Présidence de M. Jean-Jacques HYEST, vice-Président

M. Jean-Jacques Hyest, président - Mes chers collègues, nous allons entendre M. Alain Bauer et M. Xavier Raufer.

Monsieur Bauer, vous êtes président d’AB Associates, société de conseil en sécurité urbaine.

M. Christian de Bongain -je suis obligé de donner votre vrai nom même si vous êtes plus connu sous le nom de Xavier Raufer- vous êtes chargé de cours à l’Institut de criminologie de Paris.

Vous avez l’un et l’autre écrit plusieurs ouvrages sur les violences et les différentes formes de criminalité et, notamment ensemble, un ouvrage intitulé Violence et insécurité urbaines.

(M. le président lit la note sur le protocole de publicité des travaux de la commission d’enquête et fait prêter serment.)

Monsieur Bauer, vous avez la parole.

M. Alain Bauer - Monsieur le président, je vous remercie de votre invitation. Je pensais, en écoutant le serment que vous venez de nous faire prêter, que le reproche qui nous était fait en général était davantage d’en dire trop que pas assez. Nous avons donc prêté serment avec bonne volonté.

En termes d’analyses, que celles-ci soient universitaires, scientifiques ou qu’elles émanent du terrain, la France est un pays merveilleux où l’on parle de violence et d’insécurité alors qu’on ne les connaît pas. Aujourd’hui, malheureusement, deux intégrismes à caractère scientifique ou pseudo-scientifique coexistent. Le premier vise à expliquer qu’il n’y a ni délinquance ni délinquants dans ce pays. Il n’y a que des victimes sociales -elles existent, certes -mais que des victimes sociales, qui ont une sorte de droit naturel à la victimation des autres parce que la société serait coupable à leur égard. Il ne s’agit donc pas de s’occuper de la délinquance et des délinquants, mais de faire la révolution pour régler le problème.

L’autre intégrisme, qui se satisfait d’ailleurs très bien de l’existence du premier, est celui de la répression aveugle. On ne recherche pas les motifs du passage à l’acte. Qui vole un oeuf vole un boeuf. Miradors, mitrailleuses, élimination sociale et, grosso modo, on sera ainsi débarrassé de la délinquance.

Aucun de ces deux intégrismes ne s’occupe d’ailleurs des victimes. Le problème est que, dans notre pays, le dispositif statistique visant à permettre de mesurer l’insécurité a été élaboré pour donner tout sauf cela. Il vise en effet d’abord à masquer les faits quantitativement et ensuite à ne pas les gérer qualitativement. Depuis de très nombreuses années, ce dispositif est manipulé, instrumentalisé et modifié, pour des raisons qui ont peu à voir avec la statistique au sens scientifique du terme.

On peut en fait considérer que le système est partiel, parcellaire et partial. Il ne donne en effet qu’une faible idée de la réalité. Les contraventions, notamment les délits qui sont dépénalisés et contraventionnalisés depuis 1972, n’apparaissent pas dans les statistiques. Seuls sont pris en compte les délits qui sont connus, déclarés ou constatés. Une très grande partie de la victimation, notamment la vraie victimation sociale que constituent les violences domestiques, n’apparaît pas dans les statistiques.

Enfin, depuis qu’il existe, le dispositif statistique est manipulé par les services de l’Etat, que ce soit au niveau local ou national, et ce dans des conditions assez intéressantes, qui traduisent même des volontés curieuses : lorsque les chiffres sont trop bons dans un commissariat, celui-ci perd des effectifs ; lorsqu’au contraire ils sont trop mauvais, les policiers sont vivement mis en cause. La gestion du tas de sable annuel n’est pas inintéressante.

De même, lorsque les statistiques d’un mois de décembre sont difficiles pour un gouvernement en période électorale -quel que soit le gouvernement et quelle que soit la période électorale -, celles-ci sont systématiquement reportées sur le mois de janvier. Le bug de l’an 2000 ou encore la tempête de 1999 ont également permis de gérer intelligemment une année de onze mois et ainsi de stabiliser une hausse des statistiques. Annuellement, la statistique ne nous dit donc rien d’intéressant.

Toutefois, puisqu’elle est manipulée et instrumentalisée dans les mêmes conditions depuis près de cinquante ans, elle nous dit des choses extrêmement intéressantes en tendance. Elle nous montre d’abord une double mutation, qui est récente mais non historique, notamment en matière de délinquance des mineurs. Il faut traiter de deux phénomènes pour bien comprendre cette délinquance.

Dans un premier temps, il ne s’est rien passé en France de 1950 à 1964. On dénombrait alors cinq cent mille crimes et délits. Il n’y a pas eu de phénomène de dépénalisation ou de décriminalisation durant cette période. La situation est demeurée stable. Puis, de 1964 à 1994, on a assisté à une forte progression liée à une délinquance contre les biens. C’était la délinquance de la prospérité. On avait envie des produits de toutes natures qui étaient alors offerts. Naturellement, la délinquance contre les biens a progressé jusqu’à atteindre environ 3,9 millions de faits en 1993-1994.

Entre 1994 et 2001, un phénomène de yo-yo s’est produit, qui a entraîné une augmentation et une baisse du nombre de crimes et de délits. Il est à noter d’ailleurs qu’une augmentation intervient en général lorsque le chômage diminue et qu’une baisse se produit quand le chômage augmente, c’est-à-dire que le lien entre le social et le sécuritaire est beaucoup plus complexe qu’on ne le croit. Il faut donc faire attention aux simplifications mécaniques.

Une vraie mutation de la délinquance française est intervenue en 1994. Ce fut alors le retour de la violence contre les personnes. Jusque là, on était spectateur d’un acte délictuel. C’était désagréable, mais l’on n’avait subi qu’un vol de voiture ou qu’un cambriolage. Cette mutation a d’abord été voulue par le monde des assurances, moins préoccupé de sécurité publique que par une relation comptable entre la prime et le dommage. En effet, les compagnies en avaient assez de dédommager les victimes de centaines de milliers de vols de voitures et de cambriolages. En France, les biens sont donc mieux protégés que les personnes. Naturellement, le petit délinquant occasionnel est passé du cambriolage et du vol de voitures à la délinquance de voie publique, sur laquelle sont apparus de nouveaux sujets d’intérêt : les distributeurs automatiques de billets et les téléphones portables. Il leur faut donc désormais s’en prendre aux personnes. Les spectateurs sont alors devenus des acteurs de leur propre victimation. Ils subissent une violence qui génère un stress post-traumatique. La demande de sécurité est donc devenue ce qu’elle est aujourd’hui.

La statistique fait d’ailleurs apparaître un net décrochage. Les victimes ne sont pas inventées. On ne peut faire comme si elles n’existaient pas, ces agressions donnant lieu en effet à des arrêts de travail temporaires et à des admissions dans les services des urgences. La statistique est relativement stable dans ce domaine. Elle sous-évalue, mais ne surévalue jamais.

L’apparition des mineurs dans cette affaire est une nouveauté relative. Avant 1980, le nombre de mineurs délinquants était très élevé. Puis ce chiffre a commencé à diminuer tendanciellement, en proportion. En 1979, les mineurs représentaient 15,4 % du nombre total de personnes mises en cause. Ce chiffre est tombé à 11,2 % en 1985. Il se situe aujourd’hui aux alentours de 21 %. Il s’agit donc d’un phénomène en « U », qui est d’ailleurs traditionnel. Il est lié à la fois aux mécanismes de poursuite des mineurs et à un changement de la nature des interventions de ces derniers.

En effet, le mode d’intervention des mineurs a évolué. Ceux-ci sont passés des petits vols aux agressions, y compris aux agressions en bande. Le vrai problème des mineurs n’est pas leur violence. Ils ont toujours été très violents. En 1900, il y avait les Apaches, de jeunes mineurs délinquants des faubourgs. Ils sont ensuite devenus les Blousons noirs, puis les Loubards. Plus récemment, M. Chevènement leur a donné le joli nom de « sauvageons ». Ils sont en train de devenir des Etourneaux. Je ne sais pas si c’est là une progression.

Les mineurs interviennent plus jeunes qu’auparavant, c’est-à-dire qu’avant 1970. Les phénomènes de violences physiques ne sont pas nouveaux. Au XVème siècle, en France, il y avait 100 à 150 homicides pour 100.000 habitants. Aujourd’hui, ce chiffre est tombé à deux. Ce n’est pas la ville qui créé le crime. La ville a civilisé le crime, notamment les violences physiques, mais il y a cependant des évolutions, des mutations et des retours en arrière.

Nous vivons en effet depuis 1994 un grand retour en arrière en matière de délinquance. Les délinquants sont plus jeunes, ils agissent en réunion et ils sont plus violents. Soit la justice les condamne très peu parce qu’elle ne sait pas gérer les primo-délinquants, soit au contraire elle les condamne sévèrement parce qu’elle ne sait gérer les délinquants que lors de leur trentième ou quarantième méfait, et ce par des mesures extrêmement dures. La prévention en France n’a pas échoué. Pour échouer, encore faudrait-il qu’elle existe ! Pour 170.000 mineurs délinquants et 150 000 mineurs en danger, les services sociaux -les conseils généraux, les services de la protection judiciaire de la jeunesse, les magistrats- ne disposent que d’un peu plus de 1.100 places, et encore n’en est-on pas sûr !

De même, la sanction n’existe pas non plus. La France est le grand pays de l’impunité où le taux réel d’intervention, le taux d’élucidation de la police comme le taux de poursuite par les parquets, est infinitésimal. Cela pose un vrai problème de gestion, et donc de réponse au problème de la délinquance.

Enfin, pour terminer, j’évoquerai l’Education nationale. Elle ne connaît rien à l’absentéisme scolaire, qu’elle ne veut pas quantifier. Elle ne se préoccupe pas particulièrement de gérer les mineurs en déshérence. Personne n’a jamais fait le lien entre mineur en danger et mineur auteur parce que l’on ne souhaite pas mettre à mal un pseudo anonymat. La France est le seul pays où l’on ne peut dire ce que tous les autres savent : un mineur auteur est souvent un mineur victime. Or, l’on traite davantage des conséquences que des causes, et ce dans une sorte d’indifférence générale, notamment scientifique. C’est un vrai problème. La France est le pays de l’impunité. Il n’y a ni prévention, ni sanction, ni réponse publique à la problématique de la délinquance en général, des violences en particulier, notamment de celles des mineurs, qui est la plus visible.

