Mohammed ElBaradei s’apprête à briguer un troisième mandat à la tête de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) malgré l’opposition de l’administration Bush. Dans une interview au Washington Post, il expose sa position et le travail de son agence en Iran et sur les autres questions nucléaires. Pour lui, et contrairement aux affirmations de Washington, les discussions avec l’Iran et le système d’inspection fonctionnent et permettent d’envisager de bons résultats grâce au dialogue avec les Européens. Au contraire, il condamne la volonté des États-Unis de construire des « mini-bombes nucléaires » anti-bunker. En effet, les États qui cherchent à acquérir des armes nucléaires le font avant tout quand ils se sentent menacé, et la relance de la recherche dans le domaine de l’armement nucléaire n’est pas de nature à les rassurer.
Ces arguments ne trouveront sans doute pas plus d’écho à Washington que les déclarations d’Hans Blix avant la Guerre contre l’Irak. Les États-Unis ne comptent en effet plus se plier aux avis ou aux exigences des institutions internationales. L’administration Bush entend s’affranchir totalement des règles internationales dans l’application de sa politique étrangère.
Cette logique s’applique à la Convention de Genève, désormais totalement ignorée. John C. Yoo et Robert J. Delahunty, les deux auteurs du mémo de 2002 du département de la Justice qui recommandait de ne pas appliquer cette Convention aux prisonniers afghans, profitent du prochain passage du juge Gonzales devant le Sénat pour rappeler leurs arguments dans le Los Angeles Times. Al Qaïda n’est pas un État, donc ses membres ne peuvent bénéficier du statut de prisonniers de guerre et les talibans ne le peuvent pas plus car ils n’ont pas respecté les lois de la guerre. Les auteurs profitent de ce rappel argumentatif pour développer le concept de « pseudo-État ». Il s’agit là d’États qui ne seraient fondés que sur des liens personnels, claniques ou tribaux et pour lesquels la Convention de Genève ne s’appliquerait pas non plus. Cet artifice juridique ad hoc leur permet d’affirmer que la Convention de Genève ne doit pas non plus être appliquée en Irak. En développant des concepts comme les « États voyous » (rogue States), les « États échoués » (failed States) et maintenant les « pseudo-États » (pseudo-States), les États-Unis développent leurs arguments permettant de justifier la négation de la souveraineté nationale de leurs adversaires.

Les ex-Républiques soviétiques sont le cadre d’un affrontement entre Moscou et Washington. Dans ce « grand jeu », Washington utilise l’arme des « révolutions » colorées pour renverser les gouvernements favorables à Moscou lors de coup d’État post-modernes et la fédération de Russie s’appuie sur les régions russophones de ses voisins pour briser l’encerclement qui la menace.
L’Ukraine est une pièce centrale dans cette partie et doit servir de tremplin à une future déstabilisation de la fédération de Russie programmée pour 2008. Encore faut-il pour cela que la population russe ne s’inquiète pas de l’ingérence de Washington dans ses affaires intérieures. Ira Straus, fondateur du Committee on Eastern Europe and Russia in NATO, une « ONG » de l’OTAN, se veut rassurant dans le Moscow Times : si l’Occident a soutenu Yushchenko lors de la « révolution » orange ce n’est pas contre la Russie mais pour la démocratie. Les médias occidentaux qui ont présenté la Russie comme l’ennemi à abattre dans cette élection ont pêché par sensationnalisme et cela ne reflète pas la pensée des gouvernements occidentaux. Au contraire, pour l’expert de la Russie Jacques Sapir, dans Nezavissimaïa Gazeta, la faute des médias occidentaux n’est pas d’avoir présenté l’élection en Ukraine comme un retour à l’affrontement Est-Ouest mais de vendre l’image d’une Russie en voie de re-soviétisation depuis que le Kremlin a mis fin au pillage du pays par les milieux financiers. Contre cette vision biaisée, la reconquête de l’opinion publique internationale par la Russie est donc essentielle.

La « conquête » de l’Ukraine par le pôle atlantiste fait partie d’une vaste manœuvre de « containment » de la fédération de Russie et cette campagne passe par une reprise en main des régions sécessionnistes pro-russes dans les États créés par l’éclatement de l’URSS.
Dans un entretien au quotidien russe Moskovski Komsomolets, le président de la République moldave de Transnistrie (non-reconnue internationalement), Igor Smirnov, dénonce l’attitude de la Moldavie et de son président Vladimir Voronine qu’il accuse de vouloir attiser les tensions entre la Transnistrie et son pays pour repousser les élections et s’adjuger les pleins pouvoirs.
La Transnistrie est une région que le gouvernement moldave ne contrôle pas depuis l’éclatement de l’URSS, qui regroupe 60 % de population russophone ou ukrainophone parlant rarement le moldave et où sont stationnés des soldats de la 14e armée russe. La Transnistrie est devenue de facto une république indépendante entre la Moldavie et l’Ukraine, garantie (mais non-reconnue) par l’appui russe qui assure une neutralité et un statu quo entre les différentes parties en présence. En 1992, au terme d’un accord entre la Russie et la Moldavie, la Russie devenait neutre et la Transnistrie bénéficiait d’un statut politique particulier de région autonome dans le cadre de la république de Moldavie. En échange, la Moldavie s’engageait à ne pas demander son rattachement à la Roumanie ou, dans ce cas, à accorder le droit à l’autodétermination à la Transnistrie. Ancien bassin industriel de la Moldavie (pays le plus pauvre d’Europe), la Transnistrie a gardé des contacts économiques avec l’Ukraine, ce qui assure sa survie. C’est pour cette raison qu’Igor Smirnov tente de se montrer conciliant avec le nouveau pouvoir à Kiev et assure que si les Ukrainiens de Transnistrie ont massivement voté pour Yanukovych lors des élections ukrainiennes, c’est parce qu’ils ont été dupés par la propagande présentant cette élection comme un affrontement Est-Ouest. Il assure être convaincu que Victor Yushchenko conservera des liens économique avec la province autonome. Toutefois, depuis la publication de l’entretien, Kiev a annoncé son intention de participer avec la Moldavie au blocus de la Transnistrie.
Autre région autonome pro-russe mais en Géorgie cette fois, l’Ossétie du Sud est, elle aussi, menacée par un gouvernement mis en place lors d’une « révolution » colorée. Plus réaliste que son homologue de Transnistrie, le président ossète, Edouard Kokoïta, affirme à Rosbalt qu’il craint que Mikhail Saakashvili ne lance ses troupes contre sa province autonome, des troupes dont il rappelle qu’elles ont été formées par les États-Unis.