sous forme de particules dont une bonne partie est de petite taille. Elles peuvent même être respirées et atteindre les poumons. En revanche, dans le cas de l’incendie, même sans impact, là encore, des particules sont libérées, de plus grosse taille, se dirigeant dans les voies aériennes supérieures pour repasser dans le tube digestif et être éliminées par les voies naturelles.

L’impact s’accompagne toutefois d’incendies, et des petites particules mises en suspension s’enflamment, car l’uranium métal est pyrophorique à des températures basses.

M. Jean-Louis Bernard : Avec une flèche en uranium appauvri, le problème n’est pas de savoir si des soldats dans un char atteint par cette arme ont inhalé ou non des particules car je pense qu’ils sont morts immédiatement du fait de l’explosion et de l’incendie. Il est plus intéressant d’étudier les dégâts collatéraux. En raison d’une sédimentation extrêmement rapide, cela reviendrait à dire que le risque est minime au-delà de 4 mètres et, passé un certain temps, il serait encore moins important.

De ce fait, le risque de contamination potentiel n’existerait chez nos soldats qui se seraient exposés en allant voir de trop près les carcasses de chars, que s’ils s’étaient approchés à moins de 4 mètres.

En admettant même qu’ils aient été contaminés par voie respiratoire alvéolaire, ils auraient dû développer plutôt une pathologie du type pulmonaire qu’une pathologie cérébrale, neuropsychologique ou neuropsychique. D’autant que chez les vétérans, vous l’avez dit précédemment, aucun cas d’insuffisance rénale n’est à signaler, alors que nous savons que le rein est potentiellement le site le plus touché car il élimine tout ou partie de l’uranium.

Mme la Docteure Flüry-Hérard : Je ne comprends pas la nature de votre question. Je précise que l’uranium est déposé sous forme de poudre. A ce moment là, il existe deux principales façons d’être exposé. La première c’est évidemment et essentiellement une remise en suspension des particules d’uranium dépendant de la granulométrie. A froid, après les explosions, il a d’ailleurs dû être possible d’avoir une idée plus précise de la granulométrie.

La deuxième possibilité d’exposition, qui ne correspond pas aux conditions d’opération, résulte du passage éventuel de l’uranium dans l’eau ou pourrait être absorbé en boisson. Cela nécessite des temps de transferts qui ne correspondent pas à la situation.

Une autre possibilité serait encore une contamination cutanée par des parois ou des surfaces contaminées par l’uranium appauvri. Compte tenu des conditions, les soldats étant habillés, cela me paraît une hypothèse tout à fait mineure. Il est évident qu’une fois l’aérosol déposé, la seule possibilité est la remise en suspension des particules.

M. Jean-Louis Bernard : D’autant qu’il a été constaté sur un certain nombre de vétérans atteints par des éclats d’uranium, des lésions kystiques, mais pas de véritables pathologies spécifiques. Comment pouvons-nous imaginer une contamination cutanée, par simple pénétration du type pommade, qui donnerait des lésions alors que de l’uranium présent dans l’organisme, bien individualisé, ne semble pas provoquer de pathologie ?

Mme la Docteure Flüry-Hérard : Pour revenir sur les propos de M. Lanfranca, je précise qu’il faut tenir compte des quantités nécessaires pour entraîner une toxicité aiguë car l’uranium, quelle que soit d’ailleurs la période d’exposition, peut avoir des conséquences. Toute la question est de savoir quel est le niveau d’exposition des personnes sur le terrain. Cela tient à la fois de la concentration et du temps. Ensuite, il faut savoir par quelles voies se sont faites les expositions, car cela entraîne des différences de comportements biologiques. Vous évoquiez l’inhalation et la pathologie pulmonaire : il est vrai que la plupart des oxydes inhalés restent dans le poumon car ils sont sous une forme relativement insoluble. Nous savons également qu’une petite fraction passe dans le sang puis dans le rein.

