« L’Amérique doit laisser l’Irak se reconstruire lui-même »

America Must Let Iraq Rebuild Itself
New York Times (États-Unis)

[AUTEUR] Iyad Alawi est le président en exercice du Conseil de gouvernement irakien ce mois ci. Il est président de l’Iraqi National Accord, un groupe constitué dans les années 90 autour d’officiers irakiens ayant fait défection.

[RESUME] Aucun Irakien n’oubliera le jour d’avril où les Bagdadis et les militaires états-uniens ont déboulonné la statue de Saddam Hussein, mettant ainsi fin à trois décennies de tyrannie et de répression et commençant la constitution d’un pays libre et démocratique. Pour cela, l’administration Bush nous a nommé au conseil de gouvernement irakien pour écrire la nouvelle constitution en six mois. Nous avons accueilli cette mission avec joie et l’aide de l’ONU rendue possible par la résolution adoptée mardi est la bienvenue.
Nous avons toutefois mesuré les obstacles à la marche de l’Irak vers la démocratie. Il faut, quand nos concitoyens iront voter, qu’ils aient confiance dans les institutions étatiques légitimes, indépendantes et capables de leur assurer la sécurité et le respect de leurs droits. Pour cela, il est nécessaire de remettre sur pied une armée et une police irakienne dont les dissolutions par la Coalition créent un vide qui a laissé fleurir la criminalité et le terrorisme. Il faut s’appuyer sur les anciennes structures et les policiers et les militaires démobilisés, qu’il ne faut pas confondre avec des partisans de Saddam Hussein. Il sera plus rapide de reformer ces institutions en s’appuyant sur ce qui existait que de partir de rien.
En fait, après avoir écarté les anciens partisans de Saddam Hussein, il faut reformer les anciennes bureaucraties. Cela nous permettra de nous rendre plus vite notre souveraineté, ce qui est un préalable à une reconstruction réussie. Les Irakiens veulent avoir leur destinée en main.

« Structurellement défectueux »

Structurally Unsound
Washington Post (États-Unis)

[AUTEUR] Leon Fuerth a été le conseiller en sécurité intérieure de l’ancien vice-président Al Gore. Il est professeur de relations internationales à la George Washington University.

[RESUME] Beaucoup a déjà été dit concernant la « nouvelle » responsabilité de Condoleezza Rice dans la coordination de la reconstruction de l’Irak, mais peu de personnes ont noté que cet événement signifiait la faillite du modèle de gestion de la sécurité nationale de l’administration Bush. George W. Bush a, en effet, voulu constituer son équipe comme une entreprise, en séparant les départements et en nommant des personnes fortes disposant de grands pouvoirs à leur tête. Malheureusement pour lui, le gouvernement des États-Unis n’est pas une entreprise et la sécurité nationale exige une centralisation des décisions et une coordination qui ne peut être déléguée.
Si la méthode de division du travail de l’administration Bush a paru fonctionner au début, depuis le 11 septembre son échec est devenu évident. Les politiques au Proche-Orient et en Corée du Nord sont chaotiques, celles vis-à-vis de nos alliés et des organisations internationales sont erratiques et celles vis-à-vis de la Chine et de la Russie sont désormais fondées sur des relations personnelles. L’Irak est un problème majeur et il est désormais reconnu que l’administration Bush n’avait pas un plan réaliste de gestion des conséquences de l’après-guerre. Si la conception de cette politique avait été centralisée, elle aurait peut-être pu fournir une analyse plus pertinente.
Condi Rice n’est pas la solution au problème, à moins que le président ne lui donne l’autorité suffisante pour se placer au-dessus de deux fortes personnalités. Le problème est structurel et il est surprenant que le président l’ait compris aussi tard.

« La mission d’Halliburton »

Halliburton’s Mission
Wall Street Journal (États-Unis)

[AUTEUR] Dave Lesar est le PDG d’Halliburton, poste auquel il a succédé à [Richard B. Cheney]. Halliburton est l’une des principales sociétés bénéficiaires des contrats de reconstruction de l’Irak

