(Procès-verbal de séance du mardi 9 janvier 2001)

Présidence de M. Bernard Cazeneuve, Président

M. Bernard Cazeneuve, Président : Mes chers collègues, nous recevons ce matin Mme Marie-Claude Dubin, journaliste.

Mme Dubin, nous vous accueillons aujourd’hui en raison de votre qualité de journaliste indépendante ayant participé à plusieurs conflits dans lesquels les troupes françaises se trouvaient impliquées, et notamment la guerre du Golfe, même si vous vous êtes également rendue au Rwanda et dans les Balkans. Vous avez dû faire preuve d’une grande témérité sur le théâtre des opérations et d’une certaine pugnacité dans la relation avec nos Armées pour obtenir des informations sur place, dans des conditions qui ont parfois été difficiles.

Nous sommes intéressés par ce que vous auriez pu constater sur les théâtres d’opérations, notamment dans le Golfe, en sachant que vous avez été amenée à suivre des opérations militaires qui, pour un certain nombre d’entre elles, étaient des opérations lourdes. Je pense notamment à la prise d’As Salman, au cours de laquelle vous étiez présente. Nous sommes bien entendu également intéressés aujourd’hui par deux sujets, ce qui n’exclut pas pour autant l’ensemble des autres points que vous souhaiteriez évoquer devant la mission : tout d’abord, vous êtes, depuis un certain nombre de mois, malade. On peut donc se poser la question du lien pouvant exister entre les maux dont vous souffrez et votre présence sur le théâtre des opérations pendant la guerre du Golfe. Ensuite, compte tenu de ces maux dont vous souffrez, vous avez été amenée à être en contact avec un certain nombre de structures médicales, et les choses ont paru, là aussi, assez compliquées. Votre témoignage est donc pour nous précieux.

Je vous propose de nous présenter un exposé introductif, puis nous vous poserons un certain nombre de questions.

Mme Marie-Claude Dubin : M. le Président, Madame et Messieurs les députés, j’ai eu, pendant la guerre du Golfe, la chance ou la malchance de bénéficier d’un petit scoop, puisque je suis partie avec les démineurs de la Légion étrangère du 6e Régiment étranger de génie (REG). Ensemble, nous nous sommes rendus à As Salman, la première base aérienne en territoire irakien, dont la prise était indispensable pour débloquer le verrou irakien. Lorsque nous y sommes arrivés, sept GI de la 82e Airborne venaient de sauter sur des explosifs ; la Légion étrangère a donc été aussitôt chargée de dépolluer cette base.

Je suis donc entrée avec le Colonel de la Légion dans la base. Tous les hangars avaient été percutés par des obus dont près de la moitié n’avait pas explosé. Je me souviens d’ailleurs que le Colonel n’avait pas l’air heureux : il découvrait des choses qui ne semblaient pas correspondre aux éléments d’information qui lui avait été fournis par les services de renseignement américains. Il trouvait notamment que ces derniers s’étaient volontairement montrés, d’une certaine façon, trop pessimistes. Il s’attendait à découvrir un avion sur deux encore rangés dans les hangars, or il n’y en avait plus un seul et il ne s’attendait peut-être pas à voir autant de munitions et de bombes dont la moitié n’avait pas explosé.

Je me souviens de ses paroles : « Que de cochonneries, que de cochonneries ! ». A-t-il vu ce jour-là qu’il s’agissait d’obus à uranium appauvri, je n’en sais rien. Mais il était effectivement étonné devant tant de désinformations de la part des Américains. Je pense qu’il y avait un grand nombre de munitions pas très saines, notamment pour les personnes qui en respiraient les émanations.

Par ailleurs, je me suis rendue dans un autre endroit où j’aurais pu attraper des saloperies. Je suis entrée dans un char irakien, un T54, qui, apparemment, avait été atteint par un obus à uranium appauvri. Le char n’étant pas miné, j’avais libre cours pour exercer mon métier. J’ai donc pénétré dans ce char. J’y suis restée un bon moment, environ trois quarts d’heure. Je cherchais un carnet de bord car je voulais comprendre la guerre du côté des Irakiens, étant donné que nous n’avions pas eu la moindre image de ce côté-là, c’est-à-dire quelque chose qui puisse m’expliquer le déroulement de leur guerre. On me dit aujourd’hui que se trouvaient sûrement dans ce char des particules d’uranium appauvri. Ceci explique peut-être cela.

Sur le moment, je ne me suis pas du tout sentie malade, mais moins d’un mois après mon retour, le médecin du journal pour lequel je travaillais m’a ordonné d’effectuer une prise de sang. Nous nous sommes alors aperçus que le taux de mes plaquettes sanguines avait triplé. Les plaquettes servent à faire coaguler le sang, mais elles peuvent aussi entraîner un caillot mortel dans le cerveau. Pendant dix ans, je me suis donc inquiétée de ces plaquettes, me disant qu’il y avait certainement un rapport avec la guerre du Golfe, mais sans savoir pourquoi ni comment. Ce médecin, qui suivait mon état de santé, a mis des années avant de me montrer une coupure de presse américaine faisant état de la contamination de militaires américains. C’était le début de ce que l’on appelle le « syndrome du Golfe ».