Je crois qu’il faudrait enfin commencer par faire ce que l’on n’a pas voulu essayer, à savoir établir un diagnostic, ce qui nous permettrait de dire ce qui est vrai. Aujourd’hui, en général, lorsque l’on montre le soleil et que l’on dit qu’il se lève à l’est, une partie de l’intelligentsia nationale explique que c’est peut-être le soleil, mais que l’on n’est pas sûr qu’il s’agisse de l’est ! Cela permet de mettre immédiatement fin à la discussion. Nier la vérité sur les questions d’insécurité et de délinquance pave la voie à ceux qui n’ont de réponse qu’extrémiste, xénophobe, antisémite et raciste. En la matière, les deux intégrismes vont très bien ensemble.

J’espère que nous ferons entendre, au cours de cette séance, que les choses méritent d’être étudiées de manière plus importante.

Quand un médecin vous reçoit et vous prescrit une thérapeutique sans vous ausculter, il faut rapidement en changer.

M. le président - La parole est à M. Raufer.

M. Xavier Raufer - Monsieur le président, je voudrais insister sur les autres conséquences de la délinquance des mineurs pour la vie française.

Après avoir fait un long diagnostic et rencontré de nombreuses personnes sur le terrain, dans les hautes sphères, à droite comme à gauche, il nous semble que ce qui explique à la fois notre présence à tous ici aujourd’hui et de multiples phénomènes qui affectent la société française depuis maintenant une vingtaine d’années, c’est que la France vit une très grave crise de l’autorité de l’Etat. Je ne parle pas d’instaurer une dictature, mais simplement d’appliquer les mesures que la Constitution et le code pénal mettent à la disposition des représentants du peuple.

Cette crise de l’autorité de l’Etat est à l’origine de l’aggravation de la délinquance des mineurs mais également de ce qui se passe en Corse, tout comme elle est à l’origine de l’explosion du grand banditisme et du nombre des attaques à main armée sur le territoire français et, de façon spectaculaire et extrêmement récente, de cette invraisemblable affaire de narco-trafiquants qui sont venus attaquer une gendarmerie afin de récupérer les 330 kilos de cocaïne qui leur avait été « indûment » dérobés !

L’Etat français a fini par ne plus faire peur à personne parce que l’on fait souvent preuve à sa tête -toutes sensibilités politiques confondues- d’une grande arrogance qui révèle en réalité une grande faiblesse et parfois une grande lâcheté. Faire preuve d’une attitude arrogante ne signifie pas pour autant avoir de l’autorité.

S’agissant des problèmes qui nous concernent aujourd’hui et du grand banditisme, nul n’a mis en place dans ce pays depuis vingt ans de véritable politique criminelle. Alain Bauer l’a dit d’une autre manière, mais cela revient à poser le même diagnostic. Le travail d’un gouvernement, quel qu’il soit, est de mettre au point des politiques puis de les appliquer en fonction d’un environnement juridique et judiciaire, d’une Constitution et de la volonté du peuple. Or, au lieu de mettre en place une politique criminelle, on a utilisé toutes sortes de produits de substitution ou de médicaments de confort. On a fait du social, mais le social n’est pas une politique. Il accompagne une politique mais il n’en est pas une. On a fait de la communication, mais la communication n’est pas une politique. Elle est un adjuvant à la politique. Enfin, et pire que tout, on a fait du lacrymal-moralisme, à savoir que l’on a plaint, que l’on a gémi et que l’on a abordé les problèmes de façon moralisatrice. Naturellement, le moralisme n’est pas la morale. Il en est une exagération, un dépassement et une caricature. Cela n’a pas donné lieu à la mise au point et à l’application concrète d’une politique criminelle.

En Corse -le problème corse est un problème criminel qui n’a rien à voir avec le nationalisme-, dans le midi de la France avec le développement et l’agitation de plus en plus grave du grand banditisme et dans les banlieues françaises, nous avons affaire aux diverses facettes de cette crise de l’autorité de l’Etat.

Quand un patient a une maladie, quand une voiture cesse de bien fonctionner, quel que soit le type de dysfonctionnement, cela se traduit toujours par des symptômes. Le symptôme clair et évident de cette crise de l’autorité de l’Etat, c’est la dévaluation sémantique. Les autorités françaises ne savent plus appeler les choses par leur nom. J’ai été ainsi frappé de voir que la commission d’enquête du Sénat s’intéressait à la délinquance des mineurs, alors que, naturellement, le problème crucial en France aujourd’hui n’est pas un problème de délinquance mais de criminalité.

Lorsqu’à Béziers un mineur tire sur un car de police avec un lance-roquettes, lorsque de jeunes mineurs assassinent un père de famille à coups de pieds et à coups de briques, comme cela s’est produit hier à Evreux, ce ne sont pas des délinquants mais des criminels. Ce qui rend la vie des Français impossible aujourd’hui, ce n’est pas le fait que des gamins un peu joueurs tirent des sonnettes puis s’en aillent en courant, ce ne sont pas les délits mais les crimes.

Je rougis d’avoir à le rappeler, mais je le fais quand même : entre la moitié, au minimum, et les deux tiers des 125.000 agressions violentes qui ont été commises en 2001, ce que l’on appelle les vols avec violence -ces chiffres peuvent être vérifiés au cas par cas puisque chacune de ces agressions a fait l’objet d’un procès-verbal- et qui sont portés à la connaissance des instances de répression, sont ce que le code pénal qualifie de vol en réunion avec usage d’une arme. Or, le vol en réunion avec l’usage d’une arme est un crime passible de la cour d’assises et punissable, pour un majeur, de trente ans de prison, la peine encourue étant naturellement adaptée pour les mineurs.

Il me semble donc qu’il n’est pas innocent que la France vive aujourd’hui une grave crise criminelle et que l’on s’acharne à ne parler que de délinquance. Que cela soit conscient ou non, ce n’est pas innocent. Permettez-moi une brève incursion dans le domaine de la philosophie : ne pas être capable d’évaluer les choses, c’est se condamner à les dévaluer. On en arrive ainsi à la situation actuelle où, par dévaluation, les crimes deviennent des délits, les délits des contraventions et les contraventions des incivilités. C’est envoyer un signal terrible aux jeunes malfaiteurs, c’est leur dire « tu peux y aller ». Les conséquences seront soit médiocres, soit nulles.

En France, aujourd’hui, nous avons affaire à des bandes de jeunes malfaiteurs. La fraction la plus idéologique de la sociologie nous prédisait que de telles bandes n’existeraient jamais et que la France était miraculeusement à l’abri de ce qui s’était passé partout dans le monde où l’on avait laissé une sorte d’impunité s’instaurer. Tout comme le nuage de Tchernobyl s’était arrêté sur le Rhin, nous n’aurions pas de bandes juvéniles en France. Or, ces bandes, nous les avons. Elles commencent à hériter de l’armement lourd, de l’armement de guerre en provenance des Balkans.

Je rappelle qu’en France, en 2001, près de 60 fusils d’assaut, des Kalachnikov 56 précisément, et -selon les sources- entre 25 et 27 lance-roquettes anti-chars, tel celui qui a été utilisé à Béziers, ont été récupérés par les services de police. C’est suffisant pour mettre la France à feu et à sang pendant un semestre. Toutefois, à l’heure actuelle, les jeunes malfaiteurs des banlieues ne savent pas encore se servir de ces armes. La preuve en est que récemment une grenade défensive extrêmement meurtrière a été jetée sur le commissariat de Vitry, dans le Val-de-Marne. Mal dégoupillée, cette grenade n’a pas explosé, mais vous le savez peut-être, les sources de nature policière le confirment, le nombre de jeunes gens qui sont allés combattre en Afghanistan avec les troupes d’Oussama ben Laden s’élève à une centaine. Quelques uns d’entre eux sont morts. Certains ont été arrêtés. D’autres sont en fuite à l’étranger. Toutefois, un certain nombre de ces jeunes gens sont revenus en France. Ils ont appris à se servir des armes que leurs collègues ne savaient pas utiliser. Il n’y a qu’à attendre pour qu’un drame se produise.

A Béziers, pendant l’été 2001, on n’a déploré aucun mort dans la police uniquement parce que le jeune malfaiteur ne savait pas se servir du lance-roquettes, de même qu’à Vitry il ne savait pas se servir de la grenade.

Il est regrettable d’avoir à en tirer la conclusion que, une fois de plus, en France, il faudra attendre qu’un drame se produise, qu’un car de police brûle avec dix policiers à l’intérieur, pour que l’on prenne la mesure de la gravité du phénomène. Il s’agit là d’une crise criminelle et non à une crise de délinquance. Comme toujours en pareil cas, si l’on n’y prend garde, les choses ne pourront que s’aggraver.

Ce qui me frappe, notamment à la lecture des programmes des partis politiques à l’occasion de la campagne électorale, c’est que l’on parle beaucoup de sécurité mais en des termes étranges. Les réponses que proposent aujourd’hui les principaux candidats ne sont pas adaptées à la criminalité telle que nous la connaissons en 2002, mais à ce qu’elle était en 1992-1993. Il a sans doute fallu un temps de latence assez long pour que les faits sur la délinquance et la criminalité parviennent jusqu’aux principaux dirigeants politiques, tout en haut, dans les sphères où ils se trouvent !

Il serait naturellement extrêmement utile que vos travaux -c’est en tout cas le voeu que je forme- s’intéressent, à partir du terrain, à la criminalité telle qu’elle est aujourd’hui, en 2002, dans les milieux juvéniles les plus atteints et qu’ils permettent aux pouvoirs publics de la prendre en compte.

Je vous remercie.

