« L’Occident doit fixer un ultimatum à Poutine »

West should give Putin an ultimatum
Christian Science Monitor (États-Unis)

[AUTEURS] Borut Grgic est chercheur en détachement de l’Atlantic Council, analyste politique à la School of International Service à Washington et ancien chercheur du Center for Strategic and International Studies. Il est conseiller en politique étrangère auprès du ministère des Affaires étrangères slovène.
Ancien consultant politique pour Radio Free Europe à Munich, pour l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) et le département de la Défense états-unien, Janusz Bugajski est le directeur du programme est-européen du Center for Strategic and International Studies.

[RESUME] L’arrestation de Mikhail Khodorkovsky, nous rappelle le faible engagement de Vladimir Poutine en faveur de la démocratie et de l’économie de marché. Le président russe a beau affirmer que l’arrestation s’est déroulée dans le respect des règles démocratiques, on reconnaît ici la solution typique du KGB confronté à un homme devenant une menace politique : l’arrêter pour fraude.
En réalité Mikhail Khodorkovsky a violé le pacte des oligarques avec Poutine : le président ne fait pas enquêter sur les gains des oligarques dans les années 90 tant que ceux-ci restent neutres politiquement. Si avoir des ambitions politiques en Russie est un crime, alors Mikhail Khodorkovsky est coupable car il soutenait les libéraux de Yabloko.
Toutefois, l’arrestation de Khodorkovsky est peut-être un acte que Poutine regrette déjà vu la baisse de l’indice RTS, l’équivalent du Dow Jones en Russie, de 14 points et la fuite des capitaux étrangers. Depuis son arrivée au pouvoir, Poutine s’était montré plus ou moins démocrate, mais il avait respecté les règles de l’économie de marché. Après la démission d’Alexandre Volochine, suite au scandale Yukos, le futur du capitalisme russe est sombre.
Poutine a fait un mauvais calcul en pensant que les oligarques avaient plus besoin de lui qu’il n’avait besoin d’eux. Si le 11 septembre a mis le secteur énergétique russe en pleine lumière et a permis une forte croissance économique en Russie, il ne faut pas oublier que les forages en Russie se font dans des terrains gelés et coûtent donc chers. La Russie a un besoin constant de capitaux étrangers et si les investisseurs étrangers se retirent, l’avenir du secteur pétrolier russe devient incertain, ce qui pourrait avoir un impact négatif sur toute l’économie russe.
Un effondrement économique de la Russie est une menace pour les États-Unis et l’Europe. Comment vont-ils réagir face à une Russie redevenant un État policier ? Il faut fixer un ultimatum à Poutine pour qu’il engage des réformes démocratiques et économiques dans son pays, libère Mikhail Khodorkovsky et cesse son offensive contre les médias. S’il ne s’exécute pas, il perdra la coopération de l’Occident.

« Poutine, le nouveau Saddam ? »

Putin the New Saddam ?
Moscow Times (Russie)

[AUTEUR] Banquier français, Eric Kraus est responsable de la stratégie à Sovlink Securities.