Cela n’a pas été encore confirmé mais une étude expérimentale a été réalisée. Il est évident qu’il faut connaître la porte d’entrée de l’uranium, que ce soient les poumons, le tube digestif ou des plaies.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Je reviendrai sur mon intervention précédente. Quand je parlais des chars, ce n’était pas par rapport aux soldats morts dans des chars bombardés par l’aviation américaine. J’évoquais les risques encourus par les soldats français ayant visité les chars irakiens après qu’ils aient été bombardés. D’où la question que je vous ai posée, docteure, afin de savoir si vous avez connaissance de la quantité de particules radioactives qu’un obus pénétrant dans un char peut dégager. 10 milligrammes par m3 est un chiffre considérable. Ce sont des milliards et des milliards de becquerels qui seraient en cause.

Dans un tel cas, nous pouvons imaginer que si un soldat a pénétré dans un char où toutes ces particules sont en suspension, il a pu dépasser la dose maximum admissible. Cela ne veut pas dire qu’il existe un risque déterminé pour ses poumons, mais bien un risque probabiliste. Plus les personnes reçoivent des doses importantes, plus ce risque existe. C’est comme cela que nous devons faire de la radio protection.

Le deuxième risque est l’exemple du bombardement de l’aéroport d’Al Salman. Si des soldats sont venus sur place sans masque, ils ont pu inhaler ou ingérer des particules radioactives portées par des vents de sable car, d’après le témoignage du Général Roquejeoffre, des vents de sable soufflaient et c’est pour cette raison que les soldats devaient porter des masques.

Enfin, une troisième source de risque est celle de la contamination externe. Sur plusieurs photos nous avons pu voir des militaires sans masque et nous pouvons donc en déduire que des particules ont pu les atteindre. Quels seraient les effets ?

Mme la Docteure Flüry-Hérard : Quand j’ai dit que l’impact d’un obus flèche entraînait, dans un rayon d’environ 4 mètres, une concentration de 10 milligrammes au m3, il s’agissait des instants suivants immédiatement cet impact. Ultérieurement, cela se sédimente très vite. Il est évident que quiconque pénétrant plusieurs heures, jours ou semaines après, dans un char bombardé n’est pas du tout exposé à cet aérosol.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Lors de plusieurs impacts d’obus, les particules peuvent être partout et une personne pénétrant dans le char va les remettre en suspension, d’où l’intérêt de mesures. J’aurais donc aimé qu’il existe des mesures. Je vais d’ailleurs questionner le ministère de la Santé car il me paraît intéressant de savoir si des mesures ont été faites en lieu confiné.

Par ailleurs, pourriez-vous nous parler de l’étude américaine dont vous avez parlé précédemment ?

Et que pensez-vous du rapport du Professeur Durakovic qui a trouvé de l’urine sur des soldats ?

Mme la Docteure Flüry-Hérard : Le Professeur Durakovic a effectivement présenté ses résultats au dernier congrès de médecine nucléaire qui s’est tenu à Paris à la fin du mois d’août et au début de septembre 2000. Il a trouvé de l’uranium 236 dans l’urine de soldats et cela paraît être une donnée objective. En revanche, il n’a pas été en mesure de donner les conditions dans lesquelles s’étaient effectués les prélèvements et quel était exactement la composition de ce qu’il aurait trouvé dans l’urine. Il est évident que ces urines n’étaient pas seulement composées d’uranium 236. Il serait intéressant d’avoir l’ensemble de la mesure globale de la répartition des différents isotopes et des conditions de prélèvement, ce qui permettrait de tracer a posteriori la charge initiale.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Avez-vous eu connaissance d’études françaises sur ce point ? Vous avez dit qu’il n’avait pas été trouvé d’uranium dans les urines. Avez-vous participé à des mesures ? Il aurait été intéressant de savoir si des prélèvements ont été faits sur des soldats. Il serait également intéressant de savoir si nous pouvons recueillir des informations en France notamment par le CEA et qui permettraient d’établir quel type d’uranium a été trouvé. S’il a d’autres isotopes du type de celui de l’uranium retraité, cela voulant dire qu’il existe d’autres radioéléments visibles.

