Il a fallu un demi-siècle à la gauche européenne pour accepter l’Europe. Quand je suis rentré au parti travailliste en 1970 et pendant la moitié de ma vie, la gauche anglaise a été hostile à l’Europe. En votant oui au référendum validant la décision du Royaume-Uni d’entrer dans la CEE en 1975, Tony Blair passait pour un original, la majorité des militants du parti ayant voté non. Le programme du parti travailliste est resté fondé sur le rejet de l’Europe jusqu’en 1983 car elle voyait l’Acte unique comme un manifeste capitaliste et Jacques Delors comme le défenseur de la rigueur budgétaire et le promoteur des multinationales européennes.
Aujourd’hui en Angleterre, c’est le Parti conservateur qui est hostile à la Constitution européenne même si la gauche de la gauche britannique se distingue par son soutien au protectionnisme. Les forces progressistes pensent quant à elles qu’il faut une Europe forte et cette pensée est essentielle à la survie de la gauche au XXième siècle. Rejeter l’Europe c’est céder au populisme et l’Union européenne est la seule région du monde où les droits des travailleurs font partie des droits constitutionnels attachés à la citoyenneté. Les négociations menées dans le cadre de la Charte ont permis de consacrer des droits essentiels : le droit à quatre semaines au moins de congés annuels, le droit à la consultation, le droit à la retraite pour les travailleurs à temps partiel, la protection des salariés lors des rachats d’entreprises et des mesures anti-discriminatoires qui ont bénéficié en particulier aux homosexuels. Ces critères mettent l’Europe à l’avant garde mondiale du droit des individus ; cela explique pourquoi M. Murdoch et les néo-libéraux s’opposent au texte du traité.
Le traité apporte une contribution essentielle au débat sur la mondialisation : les travailleurs privés de travail et les salariés privés de droits ne sont pas condamnés à être les victimes du capitalisme moderne. C’est à eux de décider quelle Europe sociale ils veulent construire, via les syndicats qui sont des organisation auxquelles Bruxelles ne cherche pas à dicter la conduite. La contribution du Royaume-Uni à l’Europe sociale est de redonner du travail aux travailleurs. Le taux horaire du salaire minimum légal passera à 7,26 euros en octobre et le temps de travail a substantiellement baissé après avoir atteint des sommets sous le précédent gouvernement de droite. Le taux de syndicalisation est en baisse dans toute l’Europe sauf en Angleterre et dans les pays nordiques. La version britannique de l’Europe sociale, si elle n’est pas parfaite, a donc soutenu la syndicalisation.
Le nouveau traité européen n’appartient ni à la gauche, ni à la droite, il ne fixe pas à l’avance les choix politiques de l’Europe ; c’est à la gauche de se fixer une feuille de route. Laissons les conservateurs, les isolationnistes, les souverainistes et les populistes dire non. La gauche devrait dire oui à l’Europe.

Source
Le Monde (France)

« La gauche devrait dire oui à l’Europe », par Denis MacShane, Le Monde, 1er septembre2004.