Le Premier ministre turc, Recept Tayyip Erdogan, défend la candidature de son pays à l’Union européenne dans un entretien accordé au Monde. Il s’étonne du débat que cela suscite en France et fait remarquer que son pays remplit déjà les critères de Copenhague et bien d’autres encore que des États nouvellement adhérents ne remplissent toujours pas.

Expert à l’IFI et membre de la Commission trilatérale, Dominique Moïsi égrène dans l’International Herald Tribune toutes les bonnes et mauvaises raisons que les Français peuvent avoir pour rejeter la Turquie. En définitive, il croit déceler derrière cette attitude une hantise du complot anglo-saxon dont la Turquie serait le cheval de Troie en Europe.
L’ancien président du Conseil constitutionnel français, Robert Badinter lui donne raison dans Le Monde. Il affirme en effet que Jacques Chirac avait raison de dénoncer l’ingérence de George W. Bush sommant l’Union européenne de recevoir la Turquie en son sein, mais qu’il aurait dû en tirer une conclusion : refuser un État disposant d’un tel parrainage.
À vrai dire tout cela ressort du procès d’intention et l’on peut observer que le même argument, pour ou contre l’atlantisme, conduit certains à dire « oui » et d’autres à dire « non », sans argument précis, en posant un lien de causalité comme un acte de foi. Dans l’International Herald Tribune, Ian Bremer du World Policy Institute pose donc la question : pourquoi Washington pousse-t-il à l’entrée de la Turquie dans l’Union ? Pas plus que nous il ne trouve de réponse rationnelle. Cette politique semble l’héritage de conceptions anciennes incapables de s’adapter aux évolutions du moment. Dans les dernières années, l’OTAN pouvait compter sur le régime militaire turc, puis sur les mêmes militaires dans l’ombre d’un pouvoir civil faible. À cette époque, la Turquie était l’alliée d’Israël face au monde arabe. Mais tout a changé depuis deux ans. Les Etats-Unis ont envahi l’Irak et y ont installé 200 000 hommes. Le peuple turc s’est opposé à cette barbarie et dans un acte démocratique qui peut servir d’exemple à l’Occident, le Parlement turc a interdit aux États-Unis d’utiliser les bases de l’OTAN sur son territoire pour commettre son crime. Le Pentagone a été contraint de modifier son plan d’attaque et de retarder l’invasion de trois semaines. L’état-major a respecté la décision du pouvoir civil. Puis, les Etats-Unis ont donné une autonomie complète au Kurdistan irakien et le guident vers l’indépendance, mettant en péril l’intégrité de la Turquie, de la Syrie et de l’Iran. L’état-major turc a alors apporté son soutien au pouvoir civil. Ankara s’est rapproché de Téhéran et de Damas. La Turquie souhaite entrer dans l’Union et participer à la formation d’une armée européenne pour mieux se séparer de Washington et de Tel-Aviv. Ceux qui, au département d’État, pensent pouvoir manipuler la Turquie demain comme ils le firent jadis se trompent : ils ne pourront y parvenir tant qu’ils occuperont l’Irak.

Luc Ferry, décidément meilleur penseur que ministre, relève dans Le Monde à quel point ce débat est biaisé. Si l’on veut bien faire abstraction de cette fausse polémique sur le cheval de Troie atlantiste, on voudra bien convenir que le vrai point d’achoppement est ailleurs. Dans la nature de l’Union européenne. Doit-on la fonder sur une identité culturelle et historique, ou souhaite-t-on la construire sur l’idéal anti-communautariste des droits de l’homme ?

Le professeur Michael Quinlan tire, dans le Guardian, des conclusions fortes et inattendues des rapports Hutton et Butler. Il observe que, pour des raisons politiciennes particulières, Tony Blair a été conduit à constituer une forme de gouvernement centralisé qui passe au-dessus des résistances bureaucratiques comme du Parlement. Insensiblement le Royaume-Uni, qui s’affranchit de la dictature de Cromwell, est retombé dans la même ornière : une sorte de dictature élective.

Joseph S. Nye, ancien doyen de l’École de gouvernement d’Harvard, croit pouvoir affirmer dans le Taipei Times que la mondialisation n’est pas un facteur d’américanisation du monde. Bien sûr, il y a un attrait de l’american way of life qui pousse les gens à porter les mêmes marques de vêtement partout dans le monde, mais la diversité subsite, sous-jacente. L’évolution des techniques n’implique pas l’américanisation d’autant que, dans le futur, les techniques modernes ne seront plus l’apanage des seuls Américains. Certes, mais tout cela repose sur une confusion de vocabulaire : la globalisation, ce n’est pas la conséquence des nouvelles technologies de la communication, mais une idéologie qui permet à un pouvoir économique transnational, appuyé par le pouvoir militaire US, de dominer le monde. Il n’y a aucune raison pour que l’Internet suscite de l’antiaméricanisme, mais il y en a beaucoup pour que la destruction des États-nations et des démocraties qui s’y épanouissaient provoque un fort ressentiment contre le pouvoir coercitif du Pentagone.
Hors de toute réflexion rationnelle, André Glucksman poursuit ses chimères dans Le Figaro : puisque l’URSS était un monstre, les États-Unis sont un modèle et ceux qui le critiquent sont des antisémites. Pour justifier de ses slogans, le polémiste assure que les Français tentent de se rassurer en se persuadant que les États-Unis victimes sont des bourreaux. Sans entrer dans une telle confusion, on observera seulement qu’en fait de victimes, il y a beaucoup de gens moins bien lotis que les États-uniens. C’est là une remarque, paraît-il indécente, que nous formulions déjà lorsque on nous imposa trois minutes de silence planétaire au lendemain d’attentats à New York et Washington.