M. le président - La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur - Je vous remercie, messieurs, de vos exposés particulièrement clairs. Notre souci est bien de nous intéresser à ce qui se passe sur le terrain et à la réalité puis d’essayer d’en dresser un bilan afin d’apporter des ébauches de solutions. J’ai plusieurs questions à vous poser. Selon vous, l’âge des délinquants a-t-il baissé ? La gravité des actes commis a-t-elle augmenté ?

M. Alain Bauer - S’agissant de l’âge, il faut distinguer les délinquants âgés de moins de treize ans de ceux de plus de treize ans. En dessous de treize ans, il est très difficile de savoir si l’âge a baissé à huit, neuf, dix, onze ou douze ans. En revanche, on constate une féminisation accélérée de la délinquance. On connaît en effet le nombre de jeunes filles qui sont mises en cause, c’est-à-dire identifiées et donc interpellées. Ces jeunes filles, notamment celles qui sont mises en cause pour des activités en bandes, sont plus jeunes qu’elles ne l’ont jamais été.

Le taux d’élucidation en France est aujourd’hui de 42 %, comme en 1965. En fait, à statistiques comparables, il est de 25 %. Vous voyez que l’on peut faire dire ce que l’on veut aux chiffres ! Nous ne parlons en fait que du quart de ce que nous pourrions connaître. Dans ce quart, les mineurs représentent un dixième. Tout ce que je vais vous dire porte donc sur un dixième de la réalité.

Il suffirait que le taux d’élucidation passe de 10 à 20 % pour que tout ce que je suis en train de vous dire devienne totalement faux. En effet, si l’on doublait la surface de la connaissance, si le taux d’élucidation des mineurs était égal à celui des majeurs, on se rendrait peut-être compte que l’âge des mineurs délinquants n’a pas baissé.

Si l’on se base sur ce dixième de la réalité, on constate un net rajeunissement des jeunes qui sont mis en cause dans les phénomènes de délinquance, particulièrement dans les cas de violence sur la voie publique. Ce concept est d’ailleurs une création assez intéressante. On ne sait pas exactement qui a créé cet agrégat -qui date de 1994, me dit Xavier Raufer, qui y est fermement opposé- qui n’existe qu’en France et qui n’a aucunsens. J’y suis moi-même opposé parce que la délinquance de voie publique prend en compte des choses assez étonnantes, comme par exemple les cambriolages, parce que les cambrioleurs viennent de l’extérieur nous a expliqué le ministère de l’intérieur !

M. Xavier Raufer - Les livreurs de pizzas aussi !

M. Alain Bauer - Il s’agit là d’un argument puissant qui mérite que l’on s’y arrête. Les jeunes qui sont interpellés et mis en cause pour violences sur la voie publique sont plus jeunes. On constate également une féminisation. En proportion, les treize/dix-huit ans représentent une très large majorité des délinquants, mais on constate toutefois une poussée des huit/douze ans, ce que démontrent d’ailleurs les enquêtes d’auto-incrimination. Je vous invite à en discuter avec Sébastian Roché, si vous ne l’avez pas déjà fait, ou avec Hugues Lagrange, qui vous montrent l’un et l’autre ce que sont ces évolutions. Il ne s’agit que de tendances parce que nous ne nous basons que sur de petits chiffres. Selon les indications des renseignements généraux, des services de la protection judiciaire de la jeunesse et de la police, les délinquants sont donc plus jeunes, ils agissent davantage en réunion et ils sont bien plus violents qu’au cours des dix dernières années.

M. Xavier Raufer - Il y a une autre manière de percevoir ce qui se passe dans les milieux de la délinquance juvénile, c’est d’interroger les travailleurs sociaux. Les étudiants de l’Institut de criminologie exercent dans les milieux du travail social. De façon parfaitement empirique, voilà ce que l’on tire de leurs connaissances lorsque l’on discute avec eux. L’âge moyen d’entrée dans les bandes -on ne parle pas de groupes de copains allant ensemble au cinéma le samedi mais de bandes qui se constituent de manière durable dans le but de commettre des délits- a tendance à baisser environ tous les trois ans.

M. Alain Bauer - Ce sont des organisations tribales.

M. Xavier Raufer - Voilà. Il y a à peu près six ans, cet âge se situait vers douze ans, cette moyenne cachant les disparités les plus grandes. Il y a trois ans, cet âge est passé à dix ans. Aujourd’hui, il est plus près des huit ans. Les travailleurs sociaux constatent aujourd’hui que de tout jeunes enfants de cinq ou six ans se rendent à l’école avec des couteaux parce qu’ils doivent se défendre contre une autre bande dont fait partie le grand frère. Dans ces secteurs du territoire français où vivent la plupart de ces jeunes malfaiteurs, la réalité n’est pas la même que devant la porte du Sénat ou dans la société française en général, il s’agit d’une réalité clanique.

Lorsque dans notre centre de Paris II, en tant qu’enseignants, nous rencontrons des étudiants ou des professionnels, qu’il s’agisse de policiers ou de gens de l’armée, qui doivent intervenir sur des théâtres extérieurs, nous avons un travail préliminaire très important à faire. Nous devons leur expliquer ce qu’est la vie dans une société tribale ou clanique, ce que tout le monde ignore. Le seul endroit sur le territoire français où l’on a encore vaguement une idée de ce que c’est, c’est en Corse.

Adhérer à un parti politique ou à une association, entrer dans les ordres ou se marier, sont des actes que l’on accomplit seul, en fonction d’un jugement ou d’une volonté personnelle. Tel n’est absolument pas le cas dans une société tribale ou clanique. Pour prendre un exemple proche de la France, quand, dans le sud du Liban, on doit se déterminer pour savoir si on entre dans la milice Amal ou au Hezbollah, c’est tout un clan, toute une famille, tout un village ou toute une tribu qui adhère. L’adhésion n’est en rien un acte personnel. Dans les écoles, les petits frères sont comptables des bagarres des grands frères ou du clan. La guerre, on y est nolens volens.

Naturellement, cette attitude entraîne un rajeunissement permanent des gens en cause parce que, lorsque vous êtes petit, vous pouvez subir des représailles parce que votre frère a frappé quelqu’un dans la cour de récréation, dans la ville d’à côté ou à cause d’une bagarre dans un centre commercial.

Il y a donc un rajeunissement, que l’on observe de manière empirique parce que -Alain Bauer a insisté sur ce sujet- nous ne disposons pas de l’appareil de connaissance et des statistiques qui nous permettraient de l’établir d’une façon formelle. Toutefois, le peu de choses que l’on sait, qu’elles émanent des instances de répression ou qu’elles soient le fruit d’observations sur le terrain, révèlent un rajeunissement. Ce rajeunissement est mécanique, si l’on peut dire, puisqu’il affecte des individus dont la mentalité est encore, le plus souvent du fait de la provenance de leurs parents, à dominante clanique ou tribale.

M. Alain Bauer - Il existe en revanche des éléments statistiques stables ; ce sont la forte progression du nombre de mineurs en prison, le rajeunissement de l’âge auquel ils sont incarcérés et l’augmentation massive des peines auxquelles ils sont condamnés. Ces indicateurs sont stables. Le nombre de mineurs qui sont incarcérés a presque quadruplé en une vingtaine d’années. Les mineurs sont aujourd’hui condamnés plus jeunes à des peines plus longues.

M. le rapporteur - Vous nous dites qu’il y a un rajeunissement des mineurs délinquants puisque leur âge moyen est passé de douze ans il y a six ans à huit ans aujourd’hui, âge auquel ils entrent dans les bandes. Vous nous avez également dit qu’il n’y avait ni prévention ni sanction en France, qui est le pays de l’impunité, où l’Education nationale a une part de responsabilité en ne traitant pas, notamment, le problème de l’absentéisme. Selon vous, la sanction pénale n’est-elle pas insuffisamment adaptée au problème de la délinquance ou, pour reprendre votre terme, au problème, dans certains cas, de criminalité, comme à Evreux ?

M. Alain Bauer - Je me base sur le dispositif pénal et civil tel qu’il existe en France. Je suis toujours stupéfait du débat en France sur l’ordonnance de 1945. On ne doit pas lire la même ordonnance. L’ordonnance du 2 février 1945 et celle du 23 décembre 1958 permettent de répondre à presque tous les problèmes.

Quelques propositions du Sénat lors de la discussion du projet de loi sur la sécurité quotidienne me plaisaient, notamment celle visant à instituer des poursuites pour incitation à la criminalité des mineurs, ce qui n’existe pas dans le dispositif actuel. Je pense que cette disposition irait bien avec l’incitation à la débauche, par exemple. Cette proposition partait d’un sentiment compréhensible. Il est en effet difficile de trouver la vraie intentionnalité, notamment dans les organisations criminelles et dans les groupes criminels.

Sur le fond, les débats sur le code pénal, sur le code civil, sur l’ordonnance de 1945 et sur celle de 1958 -qui vont ensemble- sans oublier sur la convention de Pékin, qui a été signée en 1984, est un débat entre incantations, imprécations et lamentations, assorti de quelques claquements de pupitres parce que cela fait partie de l’animation parlementaire.

Le vrai problème en France n’est pas l’inexistence de la loi mais sa non-application. Je vous invite à vous pencher sur les conditions du débat au sein de la Chancellerie en 1972. Ce débat était public et il a fait l’objet d’une longue étude dans les Cahiers de la sécurité intérieure il y a une dizaine d’année. En 1972, le débat était simple : il y avait plus de douze millions de crimes et de délits, dont de nombreuses émissions de chèques sans provision, et beaucoup de délinquance automobile.

Le problème qui a alors été posé par la Chancellerie en 1972 portait sur la manière de résoudre la question. Il y en avait deux : la première consistait à créer des postes de magistrats et dans les services de la protection judiciaire de la jeunesse, des institutions pour mineurs, des places de prison, d’ouvrir de nouveaux palais de justice et de répondre ainsi à la crise quantitative à l’aide d’un appareil judiciaire disposant d’un peu plus de fonctionnaires qu’en 1867. En effet, le nombre de magistrats en France vient seulement de dépasser celui de 1867 ! Le seconde manière consistait à décriminaliser, à dépénaliser, à contraventionnaliser et, accessoirement, à classer sans suite. C’est ce choix que l’exécutif et le Parlement de l’époque -tout le monde y a mis de la bonne volonté- ont fait au grand jour en 1972.

