Le jour où deux synagogues étaient attaquées à Istanbul, l’annexe d’une école juive était incendiée en région parisienne. Si ces deux évènements n’ont probablement aucun lien et ne sont pas comparables en termes de dégâts humains, leur coïncidence a renforcé le sentiment d’insécurité de la communauté juive de France. Elle se demande si l’antisémitisme n’est pas de retour dans le pays des Droits de l’homme, qui est aussi celui de l’affaire Dreyfus.
Les actes antisémites aujourd’hui sont surtout le fait de jeunes chômeurs musulmans en colère mais, du fait du malaise des juifs français, des comparaisons avec Vichy apparaissent malgré leur manque de pertinence. La ré-émergence de la « question juive » en France est liée à des éléments non liés entre eux, mais qui se font échos.
Les Européens voient dans le conflit israélo-palestinien la principale explication de la violence au Moyen-Orient. Israël a perdu la bataille des images dans ce conflit. Désormais, ce pays est même considéré en Europe comme le principal risque pour la paix mondiale. Ce phénomène a pris plus d’importance en France avec la crise de la représentation politique qui a vu le retour d’une extrême gauche anticapitaliste aux origines antisémites qui passe aisément de la condamnation de la globalisation à celui du « peuple global », les juifs. Un homme comme José Bové joue très bien avec cette ambiguïté afin que son message trouve un écho chez les musulmans français qui s’identifient aux Palestiniens et comparent leur difficile intégration aux succès des juifs. La population musulmane en France est dix fois supérieure à celle des juifs et elle ne cesse de croître.
La France va-t-elle trahir les juifs comme elle l’a fait durant la Seconde Guerre mondiale ? Objectivement peut-être que rien ne le laisse craindre, mais beaucoup de juifs s’inquiètent. Pour faire régresser l’antisémitisme en France, il faut faire des efforts sur les questions d’éducation mais aussi résoudre le conflit au Moyen-Orient en impliquant les Européens dans le processus de paix israélo-palestinien. Il faut également mieux intégrer les musulmans.

Source
International Herald Tribune (France)
L’International Herald Tribune est une version du New York Times adaptée au public européen. Il travaille directement en partenarait avec Haaretz (Israël), Kathimerini (Grèce), Frankfurter Allgemeine Zeitung (Allemagne), JoongAng Daily (Corée du Sud), Asahi Shimbun (Japon), The Daily Star (Liban) et El País (Espagne). En outre, via sa maison-mère, il travaille indirectement en partenarait avec Le Monde (France).

« The sources of anxiety among French Jews », par Dominique Moïsi, International Herald Tribune, 5 décembre 2003.