C’est avec lyrisme que Yuliya Tymoshenko chante dans Le Figaro la détermination du peuple ukrainien pour s’affranchir de la tutelle de Moscou alors que les chars de l’armée rouge encerclent Kiev. On en pleurerait. Cependant, l’entrée des forces spéciales russes est démentie par les autorités ukrainiennes et russes et n’est pas confirmée par les envoyés spéciaux de la presse occidentale. Quant à la crédibilité de Mme Tymoshenko, il convient de se souvenir qu’elle est devenue la personne la plus riche du pays en s’appropriant les réserves gazières nationales dans l’ombre d’Eltsine et de ses conseillers états-uniens et israéliens. La foule qui l’acclame aujourd’hui, lorsqu’elle paraît au bras de Yushchenko sur la scène de la place de l’Indépendance, la conspuait il y a quelques jours encore, tant elle incarnait les oligarques haïs.

Pour vendre la « révolution » la plus riche du monde à l’opinion publique internationale, les Atlantistes ont convoqués les heureux bénéficiaires de la révolution des roses. Salomé Zourabichvili, ministre des Affaires étrangères de Géorgie, assure dans Le Monde que l’Histoire est en marche à Kiev comme à Tbilissi et qu’il ne faut plus analyser ces événements en termes d’affrontement Est/Ouest. Elle incarne malheureusement l’inverse : ancienne représentante française à l’OTAN, elle est devenue la représentante de l’OTAN en Géorgie. Et s’il ne reste plus qu’une fonction à l’Alliance atlantique, c’est bien de tenir la Russie hors de l’Union européenne.
Mikhail Saakashvili, le fringant nouveau président de Géorgie, souhaite le bonheur dont jouit désormais son pays à ses camarades ukrainiens. Dans l’International Herald Tribune, il célèbre la prospérité retrouvée grâce aux leçons libérales de Milton Friedman et l’intégration accélérée de son pays dans l’OTAN. C’est beau comme une happy end hollywoodienne. Cependant, la population géorgienne qui l’acclamait l’an dernier, croyant résoudre ses problèmes en chassant le vieux renard Chevardnadze, s’est déjà réveillée avec la gueule de bois. Quand aux 96,24 % de majorité obtenus au référendum, il n’ont pas donné l’impression que la Géorgie entrait dans l’ère de la liberté, mais plutôt qu’elle retournait aux pratiques soviétiques, la politique sociale en moins.

L’ambassadeur Anders Aslund exulte dans le Moscow Times : l’Ukraine, qui dispose d’une indépendance formelle depuis 1991, s’est enfin vraiment affranchie de la Russie. La victoire est assurée comme le montre le spectaculaire retournement de veste de l’ancien ministre de la Défense, le très opportuniste Martchouk. Quand aux résultats dans les régions orientales, ils sont imputables aux trucages du pouvoir contre lequel la population locale ne tardera pas à se soulever aussi. Ainsi, pour M. Aslund, les 96 % obtenus par Yanukovych dans sa ville natale sont la preuve du trucage, tandis que les 90 % obtenus par Yushchenko dans trois provinces occidentales attestent du raz-de-marée révolutionnaire. La vérité est évidemment bien différente : les agitateurs de la NED/CIA ont habilement manipulé les rancœurs de la population ukrainophone, mais se heurtent à la résistance de la population russophone. Ils ont radicalisé les clivages pour pouvoir mobiliser des foules et jouer la rue contre le peuple.

Daniel Pipes constate dans le New York Sun que, malgré les déclarations officielles, il sera impossible d’organiser des élections générales en Irak fin janvier. Cela est sans importance, dans la mesure où les Irakiens n’ont pas besoin de démocratie, mais de stabilité.
Walid Phares du cabinet de relations publiques Benador se félicite dans le Washington Times du bon travail fait à Falloudja. Pour lui, la question des élections est bien secondaire par rapport à l’éradication des « terroristes ».
Les propagandistes pro-israéliens s’accordent donc sur la conclusion et se partagent les arguments.
De son côté, Raad Alkadiri, ancien conseiller des représentants britanniques en Irak, met en garde dans le Daily Star contre des élections précipitées. Le but de la consultation est de garantir une légitimité au prochain gouvernement. Pour la Coalition, qui pense l’Irak comme les États-Unis, peu importe que les sunnites votent pourvus qu’ils soient représentés au gouvernement. Mais pour les Irakiens, qui espèrent une vraie démocratie et non une oligarchie élective, cette proposition est inacceptable. Il vaut donc mieux reporter à plus tard un scrutin qui ne servira à rien.
Tentant de préserver les apparences, Robert Malley et Joost Hiltermann de l’International Crisis Group proposent dans le New York Times de couper la poire en deux : la Coalition pourrait repousser les élections générales, mais organiser des élections régionales, là où c’est possible. Mais une telle solution reviendrait à accélérer la partition du pays.
En réalité, le problème n’a rien à voir avec la situation actuelle de guérilla, qui en est une conséquence et non la cause. Il était connu et posé bien avant l’invasion de l’Irak : en cas d’élections générales, la majorité reviendra à des partis chiites dont les Anglo-saxons ne veulent pas. Vu de Washington, c’est en effet un problème fondamental de la démocratie : le peuple n’en fait qu’à sa tête.