Ce système perdure aujourd’hui imperturbablement. La plupart des délits sont tombés en déshérence, mais n’ont pas disparu du code. On a décidé aujourd’hui de ne pas appliquer la loi. Le code pénal comme le code civil, notamment en ce qui concerne l’autorité parentale, permettent de répondre à presque tous les problèmes. Je pense que l’on a davantage de parents licenciés que de parents démissionnaires.

Il y a tout ce qu’il faut dans l’arsenal juridique français. La vraie difficulté est qu’une partie des magistrats et du parquet -des décisions d’opportunité existent- ont décidé de classer sans suite 82 % des plaintes, celles-ci ne correspondant qu’aux quatre cinquièmes de celles qui sont déposées dans les commissariats. En effet, un million de plaintes de victimes ne sont pas comptabilisés grâce à l’invention merveilleuse qu’est la main courante. M. Haenel a d’ailleurs rédigé pour le Sénat un rapport exceptionnel sur cette question. Les cinq millions en question coïncident d’ailleurs de manière lointaine avec les 16,7 millions d’actes de victimation dont fait état la seule et unique enquête qui a été effectuée avec beaucoup de courage et de lucidité en 1999. Cette enquête n’a pas été effectuée en 2000, ce qui nous aurait permis de savoir ce qui se passait.

J’ai été auditionné à l’Assemblée nationale par la commission de Christophe Caresche et de Robert Pandraud. Nous étions, je le crois, d’accord en général. Les conclusions de cette commission sont vraies : nous ne voulons pas connaître la vérité. Si l’on étudie ce que l’on connaît déjà, à savoir notre taux d’inexécution absolu, qu’il s’agisse du taux d’élucidation, c’est-à-dire d’identification des auteurs, ou du taux de poursuite, c’est-à-dire le nombre de passages devant un tribunal ou devant une quelconque institution -si je comprends qu’il y ait des dispositifs alternatifs aux peines, je suis en revanche toujours surpris qu’il y ait des dispositifs alternatifs aux poursuites ; un tel concept me pose, sur le principe, un problème juridique- on s’aperçoit qu’aujourd’hui le taux de productivité du système judiciaire français est de 1 %. Tel est le pourcentage de peines qui sont prononcées et exécutées en France par rapport au nombre d’actes recensés. Cela pose un problème pratique. Je parle des peines qui sont exécutées et non de celles qui sont prononcées. L’Union syndicale des magistrats a réalisé une étude sur l’inexécution des peines en France. La Chancellerie en a contesté les résultats tout en disant qu’elle ne pouvait fournir de statistiques parce qu’elle n’en avait pas !

M. Xavier Raufer - Je souhaite revenir sur la crise de l’autorité de l’Etat. Le bon sens populaire dit que les mauvais ouvriers ont toujours de mauvais outils. Or, il ne manque pas un bouton de guêtre aux instruments judiciaires. La fameuse ordonnance de 1945 est une boite à outils qui a permis la création de maisons de correction rigoureuses. Si l’on a demain la volonté politique d’en créer d’autres, même sous un autre nom, pour être politiquement correct, elles fonctionneront aussi bien.

On parle beaucoup chaque été des couvre-feux pour les mineurs. Cette mesure, comme la réforme de l’ordonnance de 1945, est un pur et simple gadget électoral dont on parle à la télévision au journal de vingt heures lorsque l’on ne sait pas quoi dire. L’article 227-17 du code pénal dispose que « le fait, par le père ou la mère légitime, naturel ou adoptif, de se soustraire, sans motif légitime, à ses obligations légales au point de compromettre gravement la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation de son enfant mineur est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30.000 euros d’amende. » J’ai demandé aux magistrats qui publient leurs travaux dans la collection que je dirige s’il était déjà arrivé qu’une seule personne soit condamnée dans leur ressort à un franc d’amende au titre de l’article 227-17. Jamais personne !

L’article 227-21 dispose que « le fait de provoquer directement un mineur à commettre habituellement des crimes ou des délits est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 150.000 euros d’amende. » Cet article met immédiatement fin aux affaires de grands frères dans les cités. Les jeunes malfaiteurs sont en effet sensibles à la vertu de l’exemple. Si plusieurs d’entre eux étaient punis de trois ans de prison pour avoir incité un gamin à faire le « chouffe » à l’angle d’une cité pour annoncer l’arrivée de la police lorsqu’ils trafiquent du haschich, les autres arrêteraient immédiatement.

Ce n’est pas à vous que j’apprendrai que le code pénal est récent. Il est moderne. De plus, il est « bipartisan » puisqu’il a été commencé sous Pierre Bérégovoy puis terminé sous Edouard Balladur, qui l’un et l’autre ne sont pas Gengis Khan. Voilà un texte modéré. Le code pénal n’est pas parfait, mais il a le mérite d’exister.

Les professeurs de droit avec qui je discute à la faculté de droit disent que la machine fonctionne et qu’il ne reste plus qu’à s’en servir, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle. Avant de créer de nouveaux articles, d’en modifier certains, la sagesse impose de faire fonctionner cette machine puis seulement ensuite de réformer cequi ne marche pas.

M. Bernard Plasait - Il est clair qu’en France nous sommes loin de réaliser le voeu formulé par Montesquieu de se garder de la fureur de légiférer, car nous passons notre temps à faire des lois, alors même que nous ne nous sommes pas donné les moyens d’appliquer celles qui ont été votées.

S’agissant de l’ordonnance de 1945, M. Raufer a estimé qu’il ne manquait pas un bouton de guêtre à ce dispositif. Pouvez-vous me confirmer qu’il est suffisant tel qu’il est, sans qu’il soit besoin de le modifier, pour traiter de façon convenable et efficace la délinquance des mineurs de moins de treize ans et pour compléter la palette des outils qui sont à la disposition des magistrats, en particulier en matière d’établissement adapté ?

M. Alain Bauer - Je confirme tout à fait les propos tenus par M. Raufer.

Comme je l’ai indiqué tout à l’heure, il y a probablement des améliorations à apporter au traitement de la responsabilité en matière d’incitation d’un mineur à produire des actes délinquants.

A cet égard, le Sénat avait proposé une série d’amendements parmi lesquels j’ai salué la disposition visant la poursuite pour mise en danger d’un mineur en le forçant à la délinquance. Cette mesure constituerait non pas une révolution, mais un aménagement permettant de compléter le dispositif existant.

L’ordonnance de 1945 a été réformée vingt-cinq fois, et je n’ai pas eu le sentiment que la République s’était effondrée pour autant. Je suis persuadé que des petites corrections sont à apporter ici ou là. Les violences des moins de treize ans commises en réunion et à main armée devraient peut-être faire l’objet d’une attention particulière. Ce cas est d’ailleurs prévu implicitement par les textes.

En revanche, s’agissant de la prédominance de l’éducatif sur le répressif, de l’existence de juridictions spécialisées et de la minoration de peines pour les mineurs, il me paraît hors de question d’y changer quoi que ce soit.

Si l’évolution de la société démontre la nécessité de compléter les textes existants sur quelques points, dès lors que le besoin en est exprimé, je ne pense pas que de telles modifications suscitent un drame entre les républicains dans l’hémicycle, toutes couleurs politiques confondues.

Je crois donc que tous les textes nécessaires sont effectivement disponibles.

Au-delà de cet aspect, je souligne quelques chiffres : 170.000 mineurs mis en cause, 140.000 mineurs en danger et 1.100 places ! Moi je veux bien que l’on traite d’un cent soixante-dixième du problème en posant la question suivante : la prévention a-t-elle échoué en France ?

Il faut savoir comment cela se passe lorsqu’un vendredi soir un magistrat pour les mineurs supplie à genoux un centre surchargé de récupérer un gamin en fugue ayant commis un certain nombre de violences ou d’agressions, de le garder pour le week-end, tout en sachant que le gamin sera libéré le lundi, s’il ne s’est pas enfui de nouveau entre-temps, le centre n’ayant pas les moyens de le surveiller !

Pour appliquer la loi, encore faudrait-il avoir la volonté et les moyens de le faire !

Pour ma part, je suis vivement intéressé par l’analyse de la relation entre le mineur auteur et le mineur victime. Une telle approche nous donnerait des indications importantes sur le moment où il convient d’agir.

Je me souviens des grands éclats de rire qui accueillaient le récit des expériences canadiennes et plus particulièrement l’expérience québécoise sur les tout petits enfants qui se montraient très violents à l’encontre tant de leurs camarades que des puéricultrices ou des institutrices de l’école maternelle. Tout le monde s’esclaffait. Des délinquants en maternelle !

Après vingt ans de travail -ils se sont donné les moyens et le temps de la réflexion-les Canadiens affirment que les enfants très violents ont eux-mêmes subi des violences et qu’ils effectueront six fois plus de séjours en prison que les autres délinquants.

Si nous traitions des causes et non pas seulement des conséquences, nous nous épargnerions des débats quelque peu compliqués et, surtout, nous toucherions à l’élément central que l’on connaît le moins, celui des violences domestiques, où l’auteur et la victime vivent ensemble, où les enfants sont victimes de leurs parents ou inversement, ou de la fratrie.

Pour des raisons qui restent mystérieuses, notre pays accuse un grand retard dans ce domaine, y compris sur l’Espagne, la Grèce et l’Italie, pourtant connues pour avoir des ressorts plutôt machistes en termes d’organisation sociale, qui ont su surmonter, avec l’opinion, la difficulté de traiter de ces questions.

La France se penche beaucoup aujourd’hui sur le problème des enfants victimes de violences sexuelles. C’est très bien. Des moyens considérables ont été mis en oeuvre. Il y a eu la volonté de rechercher la vérité, si pénible soit-elle. Des affaires de ce type surgissent continuellement, non pas parce qu’elles sont plus nombreuses qu’auparavant, mais simplement parce qu’elles deviennent plus visibles.

