(Procès-verbal de la séance du mercredi 2 mai 2001)

Présidence de M. Bernard Cazeneuve, Président

M. Bernard Cazeneuve, Président : Monsieur le Ministre, depuis la décision de la Commission de la Défense de créer en son sein une mission d’information sur ce qu’il est convenu d’appeler le « syndrome de la guerre du Golfe » et, par extension, sur le « syndrome des Balkans », nos travaux nous ont permis, grâce au concours actif de votre ministère, d’accéder à nombre d’informations nouvelles.

Aussi, notre réflexion est aujourd’hui pratiquement arrêtée, du moins pour ce qui est de la question des risques sanitaires potentiels ayant concerné nos forces au cours de leur déploiement dans le Golfe. Un premier rapport d’étape concernant le Golfe doit paraître dans quelques jours, plus précisément le 15 mai prochain, sous réserve de l’adoption de sa publication par la Commission de la Défense.

S’agissant des Balkans, nous allons poursuivre notre réflexion pour parvenir à des conclusions, qui seront elles aussi rendues publiques avant le terme de cette année. Là encore, Monsieur le Ministre, nous vous demanderons de nous communiquer des documents militaires déclassifiés à notre seul usage, comme vous l’avez fait avec beaucoup de célérité lors de la première partie de nos travaux. Au nom de la mission, je tiens à vous en remercier, ainsi que vos proches collaborateurs, notamment le Général Mourgeon qui a toujours répondu à nos demandes.

Dès la première des auditions publiques que nous avons tenues à l’automne dernier, les déclarations du Général Roquejeoffre ont permis de lever ce que nous pourrions appeler une confusion persistante sur les conditions d’administration aux forces de la Pyridostigmine comme antidote. La Commission de la Défense vous avait auditionné le 13 septembre 2000 ; le 2 octobre suivant, elle créait cette mission d’information, dont la compétence a été étendue aux Balkans en février 2001.

Le travail n’a pas manqué depuis lors. Nous avons auditionné un grand nombre de personnalités civiles, militaires, scientifiques ou encore des représentants du monde associatif. Nous avons également examiné des milliers de pages de documents officiels d’origine française ou étrangère. A cet égard, la mission a effectué deux déplacements à l’étranger : l’un en Grande-Bretagne, l’autre aux Etats-Unis. Les rencontres sur place avec des responsables politiques ou associatifs ont été particulièrement riches et intéressantes. Elles ont permis de conforter notre opinion sur certains points et plus spécialement sur les pratiques différentes qui existent au sein même d’une coalition entre alliés quant au soutien sanitaire aux forces.

L’organisation même d’un déploiement en théâtre extérieur révèle aussi, de façon plus générale, d’intéressantes constatations. La mission d’information a parfaitement conscience des difficultés et des contraintes qui caractérisaient, pour la France, la projection de quelque 25 000 hommes à plus de 5 000 kilomètres de la métropole, dans un contexte opérationnel très difficile. Une telle expérience mérite d’être étudiée et analysée au-delà des seules données opérationnelles, ne serait-ce que dans le but de mieux s’assurer à l’avenir des conditions du suivi médical à garantir aux militaires désormais professionnels après toute opération extérieure, jusque et y compris lorsque ceux-ci ont quitté les armées.

Ces problématiques semblent déjà avoir été intégrées dans la doctrine d’utilisation des forces en Grande-Bretagne et surtout aux Etats-Unis, avec la mise en _uvre du medical readiness et du military deployment, un double principe qui concerne non seulement les soldats mais également leurs familles.

Par rapport à ces deux pays, nous constatons un certain retard en ce domaine. Il est vrai qu’en France, les premières plaintes d’anciens combattants du Golfe portant sur leur santé n’ont été explicitement exprimées qu’à compter de l’année 1997, voire celle de 1998 ; en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, cette préoccupation a été prise en considération dès 1992 et 1993, au terme du dépôt des premières plaintes. De plus, il ne faut pas ignorer l’effet-nombre : près de 700 000 militaires américains ont été dépêchés dans le Golfe, ainsi que 53 000 militaires anglais, chiffres à mettre en comparaison avec les 25 000 militaires français présents sur le théâtre d’opérations.

Nous constatons ainsi que l’analyse de la littérature médicale sur le « syndrome du Golfe » demandée par le Gouvernement au groupe d’experts présidé par le Professeur Salamon avait été effectuée aux Etats-Unis plusieurs années auparavant par un organisme privé - la Rand Corporation - puis par l’Institut de médecine, instance de haut niveau dépendant de l’Académie américaine des Sciences, institution dont l’indépendance est statutairement garantie par le Congrès.

Les travaux de recherche et de publication sur ce sujet sont d’ailleurs, aujourd’hui encore, à plus de 90 % d’origine anglo-saxonne. Depuis 1994, les subventions du budget fédéral américain ont atteint quelque 155 millions de dollars en faveur des organismes engagés dans ces recherches, sans compter les soutiens matériels et financiers des agences spécialisées.

Vous comprendrez, Monsieur le Ministre, que nous nous interrogions sur les conditions dans lesquelles seront appelées à être appliquées les préconisations, désormais publiées, du groupe d’experts placés sous la responsabilité du Professeur Salamon.

Enfin, pour ce qui est des éventuels effets de l’usage d’armes incorporant de l’uranium appauvri, notamment de la toxicité des débris ou poussières qu’il génère, nous restons à ce stade de nos travaux, extrêmement attentifs : une totale dangerosité comme une absolue innocuité érigées en postulat constituent des pistes sur lesquelles, selon nous, il serait déraisonnable de nous engager définitivement.

Notre second rapport, consacré aux Balkans, approfondira bien entendu ce thème qui, dès l’opération du Golfe, s’est inscrit au c_ur de la réflexion et des interrogations qu’il convenait de poser.

Notre mission, qui n’a pas de vocation scientifique ou médicale, est par nature parlementaire. Elle participe du contrôle du Parlement sur l’action de l’exécutif et, par extension, sur la qualité et la sincérité des informations qu’il apporte à l’opinion. Nous n’avons pas pu, par exemple, mettre à jour le degré de connaissance des hauts responsables militaires de l’époque sur l’utilisation dans le Golfe par les Américains et, dans une moindre mesure, par les Britanniques d’armes incorporant de l’uranium appauvri.

Sur ce point, une équivoque n’a pu être levée au regard des déclarations faites devant nous par les Généraux assurant les plus hautes responsabilités de l’Etat-major en 1991. C’est la raison pour laquelle nous avons pris l’initiative d’adresser, le 7 février 2001, une lettre sur cette question à M. Colin Powel, aujourd’hui Secrétaire d’Etat des Etats-Unis et, à l’époque, Commandant en chef des forces américaines. A ce jour, aucune réponse ne nous est parvenue alors que nous demandions à cette personnalité éminente quelles avaient été les modalités d’information vis-à-vis des alliés quant à la décision d’usage sur place de ces armes, notamment pour des tirs d’appui.

Après ces quelques rappels, Monsieur le Ministre, je vous propose si vous y avez convenance, que nous procédions comme à l’accoutumée, c’est-à-dire que je vous donne la parole pour un exposé liminaire au terme duquel nous vous poserons les questions utiles au bouclage définitif de nos travaux.

En vous remerciant très chaleureusement pour votre présence et votre disponibilité constante au cours des derniers mois pour aider la mission à poursuivre dans de bonnes conditions ses travaux, je vous cède la parole.

