L’heure est aux recompositions. L’ambassadeur Mark R. Parris, grand défenseur de l’axe Washington-Tel Aviv-Ankara, plaide dans l’International Herald Tribune pour le déploiement des troupes turques en Irak. L’envoi d’un contingent de 10 000 hommes, réclamé avec vigueur par les États-Unis, est bloqué, depuis le 7 octobre, par l’opposition farouche du Conseil irakien de gouvernement pourtant installé par les mêmes États-Unis. Le diplomate s’efforce de présenter la proposition turque de maintien de la paix, qui tranche avec le refus de participation à la guerre, comme un alignement difficile sur Washington. En réalité, ce n’est pas la Turquie, mais les États-Unis qui ont changé de position dans cette affaire : ils s’appuyaient au début de la guerre sur les forces kurdes et pensaient les récompenser en créant un Kurdistan indépendant ; ils sont aujourd’hui prêts à sacrifier leurs rêves après les avoir utilisés comme supplétifs.
Stanley A. Weiss de la Rand Corporation préconise dans le même quotidien de changer d’allié en Algérie. L’autorité est répartie entre les militaires, qui ont réprimé victorieusement l’islamisme, et le gouvernement civil, qui voudrait libéraliser l’économie. Pendant 11 ans, Washington a soutenu les militaires pour faire échec à une « iranisation » du pays. Ceux-ci ayant triomphé, le spectre d’une révolution sociale et religieuse est écarté. Il serait donc habile de soutenir maintenant les civils pour ouvrir le marché algérien aux multinationales.
Toujours dans l’IHT, l’ambassadeur Frederick Vreeland dresse l’éloge de Mohammed VI du Maroc. Le souverain est désormais en mesure de faire adopter la réforme du Code de la famille qu’il avait dû ajourner devant les manifestations d’opposition des islamistes. Son opinion publique a mûrie à la faveur du traumatisme créé par les attentats de Casablanca.
Au Royaume-Uni, Tony Blair a réussi à exclure George Galloway du New Labour. Mais le bouillant député de Glasgow annonce dans le Guardian qu’il poursuivra son action politique en dehors, c’est-à-dire contre, son ancien parti. En croyant éliminer son adversaire, Blair a peut-être donné un visage à son opposition de gauche.
En France, la recomposition s’opère d’abord dans les associations. Mouloud Aounit, le secrétaire général du MRAP, annonce dans Libération que l’organisation antiraciste, qui s’est illustrée aux côtés du Parti communiste contre l’extrême droite, se consacrera désormais à la lutte contre l’islamophobie, une maladie qui gagne la gauche. À y regarder de plus près, ce n’est pas le MRAP, mais la scène politique française qui a changé. Pendant 20 ans, la France a été rongée par son abandon des pieds-noirs, victimes de la décolonisation. Ce traumatisme des classes moyennes a nourri un fort ressentiment contre les populations immigrées, sur le thème « les Arabes ne vont pas faire la loi chez nous après nous avoir chassés d’Algérie ». C’est sur cette blessure, progressivement cicatrisée, qu’a prospéré le Front national. Aujourd’hui la France doit faire face à un tout autre problème : la classe dirigeante refuse de partager le pouvoir économique et politique avec les Français dont les parents sont maghrébins. L’islamophobie est d’abord une arme idéologique de la haute bourgeoisie pour la préservation de ses privilèges. Elle est d’autant plus virulente que la fortune de cette classe sociale est dépendante des États-Unis et que ceux-ci développent aujourd’hui une économie prédatrice masquée par un discours de guerre des civilisations.
Enfin Leon Aron, qui participa aux côtés de George W. Bush au dépeçage économique de l’Union soviétique, dénonce dans le New York Times l’arrestation de Mikhail Khodorkovsky. Il observe que le processus en cours vise à re-nationaliser le pétrole au détriment de « la démocratie de marché » pour reprendre la terminologie de l’American Enterprise Institute où il est directeur de recherches. Cependant, on peut s’interroger pour savoir en quoi la confiscation des richesses de la Russie par douze oligarques serait une manifestation de libre-entreprise et de démocratie.
« La Turquie est toujours un allié fiable des États-Unis »
Turkey is still a reliable U.S. ally
International Herald Tribune (États-Unis)
[AUTEUR] Mark R. Parris a été ambassadeur des États-Unis (1997-2000). Il est conseiller sur les questions turques du Washington Institute for Near East Policy.
[RESUME] Ce ne fut pas une bonne année pour les relations entre les États-Unis et la Turquie, deux pays qui avaient l’habitude de se définir comme des partenaires stratégiques et qui aujourd’hui peinent à communiquer. L’hiver dernier, le Parlement turc a choqué Washington en lui refusant l’autorisation d’attaquer l’Irak depuis son sol, mais depuis juin, la question était de savoir si la Turquie enverrait des troupes en Irak et le Premier ministre Erdogan a reçu l’autorisation parlementaire le 7 octobre.
