Après avoir dans un premier temps minimisé l’impact du second discours inaugural de George W. Bush, la presse conformiste se trouve obligée d’en admettre le caractère fondateur. Difficile en effet d’ignorer les gloussements de satisfaction des faucons face à ce passage de la « guerre au terrorisme » à la « guerre à la tyrannie ».
Dans une chronique publiée simultanément par Gulf News, Dar Al Hayat et le Daily Star de Beyrouth, Patrick Seale analyse ce glissement idéologique. Il l’attribue à Paul Wolfowitz qui a réussi à faire admettre à l’opinion publique l’amalagame entre dictature et terrorisme. Dès lors, combattre le terrorisme, c’est s’attaquer aux dictatures, tout au moins à celles qui s’opposent à l’administration Bush ; une rhétorique qui pourrait conduire à de prochaines attaques contre la Syrie, et par conséquent contre le Liban.
Pour l’ancien candidat conservateur à la présidentielle états-unienne, Patrick J. Buchanan, s’exprimant sur le site Antiwar.Com, avec cette théorie, les États-Unis nient la souveraineté nationale des autres nations. Cela ne peut entraîner que du ressentiment à leur égard et donc provoquer d’autres catastrophes à l’avenir. Il note par ailleurs que cette doctrine condamne le pays à être perpétuellement en guerre. Surtout, en organisant des changements de régime au niveau mondial, c’est aussi le régime états-unien qui change car un pays en guerre ne peut plus être une République. En effet, les régimes totalitaires du XXème siècle n’ont jamais fait qu’appliquer en temps de paix les règles qui prévalaient en temps de guerre, instaurer un état de guerre permanent est donc le moyen le plus sûr pour construire un nouveau totalitarisme à Washington.
Walter Russel Mead se réjouit dans le Los Angeles Times de l’arrivée de cette « guerre à la tyrannie » et tente de démontrer à son tour le lien mécanique qui existerait entre terrorisme et dictature à grand coup d’approximations historiques et de torsions des statistiques. Il appelle donc les États-Unis à poursuivre leur politique de « démocratisation ».
De son côté, le milliardaire George Soros se trouve dans une position ambiguë. En effet, le discours de George W. Bush rapproche le président états-unien des positions que l’auteur soutenait quand elles étaient formulées par Madeleine Albright, mais il ne partage toujours pas les choix tactiques de l’administration Bush. Dans le Taipei Times et le Jordan Times, M. Soros tente donc de justifier sa position à un lectorat qui l’a peut-être vu trop vite comme un opposant à l’impérialisme états-unien. Il accuse donc le président Bush de ne pas croire à son nouveau programme et de s’exprimer avec duplicité. Et quand bien même il serait sincère et y croirait, il n’a plus assez de légitimité internationale pour l’appliquer. Bref, M. Soros nous prie de croire que la chanson est belle, mais qu’il faut changer de chanteur. Pour notre part, nous pensons plutôt que c’est le programme qui est dangereux quelque soit la personne qui l’applique.
Originellement, la démcoratisation forcée, version Albright, s’accopagnait d’un refonte des institutions internationales autour d’un « caucus des démocraties ». Sylvain Charat, conseiller d’Alain Madelin, relance cette proposition dans le Washington Times. Il appelle à la destruction de l’ONU et à la mise en place d’une organisation internationale dirigée par les États-Unis qui servirait d’outil de pression contre tous les pays résistant à Washington.

Cependant, les opinions publiques restent rétives. Aussi, les « messagers de l’Amérique » s’emploient à dénoncer l’attitude jugée trop complaisante des Européens vis-à-vis de cibles désignées.
Ainsi, dans Le Figaro, Vaclav Havel dénonce l’attitude de l’Union européenne vis-à-vis de Cuba depuis le changement de gouvernement en Espagne. Il enjoint les nouveaux membres de l’Union à ne pas suivre la « vieille Europe » et à rester sur la ligne atlantiste.
De son côté, André Glucksmann, proche de la Freedom House de James Woolsey, s’en prend une fois de plus dans Le Monde à Vladimir Poutine et vante la « révolution » orange. Selon lui, les évènements en Ukraine démontrent la faiblesse de la Russie poutinienne et l’Union européenne n’aurait rien à gagner à s’en rapprocher.

L’Ukraine semble devoir être la base arrière de la prochaine offensive contre la Russie, de la prochaine « révolution de velours » programmée à Moscou pour 2008. L’oligarque Boris Berezovski annonce en effet, dans le quotidien russe Gazeta. son intention de quitter sa retraite londonienne pour s’installer à Kiev. Il en profite pour dénoncer la justice russe qui le poursuit, lui et le Premier ministre ukrainienne Yuliya Tymoshenko. À noter que le quotidien présente explicitement M. Berezovski comme un futur candidat à l’élection présidentielle de 2008.

Face à l’intensification des efforts d’encerclement de la Fédération de Russie, les alliés de Moscou s’inquiètent et dénoncent les manœuvres orchestrées par Washington.
Dans Novyie Izvestia, Pavel Borodine stigmatise le caractère artificiel de la « révolution » orange et affirme que la plupart des manifestants sur lesquels la presse occidentale s’est extasiée étaient des chômeurs payés pour tenir le pavé. En opposition à la politique annoncée par Viktor Yushchenko, il recommande un rapprochement entre le Bélarus et la Fédération de Russie qui pourrait aller jusqu’à une réunification.
Le président du Kirghizistan, Askar Akaïev, analyse pour sa part dans une interview à Nezavissimaïa Gazeta le risque que représente une tentative de « révolution de velours » en Asie centrale et prévient qu’une guerre civile est possible. Il note également que contrairement à ce que laisse penser Washington, les révolutions colorées n’ont pas lieu dans les régimes dictatoriaux les plus durs, mais là où existe une presse libre qui peut être manipulée. Les pays les plus autoritaires (Turkmenistan et Ouzbekistan) ne sont pas menacés, mais ceux qui suivent le FMI sont sous pression. Ce texte est publié alors qu’un axe Russie-Kazakhstan-Kirghizistan est en train de se former pour résister aux changements de régime programmés contre eux.