[RESUME] Encouragé par leur historique succès de propagande (la justification ex-nihilo de l’invasion états-unienne de l’Irak), les membres de la dangereuse faction de Washington ont identifié une nouvelle « menace terroristes » : Vladimir Poutine.
Les moyens déployés contre lui sont les mêmes que pour l’Irak : « renseignements » bidons, manipulation de l’opinion par des journalistes dociles et des organisations « à but non lucratif » et répétition de mensonge évidents. Dans une tribune publiée par le plus en plus réactionnaire Washington Post, Bruce P. Jackson, président du Project on Transitional Democracies, ancien marchand d’arme chez Lockheed Martin, rédacteur de l’appel de Vilnius et membre du Project for the New American Century avec Rumsfeld, Wolfowitz et Perle, a affirmé que Poutine rétablissait un État tsariste. Mais surtout, il l’accusait de contrer l’influence américaine dans les anciennes républiques soviétiques et d’être antisémite. L’administration Bush exploite les souffrances du peuple juif en réduisant l’antisémitisme à un simple épithète désignant les régimes allant à l’encontre des intérêt états-uniens. Jackson se base pour cette accusation sur le fait que trois des magnats ayant été arrêtés sont juifs, oubliant de préciser que c’est le cas de 90 % des oligarques et que ces arrestations n’empêchent pas d’autres hommes d’affaire juifs de prospérer.
Mikhail Khodorkovsky a acquis une très mauvaise réputation en peu de temps mais, grâce à sa Open Russia Foundation, dont Kissinger est l’un des administrateurs, il a financé généreusement diverses causes néo-conservatrices. Il a donc des liens avec les éléments les plus réactionnaires de l’administration Bush (comme Perle et Cheney) qui défendent aujourd’hui ses intérêts. Cela l’a poussé à croire qu’il était intouchable et qu’il pouvait s’opposer à la révision des résultats des privatisations voulue par Poutine.
Aujourd’hui, ce qui secoue la Russie, ce n’est pas la chute de Mikhail Khodorkovsky, ce sont les élections à la Douma, où le parti de Poutine, de plus en plus populaire, devrait emporter une majorité des sièges et relancer les réformes. La coalition de Bruce Jackson peut souffler tant qu’elle peut, la maison de Poutine est en pierre.

« La chute du Chinook »

Chinook down
Washington Times (États-Unis)

[AUTEUR] [Frank J. Gaffney Jr.] est président du Center for Security Policy, le think tank qui rassemble les principaux « faucons » états-uniens. Le Réseau Voltaire lui a consacré une enquête : « Le Centre pour la politique de sécurité : les marionnettistes de Washington ». Frank J. Gaffney Jr.] a récemment participé au sommet de Jerusalem.

[RESUME] Depuis l’annonce de la destruction en vol d’un hélicoptère Chinook à Bagdad ce week-end, je ne peux pas m’empêcher de me demander si le pilote que j’ai eu quand je me suis rendu à Bagdad le mois dernier fait partie ou non des victimes. Avec les autres journalistes et militaires, nous avions alors été prévenus : nous sommes dans une zone de guerre et les militaires présents dans le « triangle » savent qu’ils peuvent être attaqués n’importe où, n’importe quand.
Si des milliers de nos compatriotes prennent ces risques, c’est pour sécuriser un front important de la guerre au terrorisme tout en offrant une chance, fragile et sans doute éphémère, de liberté et d’opportunité économique aux Irakiens, ce qui permettrait de rendre la région plus sûre. Ces risques ne sont pas pris que par les militaires, mais aussi par des civils, comme les employés d’Halliburton, entreprise pourtant tant décriée.
L’ennemi est une combinaison de loyalistes de l’ancien régime et de combattants étrangers qui ont une stratégie claire : faire saigner l’Amérique au point que la population et les représentants élus souhaitent abandonner l’Irak. Certains suggèrent que la chute du Chinook pourrait avoir le même impact que la « chute du faucon noir » à Mogadiscio. Mais Donald Rumsfeld a été clair : « dans une longue et difficile guerre, nous aurons des jours tragiques, mais cela est nécessaire ». Il vaut mieux être combattu à Bagdad qu’à Baltimore et si nous partons maintenant, le sacrifice des soldats aura été vain. Rumsfeld l’a bien compris et d’après ce qu’à rapporté Bill Kristol, George W. Bush l’a compris aussi.

« Si peu de soldats, tant à faire »

So Few Soldiers, So Much to Do
New York Times (États-Unis)

[AUTEUR] Concepteur d’une théorie originale des relations internationales qui affirme la prééminence de la géoéconomie sur la géopolitique, Edward N. Luttwak est membre du National Security Study Group du département de la Défense états-unien. Il est également membre du Center for Strategic and International Studies.