En mars, beaucoup de parlementaires et de membres du gouvernement souhaitaient autoriser l’attaque depuis leur sol, mais cela n’a pas été accordé pour un problème technique. Le temps qu’il soit résolu, la guerre avait commencé. Ce qui est resté pour les dirigeants américains, c’est que la Turquie les avait laissés tomber. Aujourd’hui, Ankara est prêt à aider les États-Unis en Irak, mais le département de la Défense est ennuyé par l’opposition irakienne.
Aujourd’hui, il faut restaurer les relations entre les États-Unis et la Turquie. Il faut réaliser que l’apport des troupes turques ne serait pas négligeable en Irak et permettrait de développer les futures relations entre l’Irak et Ankara. Les troupes turques se sont toujours bien comportées dans leur mission de maintien de la paix, y compris sur le territoire des anciennes régions ottomanes comme dans les Balkans. Le vote du 7 octobre doit être compris comme une démonstration de la volonté de l’AKP d’Erdogan de maintenir une alliance avec Washington. Les dirigeants états-uniens doivent faire un geste en combattant les groupes terroristes anti-turcs au nord de l’Irak.
« L’Algérie avance difficilement vers une nouvelle ère »
Algeria stumbles toward a new era
International Herald Tribune (États-Unis)
[AUTEUR] Stanley A. Weiss est fondateur et président de Business Executives for National Security. Il est également membre du Rand’s Center for Middle East Public Policy et du Council on Foreign Relations. Il est ancien président d’American Premier, une entreprise minière et chimique états-unienne.
[RESUME] Pour savoir si le Proche-Orient est en train de changer, il faudra examiner le résultat de l’élection présidentielle en Algérie. En combattant les islamistes pendant 11 ans, les militaires ont empêché le pays de devenir une théocratie à l’iranienne, mais ce fut au prix de 100 000 morts. Aujourd’hui, après ce bain de sang, les militaires vont-ils suivre le modèle turc et construire des ponts avec les dirigeants islamiques modérés ?
J’ai rencontré deux algériens. Le premier est le général Mohammed Lamari membre du « pouvoir » [1], l’élite militaire qui dirige le pays depuis 1962 et qui estime que le nombre de terroristes est passé, grâce à l’action de l’armée, de 27 000 à 600. J’ai rencontré également Chakib Khelil, le ministre de l’Économie, qui pense que le terrorisme doit surtout être combattu par la libéralisation de l’économie qui permettra de sortir de la crise qui crée le désespoir et pousse la population vers l’extrémisme. Cette dernière orientation, soutenue par Bouteflika, est dénoncé par « le pouvoir » [2].
Washington a des moyens de pression sur les militaires et doit les inciter à ne pas bloquer la transition. S’il est trop tard pour sauver Bouteflika, il faut sauver la fragile transformation de l’Algérie.
« Les changements interne au Maroc »
Homegrown change in Morocco
International Herald Tribune (États-Unis)
[AUTEUR] Frederick Vreeland est ancien vice sous-secrétaire d’État pour le Proche-Orient et ambassadeur au Maroc.
[RESUME] Alors que le département de la Défense rêve de voir ses politiques irakiennes transformer les États arabes, le Maroc est en train de tranquillement instaurer une révolution démocratique. Mohammed VI a ouvert la session parlementaire avec un projet de réforme du Code de la famille qui ferait progresser les droits des femmes comme le réclament les groupes de défense des droits civils depuis le début des années 90.
Au début du règne, ce réformisme s’est heurté aux manifestations d’opposition de divers groupes politiques. Le roi avait alors formé une commission sur cette question. Depuis, il y a eu deux changements majeurs avec la nomination de Mohammed Boucetta, un homme de droite reconnu même par les intégristes, à la tête de cette commission et les attentats de Casablanca qui ont été imputés aux islamistes.
Cinq mois après ces attentats, le roi a donc pu présenté à nouveau son projet en l’appuyant sur le Coran. Il a été approuvé par tous les partis, y compris par les islamistes. En soutenant l’émancipation féminine, le roi ouvre la voie au Maroc vers le XXIème siècle
« Pourquoi je vais me présenter contre le New Labour »
Why I will stand against New Labour
The Guardian (Royaume-Uni)
[AUTEUR] George Galloway est député de Glasgow et commentateur pour le Scottish Mail. Il a été exclu du New Labour suite à son opposition à la politique étrangère de Tony Blair et à une campagne de diffamation organisée par le groupe de presse Hollinger.
[RESUME] Ce ne sont pas les propos de Tony Blair, mais ceux de David Blunkett qui m’ont convaincu de combattre le New Labour. Face aux révélations de journalistes dénonçant le racisme dans la police, Blunkett s’est attaqué aux dénonciateurs plutôt qu’aux policiers. Cela prouve que ce parti n’a rien retenu de l’affaire Kelly. Au même moment, Jack Straw rappelait notre ambassadeur en Ouzbékistan pour avoir dénoncé les attaques du dictateur local contre ses opposants, illustrant ainsi la politique de « deux poids deux mesures » du Royaume-Uni face aux dictatures.
