L’association Move America Forward a été créée le 21 mai 2004 dans le contexte de la Convention démocrate et de la diffusion du film de Michael Moore, Farenheit 9/11. Disposant immédiatement de moyens importants, elle a mobilisé les républicains pour qu’ils fassent pression sur les exploitants de salles de cinéma afin qu’ils retirent le film de l’affiche. Simultanément, l’association a organisé une campagne de soutien aux troupes combattantes en Irak, publiant des lettres de GI’s et organisant des collectes de colis pour les troupes.

Move America Forward (que l’on pourrait traduire par « Faire avancer l’Amérique » ou « En avant l’Amérique ») est présidé par le très médiatique avocat californien Howard Kaloogian.

Depuis quelques jours, l’association finance la diffusion d’un spot publicitaire sur les télévisions US dont nous reproduisons ci-dessous le script intégral :

«  Les États-Unis dirigent une coalition de 30 nations qui ont apporté la liberté à un peuple irakien ayant longtemps souffert, et ils éradiquent la menace terroriste.
«  Mais une organisation se pose en obstacle à ce progrès : les Nations-Unies.
«  L’ONU est devenue un apologue et un défenseur des organisations terroristes ainsi que de leurs agents.
«  Une enquête sur le scandale « Pétrole contre nourriture » de l’ONU révèle que des milliards de dollars destinés à l’aide humanitaire ont, au lieu de cela, ...
«  ... été utilisés pour payer les familles de terroristes palestiniens, ainsi que pour acheter des armes aux terroristes basés en Irak.
«  Des millions supplémentaires ont servi à corrompre des journalistes et responsables politiques dans les pays s’opposant à l’Opération Liberté en Irak tels que la France, l’Allemagne et la Russie, les plus ardents critiques de la guerre. Quelle coïncidence !
«  Il est temps de lancer un message à l’ONU : dorénavant nous ne tolèrerons plus votre conduite.
«  Nous demandons à d’autres pays de ne pas abriter d’organisations qui soutiennent les terroristes, alors pourquoi abritons-nous les Nations-Unies, ici en Amérique ?
«  Rejoignez-nous pour aider à faire avancer l’Amérique en boutant l’ONU hors des États-Unis !  » ( [1])

En réalité Move America Forward n’est que le paravent d’un cabinet de communication, Russo Marsh & Rogers (dit aussi King Media Group), travaillant pour le compte du Parti républicain. Le président de l’association, Me Howard Kaloogian, s’était distingué, en 2003, en organisant avec succès une campagne de téléspectateurs pour contraindre le groupe CBS à renoncer à diffuser un feuilleton peu flatteur consacré aux Reagan. Surtout, il avait organisé, avec le cabinet Russo Marsh & Rogers, la campagne de dénigrement du gouverneur Davis de Californie. Il réactiva la vieille loi du « Recall », tombée en désuétude, et parvint à faire révoquer son adversaire. Alors que les commentateurs s’attendaient à le voir se porter candidat à la fonction ainsi libérée, Me Kaloogian se désista au dernier moment de la course au profit d’un inconnu en politique, l’acteur Arnold Schwartzenerger. Cette surprise, qui prit de court le Parti démocrate, était orchestrée depuis la Maison-Blanche par le conseiller politique du président Bush, Karl Rove. Elle se solda, comme chacun sait, par l’élection d’un gouverneur républicain.

Il ne fait donc guère de doute que la très riche association Move America Forward est une émanation au moins du Parti républicain, sinon directement de la Maison-Blanche. La campagne contre les Nations unies ne doit pas être considérée comme un phénomène marginal, mais bien comme un message politique accompagnant la préparation du second mandat de George W. Bush. Elle se situe dans la continuité d’un fort courant idéologique qui dénonce le droit international comme une limitation intolérable de la souveraineté des États-Unis et prône la construction d’un Empire dans une vaste zone d’influence à l’écart du reste du monde. Il oppose la « destinée manifeste de l’Amérique », sa mission pour apporter la liberté au monde, au droit international élaboré collectivement par les États.

Le spot publicitaire ci-dessus est un exemple quasi-parfait de propagande politique. Il s’adresse aux citoyens états-uniens et n’est pas fait pour circuler à l’étranger. En quelques phrases ramassées, il transforme des présupposés plus ou moins implicites en évidences. Au finale, il débouche sur une mobilisation des téléspectateurs dans un élan purificateur caractéristique des régimes autoritaires.

Au début du spot, la voix off indique que les États-Unis et les coalisés ont apporté la liberté au peuple irakien qui a longtemps souffert. Cette présentation élude la responsabilité de Washington dans l’accession au pouvoir de Saddam Hussein, dans la guerre qu’il lança contre la révolution iranienne, dans l’invasion du Koweït et la première guerre du Golfe, dans la répression des mouvements kurdes et chiites, dans les années d’embargo et dans le seconde guerre du Golfe. Elle présente la colonisation du pays comme la libération de sa population. La voix conclut que les États-Unis éradiquent la menace terroriste, induisant une relation de causalité entre Irak et terrorisme. Move America Forward a diffusé par ailleurs de faux documents tendant à prouver que Saddam Hussein était lié à Al Qaeda et aux attentats du 11 septembre.

Dans la phrase suivante, la voix met en cause la reconnaissance par l’ONU d’une délégation de l’OLP représentant le peuple palestinien sans État. Elle pose comme axiome que l’OLP est une organisation terroriste, que les Palestiniens sont ses agents et que, par voie de conséquence, l’ONU soutient le terrorisme.

Puis, la voix dénonce l’usage des fonds du programme « pétrole contre nourriture » pour payer des familles de terroristes et acheter des armes aux terroristes. Elle se fonde sur « une » enquête, non précisée, alors que l’enquête officielle, présidée par l’États-Unien Volcker, est en cours. L’expression « payer des familles de terroristes » fait référence à l’aide au relogement offert par l’Irak aux familles palestiniennes dont les habitations ont été détruites par l’armée israélienne. Certaines de ces familles ayant été victimes de punitions collectives infligées par Tsahal parce qu’un de leurs enfants était impliqué dans une action anti-israélienne.

La voix reprend alors à son compte les imputations d’un journal irakien contrôlé par la Coalition selon lesquelles des responsables français, allemands et russes, auraient été corrompus par le régime de Saddam Hussein pour entraver l’action des États-Unis contre lui [2]. D’où il ressort que l’invasion de l’Irak était juste et ses opposants de mauvaise foi, l’ONU et le droit international n’étant que des subterfuges pour faire obstacle au Bien. Et de conclure qu’il faut « bouter l’ONU hors des États-Unis ».

[1Texte original en Anglais (U.S.A.) :
The United States is leading a coalition of 30 nations who have brought freedom to the long suffering people of Iraq, and are eradicating the terrorist threat. But one organizations stands in the way of this progress : the United Nations. The U.N. has become an apologist and defender of terrorist organizations and their agents. An investigation into the U.N. Oil for Food scandal reveals that billions of dollars intended for humanitarian aid instead went to pay the families of palestinian terrorists, and to buy weapons for Iraq-based terrorists. Millions more went to bribe journalists and officials in countries opposing Operation Iraqi Freedom, like France, Germany and Russia, the most vocal critics of the war. What a coincidence ! It’s time we sent a message to the U.N. : we’re not going to tolerate your conduct anymore. We tell other countries not to harbor organizations that support terrorists, why then do we harbor the U.N. here in America ? Join us, as we help move America forward by kicking the U.N. out of the U.S !

[2« L’intox des barils irakiens », Voltaire, 20 janvier 2004.