M. Alain Richard, Ministre de la Défense : Mesdames et Messieurs, je me présente à cette audition avec la préoccupation que nous devons les meilleures garanties possibles aux personnels de la Défense qui s’engagent au service de notre pays sur les théâtres d’opérations. Je tiens à dire notamment que, dans le cadre de notre nouvelle défense, professionnelle, vos travaux présentent une grande importance, car il nous faut rester exemplaires sur la protection sanitaire des personnels pour motiver et fidéliser les hommes et les femmes qui constituent notre communauté de défense et ceux qui la rejoindront demain.

Je rappellerai tout d’abord l’essentiel du contexte de l’engagement de nos troupes dans le Golfe et les conditions du combat, qui peuvent expliquer les constats différents faits entre la France et certains de ses alliés dans le développement de signes pathologiques résultant de la présence sur ce théâtre d’opération.

Comme vous le savez, le conflit a été mené par une coalition préparée à rencontrer l’opposition déterminée d’une armée irakienne perçue alors comme puissante et qui, en tout cas, avait fait ses preuves opérationnelles au cours d’une guerre longue - puisqu’elle avait duré huit ans - et meurtrière avec l’Iran.

La perception des risques était renforcée tout à la fois par le caractère nouveau de ce conflit pour les armées françaises - puisque, on le sait, durant toute la période antérieure, notre objectif stratégique principal avait été un conflit en Europe - et par l’existence d’une véritable menace liée à l’usage par l’Irak d’armes non conventionnelles, chimiques et bactériologiques. S’ajoutaient à ces conditions déjà difficiles, des contraintes d’environnement importantes, puisque l’on prévoyait que les affrontements se réaliseraient en zone désertique.

L’évaluation préliminaire des pertes potentielles par la hiérarchie militaire était donc élevée. Cette mise en perspective historique est, je crois, importante pour que votre mission d’information envisage le bilan de cette opération militaire dans toute sa réalité.

Par la suite, du fait de la supériorité technologique et numérique des membres de la coalition ainsi que de nombreux facteurs d’inefficacité de l’armée irakienne, le conflit s’est soldé par une victoire rapide de la coalition au prix d’un nombre comparativement faible de victimes dans nos rangs.

Les risques encourus par les militaires engagés dans le conflit du Golfe étaient, dans le contexte de 1990-1991, analysés. Ils ont fait l’objet d’une prévention et d’un traitement en amont correspondant aux règles et aux techniques en usage. Pour prévoir la protection des militaires français contre les effets d’une éventuelle offensive chimique, certains produits avaient été remis aux soldats individuellement : des seringues auto-injectables contenant de l’atropine, un anti-convulsivant, un antidote et des comprimés de Pyridostigmine.

Je souligne le fait que ce dernier produit n’a été pris qu’à l’occasion d’alertes identifiées, par certaines unités, sur une courte durée, au moment de l’offensive terrestre. Son efficacité dans la protection contre les éléments toxiques chimiques de combat justifiait largement son utilisation, s’agissant d’un produit longuement éprouvé. Les alliés américains et britanniques ont, au contraire, fait prendre à leurs troupes de la Pyridostigmine pendant toute la durée de leur séjour, ce qui correspond à des doses importantes pour le corps humain. Il faut noter cette différence, de même que leur attitude très différente quant aux pratiques en matière de vaccins.

Depuis le début de l’année 2000, est apparue dans notre pays une controverse sur l’existence d’un « syndrome du Golfe » touchant des militaires en France. Je note, comme l’a fait le Professeur Salamon, dans la présentation de son rapport il y a quelques jours, qu’il est méthodologiquement très difficile de démontrer l’inexistence d’un phénomène qui n’existe pas.

Si l’on veut rechercher les causes de l’émergence de cette polémique, on peut penser à la remise en cause générale de la technostructure, qui s’exprime dans notre pays comme dans beaucoup de démocraties au nom du principe de précaution. Ce mouvement rejoint et développe les précédents créés par les affaires du sang contaminé, de l’ESB ou encore de l’amiante. Il est associé à la montée d’initiatives venant d’associations, assorties d’ailleurs d’un soutien juridique, et bénéficiant de l’intérêt légitime de la presse.

Il faut ajouter à ces éléments de contexte général les effets du principe de secret qui entoure l’action ou la préparation opérationnelle de nos armées, lequel suscite inévitablement des interrogations.

Il me reste néanmoins à évoquer la réalité du besoin d’une profonde évolution des méthodes de travail de notre service des pensions pour une prise en charge graduée et adaptée des plaintes des anciens combattants sur une longue durée après un engagement. Le suivi individuel et personnalisé des 25 000 soldats français ayant servi dans la guerre du Golfe est rendu difficile par ce que j’appellerai, en osant le terme, une « traçabilité » que nous savons insuffisante au regard des nécessités d’aujourd’hui, des anciennes conditions d’emploi des personnels et des agressions auxquelles ils ont pu être soumis.

Je rappelle que tous les anciens combattants ont été soumis à une visite médicale dès leur retour du théâtre d’opération : ce n’est donc pas cet aspect du suivi, immédiat, qui est en cause. Par ailleurs, ceux qui ont continué de servir dans les armées ont fait l’objet, comme tous les militaires, d’une visite médicale annuelle qui permet un suivi étalé dans le temps.

En revanche, après la fin de service des personnels professionnels -dont la grande majorité, je le rappelle, fait une carrière courte -, notre système traditionnel, qui a été jusqu’à présent jugé très favorable, se fondait sur l’initiative personnelle des anciens militaires pour se faire examiner à la suite de l’apparition de signes médicaux, puis pour demander, si nécessaire, la prise en compte d’une conséquence de dommages physiques par une demande de pension. Or, on peut reconnaître que la possibilité d’apparition lente de conséquences à long terme est insuffisamment détectée par un tel système, ce qui pose une question indiscutablement nouvelle avec le type d’engagement que nos forces pratiquent aujourd’hui.

Je dois aussi reconnaître que si un mouvement de mise en cause a pu se développer, malgré l’existence d’études scientifiques qui établissent l’absence de pathologies spécifiques, c’est aussi du fait d’une communication insuffisante du ministère de la Défense qui a conduit l’institution à apparaître en position de faiblesse par rapport à des personnes s’estimant victimes et des organisations prenant leur défense. Ces insuffisances m’ont conduit, à l’automne dernier, devant la Commission de la Défense, à afficher de manière aussi claire que possible la volonté du Gouvernement de fournir une information loyale et soumise à débat. C’est une de mes préoccupations essentielles au sein de mes responsabilités depuis quatre ans et, dans ce dossier comme dans tous les autres, les membres de la communauté de défense doivent aider autant que possible à la recherche de la vérité.

C’est ainsi que mes services apportent aujourd’hui leur entier concours au travaux de votre mission d’information. Monsieur le Président Bernard Cazeneuve voulait bien en faire état à l’instant.

C’est dans le même esprit que j’avais décidé, à la même époque, en accord avec le Ministre de la Santé, la mise en place d’un groupe d’experts médicaux, dont la présidence avait été confiée au Professeur Salamon. Ce groupe nous a remis un rapport, que nous avons adressé instantanément au Président de cette mission d’information, concernant les conséquences sanitaires de l’engagement dans le conflit du Golfe, et que nous venons de rendre public.

Il en ressort que, par rapport à des populations civiles de même âge, aucun surcroît de mortalité ou d’effet sur la descendance n’a été relevé. De plus, cette étude qui retrace l’ensemble des travaux disponibles sur les anciens combattants américains et britanniques - puisque ce sont eux qui ont fait l’objet du maximum de publications pour les raisons que rappelait le Président Bernard Cazeneuve - fait ressortir que, sur l’ensemble de ces travaux, aucune relation n’a pu être identifiée entre les troubles dont se plaignent certains des anciens combattants et un facteur de risque particulier.