J’ai effectué, pendant près de dix ans, des prises de sang régulières. Cela n’a pas servi à grand-chose : on ne savait pas quoi chercher, ni où chercher, ni même comment le chercher.

Depuis quelques mois, on commence à parler du syndrome du Golfe en France. Je me suis donc décidée, à partir du mois de mai dernier, à retourner dans les hôpitaux pour essayer de déterminer ce dont je souffre. D’habitude, lorsque j’arrivais dans un hôpital et que je parlais de syndrome du Golfe, j’avais droit à un sourire narquois et au mieux on me demandait si je n’avais pas eu un accident au 18e trou du parcours ! Maintenant, quand je parle, les médecins ont l’air de savoir de quoi il s’agit.

Je suis allée voir un hématologue à l’hôpital Necker qui m’a renvoyée sur le service de deux spécialistes français qui, apparemment, menaient des recherches secrètes sur le syndrome du Golfe. Parallèlement, je suis allée dans les hôpitaux militaires, car je souhaitais confronter leurs méthodes de recherche et les résultats dont je disposais. Pendant plus de trois mois, je me suis donc fait examiner à la fois dans les hôpitaux militaires et dans les hôpitaux civils. A la fin, j’ai obtenu des résultats diamétralement opposés, avec des méthodes de recherche sans doute, elles aussi, diamétralement opposées.

Je ne sais pas si j’ai prouvé quelque chose. J’ai simplement prouvé qu’il était très difficile de savoir ce que l’on avait et que l’on vous facilite guère la tâche.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Mme Dubin, je vous remercie d’être venue témoigner devant la mission d’information. Je voudrais revenir sur ce qui s’est passé à As Salman.

Pouvez-vous nous donner des précisions sur le travail des légionnaires ? Comment étaient-ils équipés et comment, vous, étiez-vous équipée ? Par ailleurs, le Général Roquejeoffre nous a indiqué que lorsqu’il s’est rendu sur la base d’As Salman, il était en tenue «  » NBC » » et portait un masque. Le Général Janvier nous a indiqué que, lui, ne portait pas de masque.

Enfin, pouvez-vous nous dire de façon plus précise comment se sont déroulées sur place les opérations de dépollution.

Mme Marie-Claude Dubin : En ce qui concerne l’équipement, j’étais effectivement en tenue « NBC », mais la capuche retournée et sans masque. Cette tenue me servait davantage de survêtement que de protection. Je n’étais donc pas équipée en tenue « NBC », le Colonel et les démineurs de la Légion non plus. Personne ne nous a dit de mettre notre équipement.

J’ai entendu certaines personnes dire qu’elles avaient mis leur équipement parce qu’il y avait un vent de sable, or je me souviens d’un grand soleil - j’ai d’ailleurs des photos qui le prouvent. Nous n’avions donc aucune raison de nous équiper contre le vent de sable ou contre un risque chimique. Je pense que c’est en connaissance de cause que la Légion étrangère s’est rendue à As Salman mains et visage nus.

M. Claude Lanfranca, co-rapporteur : Madame, je souhaiterais pour ma part avoir des faits et des dates précis. Combien de temps après sa destruction avez-vous pénétré dans le char irakien dont vous nous avez parlé ?

Mme Marie-Claude Dubin : Je ne peux pas vous dire exactement quand ce char a été détruit. Je puis simplement vous indiquer que nous nous en sommes approchés dès le premier jour de l’attaque terrestre, c’est-à-dire le 24 février.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Pourriez-vous nous donner quelques informations sur la manière dont les militaires français communiquaient à destination des journalistes et quelles étaient les informations données, à l’époque, sur les risques chimiques, et éventuellement sur l’utilisation d’armes à uranium appauvri, voire sur les protections qui devaient être mises en _uvre ?

Mme Marie-Claude Dubin : Il n’y a pas eu de briefing particulier juste avant l’offensive terrestre. En revanche, il y a eu un briefing général à Riyadh, destiné à tous les journalistes. A cette occasion, on nous a présenté un Colonel qui était présenté comme le grand spécialiste pour l’armée française de la protection « NBC ». Il nous a donné des conseils en cas d’attaque chimique. Je lui ai demandé si je pouvais, au cas où l’un de mes confrères perdrait son masque à gaz, lui donner le mien. Après un moment de réflexion, il a soupiré et m’a répondu : « C’est très courageux, Madame, vous pouvez bien entendu lui passer ». Quand j’ai raconté cette histoire à d’autres militaires, ils ont éclaté de rire et m’ont dit que dans une telle situation, il y aurait deux morts au lieu d’un ! J’ai donc des doutes sur la formation aux techniques de protection « NBC » qui a été délivrée aux journalistes, mais également sur celle destinée aux soldats !