Il en a été de même pour les femmes violées. Le temps est révolu où le policier accueillait la jeune femme dans un état difficile avec ces mots : « Ma brave dame, vous avez été violée ; racontez-moi donc cela ! ». Il existe maintenant un accueil spécialisé, isolé, par des policières et des policiers ayant reçu une formation spécifique.

Lorsque nous abordons la délinquance des mineurs, nous ne faisons pas l’effort de savoir et de comprendre. Nous essayons seulement de réprimer, alors que nous devrions instaurer un équilibre entre la prévention, la dissuasion et la sanction.

En matière de sanction, il existe toute une panoplie, qui passe notamment par le retour à l’école, mais aussi par l’emprisonnement. La sanction est fonction du mode de passage à l’acte.

Le mode de passage à l’acte diffère selon qu’il est motivé par le besoin, l’envie ou le plaisir. Je vole du pain pour manger parce que je réponds à une violence plus grande encore, grosso modo la violence sociale qui a, elle, une légitimité historique -cf. Jean Valjean. Je vole une voiture parce que je ne possède qu’un vélo, parce que le système des transports publics est compliqué. Il peut y avoir des circonstances atténuantes ou aggravantes. Je viole n’importe qui parce que j’obéis à une pulsion irrésistible. Le violeur n’est pas un militant de la cause sociale ou de la révolution. Danger public, menace pour tous, il est nécessaire de le réprimer.

Aujourd’hui, on fait semblant de croire que les auteurs de tels actes sont simplement des militants sociaux qui agissent ainsi pour changer la société. Et l’on découvre subitement que ceux qui volent des voitures peuvent aussi bien brûler des synagogues, ou des églises.

On me dit qu’ils ont changé. Non, ils n’ont pas changé. Ils ont simplement élargi leur champ d’activité. Au surplus, ils ont un bonus puisqu’ils brandissent maintenant une idéologie pour masquer la voyoucratie. C’est un prétexte complémentaire. On vole les voitures et, en plus, on brûle la synagogue. L’un ne remplace pas l’autre. Si tel était le cas, on pourrait parler de mutation de la délinquance française vers une forme d’antisémitisme. Il n’en est rien.

Derrière nos débats, se pose aussi un problème de redéfinition. L’incendie volontaire d’un véhicule ou d’une poubelle n’est pas une dégradation de biens. S’il est commis en réunion, c’est un crime. S’il n’est pas commis en réunion, c’est un délit particulièrement grave. Aujourd’hui, il est considéré comme étant une dégradation de biens.

Quant aux incivilités, demandez à Sebastian Roché de vous dire comment on a manipulé ce concept pour passer de l’infrapénal au pénal que l’on ne poursuit plus. Heureusement qu’en 1994 on a supprimé le seul sujet vraiment intéressant du code pénal qui s’appelait la forfaiture ! Cela doit être un hasard !

M. Xavier Raufer - Quand on a affaire à des bandes, la délinquance des mineurs est un faux problème.

Ceux qui se préoccupent uniquement du phénomène de la délinquance des mineurs ignorent totalement ce qu’est une bande de délinquants. Il ne s’agit pas de gamins de huit ans qui se réunissent pour former une bande.

La bande se constitue un peu comme on fait de la mayonnaise. On la « touille » et on ajoute une goutte de temps en temps. Une bande comprend d’abord des meneurs, généralement appelés grand frères. Eux ont vingt-cinq ans et sont bel et bien intégrés dans le processus d’une carrière criminelle lucide et consciente. En dessous des meneurs, il y a le gros de la bande, dont les membres sont âgés entre quinze et dix-huit ans. Puis, de temps en temps, un petit entre dans la bande et y fait ses classes.

En France à l’heure actuelle, la décision n’a pas été prise d’identifier les éléments des bandes. Vous évoquiez à l’instant le diagnostic. Tout comme dans le domaine médical, la phase de diagnostic est essentielle en matière de lutte contre le crime. Ce n’est pas un mot utilisé à la légère, pour faire joli ou savant. Si le chirurgien ne dispose pas de radios ou de scanners, il se réserve des surprises lors de l’intervention. De même, dans le domaine qui nous occupe, la phase de diagnostic doit permettre de distinguer les éléments simplement un peu turbulents des vraies bandes criminelles afin de les démanteler.

Les noyaux durs des bandes criminelles ne sont pas les gamins de huit ans. Ce sont les éléments âgés de dix-huit à vingt-cinq ans. Si jamais vous démantelez les noyaux durs, les gamins de huit ans n’ont plus de bande vers laquelle aller. La constitution de bandes criminelles graves suit partout le même schéma. Mais vous savez que les Français vivent sur une île. Pour eux, rien n’existe en dehors de la France. Nous avons publié un livre intitulé « Les bandes criminelles » dans la collection des Presses universitaires de France, à partir de l’expérience des bandes criminelles en Californie. On le voit très bien, le mécanisme est connu. Si l’on devait ne retenir qu’un seul constat en matière de sociologie criminelle, c’est que les malfaiteurs procèdent toujours et partout de la même manière.

La raison en est que la vie criminelle est une des modalités d’évolution de l’être humain dans un milieu hostile.

Le cosmonaute évolue dans un milieu hostile. Il n’y a pas une manière soviétique ou américaine d’être cosmonaute. Tous les cosmonautes ont un scaphandre. De même, en matière de plongée sous-marine, il n’y a pas une manière de droite ou de gauche de faire de la plongée. Tous les plongeurs agissent de même pour ne pas se noyer. Pour l’alpiniste, c’est la même chose. Et ainsi de suite.

Les malfaiteurs évoluent dans un milieu hostile. Par conséquent, qu’ils sévissent au Chili, aux Etats-Unis ou en France, ils tendent tous à faire la même chose et la manière dont les bandes s’agrègent et se constituent est à peu près toujours la même.

On constate que deux ou trois gamins de huit ou neuf ans rejoignent chaque année une bande constituée. Ils sont chargés de « choufer » (regarder) à l’angle de la rue pour voir si les « flics » arrivent et de porter les « barrettes » (de drogue) parce que, comme ils sont petits, ils ne risquent pas de se faire arrêter.

S’il n’existe plus de bandes de quasi-adultes auxquelles se raccrocher, les gamins de huit ans ne s’y agrègent pas. A partir de ce moment-là, pourvu que la justice et la police s’avisent de faire leur travail, l’ordonnance de 1945 devient résiduelle et même quasiment inutile.

Commençons donc par faire ce qu’on sait faire. Nous disposons en France de l’article 227-17 du code pénal sur la responsabilité parentale. Or les autorités de ce pays ont l’attitude absolument incroyable de se demander ce qu’il faut faire, maintenant qu’il y a des familles monoparentales.

Monsieur le ministre, commençons par régler les problèmes que l’on peut régler. Lorsque vous en aurez réglé 40 % ou 50 %, vous vous féliciterez de voir baisser d’autant vos statistiques criminelles. La première impulsion aura été donnée et vous serez en mesure de constituer le petit instrument qui permet d’être efficace. Compte tenu de l’effet de rendement décroissant, il sera plus difficile de traiter plus de 50 % des cas. Peut-être faudra-t-il envisager la nécessité de concevoir un instrument spécifique pour passer de 50 % à 70 %.

Les codes existent. Nos interlocuteurs sur le terrain et ceux que nous avons consultés sont unanimes pour dire que nous possédons les instruments permettant de régler le problème à 70 %. La seule chose qui manque, c’est l’autorité de l’Etat, la volonté politique d’utiliser ces moyens. C’est tout. Le reste, c’est de la poésie.

M. le président - Vous avez dit tout à l’heure que la prévention n’existait pas.

M. Alain Bauer - Un jour, il nous a été demandé d’évaluer la prévention. J’ai répondu que nous le ferions quand il y en aurait. Traiter un cent soixante-dixième du problème peut donner des résultats ou non. Mais il demeure 169.000 mineurs délinquants mis en cause et 150.000 mineurs en danger.

Il faut bien comprendre que le dispositif actuel est conçu pour traiter de la même manière les huit-douze ans et les quinze-dix-huit ans, par une même association pilotée par le Conseil général, selon la politique du « guichet » local, qui ne correspond d’ailleurs pas toujours avec celle de la ville principale, la couleur politique du maire et du président du conseil général ne coïncidant pas totalement. J’ai vécu la situation dans le cadre de nombreux contrats locaux de sécurité.

Mon propos ici n’est pas de mise en cause, mais j’ai pu constater comment l’agrégation entre HLM, réseaux de transports urbains, ville, police, justice, Education nationale et conseil général échappait à la règle habituelle des trois tiers. Sur le sujet, je partage la vision que vous avez exposée dans le rapport Hyest-Carraz !

M. le président - Oui.

M. Alain Bauer - Il faut tout de même dire les choses !

M. le président - Cela n’a aucune importance aujourd’hui, vous le savez bien.

M. Alain Bauer - Oui, mais il restera votre rapport, ceux des sénateurs Gélard et Haenel. Ils ont constitué des bases de références qui nous sont utiles et qui nous serviront toujours.

L’acceptation de la réalité est toujours compliquée en France. Elle est progressive. En attendant, il n’y a pas de réponse. Les dispositifs de prévention ne peuvent pas avoir échoué puisqu’ils ne sont pas opérationnels. Lorsqu’ils seront mis en place, il sera possible de déterminer s’ils sont efficaces ou non.

Pour l’instant, la prévention se résume à une sorte de course à l’échalote pour obtenir la seule place qui reste dans le centre. Ce dernier, surchargé, ne peut pas répondre aux questions. Il fonctionne de huit heures à dix-huit heures du lundi au vendredi et accueille dans la même salle les jeunes de huit à treize ans et ceux de quatorze à dix-huit ans, comme si le problème était le même et se traitait de la même manière.

Lorsque vous découvrez cela, vous comprenez que la politique du guichet n’est pas une politique de projet, que la subvention n’est pas une réponse systématique au problème, même si le soulagement est grand d’avoir trouvé une association qui fera à votre place, sans observer ni évaluer ni contrôler, ce que vous avez décidé que vous ne pouviez ni ne vouliez faire, a fortiori tout seul.