Les conclusions du groupe du Professeur Salamon indiquent notamment que les plaintes ou les signes cliniques présentés par d’assez nombreux vétérans américains ne peuvent être mis en relation ni avec l’exposition au gaz Sarin, ni avec les conséquences environnementales des incendies des puits de pétrole. On voit bien qu’il existe des éléments convergents pour mettre en doute l’existence d’un syndrome spécifique de la guerre du Golfe. C’est, en tout cas, ce que rapporte le groupe d’experts médicaux indépendants, au nom duquel parlait le Professeur Salamon.

Néanmoins, puisque dans le cas des effectifs plus nombreux des anciens combattants américains des signes, des symptômes et des plaintes ont été observés, le groupe d’experts a préconisé de poursuivre une étude collective globale du groupe des anciens combattants français du Golfe. A cette fin, le groupe d’experts a recommandé deux études sur le principe desquelles le Gouvernement s’est déclaré d’accord.

La première sera une étude épidémiologique, par questionnaire, sur l’ensemble des 25 000 soldats ayant participé à la guerre du Golfe avec de nouveau la possibilité d’un examen clinique et biologique proposé dans un établissement civil ou militaire. Pour assurer la transparence concernant ces questions sanitaires, M. Bernard Kouchner et moi avons décidé de confier à l’INSERM la mise en _uvre de cette étude exhaustive. La durée des travaux, dont l’orientation sera fixée par le groupe du Professeur Salamon, sera, dans notre estimation, de l’ordre de deux ans, pour un coût évalué à 6 millions de francs qui sera financé par le ministère de la Défense.

La seconde étude recommandée par le groupe d’experts, et que nous avons décidée, portera sur les causes de décès des anciens militaires français déployés dans le Golfe. Elle sera menée par l’Institut de veille sanitaire en coopération avec le Service de santé des Armées. Nous avons pensé qu’il serait judicieux d’étendre son champ aux anciens combattants français des Balkans, sachant, bien entendu, que le nombre de décès formant la base de cette étude était encore, et heureusement, extrêmement limité.

Par ailleurs, pour améliorer la connaissance scientifique de certaines pathologies liées aux situations de combat, des recherches en amont vont être poursuivies et renforcées, en particulier sur les interactions entre stress et vaccination - domaine spécifique aux situations d’affrontement militaire -, sachant que la question des multi-vaccinations donne déjà lieu à des programmes de recherche assez importants dans le domaine civil.

Enfin, nous prenons en compte la proposition émanant du groupe d’experts de créer à l’avenir un Observatoire de santé des militaires et anciens militaires, ce qui illustre notre souci que j’évoquais tout à l’heure de savoir comment améliorer la détection dans la durée des risques sanitaires à terme pouvant être présentés par les conflits d’aujourd’hui. Le but est donc de permettre aux combattants qui ont été soumis lors d’une opération à des risques sanitaires de bénéficier d’un suivi épidémiologique renforcé ainsi que d’une prise en charge adaptée après leur retour à la vie civile.

Ces études que nous entreprenons sur les conséquences sanitaires de la guerre du Golfe ne doivent pas, bien sûr, nous détourner d’une grande vigilance sur l’environnement des militaires dans d’autres opérations : ainsi, la surveillance des personnels exposés au plomb à Mitrovica se poursuit. Pour améliorer ce suivi sanitaire, les différentes composantes de nos forces armées cherchent à développer la qualité de l’observation durable des personnels et de leur information. Enfin, d’une manière générale, j’ai invité les services du ministère de la Défense à faire preuve de la plus grande transparence face aux interrogations concernant les suites médicales pouvant toucher des soldats ayant servi dans les Balkans.

Avant de terminer, je voudrais, comme l’a fait de son côté le Président Bernard Cazeneuve, revenir en quelques mots sur la question des munitions à l’uranium appauvri. La France, vous le savez, à la différence des Etats-Unis, n’a pas utilisé, en opérations, de munitions incorporant de l’uranium appauvri, que ce soit dans le Golfe ou dans les Balkans. Il est en revanche probable que des militaires français ont été amenés à se trouver, temporairement, à proximité de carcasses de chars détruits par les forces américaines avec de telles munitions. Mais nous le savons, l’uranium appauvri ne présente pas plus de risques radiologiques que le minerai d’uranium ou d’autres éléments à l’état naturel. De même, sa toxicité est comparable à celle des métaux lourds - comme le plomb - qui entrent dans la composition de nombreuses autres munitions et qui présentent le même type de risque sanitaire pour les personnels qui se trouvent à proximité des carcasses immédiatement après l’impact.

Cinquante années d’expérience industrielle d’utilisation de ce matériau n’ont mis en évidence aucune pathologie spécifique. Ce matériau est employé parce qu’il est d’une très forte densité : il est donc d’une très faible volatilité et ne présente pas de fortes possibilités d’inhalation. Les risques chimiques qui existent sont ainsi limités.

Je tiens également à souligner que le développement et la fabrication d’obus contenant de l’uranium appauvri dans notre pays ont été menés par la Délégation générale à l’Armement conformément aux règles en vigueur concernant les programmes d’armement. L’uranium appauvri ne constitue pas une substance prohibée au regard de notre législation nationale ou de la législation internationale. Le processus de développement a d’ailleurs été mené dans la transparence puisque la représentation nationale en a été tenue informée via la Commission de la Défense.

Depuis juin 1999, des investigations ont été conduites pour rechercher l’existence de dommages potentiels vis-à-vis des soldats qui manipulent ces munitions ou qui seraient amenés au cours d’opérations à se situer à proximité de chars détruits par des obus contenant de l’uranium appauvri. En outre, nous participons - notamment au sein de l’Alliance Atlantique - aux recherches et échanges d’informations organisés entre pays intéressés, parmi lesquels se trouve la Russie, pour déterminer le risque réel lié à l’utilisation de l’uranium appauvri. Les mesures effectuées ou en cours de réalisation dans les Balkans montrent la difficulté de trouver des traces de contamination susceptibles de présenter un impact sur la santé ou sur l’environnement.

Néanmoins, il convient de rester vigilants ; nous en sommes bien d’accord. Je tiendrai donc à l’avenir à votre disposition, ou à celle des commissions parlementaires intéressées, l’intégralité des données dont nous aurons connaissance sur ce sujet.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Merci Monsieur le Ministre. Nous allons à présent vous poser quelques questions.

M. Charles Cova, Vice-président : Au cours de son récent déplacement aux Etats-Unis, notre mission d’information a constaté que les rapports officiels américains faisaient état de détections de traces toxiques par les forces françaises, confirmées par le bataillon spécialisé tchèque, lui aussi dépêché dans le Golfe. Ces faits sont relatés dans un rapport de la Chambre des représentants de 1997, puis dans un second rapport émanant de la Commission des Anciens combattants du Sénat datant de 1998.

En outre, ces informations paraissent toujours être crédibles par les services de l’Assistant spécial auprès du Secrétariat à la Défense, désigné pour connaître les problèmes du Golfe. Ces détections seraient intervenues entre les 19 et 21 janvier 1991, aux environs immédiats de Riyadh et de la Cité du Roi Khaled, où étaient encore stationnées une partie de nos forces.

Le plus troublant est que nos interlocuteurs nous ont indiqué que des délégations conjointes du Sénat et du Pentagone se sont rendues au moins à deux reprises en Europe à des dates qu’ils ont situées, de mémoire, dans le courant des années 1997 et 1998, et qu’à l’occasion de leur passage en France, elles n’avaient reçu aucune réponse des autorités françaises sur ces questions alors que la chaîne du commandement avait enregistré ces détections en janvier 1991.

Pouvez-vous, Monsieur le Ministre, nous confirmer ces éléments et nous apporter des informations complémentaires sur ces rencontres ? Est-il exact que les autorités françaises - il conviendrait de préciser lesquelles - ont effectivement gardé le silence ? Le cas échéant, pour quelles raisons ?