[RESUME] L’administration Bush a réagi à l’attaque de ce week-end contre un hélicoptère comme elle a réagi aux autres attaques : en rappelant qu’il n’était pas nécessaire d’envoyer plus de troupes en Irak pour aider les 133 000 militaires basés là-bas. C’est une partie du travail du président de rétablir la confiance face aux difficultés, mais vu l’actuel nombre de troupes sur le terrain, George W. Bush aurait aussi bien pu dire qu’il n’y a pas besoin de troupes en Irak du tout car nombre de sites qui mériteraient d’être surveillés 24 heures sur 24 ne sont pas du tout protégés.
En effet, sur les 133 000 Américains en Irak, seuls 56 000 sont des militaires entraînés aptes à assurer la sécurité, les autres s’occupent de la maintenance. Comme des soldats doivent manger et dormir, ce n’est jamais plus de 28 000 soldats qui peuvent patrouiller en même temps et ils ont tant à faire qu’ils ne sont même pas en mesure de se protéger eux-mêmes. En comparaison, la ville de New York dispose de 39 000 officiers de police et, eux, ils parlent la langue de presque tous les habitants, habitants qui cachent des militants du Ba’as armés ou des fanatiques islamiques.
Actuellement, les soldats sont incapables d’empêcher les razzias des nomades, et ce ne sont pas les 100 000 officiers de sécurité promis par Donald Rumsfeld et entraînés et équipés à la va-vite qui y changeront quoi que ce soit.

« Faire payer Bagdad »

Make Baghdad Pay
New York Times (États-Unis)

[AUTEUR] Mark Medish est avocat à Washington et a été membre du département du Trésor et du National Security Council sous l’administration Clinton. Il représente actuellement les entreprises internationales créancières de l’Irak.

[RESUME] La dette de l’Irak inclut aujourd’hui 40 milliards de dollars aux créanciers officiels du Club de Paris, 30 milliards à d’autres créanciers officiels, 3 milliards aux banques de Londres et peut-être 10 milliards aux entreprises. À gauche comme à droite, des voix se sont élevées pour annuler la dette. Toutefois, pour bien intentionnées que soient ces recommandations, elles n’en sont pas moins erronées.
Avec les secondes réserves de pétrole du monde, l’Irak est en mesure de payer et une telle annulation serait un précédent dommageable pour le système financier mondial. Si l’Irak veut normaliser ses relations financières extérieures, il doit respecter le premier principe de la loi : les contrats doivent être honorés. Si on peut, à la limite, ignorer la dette contractée par Saddam Hussein sur du matériel militaire, les dettes contractées pour construire des installations civiles doivent être payées. Le fait que Saddam Hussein ait été au pouvoir à ce moment-là n’a pas d’importance puisqu’une partie des dettes est antérieure aux sanctions économiques, quand les États-Unis faisaient des affaires avec lui.
Bien que les deux situations soient souvent comparées, la situation actuelle de l’Irak n’a rien à voir avec l’Allemagne en 1919. On ne demande pas à l’Irak des réparations, on lui demande de payer ses dettes et cela peut passer par un plan de remboursement sur le long terme. En outre, quoi qu’on en dise, les entreprises comptent encore sur la récupération de la dette, qui figure toujours dans leur bilan comptable.
L’Irak doit négocier ses dettes, comme un pays souverain, et rétablir sa respectabilité en payant.

« Un ami de l’autre Israël »

A Friend To the Other Israël
Washington Post (États-Unis)

[AUTEUR] Yoel Esteron est le rédacteur en chef du journal israélien Ha’aretz.

[RESUME] Il y a sept mois, ma fille, petite fille d’un survivant de l’Holocauste ayant échappé de peu aux chambres à gaz d’Auschwitz, a dû aller à l’école avec un masque à gaz. Toute la population devait conserver à proximité son masque de crainte des gaz de combat irakiens, et ce pendant plusieurs semaines. La menace était peut-être imaginaire, mais la crainte était réelle. Aujourd’hui nous ne craignons plus les missiles irakiens, ce dont nous sommes reconnaissant à l’administration Bush et aux troupes états-uniennes.
Pourtant, toute peur n’a pas disparu et nous continuons à craindre les terroristes palestiniens. Dans un monde où Israël est traité comme un lépreux, l’amitié américaine est une source d’espoir et de foi. Malheureusement, en y regardant de plus près, l’amitié de l’administration Bush aide le gouvernement Ariel Sharon à continuer à ne rien faire qui favorise une solution au conflit avec les Palestiniens. Washington a bien rédigé une « Feuille de route », mais après des attaques contre les villes israéliennes et les troubles en Irak, les États-Unis ont cessé de la soutenir. Bien sûr, après un attentat, il est difficile de discuter, mais sans le dialogue politique et un espoir pour les Palestiniens, seules les bombes parleront.
Il existe deux Israël, l’un veut un État niant les droits des Palestiniens et s’étendant de la Jordanie à la méditerranée, l’autre se satisfait des frontières de 1967 et est prêt à vivre en paix avec un État palestinien. Sharon représente l’Israël des colons, mais la majorité de la population appartient au second Israël. Il faut que les États-Unis continuent à nous défendre tout en poussant le gouvernement Sharon à négocier.