Je pense que l’investissement sur la prévention est la première réponse au problème, l’objectif étant d’instaurer un équilibre naturel entre la prévention, la dissuasion et la sanction. Le mode de passage à l’acte est l’élément d’aiguillage.

Au chapitre de la sanction, il convient de considérer toutes les échelles de peine, y compris l’incarcération. La prison est toujours un échec, mais parfois cet échec est nécessaire. C’est le mode de passage à l’acte qui nous oriente vers l’utilisation éventuelle de l’incarcération. Aujourd’hui, l’incarcération est devenue le mode opératoire par défaut.

M. Jacques Mahéas - Je dois reconnaître que ces deux interventions m’ont quelque peu étonné et même « douché ». Je ne m’y retrouve pas, alors même que je vis en Seine-Saint-Denis, dans un milieu extrêmement difficile.

J’avais même l’intention, peut-être d’une façon un peu provocatrice, de vous demander en première question si vous étiez pour le rétablissement de la peine de mort. Je gomme cette question. Mais vous voyez combien vos interventions m’ont choqué.

En revanche, j’ai noté un certain nombre d’aspects positifs. En particulier, M. Bauer a dit une chose essentielle, à savoir qu’on traite plus les conséquences que les causes.

Pour ma part, ce sont les causes qui m’intéressent pour mener une action à long terme dans une société renouvelée. Les conséquences, elles, sont connues.

Parmi les causes, vous avez défini, au fil de vos interventions, les violences précoces, non détectées, la justice mal adaptée et le manque de moyens de la répression. Vous n’en avez pas défini d’autres.

A mes yeux, les familles monoparentales figurent parmi les causes, car il est tout de même plus difficile d’élever des enfants seul que d’élever des enfants à deux.

M. le président - Il ne faut pas de familles monoparentales !

M. Jacques Mahéas - Premièrement, avez-vous détecté d’autres causes que vous ne nous avez pas définies ?

Deuxièmement, nous sommes de nombreux élus locaux à considérer que, malgré tout, des dispositifs de prévention ont été mis en place. Le développement extraordinaire d’activités sportives, culturelles et sociales permet tout de même de limiter les difficultés et de diminuer très largement le chiffre de la délinquance. Qu’en pensez-vous ?

M. Alain Bauer - Monsieur le sénateur, je ne suis pas un diplomate et je tiens à dire que je suis choqué, moi, par votre phrase sur la peine de mort. Je ne la laisserai pas passer.

M. Jacques Mahéas - Tant mieux !

M. Alain Bauer - Je suis abolitionniste naturel.

Je note simplement que vous devriez être davantage choqué par le contraste qui existe entre la baisse tendancielle du nombre de jeunes tués lors d’affrontements avec des forces de police et l’augmentation gigantesque du nombre de tués lors d’affrontements entre jeunes.

Je pense que la suppression de la peine de mort par la République représente une grande avancée et que son rétablissement par la délinquance ou la criminalité est un immense recul. Quitte à s’inquiéter du rétablissement de la peine de mort, mieux vaudrait se préoccuper de véritablement la supprimer, notamment quand les morts sont des victimes civiles, innocentes par nature, y compris quand elles sont des membres d’autres bandes organisées.

Je le répète, moi je suis choqué par votre intervention et j’y réponds comme je me dois de le faire.

M. Jacques Mahéas - Vous en avez le droit.

M. Alain Bauer - Je le prends donc.

M. Jacques Mahéas - J’ai le droit aussi de vous apporter la contradiction.

M. Alain Bauer - S’agissant de vos questions, ma position est identique à celle d’un certain nombre de chercheurs ou de parlementaires de droite ou de gauche. C’est la suivante.

Quand vous avez une éruption de boutons, vous avez le choix entre deux solutions : soit vous décidez d’y appliquer une crème dermatologique quelconque en considérant que, de toute façon, l’éruption va disparaître ; soit vous allez consulter votre médecin en vous demandant si l’éruption ne serait pas de caractère malin. J’ai la même position entre homéopathie, chimie et chirurgie. Je ne décide pas a priori. De même, je pense que le problème qui nous est posé aujourd’hui est un problème d’analyse.

Je prends pour exemple l’analyse du problème des familles monoparentales. J’ai exactement la même analyse que vous, mais les enquêtes menées notamment par Sebastian Roché ont établi que la monoparentalité n’apparaît en rien comme un élément aggravant des phénomènes de délinquance ou de criminalité.

Dès lors, la recherche ayant fait des avancées et mon a priori n’étant pas validé par la recherche, j’ai changé d’analyse. Je reconnais qu’a priori je pensais que l’analyse était juste. Or, aujourd’hui, les indications de la recherche, provisoires et partielles, démontrent que le phénomène des familles monoparentales ne constitue pas un facteur majeur de délinquance. Je pense notamment aux interpellations effectuées à Strasbourg à la suite des incendies de voitures lors des grandes périodes festives. Il importe donc de prendre en compte ce qui est. Tout ce que nous croyons n’est pas systématiquement vrai tant que ce n’est pas validé par la recherche.

En troisième lieu, j’ignore pour ma part si les activités notamment sportives, sociales, d’accompagnement ont une quelconque utilité. Dans la mesure où personne ne m’a communiqué le diagnostic de départ, il m’est impossible de vous dire si la thérapeutique fonctionne en la matière.

Le jour où l’on aura déterminé le mode de passage à l’acte et la raison pour laquelle les activités criminelles sont organisées, je serai en mesure de vous répondre qu’on peut faire une évaluation qui démontre si effectivement les activités sportives développées donnent des résultats.

Je ne prendrai qu’un seul exemple : une très grande ville de la région parisienne, dirigée par un maire extrêmement dynamique, menait une politique sportive extraordinairement développée, à tel point que ses gymnases ont commencé progressivement à brûler. Pourquoi brûlaient-ils ? Personne ne connaissant la réponse, il a été décidé d’installer des miradors, des grilles, des gardiens et des systèmes électroniques. C’était la stratégie de la tension.

La maire a continué à se demander pour quelle raison brûlaient des gymnases qui ne sont pas a priori des éléments de pouvoir. Une longue enquête a suivi, qui a démontré que l’activité sportive était tellement développée et incitative que l’association sportive avait fini par compter des centaines d’adhérents domiciliés hors de la ville. La ville étant aussi la circonscription, cet afflux avait été salué.

Mais le gymnase n’avait pratiquement plus de tranches horaires disponibles pour les « inorganisés ». Il restait, pour ces derniers, grosso modo un vendredi sur quatre dans les années bissextiles, entre vingt-trois heures huit et vingt-trois heures trente-deux. Comme les habitants du quartier se refusaient à prendre une licence parce qu’ils ne voulaient pas entrer dans une structure organisée, ils ont décidé d’occuper les lieux. Terrorisées, les mères de familles s’angoissaient pour les élèves. La réaction générale a été d’augmenter les dispositifs de fermeture.

Ainsi, une immense politique sportive qui est un grand succès peut être aussi génératrice de violence et d’insécurité par des effets pervers. Il n’y a pas de politique sans effet pervers. La difficulté, c’est d’analyser les effets pervers de la politique que l’on envisage de mener, de se montrer prêt à les assumer et d’être capable de les anticiper.

A cet égard, je ne crois pas que la solution réside dans le « tout social », le tout « ville-vacances-vie », le tout « venez, on va vous payer des vacances ailleurs », le tout « exportons nos délinquants dans les sites d’activités balnéaires ou de ski ». C’est un pur transfert de criminalité et, tout simplement, une position à la Ponce Pilate en matière d’insécurité. On ne règle rien. On se débarrasse du problème pendant deux mois ou un mois, voire trois semaines.

Voilà pourquoi je ne partage pas votre analyse. Votre démarche peut parfaitement se révéler efficace. Encore faudrait-il en déterminer l’objectif initial.

En matière de criminalité et de délinquance, le prêt-à-porter n’existe pas. Il n’y a que du sur-mesure, mais pourcela, il faut précisément avoir pris les mesures, c’est-à-dire avoir analysé les phénomènes avant toute prise de position. Telle ou telle disposition est peut-être bonne, mais je n’en sais rien a priori.

Mes observations sont très fluctuantes. Sur deux cents villes, réseaux de transport et sociétés HLM que nous avons eu la possibilité de traiter sur le terrain, les résultats sont les plus divers. Ils peuvent être excellents. Ils sont parfois totalement dramatiques, y compris lorsque les mesures appliquées sont identiques d’une ville à l’autre. C’est le cas lorsqu’elles ont été simplement copiées-collées, sans faire l’effort préalable de la première ville qui a effectué de longues études avant de déterminer son choix.

Je pense au correspondant de nuit d’Angers. Cette création a été un immense succès à Angers, mais elle est impossible à copier et à reproduire ailleurs, parce que c’est une mesure de lien social et non pas une mesure de sécurité. Elle n’est pas opérante dans les zones difficiles. Elle fonctionne dans les endroits qui connaissent non pas le développement de l’insécurité mais l’absence de lien social.

Je le répète, je n’ai pas d’a priori sur la question, et comme je n’ai pas d’a priori, je ne sais pas si la politique que vous me décrivez fonctionne.

Le rapport de la Cour des comptes sur la politique de la ville m’a laissé perplexe. J’ai lu un certain nombre de rapports sur de nombreuses opérations locales. Ils montrent l’immense diversité des mesures prises sans concertation et qui ne fonctionnent pas, ainsi que des dispositifs résultant de longues études et qui donnent des résultats. Cela étant, l’inverse est vrai aussi, car il arrive que des dispositifs de concertation débouchent sur d’immenses échecs. Il est toujours possible de se tromper.

Le problème est que, dans notre pays, on n’évalue pas, on inspecte. Le terme « évaluation » est, aujourd’hui encore, un gros mot.

M. Xavier Raufer - Je suis criminologue. Les criminologues exercent leur talent à l’intérieur d’une faculté de droit. Ils savent que la manière simple, efficace pour se faire haïr, c’est d’expliquer aux policiers comment faire la police, aux magistrats comment rendre la justice, aux élus comment faire leur travail et aux agents de renseignements comment espionner.