Notre passivité à l’égard d’une demande de confirmation émanant des Américains pourrait, en effet, se retourner contre nous dès lors que, sur la question de l’uranium appauvri, vous leur avez demandé de faire preuve d’ouverture et, donc, de transparence dans l’information.

M. Alain Richard, Ministre de la Défense : Nous avions envoyé, à partir des données dont nous disposions à l’époque, une correspondance à nos partenaires américains indiquant que nous n’avions pas relevé d’alerte chimique réelle à proximité de nos forces. C’est une erreur que nous avons reconnue après avoir conduit des investigations précises sur l’ensemble des documents dont nous disposions au Service historique de l’armée de Terre, ce qui nous a conduits, au cours des mois passés, à adresser une nouvelle correspondance aux Américains corrigeant la première. Cela a d’ailleurs été porté à la connaissance de votre mission d’information au mois de février dernier.

Cette contradiction qui a été relevée à partir d’une analyse plus approfondie de documents datant de dix ans, a donc été reconnue, communiquée et argumentée à nos partenaires américains. Nos soldats déployés dans le Golfe ont, en effet, fait des détections sous forme de doses extrêmement faibles de gaz toxiques, mais la raison pour laquelle cette confusion, cette insuffisance d’information, a pu se produire, réside essentiellement dans le fait qu’il n’y a eu aucune conséquence décelable chez aucun de nos personnels.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Je suis ravie, Monsieur le Ministre, que vous répondiez ainsi parce que j’avais été surprise de lire la lettre en date du 14 mai 1999, qui avait été envoyée à M. Cohen, Secrétaire à la Défense des Etats-Unis d’Amérique, laquelle indiquait que la France affirmait clairement qu’il n’y avait eu que des fausses alarmes sans confirmation positive alors que vous-même, grâce à la déclassification de documents, nous aviez fait parvenir des documents indiquant qu’il y avait bien eu cinq alertes positives mentionnant des gaz de type Sarin, ypérite et gaz moutarde.

La mission d’information est assez intéressée de connaître les effets à long terme de la respiration à faible dose de ces gaz neurotoxiques. Les scientifiques compétents au sujet des gaz neurotoxiques sont des militaires. Qui peut nous apporter des réponses ?

Cela pourrait expliquer certains symptômes observés chez les militaires, sachant tout de même que, contrairement à ce que vous dites, aux Etats-Unis, sur les 185 000 soldats faisant l’objet d’un suivi sanitaire, il reste 3 000 cas dont on n’est pas capable d’expliquer les symptômes. Par ailleurs, le rapport du Professeur Salamon fait apparaître des symptômes inexpliqués.

D’un point de vue médical, on s’oriente de plus en plus vers une synergie de facteurs capables de provoquer ces symptômes inexpliqués. Nous sommes donc ennuyés de ne pas avoir de réponse à cette question concernant les faibles doses de ces gaz neurotoxiques. Peuvent-ils entraîner des effets secondaires ?

Par ailleurs, en ce qui concerne l’uranium appauvri, vous avez déclaré dans la presse que ce n’est pas un élément provoquant des radiations. Monsieur le Ministre, nous avons auditionné plusieurs médecins spécialistes en radioprotection : le problème n’est pas en soi celui de l’uranium métal, qui n’est qu’un faible émetteur gamma, mais celui des poussières radioactives qu’ont pu inhaler les soldats qui sont allés visiter des chars ou qui étaient à proximité de chars bombardés par des obus incorporant de l’uranium appauvri.

Comptez-vous modifier l’information des soldats sur le sujet car, si demain de nouveaux conflits éclatent, à mon avis, tant les Britanniques que les Américains continueront à utiliser ces armes redoutables ? Il faut tout de même informer les soldats que lorsque, demain, des chars seront bombardés, il faut qu’ils utilisent au moins des masques pour se protéger des poussières radioactives.

Pouvez-vous également nous confirmer que dans les sites où l’on usinait ces armes, qu’il s’agisse des sites de Gramat, Bourges ou Annecy, les ouvriers qui les manipulaient recevaient une information sur la radioprotection ?

On nous a dit, sans nous en donner l’explication, que l’on avait arrêté, en France, la fabrication de ces armes à base d’uranium appauvri. Pouvez-vous nous donner les raisons de l’arrêt de cette production ?

M. Alain Richard, Ministre de la Défense : Sur les effets des gaz toxiques à dose infinitésimale, je vous ai dit ce qu’est la perception de nos spécialistes depuis très longtemps, puisque la guerre des gaz est une réalité stratégique opérationnelle qui remonte à quatre-vingts ans. Dans notre pays, nous en avons fait l’expérience.

Par ailleurs, aucune publication faite, ni en France ni - d’après ce que je retire du rapport du Professeur Salamon - aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, n’illustre un facteur pathogène de ces expositions à dose infinitésimale. Il s’agit là de l’état de la science. Il peut changer comme il a changé dans d’autres domaines.

Je n’ai pas vu trace - et vous-même vous n’en avez pas mentionné - d’indications présentant une analyse scientifique en ce sens, ni son contraire d’ailleurs. C’est ce que nous savons, vous et moi. Je renvoie à cette observation faite par le Professeur Salamon : le débat, s’il consiste à demander à un partenaire quelconque, qu’il soit une autorité publique ou un groupe scientifique, de démontrer l’inexistant, est infini.

En ce qui concerne l’exposition aux conséquences en termes de toxicité de l’impact d’une munition à l’uranium appauvri, nous n’avons pas à modifier l’information et les consignes données aux militaires français ; cela a déjà été fait. Je ne peux vous dire à l’instant la date à laquelle nous avons donné les précisions sur le comportement à observer mais, de mémoire, il me semble que c’était le cas dès l’entrée de nos forces au Kosovo en 1999. Les consignes de sécurité sont donc déjà données.

Quant aux règles de sécurité qui ont été appliquées aux agents civils qui avaient à manipuler, surtout pendant les essais, le stock de munitions françaises d’uranium appauvri, je peux tout à fait faire parvenir les documents de référence à votre mission d’information puisqu’ils existent.

Enfin, l’arrêt de la fabrication de ces armes a été décidé depuis très longtemps puisque cette fabrication a correspondu à l’équipement de la génération de chars précédant ceux actuellement en service. Pour l’équipement du char Leclerc, nous avons considéré qu’il n’y avait pas d’impératif opérationnel à le doter dès maintenant de tels obus.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Monsieur le Ministre, on nous a dit que la fabrication de ces obus en France n’était pas opérationnelle du point de vue de la projection, qu’en fait nous ne possédions pas le savoir-faire.

M. Alain Richard, Ministre de la Défense : Je ne comprends pas votre question.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : On nous a dit que l’on avait interrompu la fabrication de ces armes, un problème technique se posant au niveau de leur trajectoire.

M. Alain Richard, Ministre de la Défense : Non, pas du tout.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Cela nous a été dit par des représentants de la société SICN, filiale de la COGEMA. La COGEMA fabrique les obus, mais l’arme est réalisée par la DGA.

M. Alain Richard, Ministre de la Défense : Non, la COGEMA ne fabrique pas les obus. Elle élabore seulement la matière nécessaire aux munitions à uranium appauvri.

En ce qui concerne la capacité d’usiner et de fabriquer des projectiles qui suivent des trajectoires définies à l’avance, tous les essais qui ont été faits sur la génération de projectiles préparés pour les AMX30 ont montré que ces obus répondaient pleinement aux contraintes de trajectoires.