En effet, en dehors de la formation propre aux journalistes, j’ai également assisté à la formation de soldats. Je me suis rendue un jour dans un centre de décontamination situé dans le désert où l’on demandait à des soldats de faire les premiers gestes indispensables en cas de contamination chimique. Ils devaient tout d’abord se déshabiller ou être déshabillé par d’autres avec beaucoup de précautions afin de ne pas se contaminer mutuellement en enlevant les tenues « NBC ». Ils ont refait l’exercice deux ou trois fois devant des caméras, et à chaque fois il y avait un problème. Je pense que ces soldats auraient été contaminés simplement en se déshabillant.

Par ailleurs, le matériel laissait à désirer. Je suis pour ma part allée m’en procurer directement auprès du fournisseur de l’armée française : j’ai eu successivement trois masques à gaz ; aucun ne correspondait à ma morphologie. Je sentais de l’air passer, ce qui veut dire qu’en cas d’attaque chimique, je n’étais sans doute pas très protégée. Mais après tout, les populations civiles étaient aussi très mal protégées. Les femmes saoudiennes par exemple, ne portaient pas de masque à gaz. Je me disais donc que j’étais comme tout le monde, comme les expatriés et les civils, même si je pouvais être confrontée à l’arme chimique du fait de mes déplacements qui me portaient plus en avant qu’eux.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Comment expliquez-vous le décalage entre la dramatisation du risque chimique et l’absence totale de protection lorsque vous vous êtes trouvée avec les légionnaires à As Salman ?

Mme Marie-Claude Dubin : Je ne sais pas si le risque existait réellement. J’ai pu parler avec de nombreux prisonniers irakiens. Ils m’ont dit que l’Irak ne disposait pas d’armes chimiques en première ligne. Je pense que la dramatisation à laquelle nous avons assisté était avant tout de la propagande. Certes, Saddam Hussein disposait de l’arme chimique, mais rien ne prouve qu’il voulait l’utiliser. Je pense que les services secrets savaient que ses forces en premières lignes n’en disposaient pas. Je dirai que c’était « de bonne guerre » de nous en parler ainsi et de nous dire de faire très attention. Cela relevait d’une campagne d’intoxication.

M. Charles Cova, Vice-président : Mme Dubin, je vous remercie tout d’abord d’avoir accepté notre invitation. Vous êtes-vous forgé la conviction que les hauts responsables militaires français ne pouvaient ignorer - comme certains d’entre eux l’affirment - que des armes à uranium appauvri allaient être utilisées par les alliés au moment du conflit ?

Mme Marie-Claude Dubin : Il est certain que sur le moment, personne ne nous a parlé d’uranium appauvri, le mot même n’a jamais été prononcé. On ne parlait que de danger chimique irakien. Maintenant, quand j’entends le Général Schmitt dire « oui je le savais » et le Général Roquejeoffre - qui était, lui, dans le désert - dire « je ne le savais pas », j’ai dû mal à les croire ! Ou alors la communication ne passait absolument pas entre l’Etat-major des Armées et les hommes de terrain ! Mais je ne le crois pas. Je pense qu’il y avait plus de personnes au courant qu’on ne le dit.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Vous dites que vous ne les croyez pas, mais il y en a bien un des deux qui dit la vérité ! Lequel croyez-vous ? Il n’est pas possible qu’ils mentent tous les deux.

Mme Marie-Claude Dubin : Ce n’est pas impossible ! En tout cas, il n’est pas possible qu’ils disent la vérité tous les deux. Je pense seulement que le Général Roquejeoffre ne dit pas tout. Il a été le premier à avouer qu’il avait donné l’ordre de prendre des cachets de Pyridostigmine, alors que tout le monde disait le contraire. Je ne sais plus à quel moment ces chefs disent la vérité. Pour ma part, j’ai tendance à croire que le Général Roquejeoffre le savait, tout comme le Général Schmitt. Peut-être n’avaient-ils pas évalué le caractère dangereux des armes en question et ils n’y ont pas prêté attention ?

En revanche, l’Etat-major américain devait savoir que l’utilisation d’obus à uranium appauvri était dangereuse, puisqu’il a été alerté du danger par ses propres arsenaux ; non pas une fois, mais à trois reprises ! La dernière de ces mises en garde date du lendemain de l’invasion du Koweït, en attirant l’attention sur la dangerosité de l’uranium appauvri en aérosol. Or ces mises en garde n’ont pas empêché les Américains de passer outre. Ils ont utilisé l’uranium appauvri comme dans une autre affaire on a continué à écouler des lots de sang contaminé. Les stocks d’armes des Américains étaient prêts. Je pense qu’ils ne voulaient pas les revoir à la baisse. Je crois donc qu’ils ont agi délibérément. Ont-ils prévenu les Français du danger réel ? Je n’en sais rien, seuls les Généraux Schmitt et Roquejeoffre pourraient nous le dire. Mais il y a, il est vrai, des contradictions dans leurs déclarations.

M. Charles Cova, Vice-président : Parmi vos confrères français ou étrangers qui ont couvert les opérations, savez-vous si certains d’entre eux souffrent de maux ou d’affections divers ?