Nous ne faisons donc pas cela, naturellement. Nous observons les réalités criminelles. Dans une structure hospitalière, nous serions des radiologues. Notre rôle est de prendre des radios et de les transmettre. Il ne nous appartient ni d’opérer ni de prescrire des médicaments.

Notre attitude de neutralité à l’égard de nos collaborateurs en amont et en aval nous amène à accepter le codepénal tel qu’il est, sauf éventuellement à le compléter. Comme la peine de mort ne figure pas au code pénal, nous ne nous y intéressons pas parce que nous ne sommes pas des moralistes ou des nostalgiques. Nous sommes là pour observer la réalité criminelle telle qu’elle est.

Et quitte à vous décevoir et à vous faire de la peine, je dirai qu’il existe dans certains pays des études statistiques sérieuses et crédibles, mais aussi controversées et durement combattues par différentes instances notamment sociales, répressives et judiciaires, qui montrent que les seuls lieux où la criminalité baisse nettement et durablement sont ceux qui se sont éloignés des chimères sociologiques et qui ont adopté la ligne de conduite suivante : le seul angle par lequel on puisse prendre en main les situations criminelles quand on veut y mettre fin, c’est le criminel lui-même.

Si la politique préventive consistant, par exemple, à repeindre les HLM en rose fonctionnait, la France serait un pays sans crime puisque c’est la seule politique qui y a prévalu depuis trente ans, dans l’anarchie et l’improvisation.

Mais, hélas, la criminologie réaliste montre deux choses : d’abord, les malfaiteurs ne cessent de sévir que lorsqu’on les arrête ; il arrive un moment où rien ne sert de leur tendre des sucettes, il faut les arrêter. Ensuite, je le répète, le seul angle pour prendre en main des situations criminelles, ce sont les criminels eux-mêmes.

Des idéologues s’opposent bien entendu à cette vision des choses. Mais dans la réalité, y compris en matière de meurtre, qui est la forme de criminalité la plus intraitable, les résultats concrets et durables sont le fruit d’une politique de répression mesurée, respectueuse des codes et ciblée sur les criminels eux-mêmes, et non pas le fait que leur grand-maman était volage ou que leur papa s’adonnait à la boisson.

Mme Nicole Borvo - Je souscris à vos propos à tous deux faisant valoir que l’arsenal législatif est suffisant et que le problème réside dans la volonté et les moyens de l’utiliser, encore que ce dernier point suscite débat.

En revanche, j’ai eu franchement l’impression, à vous entendre, que la France était à feu et à sang à cause de bandes de criminels mineurs. Telle n’est pas la réalité que je connais. J’ignore la signification de la peinture rose des HLM. Mais je peux vous dire que je connais de nombreuses cités d’HLM peintes en rose et bleu, et qui sont fort dégradées. Ce sont des endroits peu propices à la joie de vivre.

Mais vous avez vous-mêmes précisé que ce que vous appelez criminalité, et qui existe, n’est tout de même pas le plus fréquent. Le plus souvent, il s’agit d’actes de petite délinquance et d’incivilités commis par des jeunes, notamment en bas âge, qui ont de plus en plus tendance à se regrouper en bandes. Ce sont ces actes-là qui suscitent, à juste titre, un sentiment d’insécurité dans de nombreux quartiers. La criminalité avec armes reste heureusement relativement rare et, surtout, il convient de le souligner comme vous l’avez fait vous-même, elle est totalement pilotée par des majeurs.

Or, on a établi un amalgame entre la criminalité de mineurs et l’organisation criminelle de majeurs, notamment de trafic d’armes ou de drogue, qui, pour ses propres besoins, agrège un certain nombre de mineurs. Je souhaite que la distinction soit bien marquée.

S’agissant de la prévention en France, vous avez dit, monsieur Bauer, qu’elle est floue, voire inexistante et dépourvue de moyens. A partir des enseignements que vous avez tirés tant de vos observations à l’étranger que des dispositifs qui existent tout de même en France, qu’entendez-vous par politique de prévention ?

A mes yeux, l’établissement fermé est synonyme d’un traitement sanction, la prévention devant intervenir en amont et dans un champ beaucoup plus vaste.

M. Alain Bauer - Tout d’abord, et vous avez raison de le souligner, madame, la tradition nationale française, assez particulière, a créé, dès 1548, des quartiers de ségrégation, de relégation, qui sont devenus en partie des quartiers de récession. C’est donc un choix particulier qui a créé ce qu’on appelle la banlieue, ou les faubourgs, ou encore les lieux du ban, espaces destinés depuis toujours à des populations dangereuses et aux industries polluantes. Ce sont des lieux historiquement concentrés .

Aujourd’hui, l’insécurité n’est pas un sentiment. C’est un vécu. Le réel vécu n’est pas le réel connu et personne ici n’est en mesure d’expliquer à quelqu’un qui se fait insulter le matin, le midi et le soir, ou qui est agressé, que ce n’est pas grave. La tradition nationale française s’énonce de la manière suivante : négation, minoration, éjection. Autrement dit : « Ce n’est pas vrai, ce n’est pas grave et ce n’est pas moi ».

Mme Nicole Borvo - C’est de moins en moins vrai !

M. Alain Bauer - Madame, ce n’est pas parce que c’est de moins en moins vrai -parce que le réel est apparu soudainement, parce que les victimes sont de plus en plus nombreuses et que la peur de l’électeur est souvent le début de la sagesse- que ce phénomène n’a pas été vrai. Moi, je ne suis pas pour la réécriture de l’histoire. Je l’assume telle qu’elle est, dans sa continuité.

Donc, il y a un phénomène dans la tradition nationale française qui vise à ne pas reconnaître la réalité d’un fait, puis à expliquer que ce n’était pas grave et, ensuite, à affirmer que ce n’était pas de sa faute. Ce système a donné des résultats dramatiques, à savoir la construction de l’extrémisme dans ce pays, parce qu’eux nous ont dit : « C’est grave, c’est vrai et, en plus, on sait qui c’est ; il est un peu basané avec les cheveuxcrépus. » Est apparue alors cette pure invention de l’existence d’un lien immigration-insécurité, faisant passer l’ethnographie pour de la démographie, et on s’est laissé aller à des slogans.

Moi je dis simplement que ce pays connaît une insécurité réelle. La réalité, c’est l’apparition de la victime. La France est passée de 100.000 victimes à plus de 300.000 victimes par an, soit un million en trois ans et autant qu’au cours des dix années précédentes. C’est cette réalité-là qui a tout changé. Les victimes ne sont pas un produit de l’invention ou de la statistique. Elles sont une réalité physique, comme le chômage.

Voilà trente ans, le chômage était un concept. Puis, le concept s’est transformé en individus. Peu à peu, ils ont eu un visage, une identité. Ils se sont rapprochés de notre sphère familiale, amicale. Ils sont devenus nous-mêmes.

La violence, c’est exactement la même réalité. Au-delà des questions d’insécurité, de sécurité ou de délinquance, le grave problème de la France est le retour de la violence physique. C’est cette réalité-là qui a tout changé.

En outre, quoi qu’on dise, la violence en France est devenue un phénomène communautaire. C’est là une autre injustice sociale. A la différence du vol, les premières victimes de la violence sont les pauvres. L’injustice sociale de la violence est telle dans ce pays qu’il s’est créé un univers particulier où auteurs et victimes se ressemblent car ils appartiennent aux mêmes milieux sociaux.

Nier cette violence-là revient à construire une injustice sociale organisée, parce que les riches auront toujours les moyens de se défendre et de se protéger. C’est pour cela que je suis fasciné par cette capacité du refus de dire les choses par ceux qui sont les principaux défenseurs des pauvres et que je reste, je dois le dire, assez curieusement interpellé par les résultats de cette situation.

Effectivement, le nombre des homicides est resté très faible en France. C’est une tradition nationale. Ils n’atteignent pas le millier, encore qu’ils aient enregistré une petite hausse de 15 % l’année dernière. Certes, 15 % sur un millier, c’est peu, mais en termes de tendance, c’est énorme. Quoi qu’il en soit, les chiffres se sont stabilisés dans ce domaine. En revanche, les violences physiques, les violences et vols à main armée, les vols, ont augmenté dans des proportions considérables. Ce sont des statistiques à deux chiffres.

Par conséquent, il importe de se montrer très vigilant pour distinguer ce qui relève d’une poussée d’humeur de ce qui correspond à une réalité tendancielle, d’autant que deux ans, 2000-2001, c’est long.

Au sujet des bandes, vous avez raison, madame, et Xavier Raufer a très bien répondu tout à l’heure en précisant qu’il n’y a pas de bandes de mineurs. Il s’agit de groupes de jeunes mineurs qui sont instrumentalisés par des bandes de majeurs. A ce propos, je salue le dispositif qui a été proposé par le Sénat, relatif à l’incitation des mineurs à la violence, à la délinquance ou à la criminalité. Il manquait dans l’arsenal législatif. On peut penser ce qu’on veut de l’ensemble des propositions qui ont été faites, mais, en l’occurrence, il faut le dire, c’était une bonne initiative parlementaire.

Enfin, le problème fondamental est celui des moyens et de leur répartition territoriale cohérente. Le rapport de MM. Hyest et Carraz sont éloquents. Nos territoires n’ont rien à voir avec la réalité.

La France compte environ 460 circonscriptions de sécurité publique et 100 agglomérations. Sa carte judiciaire date, pour les pessimistes, du XIIIème et, pour les optimistes, du XVIIIème siècle. On cherche vainement de la cohérence. Rien n’est mutualisé. On trouve tout le monde au même endroit à la même heure, ou bien personne. On ne travaille pas en mettant en commun ses propres moyens.

La police illustre ce phénomène. Je suis de ceux qui pensent qu’il y a largement assez de policiers en France. Ils sont simplement très mal répartis et particulièrement mal spécialisés.

M. le président - Nous sommes deux à le penser !

M. Alain Bauer - Il n’y aurait dans ce pays que 100 circonscriptions d’agglomération du seul ressort de la police nationale que tout le monde y serait très tranquille, le reste étant dévolu à la gendarmerie.