M. Claude Lanfranca, co-rapporteur : Monsieur le Ministre, je ne vous poserai pas des questions pour savoir si les gaz et l’uranium appauvri sont toxiques car ce n’est pas le rôle de notre mission d’information mais plutôt la tâche des experts médicaux. Notre objectif est de savoir si nos soldats ont été exposés à des risques.

Tous les spécialistes que nous avons rencontrés affirment qu’ils croient plus ou moins à la toxicité de l’uranium appauvri, même aux Balkans. Les Américains ont déploré des tirs fratricides et ils nous disent que les soldats atteints dans leur corps par des fragments d’uranium sont en bonne santé. Nous les croyons ; mon problème n’est donc pas là.

En revanche, j’ai remarqué que le stress était un facteur plus important. Les soldats avaient l’impression de subir une menace très forte, celle des gaz, ennemi d’autant plus pernicieux qu’il est invisible. Quand un gaz arrive, on ne le voit pas ; cela amplifie encore l’angoisse.

A ma grande surprise, bien que l’on reconnaisse que le stress est responsable de nombreux troubles psychiatriques - un cas s’est d’ailleurs déclaré dans ma circonscription quelques mois après la fin du conflit -, quand je demande au Secrétaire d’Etat chargé des Anciens combattants quel est le nombre de pensionnés pour atteintes psychologique ou psychiatrique, il me répond qu’ils sont une dizaine seulement. Cela me surprend. Est-ce que l’on ouvre bien le droit à réparation à nos soldats en cas de troubles dépressifs ou psychiatriques ?

M. Alain Richard, Ministre de la Défense : Sur cette question, la réponse faite par M. Jean-Pierre Masseret correspond à la réalité. Peut-être est-il allé plus loin lors de votre rencontre ; pour ma part, je pense qu’il serait important de connaître le nombre de cas de rejets, c’est-à-dire le nombre de cas dans lesquels on se trouve en présence de dossiers vérifiables a priori de pathologies imputables au stress, mais rejetés par le Service des pensions pour un motif ou un autre. Je crois me souvenir que ce nombre de cas de rejets doit être encore plus faible.

Je souligne - mais je suppose que cela a déjà été relevé par votre mission d’information dans ses travaux antérieurs - qu’au moment des opérations dans le Golfe, une des différences entre les conditions d’accompagnement sanitaire des militaires français et celles des militaires des autres forces, est qu’il existait au contact direct, au sein des unités sur le terrain, une présence du Service de santé des Armées bien plus importante que dans les autres armées et comportant des psychiatres. Nous étions le seul grand pays à avoir mis en place un tel dispositif.

Cela ne signifie pas que nous sachions tout sur l’étendue des cas et sur les conséquences sanitaires à long terme des stress de combat. Il s’agit d’un aspect qui justifie un travail d’une nature très différente de celui qui a été fait au cours des générations précédentes à l’issue des conflits, c’est-à-dire un travail d’observation dans la durée de personnes qui ont été exposées à des stress. Ce travail d’observation dans la durée soulève un grand nombre de questions scientifiques que nous ne pouvons pas développer de façon crédible ici, notamment celle de savoir comment caractériser et quantifier les facteurs représentatifs d’un stress, et celle recouvrant la notion plus générale de l’évolution dans la durée des conséquences médicales d’un stress.

Néanmoins, je crois que notre système de santé des armées est plus soucieux et plus actif sur cette question que la plupart de ceux des autres pays.

M. Jean-Louis Bernard : Monsieur le Ministre, je pense qu’il était important qu’il y ait la création de ces deux missions, celle de la Commission de la Défense et celle des experts indépendants réunis autour du Professeur Salamon. Cela nous a permis de progresser plus avant dans la connaissance de ce qu’est, ou n’est pas, le « syndrome » dit du Golfe.

Je voudrais malgré tout vous faire part de la déception qui fut la mienne en constatant que nous n’avons pas du tout été au courant du contenu du rapport du Professeur Salamon avant sa publication. Personnellement, j’ai découvert ses conclusions à la télévision, un matin. Notre Président avait reçu le rapport quelques heures avant sa diffusion. J’avais cru comprendre que nos missions devaient potentialiser leurs actions, être très complémentaires, échanger des points de vue. J’ai découvert quelque chose que j’aurais pu découvrir un peu plus en amont. Pourtant, cela aurait été très précieux, parce que le rapport du Professeur Salamon est une revue quasi exhaustive de la bibliographie ; or une grande partie de ce travail avait déjà été faite par notre mission et nous avions déjà des conclusions. J’ai peut-être aussi été déçu par un certain nombre de propositions. Je pense que notre mission vous fera des propositions plus importantes en matière de prévention, de prophylaxie, et de suivi. Nous le verrons dans quelques temps.

Si je regrette ce défaut de coordination avec le groupe d’experts indépendants, je dois, en revanche, reconnaître que notre mission d’information a bien travaillé et je tiens à remercier publiquement M. Bernard Cazeneuve de la qualité des travaux qui ont été effectués sous son autorité. Notre mission d’information a travaillé dans la sérénité, sans a priori, et sans prétendre atteindre la vérité. Au moins pourra-t-elle éclairer l’opinion publique et tailler des croupières à de fausses informations relayées par certains médias ou certaines associations qui, manifestement, ont pris du plomb dans l’aile au fur et à mesure de l’avancement de nos travaux. Nous pourrons sans doute vous rendre un rapport qui, probablement, s’approchera plus de la réalité que du fantasme.

Il est certain que le problème du stress a dû jouer un grand rôle mais, nous l’avons bien vu au cours de notre déplacement aux Etats-Unis, le stress est considéré, non seulement par les populations civiles mais sans doute encore davantage par les militaires, comme une sorte de complexe d’infériorité : admettre son stress est ressenti comme admettre sa peur devant le combat, sa peur de la guerre. Ceci peut sans doute expliquer la sous-estimation du facteur stress. Dans les pays étrangers, et peut-être dans le nôtre, dès que l’on parle de stress, les anciens combattants y voient l’évocation d’une certaine faiblesse morale devant le combat ; à mon avis, nous aurons beaucoup de mal à leur faire admettre que le stress a pu jouer un rôle dans le développement de certaines pathologies.

C’est d’autant plus difficile qu’en période de stress aigu, il existe parfois des signes cliniques : les gens tombent en syncope - c’est le malaise vagal de ceux qui sont devant un accident de la route. Il y a des marqueurs biologiques, mais dix ans après il est extrêmement difficile de trouver des marqueurs du stress. Là, on se trouve devant une difficulté majeure.

En ce qui concerne l’uranium appauvri, il est vrai que la lecture de tous les travaux, quels qu’ils soient, de toutes les équipes de spécialistes au monde, n’ont pas, semble-t-il, montré de dangers potentiels à brefs délais. Il conviendra sans doute d’être plus mesuré sur les effets à très longue échéance car on ne sait jamais ce qui peut arriver vingt ou trente ans après. Vous nous avez dit, Monsieur le Ministre, qu’il n’y a pas d’effet sur la descendance, mais pour pouvoir l’affirmer, il faut un certain recul. Ce n’est pas huit à dix ans après un conflit que l’on peut apprécier l’état sanitaire d’une descendance, d’autant qu’aujourd’hui, on peut procréer bien au-delà de vingt ou trente ans.

Enfin, je voudrais vous demander une confirmation. Des experts de la Rand Corporation nous ont dit que des émissaires américains étaient venus au moins à deux reprises au ministère de la Défense. Ils n’ont pas pu préciser les responsables ou les dates de leur visite. Il s’agit malgré tout d’éléments importants car, en effet, si leur voyage a été relativement tardif, cela peut expliquer le manque de réceptivité de la part de votre ministère ; en revanche, dans le cas d’un voyage très antérieur aux premières plaintes des associations des militaires, le manque de réactivité de votre ministère par rapport à une information qu’il était susceptible de détenir serait plus difficile à expliquer.

