Pour les dirigeants américains, la capacité de Yasser Arafat à exercer un pouvoir après plusieurs décennies et des défaites en série était déconcertant et la source de bien des erreurs de jugement. Contrairement à ce qu’on croit, les Palestiniens connaissaient ses erreurs, ils en subissaient les conséquences plus durement que tous autres. Mais, à leurs yeux, Arafat incarnait la nation, une nation dispersée et sans État. Il leur donnait une dignité et un nom. Il leur avait donné un espace sur une carte, les avait fait échapper aux manipulations arabes. Pour cela, les Palestiniens étaient prêts à tout lui pardonner. Bien qu’Arafat soit en train de mourir en France, son portrait était toujours posé sur une chaise vide à la dernière réunion du Fatah.
Autre sujet d’étonnement aux Etats-Unis : l’autorité d’Arafat ne reposait pas sur la force ou sur des attaques contre ses rivaux. En fait, il était le produit de la direction palestinienne, plus que son créateur. Il était le fruit d’un consensus. Cela lui donnait une marge de manœuvre considérable pour maintenir sa position personnelle et atteindre les objectifs palestiniens, deux objectifs qu’il a rarement distingués. Il n’a jamais eu de grande stratégie, seulement des intuitions et des vues politiques à court terme. C’est de là que vient son rapport ambigu à la violence. Il croyait à une solution pacifique des deux États, mais il pensait que la violence était nécessaire pour atteindre cet objectif et il ne comprenait pas les dommages à long terme que pouvait causer son emploi. Ces traits de caractère empêchèrent des résultats car trop souvent il considérait les actions israéliennes et états-uniennes comme des manœuvres pour l’affaiblir et diviser la cause palestinienne.
Sa disparition va laisser un vide et les différents groupes vont s’affronter. Il sera difficile au niveau des dirigeants de maintenir une unité suffisante.

Source
Washington Post (États-Unis)
Quotidien états-unien de référence, racheté en août 2013 par Jeff Bezos, fondateur d’Amazon.

« The Arafat Enigma », par Robert Malley, Washington Post, 7 novembre 2004.