Mme la Docteure Flüry-Hérard : En principe, sur un théâtre d’opération comme celui de la guerre du Golfe, le Service de santé des Armées assure la médecine de surveillance de nos troupes, comme le fait la médecine du travail dans les entreprises.

Le Service de Protection radiologique des Armées (SPRA) assure cette mission de surveillance de terrain.

Récemment, le SPRA a présenté une étude comparative de différentes méthodes sur quelques échantillons, et les résultats obtenus ne mentionnaient pas de trace d’uranium, mais je ne peux pas vous en dire plus.

M. Claude Lanfranca, co-rapporteur : Je vais lire un passage de la déclaration personnelle du Professeur Duracovik : « Ma seule certitude est que de l’uranium 236 est présent dans le corps de mes patients. Je n’ai établi à ce stade aucun lien de cause à effet avec le syndrome de la guerre du Golfe ».

La presse a transformé les propos de ce Professeur en publiant que dans le cas dit du syndrome du Golfe on constatait de graves atteintes à la santé, alors qu’il ne l’a jamais dit. Je tiens à disposition l’extrait complet du passage de son intervention à Paris où il a été scandalisé par ces interprétations. Il ne faut donc pas se servir de ces informations.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Au niveau du CEA, avez-vous un protocole pour faire des mesures à base d’uranium, car il faut une concentration très forte de ces particules ?

Mme la Docteure Flüry-Hérard : Au niveau du CEA, la surveillance est du ressort de la médecine du travail. Nous connaissons, pour l’uranium appauvri, les conditions dans lesquelles les travailleurs peuvent être potentiellement exposés. Ce n’est pas un sujet récent. Les protocoles s’améliorent de décennie en décennie, à la fois sur les méthodes de mesure, leur sensibilité et les modalités de prélèvement des échantillons.

Des méthodes de surveillance de l’uranium urinaire existent depuis des années. Des pharmaciens de laboratoires d’analyses appliquent ces protocoles. En même temps, ils réalisent des études comparatives et participent à des comparaisons internationales pour améliorer leur sensibilité. Cela permet de descendre très bas dans l’investigation. On peut détecter moins de 10 microgrammes (10-6g) par litre, ce qui représente des concentrations très faibles. Concernant le seuil de sensibilité, nous pouvons descendre encore plus, mais le temps de mesure augmente considérablement, ce qui entraîne des incertitudes. La mesure de 10 microgrammes par litre est le seuil retenu par les laboratoires d’analyses médicales concernés par ces études et qui développent des améliorations dans les conditions de mesure de routine*.

M. Aloyse Warhouver : A-t-on des informations, en France ou dans d’autres pays d’Europe, sur les conséquences de l’ensemble des combats sur la population irakienne, que ces conséquences concernent les militaires ou les civils ?

Mme la Docteure Flüry-Hérard : Nous disposons d’informations mais peu révélatrices d’un ensemble potentiel d’exposition. Elles ne sont pas du tout spécifiques de l’uranium, car les mesures n’ont pas été réalisées. Ces informations ne peuvent donc pas témoigner d’une exposition objective.

Il est néanmoins évident que dans certains endroits, la population a pu être soumise à des phénomènes d’aérosols, le plus important étant la présence du sable, donc de la silice. Sans oublier les conditions nutritionnelles souvent évoquées, ou d’autres aérosols de produits chimiques et de produits divers. Aucune de ces informations n’a réellement fait l’objet d’analyses scientifiques suffisamment longues et approfondies pour que des faits soient établis.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Je vous remercie pour la qualité de vos réponses et la rigueur scientifique dont vous avez fait preuve. Si des questions supplémentaires se posaient à nous sur ce thème, nous ne manquerions pas de vous les exposer par écrit.


Source : Assemblée nationale (France)