[RESUME] Des milliers d’employés d’Halliburton travaillent fièrement au Proche-Orient dans cette période troublée pour aider les troupes américaines au mieux de leur possibilité et pour reconstruire l’Irak. Nous disposons pour parvenir à cet objectif d’une grande expérience, démontrée de la Seconde Guerre mondiale à nos jours, et d’une expertise reconnue.
Fondée en 1919, peu de gens cependant avaient entendu parler d’Halliburton avant l’accession de Dick Cheney à la vice-présidence. M. Cheney n’a plus d’intérêts financiers aux succès de la compagnie, mais les contrats de notre entreprise avec le gouvernement sont pourtant devenus des cibles politiques. Si nous avons obtenu des contrats dans la reconstruction de l’Irak, c’est parce que notre entreprise est l’une des rares qui pouvait accomplir le travail nécessaire et que notre réponse à l’appel d’offre a semblé la plus compétitive avant la guerre.
Le travail d’Halliburton avec le gouvernement n’est qu’une petite partie de notre activité qui consiste à fournir en service et en ingénierie les principales compagnies pétrolières. L’aide aux militaires n’a qu’un impact négligeable sur notre chiffre d’affaires. Nous faisons ce travail parce que nous devons le faire et il est démontré que l’action d’Halliburton contribue à sauver des vies parmi nos soldats.

« Du "nouveau monde" à l’"autre monde" »

Du « nouveau monde » à l’« autre monde »
Le Monde (France)

[AUTEUR] Alain Minc est président d’AM Conseil, essayiste, président du conseil de surveillance du Monde et président de la Société des lecteurs. Il est l’ancien fondé de pouvoir de l’industriel italien Carlo de Benedetti (patron d’Olivetti) et conseiller économique d’Edouard Balladur durant la seconde cohabitation. Il est président du Conseil de surveillance du groupe Pinault-Printemps-La Redoute et administrateur de Valeo SA, Moulinex et Yves Saint-Laurent. Il fut le trésorier de la Fondation Saint-Simon, un think tank français néo-libéral indirectement financé par le Conseil des fondations des États-Unis.

[RESUME] En France, les Atlantistes rêvent d’une réconciliation avec les États-Unis une fois George W. Bush et Jacques Chirac disparus de la scène politique. Les anti-américains rêvent, quant à eux, d’une France chef de file de ce qu’on appelait autrefois le « mouvement des non-alignés ». Ces deux analyses sont fausses car elles ne tiennent pas compte du fait que les États-Unis se transforment et que, hier, pays occidental, ils deviennent à eux seuls un syncrétisme du monde en assimilant progressivement leurs vagues d’immigration.
Cela provoque la genèse d’un système de valeur original, de plus en plus éloigné de l’Europe, congélateur des vieilles valeurs occidentales. Les États-Unis sont aujourd’hui l’alchimie improbable unifiant tous les systèmes culturels. Rien ne garantit que notre culte commun du suffrage universel, par ailleurs de plus en plus partagé dans le monde, ne débouchera pas à long terme sur des conceptions différentes de la démocratie.
La menace soviétique a eu pour double vertu d’unifier l’Europe et de forger une alliance de fer transatlantique. Aujourd’hui, le communisme disparu, l’Union européenne se délite et l’OTAN se dissout. Aujourd’hui, les États-Unis sont tournés vers la Chine, l’Inde et la Russie et si la guerre au terrorisme nous rapproche encore, elle ne crée par une proximité plus forte entre l’Europe et les États-Unis qu’entre Washington et l’Égypte ou l’Indonésie.
Face à cette nouvelle situation, la stratégie de Jacques Chirac n’est adaptée qu’en apparence. Le « multilatéralisme » n’est qu’un regroupement transitoire d’opposition et ne permet rien, alors que l’Europe politique peut nous offrir un réel poids sur le monde. Aussi, si nous sommes convaincus que l’éloignement avec « l’autre monde » est inexorable, alors l’atlantisme n’est qu’une phase transitoire, un passage obligé pour construire l’Europe politique avec des pays liés aux États-Unis et construire l’Europe puissance.

« Au nom du Patriot Act : c’est à nous »

In the Name of the Patriot Act : That’s Ours
Washington Post (États-Unis)

[AUTEUR] Mark Medish est avocat à Washington et a été membre du département du Trésor et du National Security Council sous l’administration Clinton. Actuellement, il représente les entreprises internationales créancières de l’Irak.