Mme Marie-Claude Dubin : Non, je ne le sais pas. Mais j’ai eu beaucoup de mal à contacter des personnes contaminées. C’est seulement quand on a commencé à en parler en France, après un reportage diffusé par Canal Plus, que j’ai pu contacter l’association Avigolfe et voir des soldats qui présentaient des symptômes comparables aux miens. Je n’ai pas rencontré de journalistes, mais certains d’entre eux, notamment des Américains, doivent être contaminés.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Vous dites que grâce à l’association Avigolfe, vous avez rencontré des soldats atteints du même problème sanguin que le vôtre ?

Mme Marie-Claude Dubin : Tout à fait. J’ai découvert par Avigolfe que le point commun des victimes était As Salman ; elles étaient presque toutes passées par cette base irakienne d’As Salman. Mais de là à dire que c’était le lieu où il y avait le plus de danger, je n’en sais rien.

M. Charles Cova, Vice-président : Ce n’est donc pas le char !

Mme Marie-Claude Dubin : Ce n’est pas incompatible ! On peut avoir été contaminé à As Salman puis, ensuite, dans un char, à la guerre du Golfe voire dans les Balkans !

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Vous nous dites, Mme Dubin, que les soldats français n’ont pas été informés de la présence d’armes à base d’uranium appauvri. Mais il y avait des Américains avec vous.

Mme Marie-Claude Dubin : Le jour où je suis entrée à As Salman, il n’y avait pas d’Américains. Toutefois, nous en avons côtoyé régulièrement pendant la guerre. Il est faux de dire que les Français n’étaient pas avec les Américains. La Légion étrangère a travaillé à un moment main dans la main avec la 82e Airborne. En fonction des opérations, des Américains étaient avec les Français.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Et d’après les discussions que vous avez eues avec eux, pensez-vous qu’ils connaissaient l’existence des armes à uranium appauvri ? Leur avez-vous posé la question ?

Mme Marie-Claude Dubin : Je ne pouvais pas leur poser la question, puisque ces mots n’avaient jamais été prononcés et que je n’avais jamais entendu parler d’armes à uranium appauvri !

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Vous avez subi des examens à la fois dans les hôpitaux civils et dans les hôpitaux militaires ; est-ce à la demande des militaires que vous êtes allée dans leurs hôpitaux ? Par ailleurs, pouvez-vous être plus précise lorsque vous parlez de méthodes diamétralement opposées. Quels examens vous a-t-on fait passer ? Enfin, a-t-on recherché dans ce cadre des traces d’uranium appauvri, comme cela a été fait aux Etats-Unis ?

Mme Marie-Claude Dubin : Je n’ai pas du tout été dans les hôpitaux militaires à la demande des militaires. Je m’y suis rendue de mon plein gré. J’ai d’ailleurs eu l’impression de leur poser un problème dès le début. Quand je leur ai parlé du syndrome du Golfe, la première fois, un médecin m’a répondu qu’il n’existait pas. J’ai insisté, en leur disant qu’une mission d’information venait d’être créée à l’Assemblée nationale sur ce thème. Ils m’ont reçue et mon parcours m’a amenée dans tous les hôpitaux militaires de la région parisienne. L’autre médecin en chef qui m’a reçue en consultation avait été affecté à la frontière irakienne pendant la guerre du Golfe. Il m’a affirmé qu’il n’avait jamais entendu parler d’uranium appauvri à cette époque. Je le crois. Je voulais confronter leurs méthodes de travail et les résultats des examens avec ceux des hôpitaux civils, mais j’avais peur de faire deux fois les mêmes examens. A part une prise de sang et une radio pulmonaire, ils n’ont pas du tout procédé aux mêmes investigations !

Les médecins militaires se sont contentés, en fait, d’effectuer des prises de sang et des prélèvements classiques. J’ai dû insister pour qu’ils recherchent des traces d’uranium. J’ai eu l’impression de leur poser un réel problème, mais ils ont accepté. Quand j’ai obtenu les résultats, après deux mois environ, ils étaient incomplets. Les médecins militaires m’ont dit que je n’avais pas d’uranium 238 et 235, mais quand je leur ai demandé s’ils avaient trouvé des traces d’uranium 236, ils m’ont répondu qu’ils n’avaient pas encore les résultats. En outre, ils ont été incapables de me dire sur la base de quel protocole ces recherches avaient été effectuées !

Sachant qu’il est très difficile, dix ans après, de retrouver de l’uranium appauvri dans un corps, je me suis tournée vers le professeur Durakovic, aux Etats-Unis. Malheureusement, cela s’est révélé très compliqué. Je devais envoyer mes prélèvements au Canada, en passant par Londres. Finalement, j’ai renoncé. Mais je ne suis pas sûre que l’armée française ait réellement effectué ces recherches avec un bon protocole. Cependant, je ne cherchais pas à prouver absolument que mes maux avaient pour origine l’uranium appauvri. Je voulais tout simplement savoir de quoi je souffrais. Aujourd’hui, je suis peut-être prête à envoyer des prélèvements urinaires au Canada, car au moins je serais fixée. J’attends en effet toujours les résultats des hôpitaux militaires.

