L’annonce quasi simultanée, par Jacques Chirac et José Manuel Barroso, d’une « remise à plat » de la directive européenne sur les services, dite « directive Bolkestein », n’est qu’un artifice lié au contexte préélectoral actuel. Ce texte continue de demeurer l’un des derniers avatars de la dérive libérale de la construction européenne et symbolise l’impasse faite sur l’harmonisation par le haut des réglementations, au bénéfice de la seule logique de la concurrence par les prix.
La Commission européenne fait le pari qu’il existe un gisement d’emploi que des « obstacles » empêcheraient de faire fructifier. Elle prévoît de poser, pour l’ensemble des services, le principe du pays d’origine : les règles qui doivent s’appliquer à une prestation de services ne seraient plus celles du pays où ce service est rendu, mais celles du pays où l’entreprise prestataire est établie. On importerait une réglementation en même temps que des services ! Ce principe est présenté comme une simplification, mais en réalité, il obligerait les autorités administratives de chaque pays à se familiariser avec le droit des 25 États membres ! Ce principe du "pays d’origine" constitue, en tout cas, un changement de méthode et de finalité : l’objectif de la construction européenne n’est plus l’harmonisation des règles, mais l’ouverture à la concurrence du marché intérieur. Derrière ce changement de méthode s’engage en réalité un changement de cap et de projet pour l’Union. La perspective d’une Europe politique et sociale harmonisée par le haut s’éloigne pour laisser place à une vaste zone de libre-échange.
Si cette directive est adoptée, on verra une multiplication des délocalisations intra-européennes. Son champ d’application est général : santé, soutien aux personnes âgées, services audiovisuels, services aux entreprises ou aux consommateurs... Seuls certains services (transports ou finances), déjà visés par une directive sectorielle, en sont exclus. Il couvre aussi des services publics soumis, en vertu du droit communautaire, au principe de libre concurrence. Seules les activités fournies par l’État sans contrepartie économique seraient exclues de ce champ. Il faudrait donc déterminer ce qui, en matière culturelle ou éducative par exemple, est rendu sans contrepartie économique.
De son côté, le projet de directive protégeant les services publics, régulièrement promis, n’apparaît pas au programme de la Commission Barroso. Il faut que cette directive soit retirée définitivement et sans contrepartie. Il est plus que temps de lancer une initiative au-delà de nos frontières et d’unir nos forces pour faire reculer ces libéraux qui confisquent la construction européenne.

Source
Le Monde (France)

« Contre Bolkestein ! », par un collectif de parlementaire PS, Le Monde, 5 février 2005.