[RESUME] Le 20 mars 2003, pendant l’attaque préventive contre l’Irak, l’administration Bush s’est appropriée 1,7 milliard de dollars irakiens, bloqués ou gelés sur des comptes en banque depuis la Guerre du Golfe, et a placé cet argent dans la réserve fédérale à New York. Quand deux mois plus tard, la résolution 1483 appela tous les pays à transférer les avoirs irakiens détenus dans leurs banques vers un fond de reconstruction de l’Irak, les États-Unis ne firent aucun transfert d’argent puisqu’il n’y avait plus de fonds irakiens aux États-Unis. Cette appropriation a été décidée par le gouvernement sans l’accord de personne, puisque cela lui est permis par l’USA Patriot Act.
Le Patriot Act est l’équivalent civil de la doctrine des frappes préventives : agir d’abord, enquêter ensuite. Si des groupes de défense des libertés ont fait connaître ses modalités posant problèmes dans le cadre des droits du justiciable, il existe d’autres articles moins connus, mais tout aussi inquiétants. En effet, le président a augmenté ses pouvoirs d’urgence dans la sphère économique et peut ainsi prendre possession des capitaux possédés par un État si celui-ci est soupçonné de financer le terrorisme. Cela va à l’encontre des lois internationales et repose sur un nouveau principe de souveraineté : les États-Unis ont une souveraineté absolue et celle des autres pays dépend de Washington.
Il a été affirmé au Congrès que l’argent irakien avait été utilisé pour les Irakiens, mais ce n’est pas le problème, les États-Unis n’avait pas le droit de décider de l’utilisation des fonds. De même, l’argument selon lequel cet argent a été volé par Saddam Hussein à son pays n’entre pas non plus en ligne de compte. En outre, il s’agit de fonds obtenus pendant que Reagan et Bush père soutenaient Saddam Hussein.
Si le gel des biens d’un État est courant, la confiscation est rare et ne connaît qu’un précédent depuis la Seconde Guerre mondiale : la confiscation des biens cubains distribués aux exilés de ce pays en février 2001. Aujourd’hui, à cause de cette confiscation, les réclamations des anciens prisonniers de guerre et créanciers de l’Irak ne peuvent aboutir auprès des tribunaux états-uniens.
Le Patriot Act a été adopté trop vite par le législateur. Aujourd’hui, il menace l’équilibre des pouvoirs. Comme toujours, convaincus de la justesse de sa cause, l’administration Bush impose un ordre global au détriment des règles internationales et le résultat c’est le chaos.

« Le balai et le sourire »

Le balai et le sourire
Le Monde (France)

[AUTEUR] Alexandre Dorna est professeur de psychologie sociale et politique à l’université de Caen et président de l’Association française de psychologie politique. Il a notamment publié Le leader charismatique.

[RESUME] Arnold Schwarzenegger, aujourd’hui gouverneur de Californie mais pressenti pour une destinée plus grande, faisant campagne en brandissant un balai est un symbole multiforme. L’homme seul, issu de nulle part et reconnu par la majorité, correspond à l’idéologie libérale. Il incarne également la force de la popularité, mais aussi l’image, moins rassurante, de la révolte des électeurs contre les appareils politiques responsables du statu quo.
L’acteur, candidat « républicain », a été soutenu par des démocrates (le clan Kennedy), des hommes d’affaires et les déçus de la vie politique. Bref, il s’agit d’un homme providentiel au-delà des clivages traditionnels. Cette situation n’est pas inédite dans l’histoire contemporaine : c’est le syndrome du néo-populisme télécharismatique. Quand le régime est dans l’impasse, le soutien à ce type de candidature est la réponse de l’électorat à une question urgente : comment se débarrasser d’une classe politique inapte et corruptrice ?
La France a connu bien des exemples de ce phénomène dans son histoire. Ce besoin de charisme surgit quand les masses n’ont plus confiance dans les élites conformistes et les grandes institutions. L’Europe est autant touchée que l’Amérique et la France montre des signes inquiétants. Heureusement la rationalité reste encore au centre des décisions politique, mais pour combien de temps ?

« Les dures leçon de Guantanamo »

Hard lessons from Guantanamo Bay
The Boston Globe (États-Unis)

[AUTEUR] Juliette N. Kayyem est ancienne membre de la Commission national états-unienne sur le terrorisme et a travaillé au département de la Justice (1995-1999). Elle est chercheuse à la Kennedy School of Government de l’université d’Harvard.

[RESUME] Le fait que la prison militaire de Guantanamo a peut-être été la cible d’actes de sabotage par du personnel militaire états-unien musulman ou d’origine arabe pose un problème dans notre politique de contre-terrorisme : nous n’engageons pas suffisamment d’arabes ou de musulmans dans nos agences de renseignements. Or, aucune politique de recrutement n’est prévue dans ce sens.
Si nous engagions plus de personnes pour les traductions en arabe, nous n’aurions pas besoin de prendre n’importe quelle personne se présentant quand nous en avons dramatiquement besoin. En outre, depuis le 11 septembre, les Arabes et les musulmans ont eu des relations difficiles avec la police et l’expérience après les émeutes raciales des années 60 nous a montré que la diversification raciale des forces de police permettait de restaurer la confiance vis-à-vis de la police. Enfin, notre compréhension du monde arabo-musulman progressera grâce à une meilleure intégration de recrues issues de cette communauté dans nos agences de renseignement.
Les rapports ont démontré que les échecs de notre politique d’après-guerre en Irak ont été provoqués par les mauvaises informations fournies par les exilés irakiens alors qu’une simple conversation avec des habitants sur un marché de Bagdad nous aurait fait comprendre notre erreur. Il faut organiser une politique de recrutement qui aura, en outre, l’avantage de favoriser notre diplomatie publique vis-à-vis du monde arabo-musulman.