Outre les résultats concernant la présence ou non d’uranium dans mon corps, je dispose des résultats préliminaires des hôpitaux civils et militaires sur mon état de santé. Je les ai d’ailleurs obtenus à 24 heures d’intervalle. Un médecin en chef du Service de santé des Armées m’a tout d’abord reçue pour dire que l’on ne m’avait rien trouvé. J’étais donc ravie de ne rien avoir. Ensuite, le lendemain, je me suis rendue à l’Hôpital Henri Mondor de Créteil, où j’avais été hospitalisée une semaine pour toutes sortes de prélèvements, biopsies, etc. Le patron du service m’a alors annoncé : « Ma pauvre Mademoiselle Dubin, on vous a trouvé des tas de choses ! » J’ai simplement mis en évidence les contradictions des médecins qui valent certainement les contradictions révélées par les déclarations des Généraux.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Vous nous avez indiqué, tout à l’heure, que le risque chimique procédait, selon vous, d’une propagande conduite par ceux qui conduisaient la guerre. Il n’y aurait donc pas eu d’intoxication possible à partir de ce type d’armes. Par ailleurs, avez-vous pris de la Pyridostigmine ?

Mme Marie-Claude Dubin : Je n’ai pas pris de médicament contre le risque chimique, pour la simple raison qu’on ne m’en a jamais donné la consigne. Or j’étais intégrée à une unité de première ligne, la Légion étrangère, et apparemment, d’après le Général Roquejeoffre, ces militaires ont pris de la Pyridostigmine. Je ne comprends pas pourquoi, s’il y existait une réelle menace chimique, on ne m’a pas donné l’ordre de prendre ces cachets.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Si effectivement, comme l’affirment un certain nombre de personnes, notamment dans les milieux associatifs, il y a un danger à prendre ce médicament, l’armée française aurait poussé très loin la perversité en obligeant les militaires à prendre des médicaments pour un risque nul relevant d’une opération d’intoxication sur les intentions de l’ennemi !

Mme Marie-Claude Dubin : Je ne pense pas que le risque chimique était nul. D’abord, Saddam Hussein détenait l’arme chimique. Il faudrait lui demander pourquoi il ne l’a pas utilisée. Ensuite, il existait une autre modalité de ce risque chimique qui m’a été confirmée par les pilotes français de l’armée de l’Air. Les alliés ont bombardé de nombreux sites chimiques. C’est exactement comme la marée noire ; les Jaguar français ont touché ce qu’ils croyaient être des bateaux de guerre et qui se sont révélés être des pétroliers, ce qui a provoqué la fameuse marée noire dite de Saddam Hussein. Il en va de même pour les conséquences des frappes sur des abris ou entrepôts contenant des stocks d’armes chimiques.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Vous n’avez donc pas pris la Pyridostigmine. Vous n’avez pas été exposée à un autre risque chimique que celui que vous venez d’évoquer. Les analyses auxquelles vous vous êtes soumise sur la base de protocoles différents, n’ont pas réussi à prouver que vous étiez victime d’une intoxication à l’uranium appauvri. Par conséquent, quels sont les éléments concrets sur lesquels vous vous fondez pour établir un lien entre votre présence dans le Golfe et les maux dont vous souffrez ?

Mme Marie-Claude Dubin : Vous pouvez le demander au médecin du journal pour lequel je travaillais - un grand quotidien du soir pour ne pas le nommer -, le docteur Kahn. Il a décelé tout de suite que le taux de mes plaquettes de sang avait triplé, moins d’un mois après mon retour du Golfe. Il y a donc forcément quelque chose que j’ai respiré ou avalé là-bas qui a fait tripler mes plaquettes ! Nous avons donc pensé, dès le début, qu’il y avait bien un rapport. Ensuite, ma santé s’est dégradée. J’ai perdu 12 kilos et il m’est arrivé des tas de choses. Mais s’il n’y avait pas eu cette prise de sang un mois après mon retour, je n’aurais peut-être pas fait un rapprochement avec la guerre du Golfe.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Et aviez-vous fait une prise de sang avant votre départ ?

Mme Marie-Claude Dubin : Je n’avais pas fait de prise de sang parce que je partais dans le Golfe, mais j’en ai fait simplement parce que je suis une femme, et qu’une femme, notamment si elle prend la pilule contraceptive, doit régulièrement faire des prises de sang. Je peux donc vous affirmer que mes plaquettes étaient normales avant mon départ dans le Golfe.

M. Jean-Louis Bernard : Si mes informations sont bonnes, Mme Dubin, vous avez présenté une hyperplaquettose qui ne touchait que la lignée des plaquettes et non pas celles des globules rouges et des globules blancs, alors que traditionnellement, un certain nombre d’intoxications touchent les trois lignées.