Je terminerai sur des considérations plus générales et peut-être plus philosophiques. On voudrait appliquer aux conflits, aux opérations extérieures, à la guerre, le principe dit de précaution. Si cela n’a aucun sens en ce qui concerne les affaires militaires, on devrait néanmoins s’efforcer de quantifier les risques. C’est à ce titre qu’un suivi pré, per et post conflit me paraît intéressant.

M. Alain Richard, Ministre de la Défense : Je n’ai pas de commentaires à apporter à l’observation que vous faites sur le travail de votre mission et celui du groupe d’experts présidé par le Professeur Salamon. La Commission de la Défense a, de façon souveraine, fixé son objectif à votre mission parlementaire. Vos travaux, vous le disiez, se déroulent de façon cohérente et limpide vis-à-vis de cet objectif. Par ailleurs, un groupe d’experts médicaux s’est vu fixer, à la demande du Gouvernement, la mission de dresser un état de la littérature scientifique produite sur ces questions et, d’autre part, de proposer des recommandations de méthodes de suivi.

Je trouverais dommage qu’il y ait, dans votre esprit, une idée de compétition.

M. Jean-Louis Bernard : Je parlerai de coordination.

M. Alain Richard, Ministre de la Défense : Vous disiez que vous entendiez faire des propositions « encore plus audacieuses ». Je ne suis pas sûr qu’il y ait lieu d’établir un palmarès entre les deux instances de travail, même s’il y a un environnement médiatique dans tout cela. Il y a bien deux missions différentes ; c’était clair dès le départ.

Deuxièmement, le fait que le stress soit une réalité médicale, physiologique et pathologique difficile à identifier pour les militaires en opération est en effet un problème. Si l’on examine cela avec un peu de distance et d’analyse historique, cela signifie seulement que nous nous fixons des objectifs de préservation et de remise en santé de nos militaires après un conflit beaucoup plus exigeants que ceux que nos pays démocratiques se sont fixés lors des conflits antérieurs et il n’y a pas longtemps encore.

Il est vrai que le bon vieux système de demande de pension et de demande d’examen médical, dans la dernière génération du feu où il s’est pratiqué, c’est-à-dire pour les anciens combattants des conflits d’Afrique du Nord, a été en réalité le moment où la prise en compte de cette réalité du stress de combat est entrée dans notre analyse des suites des conflits. Cependant, il y aura toujours des difficultés. Cela vient du fait que - vous l’avez très bien dit et je ne peux que rejoindre votre réflexion -, les risques rencontrés par les hommes et les femmes en mission militaire ne sont pas réductibles aux risques rencontrés dans la vie professionnelle courante. Cela fait partie du soutien moral qu’on leur doit parce qu’ils ne le font pas par la fantaisie de quiconque mais pour servir des intérêts majeurs du pays.

Quant à la détection par notre ministère de la Défense d’une réalité de signes pathologiques à forte fréquence chez nos partenaires américains, elle remonte aux années 1992-1993. Autrement, le ministère de la Défense aurait vraiment été le seul à ne pas savoir qu’il y avait de nombreux cas de plaintes ou d’allégations de signes pathologiques se comptant en milliers ou dizaines de milliers chez les vétérans américains. Tout le débat vient de ce que le nombre de signes allégués et de plaintes constatées chez les militaires français est sans commune mesure : ils se sont résumés à quelques dizaines. Tous les travaux récents le confirment.

J’ai apprécié d’ailleurs que la seule organisation qui affirme le contraire, l’association Avigolfe - qui n’a fourni jusqu’à présent aucune indication à quiconque sur ce qu’elle avait dans ses dossiers sur le sujet, ce qui a donné lieu, si j’ai bien compris, à une incompréhension entre elle-même et votre mission d’information - ait laissé entendre après la conférence de presse que nous avons faite Bernard Kouchner, le Professeur Salamon et moi-même il y a quinze jours, qu’elle « envisageait » de transmettre des informations. J’en suis satisfait. Cela permettra, si toutefois elle donne suite à cette intention, d’aborder sous un autre angle de vision la question de savoir s’il existe en nombre appréciable des anciens du Golfe qui présentent les signes cliniques observés en grand nombre aux Etats-Unis.

Comme je le disais sur un média il y a quelques jours, cette révélation tardive, très tardive, des données dont Avigolfe dit avoir la possession sera de toute façon utile. De deux choses l’une : ou cela confirmera que le nombre de cas vérifiables est resté extrêmement faible, justifiant ainsi que notre ministère n’ait pas eu la même démarche que ceux d’autres grandes démocraties où les cas ont été dénombrés par milliers ou dizaines de milliers ; ou cela révélera qu’il y a eu des cas très nombreux, qui n’auraient été connus de personne à l’exception de l’association Avigolfe, ce qui serait, me semble-t-il, un signe nouveau d’une réalité sanitaire grave, et pourtant restée totalement inconnue de tous, notamment de la médecine civile, pendant près de dix ans. Ce serait là une indication nouvelle sur l’état du système de santé publique français ! Je ne veux pas l’exclure d’avance. Je dis que, dans un cas comme dans l’autre, ce sera intéressant.

Enfin, je voudrais rejoindre votre conclusion car je retire de l’ensemble de ces débats le sentiment que nous avons changé de type de conflit en matière de santé. Quand on dresse le bilan de notre système de détection et de prise en compte des suites médicales des conflits sur trois générations du feu, par comparaison avec ce que l’on connaît dans les pays développés et démocratiques, nous constatons qu’il marchait bien parce que le nombre de gens exposés aux diverses atteintes représentait une masse. Par conséquent, même si les phénomènes ne touchaient que de faibles proportions, on arrivait à les détecter.

Désormais, le nombre de militaires qui auront été effectivement exposés, surtout si l’on subdivise par phases de conflit, se comptera en centaines ou milliers. Or, l’apparition de certaines atteintes peut être extrêmement tardive. Il nous faut donc mettre en place un système d’observation dans la durée, afin de déceler s’il apparaît un type de pathologie retardée chez nos anciens combattants. Il s’agit d’un mécanisme d’autant plus compliqué à mettre en place que la plupart des personnels concernés auront quitté le service, et qu’ils ne seront pas faciles à contacter individuellement.

L’issue de ces débats nous amènera à prendre position pour créer un tel système. Cela ne manquera pas de poser des questions de méthode scientifique assez compliquées. Mais il faut le faire, parce que c’est une volonté politique qui s’impose à nous.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Monsieur le Ministre, si vous m’y autorisez, je dirai quelques mots sur le sujet qui a été évoqué par M. Jean-Louis Bernard et vous-même concernant l’articulation des travaux de notre mission avec ceux du groupe d’experts indépendants présidé par le Professeur Salamon.

Nous avons parfaitement perçu au sein de la mission d’information que les travaux de chacun des deux groupes étaient, de par la nature différente des institutions et du cahier des charges, très différents et en même temps très complémentaires. Nous avions à examiner les conditions dans lesquelles les militaires français auraient pu se trouver exposés à des risques spécifiques sur le théâtre des opérations pendant le conflit du Golfe et pendant le conflit des Balkans et la mission diligentée par vous-même et par le Secrétaire d’Etat à la Santé avait pour double objectif, d’une part, de regarder l’ensemble de la littérature épidémiologique sur le sujet et, d’autre part, de préconiser un certain nombre d’études complémentaires destinées à assurer un meilleur suivi.

De ce fait, notre mission et le groupe d’experts indépendants par leur objet, par leur nature, par leur origine sont, comme vous l’avez souligné vous-même, très différents. Je pense qu’il était de la crédibilité de chacune de ces instances qu’elles conservent la parfaite maîtrise de leurs travaux.