« Une nouvelle chance pour le cœur ravagé de l’Afrique »

A new chance for Africa’s ravaged heart
International Herald Tribune (États-Unis)

[AUTEUR] John Prendergast est conseiller spécial du président de l’International Crisis Group et ancien directeur des affaires africaines au National Security Council.

[RESUME] Je reviens d’un voyage en République démocratique du Congo avec l’ambassadrice de bonne volonté de l’ONU, l’actrice Angelina Jolie. Il n’y a rien qui se rapproche de la dévastation humaine à l’est du pays et les témoignages que nous y avons entendus sont terrifiants. Pourtant, malgré tout, il y a des signes d’amélioration car le pays a désormais un gouvernement d’union nationale et l’ONU a renforcé le mandat de sa mission de maintien de la paix, même si cette dernière ne représente que la quart des troupes au Kosovo pour s’occuper d’un pays grand comme l’Europe continentale.
Il est urgent de prendre un certain nombre de mesures. Après que la guerre a fait 3,3 millions de victimes, la protection des civils est la priorité numéro un. Pour cela, il faut qu’un gouvernement responsable remette en route les services essentiels à la population. Il faut, ensuite, reconstruire une armée congolaise qui incorporera dans ses rangs toutes les factions ayant signé l’accord de paix et qui ne devra pas devenir un nouveau foyer d’insurrection. Les groupes non-signataires devront être démobilisés, surtout les milices génocidaires rwandaises. Les responsables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité devront être jugés et il faudra être particulièrement sévères avec les responsables d’enlèvement de femmes et de viols de masse. Enfin, ceux qui soutiennent les milices depuis l’étranger, notamment le Rwanda, l’Ouganda, le Zimbabwe et le Congo doivent être prévenus que leur attitude ne sera plus tolérée.
Pour que cesse enfin le conflit le plus meurtrier depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale les donateurs et les institutions internationales doivent s’investir massivement.

« Le commerce global : la clé vers un nouvel accord »

Global trade : The key to a new agreement
International Herald Tribune (États-Unis)

[AUTEUR] Ancien ministre de l’Économie canadien, Donald Johnston est secrétaire général de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

[RESUME] Le renforcement du commerce global et d’autres mesures pour libéraliser les marchés sont trop importants pour la prospérité mondiale pour qu’on laisse les discussions languir. Il faut réparer les dégâts de Cancun. Pour cela, il faut une volonté de compromis, aujourd’hui insuffisante. Les États-Unis et l’Union européenne vont devoir abandonner leur 140 milliards de subventions agricoles. Tandis que les pays en voie de développement doivent cesser de croire qu’ils peuvent obtenir quelque chose sans rien donner en échange et baisser leurs taxes douanières.
Les subventions agricoles dans les pays riches sont inefficaces, coûtent 1000 dollars par foyer fiscal aux États-Unis et en Europe, augmentent les prix à la consommation, n’enrichissent que les agriculteurs les plus riches, sapent la concurrence et ont des effets dévastateurs dans les pays pauvres. De leur côté, les pays en voie de développement doivent diminuer leurs tarifs douaniers qui sont trois à quatre fois plus élevés que ceux des pays riches sur les produits industriels et le sont plus encore sur les produits agricoles. Pourtant, les pays qui ouvrent leur économie ont tendance à avoir une croissance plus forte et à créer plus d’emploi.
Sans accord commercial global, les règles en vigueur seront disparates et tout le monde en paiera le prix. Recommencer les négociations sera difficile, mais tout le monde a à y gagner.