Par ailleurs, vous avez affirmé qu’il y avait d’autres personnes qui étaient présentes dans le Golfe lors du conflit et qui souffrent également d’hyperplaquettose. C’est la première fois, à ma connaissance, qu’en France, en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis, il est fait état de cette manifestation d’hyperplaquettose qui est un signe tout à fait tangible, mesurable. En effet, à travers toute la bibliographie qui a été mise à notre disposition et que nous avons, à ce jour, consultée, jamais il n’a été fait mention de cas d’hyperplaquettose. On relevait essentiellement des crampes musculaires, des troubles du comportement, des fatigues, etc.

Etant donné l’importance de cette déclaration, je souhaiterais que vous la réitériez et que vous nous confirmiez qu’il existe d’autres personnes qui, comme vous, ont une hyperplaquettose qui a été isolée à la suite d’un séjour dans le Golfe.

Mme Marie-Claude Dubin : J’ai lu le magasine Viva qui est le premier organe de presse à parler sous la plume de Mme Christine Abdelkrim-Delanne, dès son premier article, d’hyperplaquettose. On doit donc pouvoir retrouver parmi les membres de l’association Avigolfe des personnes présentant une hyperplaquettose. Mais personnellement, je n’ai pas parlé avec elles.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Nous recevrons les responsables de l’association Avigolfe la semaine prochaine. Puisque vous nous avez indiqué que dans le cadre des contacts que vous avez eus avec cette association vous avez pu constater que des anciens combattants du Golfe souffraient des mêmes maux que vous, nous allons leur demander le nombre exact de soldats relevant de cette pathologie parmi les cas dont ils déclarent avoir connaissance.

Mme Marie-Claude Dubin : En ce qui me concerne, l’hyperplaquettose a été pour moi un signal d’alarme. Je ne dis pas qu’il s’agit de l’essentiel de mes maux. Cela m’a cependant inquiétée parce que je n’avais pas envie de faire un caillot dans le cerveau, mais je vivais peut-être très bien avec cette affection.

M. Jean-Louis Bernard : Un certain nombre d’experts nous ont expliqué qu’après l’impact d’un obus sur un char, il y a une sorte d’aérosol qui, très rapidement, retombe dans un rayon d’une dizaine de mètres. D’autres nous ont précisé qu’en cas de vent de sable, l’aérosol pouvait être projeté plus loin, et éventuellement contaminer quelques personnes. Si j’ai bien compris vos propos, le jour où vous avez pénétré dans le char, il n’y avait pas du tout de vent de sable, vous avez même parlé d’un soleil éclatant. Pouvez-vous confirmer cela ?

Mme Marie-Claude Dubin : Il faisait soleil. Il est vrai que, parfois, on peut ne pas voir le vent de sable, quand il est très faible, mais je n’appelle pas cela un vrai vent de sable. Un vrai vent de sable, c’est quand les hélicoptères sont obligés de se poser, cela nous est arrivé. Or ce n’était pas le cas lors de l’offensive terrestre. D’ailleurs, je ne pense pas que la coalition aurait déclenché son offensive si un fort vent de sable avait soufflé.

M. Claude Lanfranca, co-rapporteur : Madame, il serait intéressant, si vous le souhaitiez, que vous fassiez une recherche d’uranium dans vos urines, car une hyperplaquettose n’est pas une maladie, mais un symptôme que l’on trouve notamment dans les insuffisances respiratoires chroniques. A elle seule, une hyperplaquettose ne prouve rien. En revanche, cela aura un sens si l’on arrive à trouver d’autres personnes ayant une hyperplaquettose et un marqueur, à savoir de l’uranium. Il est certain que si l’on trouvait de l’uranium 236 dans vos urines, il n’y aurait plus de discussion possible.

Mme Marie-Claude Dubin : Mais les médecins hospitaliers ont mis en évidence d’autres troubles, tels que des lésions musculaires. Le mieux serait que vous rencontriez mes médecins de l’Hôpital Henri Mondor, qui sont deux grands spécialistes.

M. Claude Lanfranca, co-rapporteur : Je voudrais vous rassurer, l’hyperplaquettose ne peut pas entraîner de caillots, au contraire, cela fait saigner.

M. André Vauchez : Madame, vous nous dites que personne ne vous avait parlé de l’uranium appauvri, mais ne pensez-vous pas que lorsqu’on s’approche d’un char qui a été percuté par un projectile contenant de l’uranium appauvri, les techniciens sont capables de le déceler ?

Par ailleurs, je voulais vous dire que nous avons reçu ce matin un médecin spécialiste qui nous a affirmé que l’on pouvait détecter, dix ans après, la présence d’uranium appauvri dans les urines.

Mme Marie-Claude Dubin : J’attends toujours les résultats complets de mes analyses d’urine effectuées par les médecins militaires, mais je souhaiterais surtout que le professeur Durakovic procède, lui aussi, à une analyse de mes urines. En France, c’est un vrai parcours du combattant. Aucun laboratoire privé n’est équipé du fameux spectromètre de masse qui aurait pu m’aider. J’ai cherché pendant trois mois, c’était trop dur. J’ai donc abandonné. Mais si les laboratoires canadiens veulent bien procéder à une analyse de mes urines, je suis maintenant prête à leur envoyer un échantillon.