En même temps, nous voyons bien que les éléments dont nous disposons - grâce d’ailleurs à la bonne collaboration entre l’institution parlementaire et l’exécutif, notamment le ministère de la Défense -, sur les conditions dans lesquelles nos militaires ont pu se trouver exposés et les critères méthodologiques et scientifiques à partir desquels pourraient être engagées des enquêtes cas-témoin, auraient pu inspirer utilement les travaux du Professeur Salamon. De même, les informations que le Professeur Salamon a retiré de son analyse des études épidémiologiques existantes et les préconisations qu’il peut formuler peuvent avoir des conséquences sur les propositions que nous-mêmes pouvons être amenés à émettre dans quelques jours, à destination non seulement de l’opinion publique mais aussi de l’exécutif.

C’est la raison pour laquelle, sans que nous le disions d’une manière polémique, nous aurions souhaité que la volonté conjointe d’un travail en commun qui avait été manifestée puisse se poursuivre jusqu’à la publication des rapports et que le Professeur Salamon puisse venir, en même temps qu’il présentait publiquement son travail, devant notre mission de manière à ce qu’un ultime échange, avant publication des deux travaux, puisse avoir lieu. Ce n’est rien que cela qu’évoquait M. Jean-Louis Bernard, sans rien retirer à ce que vous dites sur la nécessité de garder une parfaite indépendance de vue des deux institutions pour la crédibilité même des travaux. C’était d’ailleurs un souhait que vous aviez manifesté de voir le Parlement poursuivre son chemin en toute indépendance.

M. Alain Richard, Ministre de la Défense : Je pense que personne n’avait la volonté d’influencer par le dialogue les conclusions du groupe d’experts totalement indépendants, ni du côté du Parlement, ni du côté du Gouvernement - car nous n’avons pas eu de discussions avec le Professeur Salamon et son équipe avant la parution de ses conclusions.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Nous pensons, Monsieur le Ministre, que nos travaux peuvent être utilement amendés par la réflexion du Professeur Salamon. Nous n’en serions en aucun cas choqués puisque, par le travail en cerveaux connectés, la réflexion s’amende, s’améliore et s’enrichit. Nous pensions que cela pouvait aussi marcher dans l’autre sens. Finalement, cela marchera dans le sens Salamon-Parlement et pas dans le sens Parlement-Salamon, puisque son rapport a été rendu avant qu’il ait pu entendre les quelques éléments concernant le contenu de nos travaux.

Toutefois, tout cela reste en fait très marginal par rapport au fond des choses, c’est-à-dire ce qui a été publié par le Professeur Salamon et son groupe et ce qui sera publié par nous dans quelques jours.

Je reviens à présent sur des sujets que vous avez évoqués à l’occasion de cette audition et que vous aviez également évoqués lors de votre première audition devant la Commission de la Défense et, tout d’abord, sur le principe de précaution.

Vous avez indiqué que les premiers éléments d’information dont vos services ont disposé concernant l’existence de pathologies dans des armées qui avaient été engagées dans ces opérations, étaient apparus en 1992 et que le ministère de la Défense en avait eu connaissance dès le début des années quatre-vingt-dix. Quelle est la portée du principe de précaution en la matière ?

Consiste-t-elle, dès lors que des informations de ce type sont portées à la connaissance du ministère, à rappeler pour examen ces soldats -en sachant qu’il y a, bien entendu, une différence de traitement que vous avez vous-même soulignée en matière de vaccins et de prise de la Pyridostigmine selon les armées - pour vérifier quel est l’impact sanitaire de l’engagement, ou le principe de précaution doit-il consister à ne déclencher un suivi médical que dès lors que des pathologies apparaissent dans nos propres armées ?

La question se pose sur ces sujets et, de manière très générale, dans d’autres domaines. On l’a vu lors de l’affaire du sang contaminé, quand le problème du rappel des transfusés s’est posé aux services de santé civils dans des termes comparables. Ce sont des sujets compliqués et difficiles.

Ma deuxième interrogation porte sur l’affaire de la Pyridostigmine et sur la manière dont les informations circulent entre les différents services de votre ministère.

J’ai cru comprendre - et je vous en demande confirmation, Monsieur le Ministre - que ce sont les Etats-majors qui donnent l’instruction de prendre les médicaments et non le Service de santé des Armées, ce dernier veillant à ce que les substances médicamenteuses dont l’ordre était donné qu’elles soient prises par l’Etat-major n’aient pas d’impact sur la santé à long terme. Mais c’est l’Etat-major qui donnait la consigne d’administration de ces substances.

Nous savons, grâce aux documents déclassifiés que vous nous avez fait parvenir, qu’instruction a été donnée de les prendre mais pas d’arrêter de les prendre. De toute façon, on ne les prend que dès lors qu’il y a une attaque ; on peut donc imaginer qu’une fois l’attaque terminée, on ne continue pas à avaler cette Pyridostigmine comme l’on croque des tic-tac dans sa voiture un jour d’embouteillages. Donc, nous pensons que leur prise a été arrêtée après la fin de l’offensive, même si aucune instruction écrite n’a été donnée en ce sens.

Cela étant, comment circule l’information sur ces affaires sanitaires dans le cadre d’une opération militaire extérieure entre le Service de santé des Armées et l’Etat-major des Armées ? Lorsque l’Etat-major des Armées donne des instructions, existe-t-il un dispositif de pilotage conjoint sur le théâtre des opérations entre lui-même et le Service de santé des Armées pour veiller à ce que l’effet induit de l’absorption de ces substances médicamenteuses soit bien mesuré ? Existe-t-il des protocoles en amont des ordres donnés par l’Etat-major des Armées qui permettent de vérifier la liste des contre-indications et de suivre un certain nombre de militaires dont on sait qu’ils ont présenté des pathologies spécifiques qui peuvent présenter aussi des contre-indications ?

Comment cela se passe-t-il très concrètement ? Les préconisations que vous formulez au regard du retour d’expérience du Service de santé des Armées et des armées elles-mêmes, prennent-elles en compte des éléments nouveaux de ce point de vue ?

M. Alain Richard, Ministre de la Défense : Sur le premier point, je me bornerai à ce que j’ai dit précédemment. J’en prends le risque : il y a eu un nombre infime de cas de plaintes fonctionnelles vérifiables qui ont été présentées par des anciens militaires du Golfe et ne correspondent pas à des pathologies bien connues.

Ces faits se sont produits il y a dix ans. Il peut toujours survenir que l’on découvre, alors qu’aucun signe n’était détectable ni par notre appareil de santé militaire - et j’y insiste s’agissant de personnes qui sont en très grande majorité des civils - ni par l’ensemble de l’appareil de santé civil, que des centaines ou des milliers de gens aient présenté ces signes et que tout le monde l’ait ignoré. Ce serait alors, dans notre pays, une réalité sanitaire extraordinairement nouvelle, qui ne concernerait pas seulement la défense parce que cela peut être vrai aussi d’une maladie professionnelle ou d’une maladie infectieuse.

Allons-nous découvrir que nous sommes un pays dans lequel des maladies cheminent, que des signes cliniques avérés sont présentés par des centaines ou des milliers d’individus sans que personne ne le sache ? Si l’on aboutit à ce constat, on aura découvert quelque chose d’important qui dépassera de loin le monde de la défense.

Je ne suis toutefois pas convaincu que l’on parviendra à cette découverte. Jusqu’à présent, rien n’a apporté de signes dans ce sens et l’attitude dilatoire de l’association Avigolfe ne plaide, en l’état actuel de nos réflexions, pas spécialement dans le sens de la survenance imminente d’une révélation fulgurante.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Je dois dire, Monsieur le Ministre, que nous avons souhaité interroger l’association Avigolfe, venue témoigner devant notre mission d’information, et que celle-ci ayant quitté la salle au terme d’une déclaration liminaire extraordinairement agressive à notre encontre, nous n’avons pas pu obtenir les éléments d’information dont vous parlez.