Le secteur des transports constitue le bassin de la délinquance française. Les seuls contrats locaux de sécurité qui ont un sens dans ce pays sont les CLS transports, alors même qu’ils n’étaient pas prévus par le texte de 1997. Apparus grâce à la volonté commune de l’Etat, des policiers et des réseaux de transports urbains, ils ont constitué une approche intelligente de la situation.

Si notre pays réussit à organiser des territoires cohérents, menant des actions complémentaires incluant une mise en commun des moyens, sur des horaires extensifs, avec passage de témoin, en prenant en compte les réalités, tout peut changer.

Aujourd’hui, le grand basculement de la délinquance française s’opère non pas dans le Midi ou en Seine-Saint-Denis, mais à l’Ouest. L’une des villes les plus délinquantes de France est Vernouillet, à côté de Dreux. La Picardie, notamment l’Oise, a basculé dans la délinquance et la violence, en zones à la fois de police et de gendarmerie.

L’extension géographique urbaine par les lotissements a provoqué un transfert mécanique de types particuliers de délinquance en zones purement rurales. On n’a pas réagi, laissant les pauvres gendarmes aux prises avec une délinquance qu’ils ne connaissaient pas et à laquelle ils essaient de s’adapter. D’ailleurs, ils ont été les premiers à mettre en place les brigades pour la délinquance des mineurs sur des territoires qui sont totalement incohérents.

Les transferts d’effectifs au sein de la gendarmerie s’effectuent dans les pires conditions, sous l’effet de la machine infernale de 1995. M. Hyest l’avait indiqué dans son rapport, soulignant les départs à la retraite massifs, par anticipation, l’imprévision généralisée, notamment en matière d’écrêtement des officiers de police judiciaire et des commissaires, d’où la crise dans la police judiciaire, la difficulté des recrutements.

Aujourd’hui, ce sont les adjoints de sécurité qui constituent la colonne vertébrale de la police. Il convient de leur rendre hommage car au moins ils sont là, ce qui relativise beaucoup les critiques dont ils font l’objet. Cette situation se prolongera jusqu’à la fin de l’année.

En fait, à la suite des mesures de 1972 et 1995, l’ensemble du dispositif policier se trouve aujourd’hui dans un état lamentable. Il fonctionne sur des territoires incohérents, avec des spécialités mal réparties et sa relation avec le domaine judiciaire n’a rien à voir avec la réalité.

Le territoire est fondamental. Les maisons de la justice et du droit me paraissent plutôt de bonnes initiatives à cet égard.

En matière de création d’espaces, pour ma part, je ne préconise pas qu’ils soient fermés ou ouverts. Je dis simplement que l’absentéisme scolaire est un problème majeur, parce que si aujourd’hui plus de 50 % des violences de voie publique sont commises par des mineurs pendant la journée, cela signifie qu’ils ne sont pas à l’école alors qu’ils devraient y être. L’obligation scolaire n’est pas un acte du fascisme grandissant. C’est une invention de la République et elle n’est pas appliquée. Je souhaite que ces mineurs retournent à l’école.

Les enseignants ne sont pas masochistes. Quand les « emmerdeurs » sont dehors, les enseignants ne font pas grève pour les récupérer à l’intérieur de l’école. Et on les comprend. Cela étant, il faut remettre ces mineurs à l’école, parce que c’est tout de même ce qu’on a de plus simple, de plus facile et de plus efficace. Cela n’empêche pas que certaines écoles accueillent des enseignants plus spécialisés, un accompagnement spécifique, des agents de gardiennage. Il est à noter d’ailleurs que la plupart des grèves d’enseignants sont destinées à réclamer davantage de « pions » et de surveillants. Ce n’est tout de même pas un détail anodin. Il prouve qu’il s’agit là d’une des réponses réelles au problème.

Par ailleurs, il me paraît nécessaire de conduire une étude sur le thème mineur auteur et mineur victime, de mener de nouvelles enquêtes de victimation sur les mineurs, afin de se donner le moyen de savoir enfin de quoi on parle. Ce n’est pas si difficile que cela. Il suffit de remplacer les noms par des numéros afin de protéger l’anonymat et de parler enfin de la réalité.

Une étude est en cours sur l’explication du passage à l’acte par des enquêtes d’auto-victimation semblables aux recherches de Sebastian Roché. Elle est le fruit d’une initiative privée, financée par le secteur privé ou parapublic mutualiste. Il faut noter une nouvelle fois que ce n’est pas l’Etat qui est à l’origine de cette initiative. Cette étude paraît de nature à répondre à beaucoup de nos questions.

Je suis pour la mutualisation des moyens, pour la création des espaces nécessaires. Je pense qu’il faut créer moins de policiers et plus d’agents de prévention, d’agents de la protection judiciaire de la jeunesse, à condition que cette structure ne s’inscrive pas dans une logique de pensée unique selon laquelle tous les mineurs ne sont que des victimes. Un certain nombre d’entre eux sont des auteurs et des dangers pour la société.

La « tournante » n’est pas un acte social révolutionnaire. Ses principales victimes sont identiques à ses auteurs. C’est à nouveau une injustice sociale et, entre pauvres, plus qu’une oppression, c’est un drame social. En la matière, je crois qu’il y a un certain nombre de mesures à prendre qui sont réalisables.

Il s’agit d’un acte de volonté, d’un acte politique, qui n’implique pas systématiquement d’imposer une réponse toute policière, au contraire.

M. Xavier Raufer - Je veux faire part de mon immense étonnement. Depuis une vingtaine d’années, il y a deux choses qui me font peur.

D’abord, je prendrai le cas d’un stupéfiant comme l’ecstasy, dont la composition est une véritable poubelle chimique, puisqu’il est fabriqué à partir de détergent à déboucher les toilettes, de liquide contre le rhume, d’acide chlorhydrique, etc. Or je constate que ceux qui manifestent la plus grande bienveillance au regard de cette drogue se disent écologistes. C’est là un grand motif de stupéfaction.

Le second tient au fait que, parmi les derniers -et heureusement- défenseurs de la culture de l’excuse, figurent ceux qui devraient être les soutiens naturels des 125.000 victimes des vols avec violence commis dans le pays l’an dernier.

Au bout du compte, une fois que la messe est dite, la culture de l’excuse -qui est un peu ce que j’ai entendu au cours des derniers instants- revient à se faire le défenseur des malfaiteurs et non pas des victimes.

Qui sont les malfaiteurs ? Qui sont les victimes ? Les 125.000 victimes des vols avec violence n’ont pas toutes été recrutées dans le nord du seizième arrondissement. Par conséquent, il me semblerait normal que des élus de ces zones-là accordent une attention plus grande aux victimes qu’aux malfaiteurs.

Eh bien, non, tel n’est pas l’avis des écologistes, qui trouvent « sympa » de consommer de l’ecstasy. Ainsi, des élus de territoires où règne, hélas, la violence sociale en viennent à prendre la défense, non pas des victimes, mais des malfaiteurs.

M. le rapporteur - Nous aurions encore de nombreuses questions à vous poser, et nous referons sans doute appel à vous, comme à d’autres intervenants, pour des compléments d’information. Car notre rôle est d’auditionner des experts aux vues différentes, de façon à assumer notre rôle et notre fonction : il s’agit d’une décision politique que nous ne devons pas laisser les experts prendre à notre place.

J’aurai une dernière question. Vous avez souligné que nous avions tendance à faire l’amalgame entre les militants sociaux et les criminels, et l’un des intervenants a évoqué un véritable « péril jeune » en France. Cet amalgame est-il propre à notre pays, ou bien le trouve-t-on dans d’autres pays ?

M. Alain Bauer - L’Angleterre, où je me trouvais hier, est confrontée à un retour fort de la violence. Mais c’est un pays communautarisé ethniquement ; ce sont donc des zones particulières qui apparaissent en fonction du mode de construction de la société britannique.

Les Espagnols viennent de publier des statistiques particulièrement préoccupantes, notamment sur le retour de la violence et, en particulier, de la violence des jeunes, sachant que le concept de mineur est très différent d’un pays à l’autre, puisqu’une analyse à l’échelon européen révèle une immense diversité des codes, très dur en Angleterre et beaucoup plus souples dans le reste de l’Union.

Je ne crois pas qu’il y ait de péril jeune. Ce n’est pas un problème de péril jeune, c’est un problème de péril criminel. Les criminels instrumentalisent des jeunes, et, parce que nous nous sentons un peu coupables de ce que nous n’avons pas fait, donc un peu responsables, nous faisons montre en quelque sorte d’une certaine tolérance. Je n’appartiens pas aux partisans de la tolérance zéro ; je suis au contraire de ceux qui pensent qu’il faut répondre systématiquement à tous les actes de manière appropriée et adaptée. En la matière, l’absence de réponse, parce qu’on ne sait pas, amène systématiquement une réponse très dure, totalement surprenante pour ceux qui, tout à coup, passent de rien à la prison, parce qu’il n’y a aucun élément intermédiaire.

Je ne crois pas qu’il y ait de péril jeune, je ne crois pas qu’il y ait de collusion entre les éducateurs et les malfaiteurs. Nous avons une immense difficulté à dire les choses et à reconnaître que, parmi les criminels, il n’y a pas seulement des militants ou des victimes sociales. Il y a aussi de purs criminels, des malfaiteurs, des personnes malfaisantes qui se cachent derrière les autres ; et l’on permet qu’ils utilisent les autres en ne répondant pas à cette question qui, elle, existe, qui n’est pas une invention, qui fait des victimes qui sont là et qui demandent justice et réparation. Car, souvent, c’est la liberté qui opprime et la loi qui libère. Quand on n’applique pas la loi...

On a dit que la capitulation, c’est quand on explique au lieu d’agir. Je suis pour expliquer en agissant. En la matière, le lien entre les deux n’est pas fait : on n’explique pas, on ne cherche pas, et on n’agit pas.

Il n’y a pas de péril jeune, il y a un péril criminel, dont les principales victimes sont ceux que l’on devrait défendre dans des espaces de relégation et de ségrégation. Le fait qu’il y ait des espaces de sécession n’est en rien une satisfaction.

M. le président - Messieurs, je vous remercie.


Source : Sénat français