En ce qui concerne votre première question, personne ne m’a rien dit lorsque nous sommes arrivés près du char. Je ne suis toutefois pas sûre que l’on était réellement entouré de techniciens. Par ailleurs, je ne sais pas si, dans un tel contexte, on procède à un examen du char permettant de savoir comment il a été détruit. A ce moment, les militaires qui m’accompagnaient ont simplement recherché des mines. Il est vrai qu’un char atteint par un obus à uranium appauvri est plus endommagé que lorsqu’il est percuté par une arme traditionnelle, mais ceux avec qui je me trouvais, n’étaient peut être pas aptes à faire une telle distinction. Tout le monde pense que les guerres sont hyper spécialisées, alors qu’à certains moments cela n’est plus du tout vrai.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : D’après nos informations, la contamination peut avoir lieu à l’intérieur comme à l’extérieur du char ; or lorsque vous demeurez trois quarts d’heure dans un char, vous remettez en suspension des poussières et inhalez des particules radioactives.

Il serait intéressant que tous les pays ayant participé aux différents conflits dans le Golfe comme dans les Balkans se mettent d’accord sur un protocole précis, puis qu’ils procèdent à des prélèvements d’urine afin de les faire analyser par un laboratoire indépendant en vue de détecter la présence éventuelle d’uranium 236 et/ou 238, l’uranium 236 étant un uranium de retraitement. J’irai même plus loin, en proposant d’effectuer des prélèvements sur les personnes décédées afin de rechercher la présence d’uranium dans les os.

Je souhaiterais maintenant vous poser une question concernant le risque chimique. Avez-vous subi les mêmes vaccins que ceux qui ont été administrés aux militaires ? Par ailleurs, avez-vous assisté au déclenchement des appareils Detalac ?

Mme Marie-Claude Dubin : Je me suis fait faire les vaccins de « Monsieur Tout-le-monde », dont les vaccins contre les hépatites A et B. Je n’ai pas été vaccinée contre le charbon afin de me prémunir contre la guerre bactériologique, comme les Américains.

S’agissant des Detalac, je les ai vus fonctionner à la base d’As Ahsa, base aérienne française en Arabie Saoudite à partir de laquelle partaient nos Jaguar.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Et vous mettiez votre masque ?

Mme Marie-Claude Dubin : Oui, au début. Puis, nous avons compris qu’il n’y avait pas forcément de danger chimique irakien et nous ne mettions donc plus systématiquement nos masques. D’autant que nous étions entourés de gens du Service d’Information et de Relations Publiques des Armées (SIRPA), et notamment d’un de ses Colonels ; et eux ne mettaient pas leurs masques.

Mme Michèle Rivasi, co-co-rapporteure : D’après vous, à quoi servaient les Detalac ?

Mme Marie-Claude Dubin : Ils étaient censés déclencher une alerte dans le cas d’attaques susceptibles d’avoir une nature chimique. Mais je ne me souviens plus exactement comment ils fonctionnaient. Je ne sais plus s’ils se déclenchaient à l’arrivée d’un Scud ou s’ils analysaient ce que pourrait lâcher un Scud.

Je me souviens cependant qu’en pleine nuit, un Scud est tombé juste au pied de notre hôtel, à Riyadh. Nous sommes tous descendus voir. Il se dégageait une énorme fumée noire, mais personne ne portait de masque - pas même le Colonel du SIRPA. Ce qui veut dire qu’alors nous ne craignions plus le risque chimique irakien.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Pouvez-vous nous confirmer que vous avez vu un jour un nuage au loin qui a pu se rapprocher de l’endroit où vous vous trouviez ?

Mme Marie-Claude Dubin : Le premier jour de l’attaque terrestre, nous avons effectivement vu au loin, un nuage qui devait provenir d’une explosion, mais je ne peux pas vous dire de quelle explosion il s’agissait. D’autres fois, les démineurs de la Légion étrangère ont fait sauter un certain nombre de choses qui, elles aussi, dégageaient de la fumée.

M. Claude Lanfranca, co-rapporteur : Je voudrais revenir sur la question des analyses d’urine. Je n’arrive pas à croire qu’en France, on ne puisse pas faire ce type d’analyses. Il y a déjà de nombreuses années on surveillait l’état de santé des ouvriers des mines d’uranium de ma région et l’on procédait à des analyses uranifères. J’étais alors médecin biologiste. On envoyait les urines au Commissariat de l’Energie Atomique (CEA) et nous avions les résultats. Je pense donc que vous pouvez faire de telles analyses en France, sans devoir recourir à des laboratoires canadiens. Par ailleurs, le Médecin général que nous venons d’auditionner nous a indiqué que ces analyses pouvaient être effectuées sur un rythme de 150 soldats volontaires par mois.

