Le 7 octobre, la Commission européenne a recommandé que des négociations s’ouvrent sur l’adhésion turque à l’Union européenne. L’Europe débat de cette entrée et son changement de définition si elle acceptait en son sein une nation musulmane. Toutefois, la décision doit aussi prendre en compte le fait qu’une adhésion de la Turquie pourrait entraîner une brouille euro-atlantique.
L’entrée de la Turquie va dépendre de la façon dont l’Europe résout le dilemme opposant deux tendance opposées : le besoin d’une population jeune afin de conserver les systèmes de prestations sociales et de retraite et le contrecoup de cette immigration quand les immigrés sont musulmans. D’un côté, on peut noter une croissance du sentiment anti-musulman en Europe se matérialisant par le développement du vote pour l’extrême droite et l’adoption de législation comme l’interdiction du port du foulard islamique dans les écoles en France ; de l’autre côté, on a une crise démographique qui va réduire la part de la population active en Europe alors que celle-ci est frontalière de pays ayant une population très jeune. Pour maintenir les systèmes de protection sociale, il faudrait l’arrivée d’un million d’immigrés par an, mais il y aurait alors 50 millions d’immigrés en 2050, alors que l’Europe ne parvient déjà pas à assimiler les 13 à 15 millions se trouvant actuellement sur son sol. L’Europe a le choix entre renoncer à un système social généreux ou intégrer davantage la population musulmane.
C’est dans ce débat qu’intervient la possibilité d’une adhésion turque à l’Union européenne, une adhésion qui apporterait des dizaines de millions de jeunes musulmans. Pour les Européens, l’intégration de la Turquie et de sa puissante armée offrira une chance de constituer une véritable armée européenne et l’OTAN sera moins nécessaire. En outre, Ankara s’éloignera de Washington et de Tel-Aviv pour se rapprocher de Berlin et Paris. Dans ces conditions, il n’y a aucun sens à ce que les États-Unis soutiennent l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, sauf si le soutien de Washington est le meilleur moyen de garder la Turquie hors de l’Europe.

Source
International Herald Tribune (France)
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« Would Turkey split the EU and the U.S. ? », par Ian Bremmer, International Herald Tribune, 22 octobre 2004.