M. Alain Richard, Ministre de la Défense : Je n’ai aucun commentaire à faire. Je dis simplement qu’aujourd’hui, nous n’avons pas de données. C’est ce que je me suis borné à dire depuis le début.

Je vois que Mme Rivasi a retenu comme un signe qui lui paraît peut-être important une interview que j’ai donnée au Figaro. Beaucoup, dont elle, ont glosé sur le titre de cette interview. Ce titre est du Figaro, dont je rappelle que c’est un journal de l’opposition, qui n’a pas particulièrement vocation à saluer l’action du Gouvernement. Ce serait, d’ailleurs, une déception pour tout le monde. (Sourires.) Et aucun de mes propos ne recoupe ce qui figure dans ce titre. Ce sont des petits malheurs qui arrivent à tous les gens qui donnent des interviews, Mme Rivasi le sait.

Quant au protocole de prise de la Pyridostigmine, il répond tout à fait logiquement au schéma que vous avez évoqué. Il y a des consignes de combat qui sont liées au risque NBC. Les prises de médicaments ou de substances figurant dans ces protocoles ont été préalablement expertisées et analysées par le Service de santé des Armées. Personne n’improvise en la matière. A la limite, si l’on veut porter une critique, un tel système présenterait la faiblesse de ne pas pouvoir mettre en _uvre une solution « à chaud », trouvée pendant le combat. On ne peut utiliser en matière de protection contre le risque NBC que des solutions qui ont été éprouvées, travaillées et préparées auparavant.

La Pyridostigmine est une indication préconisée face à un risque d’agression chimique. Ce risque existait puisque, précisément, une partie des discussions depuis lors, qui font partie du champ du travail de votre mission d’information, a consisté à savoir s’il y a eu des signes plus ou moins distants d’agression chimique vérifiée de la part des forces irakiennes.

Dans un cas de ce type, une instruction est donnée par le commandement de prendre de la Pyridostigmine pendant la période de l’alerte chimique. En période opérationnelle, si l’on connaît le début d’une alerte chimique on en connaît également la fin. Il n’y a pas d’incertitude pour savoir si on est encore en période d’alerte chimique. Donc, la consigne et le protocole sont ceux que je viens de vous indiquer.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Monsieur le Ministre, concernant l’ambiguïté sur la prise de Pyridostigmine par les militaires français, je me suis posée la question de l’articulation entre le Service de santé des Armées et votre cabinet. Comme l’indiquait M. Bernard Cazeneuve, entre le fait que vous n’avez pas eu l’information sur la prise de Pyridostigmine en disant que seuls quelques soldats en avaient absorbé alors que nous avons appris qu’en fait, ils étaient près de 9 000 à l’avoir fait, entre le fait que vous nous indiquez aujourd’hui - et c’est le travail qu’a accompli la mission - sur ces gaz neurotoxiques qui ont été émis par les bombardements de l’aviation américaine sur les sites irakiens - que les choses soient claires, ce ne sont pas les Irakiens qui ont envoyés des Scud contenant des produits chimiques...

M. Alain Richard, Ministre de la Défense : ... Mais les munitions chimiques en question avaient tout de même été stockées là par les Irakiens.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : C’est bien ce que je vous dis. Cependant, pendant très longtemps, nous avons entendu dire qu’il n’y avait pas eu d’émissions de gaz neurotoxiques et c’est seulement en consultant les documents que l’on apprend qu’il y en a eu. Les Américains eux-mêmes disent que lorsqu’ils sont venus en France, ils n’ont pas obtenu ces informations. Et vous nous dites maintenant que vous leur avez donné cette information seulement après vérification approfondie des données de vos services.

Il y a donc bien quand même un problème de diffusion de l’information entre ce qui s’est passé et les précisions que vous nous donnez. C’est de là que vient l’ambiguïté que l’on ressent et qui pousse les associations à se poser des questions.

S’agissant de votre argumentation, je conçois que si des milliers de personnes avaient été concernées, on peut supposer que cela se serait su. Admettons que des centaines de personnes soient en cause - il y a tout de même eu 300 dossiers déposés et mettons qu’il y ait 150 à 200 dossiers au niveau d’Avigolfe -, ces gens sont sortis de l’armée et le système santé civil ne peut pas répondre à leurs demandes. En effet, quand, malade, vous allez chez un médecin, il ne sait pas exactement le pourquoi de vos symptômes. Nous avons recueilli des témoignages de médecins qui disaient qu’ils ne savaient pas pour quelle raison apparaissent tels ou tels symptômes, tels ou tels problèmes neuromusculaires, etc. Comment voulez-vous que, sans centralisation des données, remonte une information permettant de mettre en lumière l’existence d’un véritable problème touchant tous ces anciens militaires qui se rendent chez des médecins civils, partout en France ?

Nous avons un système complètement dispersé. Si vous mettez en place l’Observatoire que propose le Professeur Salamon, il s’agira d’un acquis très intéressant car les anciens combattants qui auront quitté l’armée pourront alors aller voir des médecins qui seront - il faudra un agrément - en mesure de récolter ces informations et de leur donner un sens. Ce sera un outil qui pourra faire avancer les choses.

Pour en revenir à mes interrogations, pensez-vous qu’il serait utile d’améliorer les appareils de détection, car on peut imaginer que lors des prochains conflits, le problème chimique ainsi que celui de la radioactivité seront toujours d’actualité ? Il faudrait avoir des matériels plus performants. Le ministère de la Défense accordera-t-il un financement plus important pour tout ce qui concerne les moyens de protection des militaires et de prévention des risques NBC ? Un effort particulier sera-t-il fait en ce domaine ?

M. Alain Richard, Ministre de la Défense : Le premier point dont vous faites état, c’est-à-dire la détection de traces d’agents chimiques - je dis bien de traces sans effet pathologique - à proximité du stationnement des troupes françaises, sera l’un des apports de l’activité de la mission d’information, mais je crois qu’il n’y aura pas beaucoup d’autres faits nouveaux par rapport à ce qui était déjà établi sur un conflit qui a eu lieu il y a dix ans. Les cas détectés, c’est-à-dire ceux portés à la connaissance de quelque autorité de santé que ce soit, ont été en très petit nombre, pour ce qui ne relevait pas de maladies clairement identifiées.

Le travail de recherche et l’analyse exhaustive de nos documents opérationnels a été repris à l’occasion de ces investigations et a fait apparaître une information, dont ensuite chacun pourra, à sa guise, apprécier l’importance, et dont je rappelle, en final, qu’aucune atteinte décelable concernant un militaire français n’est apparue depuis lors. Aucune ! Personne ne dit le contraire.

Ensuite, vous pouvez, pour des raisons qui vous sont propres, choisir de donner de l’importance à cet élément. Nous verrons bien si vous convainquez. Mais, vu de l’ensemble du débat, le fait que la mission d’information ait obtenu communication d’un élément qui n’était pas connu auparavant est, me semble-t-il, un signe de transparence.

En ce qui concerne la question de la précision des appareils de détection des agents chimiques, nos forces possèdent des appareils qui discriminent les traces d’atteinte chimique. Nous pouvons alors supposer que les résultats en matière de détection, même éloignée, d’éléments de menaces chimiques ont été améliorés. Ce travail d’amélioration des matériels a donc déjà été accompli.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Nous vous remercions, Monsieur le Ministre, pour votre contribution à nos travaux.


Source : Assemblée nationale (France)