Mme Marie-Claude Dubin : Peut-être pourrais-je avoir le protocole de recherche, car les médecins militaires ont été incapables de me le fournir. Je sais qu’aux Etats-Unis la recherche d’uranium dans les urines relève d’un processus complexe. Cela ne se fait pas en appuyant sur un bouton. Il serait bon qu’en France, l’armée nous indique quel protocole elle utilise pour réaliser ses analyses. Mais si elle ne sait pas le faire, que l’on s’adresse à ceux qui eux le savent.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Nous allons demander au Service de santé des Armées de nous communiquer le protocole qu’il met en oeuvre.

Mme Marie-Claude Dubin : Et je souhaiterais que les médecins indépendants vous disent ce qu’ils en pensent, car je suis tout à fait incapable de juger de la valeur de ce protocole.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Les deux médecins de l’Hôpital Henri Mondor qui vous traitent seront auditionnés par la mission.

Mme Marie-Claude Dubin : Les examens qu’ils ont pratiqués n’ont pas porté sur la recherche d’uranium.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Certes, mais nous avons la possibilité de demander à un certain nombre de médecins civils qui semblent bien informés l’appréciation qu’ils portent sur le protocole qui nous sera communiqué.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Nous pourrions également demander le protocole mis en pratique par le Professeur Durakovic.

M. Claude Lanfranca, co-rapporteur : Le protocole du Professeur Durakovic n’est pas admis par la France, car il n’a aucun fondement scientifique. A l’occasion d’un congrès, M. Asaph Durakovic a été reçu à l’hôpital Saint-Antoine. Il n’a fourni aucune donnée chiffrée et a terminé son exposé en disant : « La seule conclusion est que de l’uranium 236, d’origine artificielle, est présente dans l’organisme. On ne sait rien de plus. »

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Dans une autre communication, le Professeur Durakovic a fourni ses chiffres.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Je propose que le document que vient de montrer notre collègue Lanfranca soit distribué aux journalistes présents.

Mme Dubin, je vous poserai une dernière question. Vous avez indiqué tout à l’heure que vous n’aviez pas été amenée à poser de question sur les risques de l’uranium appauvri, tout simplement parce que cette question ne se posait pas. En même temps, vous nous indiquiez dans votre propos introductif que, selon vous, soit le Général Roquejeoffre, soit le Général Schmitt, mentait. Dois-je en conclure que seuls quelques officiers de très haut rang qui commandaient les opérations pouvaient être informés de l’utilisation de ces armes et qu’ils avaient laissé dans l’ignorance la totalité du reste des troupes ?

Mme Marie-Claude Dubin : C’est ce qu’il semble ressortir de leurs déclarations, ce n’est pas moi qui le dis ! Si le Général Schmitt était au courant, contrairement au Général Roquejeoffre, c’est que l’information n’est pas arrivée jusqu’en bas ! Je suis certaine que les médecins en chef qui étaient les principaux intéressés, notamment s’ils étaient chargés de récupérer les blessés à la frontière, n’étaient pas au courant.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Cette déclaration est extrêmement importante. En effet, si ces armes à uranium appauvri ont des conséquences sanitaires sérieuses et que les médecins militaires, les officiers intermédiaires et les soldats du rang en ont été sciemment tenus dans l’ignorance, c’est extrêmement grave.

Mme Marie-Claude Dubin : A la décharge de l’Etat-major français, on peut imaginer qu’il était peut-être au courant de l’utilisation de ces armes mais pas du degré de danger qu’elles représentaient. Les arsenaux américains avaient prévenu l’Etat-major américain mais peut-être pas l’Etat-major français.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Etiez-vous au courant, lorsque vous étiez en Bosnie-Herzégovine, que les armes utilisées contenaient également de l’uranium appauvri ?

Mme Marie-Claude Dubin : Non, encore moins. Les premiers qui en ont parlé, ce sont les Américains. Les Français n’en ont jamais parlé. En Bosnie-Herzégovine, nous, journalistes, n’étions pas intégrés dans une armée en guerre, contrairement à ce qui s’est passé pendant la guerre du Golfe. Par ailleurs, en France, il y eu très peu de répercussions des aveux américains sur l’uranium appauvri.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Pourtant, la France fabriquait des armes à uranium appauvri, mais l’information n’existait pas.

Mme Marie-Claude Dubin : On en fabrique, mais il paraît que l’on s’en est jamais servi. D’ailleurs je me demande toujours pourquoi nous fabriquons des armes dont on ne se sert pas.

M. Charles Cova, Vice-président : Ce sont des armes qui ont été fabriquées pour le char Leclerc, mais ce blindé lourd n’a pas été engagé dans le conflit en Bosnie-Herzégovine.

Mme Marie-Claude Dubin : Pendant l’ultimatum adressé aux Serbes pour qu’ils arrêtent de bombarder Sarajevo, je me trouvais sur le porte-avions Foch. J’ai vu de nombreuses munitions destinées à être larguées sur Sarajevo, mais je suis incapable de reconnaître un obus à l’uranium appauvri d’un autre obus !

M. Bernard Cazeneuve, Président : Mme Dubin, je vous remercie infiniment de votre témoignage.


Source : Assemblée nationale (France)