J’ai été exclu du New Labour au moment où Tony Blair invitait George W. Bush à une visite de trois jours au Royaume-Uni. Mon exclusion, comme la guerre, s’est fondée sur des mensonges. On a affirmé que j’avais appelé au meurtre des troupes britanniques, on a prétendu que j’avais demandé aux soldats de désobéir alors que j’ai seulement rappelé la règle qui depuis Nuremberg exige que les soldats refusent de suivre tout ordre illégal. Il a enfin été dit que j’avais soutenu un militant anti-guerre qui se présentait dans une élection contre un candidat de mon parti alors que je ne l’ai que félicité six semaines après l’élection. En revanche, quand j’ai demandé que mon procès soit public, cela a été refusé.
La politique du New Labour, c’est le guerre, les privatisations et l’absence de débat. Voilà pourquoi j’ai décidé de le combattre en me présentant aux élections européennes sur une liste rassemblant des verts, des rouges, des pacifistes et des musulmans. Ce ne sera pas un parti, mais une coalition qui espère montrer le vrai visage du Royaume-Uni.
« Les acquis de l’islamophobie »
Les acquis de l’islamophobie
Libération (France)
[AUTEUR] Mouloud Aounit secrétaire général du MRAP.
[RESUME] Entre les propos infamants contre Mahomet délivrés par un professeur d’histoire à une classe de cinquième à Courbevoie où les notes confidentielles du directeur des ressources humaines d’un groupe français de gestion et de conseil demandant qu’aucun arabe ou musulman ne soit recruté « Dans le cadre de [sa] contribution avec le peuple américain ami dans la lutte contre le terrorisme, et dans le but d’accroître [ses] marchés », le MRAP a fort à faire pour combattre l’islamophobie. Nous recevons chaque jour plus de 500 signalements de messages d’insultes ou de menaces de mort contre les musulmans, sans compter les colis piégés contre les responsables associatifs et les attaques contre les lieux de cultes. L’islamophobie ronge notre société et sa gravité est confirmée par la fièvre médiatique qui entoure certaines affaires de foulards.
La critique de toute religion est légitime et nous sommes sensibles au sort des femmes dont les droits sont bafoués par l’obligation de porter le foulard, mais l’islamophobie dépasse largement ces critiques. Certaines formulations journalistiques jouent un rôle non négligeable dans l’excitation de la peur de l’islam et les « unes » de presse donnent une image alarmiste, effrayante et caricaturale. Le phénomène est né aux États-Unis à la suite du 11 septembre et a gagné l’Europe par un glissement sémantique progressif d’islam vers islamisme, puis d’islam vers terrorisme. On en est même venu à parler de " modérés " pour désigner les musulmans, ce que l’on ne fait pour aucune autre religion.
Aujourd’hui, cette islamophobie se nourrit des revendications des musulmans qui ne veulent plus voir l’identité religieuse de leurs parents bafouée et qui veulent rendre l’islam visible et être respecter sans se renier. L’islamophobie fait naître la défiance vis-à-vis des institutions et favorise les discours opposés à la République. Il faut délégitimer ce racisme. C’est pourquoi le MRAP veut créer un observatoire de l’islamophobie.
« Crime et châtiment pour les capitalistes »
Crime and Punishment for Capitalists
New York Times (États-Unis)
[AUTEUR] Leon Aron est chroniqueur à La Voix de l’Amérique et directeur des études russes à l’American Enterprise Institute. Il est l’auteur Yeltstin : A Revolutionary Life.
[RESUME] Il y a 5 jours, Mikhail Khodorkovsky, PDG et principal actionnaire de Yukos, la plus grande compagnie pétrolière russe, a été arrêté et accusé de divers crimes financiers. Cette arrestation pose de sérieuses questions sur la Russie post-soviétique : les divisions profondes entre populations et élites, la nature du contrôle étatique de l’économie et le rôle du monde des affaires dans la politique.
Bien sûr, Mikhail Khodorkovsky a enfreint la loi, mais dans la Russie chaotique des années 90 cela était nécessaire pour éviter la faillite et continuer à payer les salariés. Il a repris Yukos au bord de la faillite en 1996 et il a réussi à en faire la première compagnie pétrolière russe produisant 18 % du pétrole russe et ayant été l’année dernière la première compagnie pétrolière russe à verser des dividendes à ses 60 000 actionnaires. Il a aussi été à l’initiative d’un plan permettant à 56 000 enseignants et étudiants russes de disposer d’Internet.
Ces évolutions ont paru trop rapides au système russe, encore fortement influencé par le modèle soviétique et qui estime que l’État doit contrôler toutes les fortunes et que le secteur privé ne doit prospérer qu’en accord avec lui. En outre, Yukos a brisé une règle cardinale : il a financé et soutenu un parti d’opposition pour faire changer la loi au lieu d’ignorer la loi et de verser des pots de vins aux législateurs et aux forces de l’ordre.
L’affaire Yukos est une bataille entre les étatistes, issus des services secrets qui entourent Poutine et veulent contrôler l’économie, et la société civile et les oligarques libéraux. Les proches de Poutine rêvent d’une re-nationalisation des entreprises ou d’une redistribution de ces groupes à des entrepreneurs loyaux. En défendant leur droit à promouvoir leurs intérêts, les oligarques peuvent aider à avancer la cause de la démocratie en Russie.