Depuis Tocqueville, l’Europe cherche en vain à déchiffrer l’énigme américaine et cette interrogation est relancée par l’approche des élections présidntielles.
Pendant la Guerre froide, les États-Unis ont défendu l’Europe contre l’URSS en stationnant des troupes et du matériel militaire sur le sol européen et en permettant la construction du modèle social européen via le plan Marshall et le transfert d’une partie de leur richesse. Mais l’Europe craint les États-Unis et les cadeaux qu’ils apportent. La gauche est traditionnellement anti-américaine, cette tradition est bien ancrée des deux côtés de la Manche. Un sondage effectué en 1986 montra par exemple que, pour les deux tiers des Britanniques, les États-Unis constituaient une menace plus sérieuse que l’Union soviétique. L’Europe traitait Lyndon Johnson comme un Texan idiot et traitait Nixon avec condescendance. L’ « Empire du mal » de Ronald Reagan déchaîna un nouveau torrent de haine, Mitterrand fit exception. Les États-Unis durent également intervenir au Moyen-Orient devant l’incapacité des pays arabes et européens à faire face à l’invasion du Koweït. De même, quand Milosevic et Tudjman déclenchèrent les guerres de Yougoslavie, l’Europe ne put stopper la tuerie. Plus tard, elle dut se tourner vers les États-Unis et ses missiles pour dissuader Milosevic de poursuivre ses crimes au Kosovo. Si Bill Clinton parlait comme un Européen, il agissait comme un Américain. C’est sous sa présidence que les États-Unis refusèrent de signer le traité de Kyoto et de ratifier les statuts de la Cour pénale internationale et qu’Hubert Védrine lança sa théorie de l’hyperpuissance américaine, largement reprise aujourd’hui par les détracteurs de George W. Bush.
Aujourd’hui, l’Europe s’interroge sur les succès économique des États-Unis car elle n’a pas encore trouvé la réponse aux défis posés par la révolution politique, économique et sociale de l’après-1989. Les cerveaux européens sont nombreux à aller aux États-Unis et grâce à l’immigration, ils sont riches d’une population plus jeune. Les États-Unis importent massivement nos produits. Pourtant, année après année, le taux de croissance européen est moindre qu’aux États-Unis et le taux de chômage plus élevé. Au lieu de tirer les leçons de ce retard pour proposer des réformes, les Européens ne savent que se plaindre des États-Unis.
Puis vint le 11-Septembre. Les dirigeants européens accoururent à New York pour assurer les États-Unis de leur indéfectible solidarité. Nous étions tous Américains, pour reprendre la magnifique « une » du Monde. Mais quand les États-Unis décidèrent d’aller au combat contre le pays qu’ils considéraient comme l’un des maillons du réseau terroriste, la plupart des intellectuels rejetèrent l’analyse de Washington et son appel aux armes. Beaucoup espèrent une défaite de Bush, mais quels que soient les résultats, la politique des États-Unis ne changera pas, ils resteront déterminés à combattre le terrorisme et je les soutiendrai dans la lutte contre ce que Joschka Fischer appelle « le nouveau totalitarisme ». Plutôt que de nous focaliser sur les États-Unis, préoccupons nous de renforcer l’Europe. Comme le répète souvent Tony Blair, c’est en faisant de l’Europe une superpuissance et non un super-État que nous serons le mieux à même de défendre les valeurs que nous partageons avec les États-Unis

Source
Le Monde (France)

« Laissons les obsessions au vestiaire », par Denis MacShane, Le Monde, 29 octobre 2004.