Les États-Unis semblent pris à leur piège rhétorique. Ils justifient après coup de leur présence en Afghanistan et en Irak par leur volonté de construire des démocraties et se trouvent donc dans l’obligation d’y organiser des élections. Ce sera le cas samedi 9 en Afghanistan, et peut-être en janvier en Irak.

Rajan Menon, du National Bureau of Asian Research, relève dans le Washington Post que la réalité du terrain irakien n’a guère de rapport avec la langue de bois des Bush et des Kerry. Les leaders états-uniens affirment tous deux qu’avec un peu plus d’hommes sur place et en internationalisant les forces, il est possible de rétablir l’ordre et d’élire des institutions représentatives. Or, c’est à l’évidence faux. La reconstruction matérielle et administrative n’a pas commencé, la majeure partie du pays est insurgée, la Coalition bombarde des villes et la résistance, loin de diminuer, s’amplifie. On ne peut à la fois espérer augmenter la présence de la Coalition et internationaliser le conflit, et on ne peut pas non plus espérer maintenir une occupation étrangère et procéder à des élections libres. En réalité, il n’y a pas d’autres solutions que le retrait ou l’enlisement.
Les deux anciens ministres des Affaires étrangères états-unien et britannique, Madeleine K. Albright et Robin Cook, ne sont pas plus tendre à propos de l’Afghanistan dans l’International Herald Tribune. Le pays est à la dérive, le gouvernement Karzaï est terré à Kaboul tandis que les seigneurs de la guerre règnent sur les provinces. Seule la moitié des électeurs pourra participer au scrutin de samedi, ce qui est beaucoup mieux que pour l’élection précédente, mais n’offre toujours pas de légitimité suffisante. Si des progrès notables ont été réalisés en matière de scolarisation, principalement grâce à l’UNICEF, l’économie est désormais presque exclusivement tournée vers la production de drogues. Bref, on est loin des déclarations lyriques d’il y a trois ans.
Précisément, à propos de l’économie des drogues, le ministre français de la Défense, Michèle Alliot-Marie, enfonce le clou dans le Washington Post. Elle fait remarquer que la production d’opium atteint désormais 3600 tonnes par an et emploie 1,7 million de personnes. Étrange dans un pays contrôlé par 20 000 GI’s et 10 000 hommes de l’OTAN. Ce que le ministre a la courtoisie de ne pas dire explicitement, c’est qu’une telle économie ne peut se développer sans la protection des GI’s et que seuls des avions militaires peuvent exporter cet opium. La France en connaît un rayon sur ce sujet, elle dont l’armée avait jadis organisé un trafic semblable en Indochine pour faire vivre ses alliés locaux, mais elle ne peut admettre pour autant qu’aujourd’hui cette marchandise vienne poser un problème de santé publique dans sa population.

L’OTAN, qui s’est déployée en Afghanistan et se contente en Irak de former des policiers, sert-elle encore à quelque chose dans les conflits actuels ? C’est la question que feint de débattre l’International Herald Tribune en donnant la parole à deux experts opposés : le journaliste Frederick Bonnart, favorable à une réforme de l’organisation, et l’ambassadeur des États-Unis à l’OTAN, R. Nicholas Burns pour qui tout va bien. En réalité, M. Bonnart, présenté comme journaliste par l’International Herald Tribune, est un colonel des services de communication de l’OTAN, dirigeant une publication semi-officielle Nato’s nations. Ses pseudo-critiques visent à valider l’Alliance en la reliftant. Plus que le contenu de leurs tribunes, c’est ce procédé pitoyable qui illustre l’illégitimité de l’OTAN. Cette organisation, qui a survécu à la disparition de son objectif, ne sert plus aujourd’hui qu’à normaliser les armées alliées pour permettre au Pentagone d’y réquisitionner des supplétifs autant que de besoin pour constituer des prétendues « coalitions de volontaires ». Subsidiairement, l’OTAN permet de maintenir des réseaux d’influence et d’ingérence qui ne protègent ses membres d’aucun danger et les maintient en situation de vassalité par rapport aux États-Unis.