« Jean-Paul II, révolutionnaire conservateur »

Jean-Paul II, révolutionnaire conservateur
Le Figaro (France)

[AUTEUR] Adam Michnik, ancien dirigeant de la lutte contre le communisme en Pologne menée par le mouvement Solidarnosc, occupe le poste d’essayiste et de rédacteur en chef de la Gazeta Wyborcza.

[RESUME] Les Polonais ont été heureux, il y a 25 ans, de l’élection de Karol Wojtyla à la papauté, mais ils ne s’imaginaient pas que son règne allait autant bouleverser leur pays et le monde. Déjà, lors de son premier voyage en Pologne après son intronisation, il a réveillé le pays et a balayé la colonisation de l’après-guerre. À Auschwitz, il a appelé les Polonais à une fraternité consacrée à la lutte contre la haine et la vengeance.
Certains voient le Pape comme l’homme du renouveau religieux, d’autres comme un homme de paix, comme un défenseur des pauvres ou un critique de la théologie de la libération. Pour les Polonais, il est avant tout l’homme qui a rétabli l’identité du pays en démontrant que la force morale était suffisamment puissante pour défaire la division du monde issue de Yalta. Du fait de son combat contre le communisme, certains affirment que l’Église et le Pape sont conservateurs mais, Dieu merci, ils sont conservateurs des valeurs contre un système prônant l’athéisme officiel et le mensonge légalisé.
Avec la disparition du communisme, un nouveau problème se pose : comment exprimer les valeurs évangéliques dans un monde où le mal n’est plus incarné dans un régime, mais dans chaque âme ? Jean-Paul II garde ses distances avec les idées économiques libérales et l’État libéral taxé de permissivité et de relativisme moral. Il considère que c’est dans la résistance au totalitarisme que l’homme devient libre et préserve la civilisation. Je considère pour ma part que la vie sous un régime communiste n’a rien d’ennoblissant, mais je le rejoins sur le fait que l’effondrement du monde communiste a créé un vide dans l’âme des populations et que dans un monde où tout change, la Pape est un gardien de ce qui ne change pas.

« Shirin Ebadi »

Shirin Ebadi
Wall Street Journal (États-Unis)

[AUTEUR] Azar Nafisi est professeur à la Johns Hopkins University et a été enseignant à l’université de Téhéran. L est l’auteur de Reading Lolita in Tehran : A Memoir in Books.

[RESUME] Le retour de l’Iran dans l’actualité n’est pas dû à ses armes nucléaires, à ses connexions avec des groupes terroristes, ses interventions en Irak ou en Afghanistan, au meurtre d’une journaliste irano-canadienne, ses lapidations ou ses exécutions, mais à l’attribution du Prix Nobel de la Paix à l’avocate défenseuse des Droits de l’homme Shirin Ebadi. Ce prix permet de montrer l’Iran sous un autre jour que celui d’un pays où s’affronteraient les durs et les réformateurs.
À travers Mme Ebadi, nous nous rappelons Mohammed Jafar Pouyandeh, tué par des agents du gouvernement en 1998 le jour où paraissait sa traduction de la Déclaration universelle des Droits de l’homme, en même temps que d’autres dissidents laïcs et dirigeants nationalistes. Mme Ebadi a également été l’avocate de la famille Farouhar, raison pour laquelle elle a été emprisonnée. Cette famille nous rappelle tous les révolutionnaires islamistes qui, s’interrogeant sur les apports de la révolution, ont été condamnés par le régime et les étudiants contestataires.
Nous nous souvenons également de toutes les Iraniennes qui se sont battues contre les mesures prisent par les Ayatollahs à leur encontre et qui annulaient les lois adoptée par le régime du Shah. Mme Ebdai a combattu les lois iraniennes qui vont à l’encontre des Droits de l’homme tout en s’affirmant musulmane et démocrate. Nous avons le devoir de soutenir des personnes comme elle qui transforment leur société par l’action non-violente, car la sécurité et la liberté de ceux qui vivent en démocratie en dépend également.