À l’occasion de la venue de George W. Bush en Europe, les cercles atlantistes se mobilisent pour donner des conseils au président états-unien. Lors de ce second mandat, Washington doit favoriser une construction européenne qui liera la politique étrangère européenne à celle de Washington. Pour cela, il est nécessaire de changer de ton, sans pour autant changer de politique internationale.
Il est difficile de savoir exactement quel sera le vrai thème des rencontres que George W. Bush aura avec ses interlocuteurs européens lors de sa tournée en Europe. Dans son discours de Bruxelles, le président états-unien a mis en avant le thème de la réconciliation atlantiste, d’Israël et de la Palestine, des relations avec la Russie, de la Syrie ou de l’Iran sans qu’on puisse savoir si l’un de ces sujets sera privilégié lors des réunions.
En lisant la presse, il est en revanche possible d’avoir des indications sur ce que les États-Unis et les cercles atlantistes veulent que l’opinion retienne de cette rencontre.
Le New York Times publie huit textes de personnalités européennes à qui le journal a demandé ce que les Européens espéraient de la visite de George W. Bush. Ces textes, à l’exception d’un seul (qui s’avère être également le plus virulent contre l’administration Bush) ont été repris le lendemain dans l’International Herald Tribune.
Pour certains, cette tribune offre la possibilité de mettre en avant des questions précises de politiques internationales.
Ainsi, l’économiste keynésien, Robert Skidelsky exprime son désir de voir les États-Unis cesser de laisser flotter leur monnaie au gré de leurs intérêts propres. Le flottement continuel du dollar pourrait entraîner une guerre des monnaies comme dans les années 30. Il demande au président Bush d’aborder le sujet avec ses homologues européens.
Le chanteur et militant Bono estime que les États-Unis et l’Europe doivent se réunir pour l’aide à l’Afrique. Avec le ton candide qui caractérise ses interventions politiques, il estime que les États-Unis sont sans doute pleins de bonnes intention dans leur lutte pour que les fonds d’aide soient mieux dépensés mais qu’ils ne donnent pas suffisamment. Il appelle donc Washington à se montrer plus généreux dans l’aide au développement et les Européens à suivre le modèle états-unien une fois qu’il sera suffisamment financé. Ce faisant, il ignore, ou feint d’ignorer, l’outil de domination international qu’est le Millenium Challenge Account, base de l’aide au développement des États-Unis.
Pour d’autres commentateurs, cette tribune est l’occasion de demander au président Bush de changer d’attitude et de politique.
Le philosophe suisse, Tariq Ramadan demande à George W. Bush d’abandonner le concept de guerre des civilisations et de cesser d’essayer d’y entraîner l’Europe car les populations européennes n’en veulent pas.
La romancière autrichienne et Prix Nobel de littérature, Elfriede Jelinek, seule à ne pas avoir les honneurs d’une autre diffusion dans l’International Herald Tribune, demande avant tout à George W. Bush de ne plus faire de guerre lors de son second mandat s’il veut que les Européens se rapprochent des États-Unis. Elle rappelle que la diffusion de la liberté, que le président a mis en avant dans son discours d’investiture, ne peut pas passer par la guerre, au contraire cette politique ne peut conduire le pays qui la mène qu’à la catastrophe, comme le prouve la situation de l’armée états-unienne en Irak.
Toutefois, pour une moitié des participants à cet exercice éditorial, ce texte est l’occasion de proposer des changements de la politique européenne pour qu’elle se rapproche de celle de Washington.
Le rédacteur en chef de l’hebdomadaire slovaque Tyzden, Stefan Hrib, estime que Bush doit poursuivre sa politique et ne pas écouter des Européens qui n’avaient pas non plus compris la politique de Ronald Reagan. Washington doit poursuivre sa politique, les Européens finiront par la suivre.
Ce point de vue radical n’est cependant pas partagé par les autres analystes qui préconisent un certain nombre de mesures que les États-Unis peuvent prendre pour se rattacher les Européens.
L’ancien responsable de la communication de l’OTAN, l’analyste des questions internationales Guillaume Parmentier, demande à ce que les États-Unis réagissent à la proposition Gerhard Schröder de réforme des institutions associant États-Unis et Europe. Il faut proposer une réforme tout en restant fidèle aux traditions de l’OTAN. Il appelle à la création d’une commission rassemblant des hommes capables d’organiser une refonte qui ne change pas l’architecture de l’édifice : James Baker III, Alain Juppé, Douglas Hurd et Volker Rühe.
La rédactrice adjointe de Die Zeit, Constanze Stelzenmüller, appelle à ce que le président Bush demande l’instauration d’un siège européen au Conseil de sécurité de l’ONU en remplacement des sièges britannique et français. Cette demande officielle, qui pourrait passer comme favorable à l’intégration européenne, permettrait à la fois de mettre fin à la présence française au Conseil de sécurité et couperait l’herbe sous le pied de Schröder quand il demande une réforme des institutions internationales.
Le rédacteur adjoint du Corriere della Sera, Gianni Riotta demande à George W. Bush d’exiger dorénavant de ne parler qu’à une voix européenne unifiée et de faire de l’Union européenne la seule interlocutrice des États-Unis au lieu des États européens pris séparément. Il faudra que les Européens trouvent un consensus entre eux avant de s’exprimer sur les grands sujets.
Ces dernières tribunes, demandant que les États-Unis favorisent une intégration européenne qui leur serait bénéfique, trouve de nombreux échos dans le reste de la presse.
Dans le Figaro, Javier Solana fait l’apologie de la coopération entre l’Union européenne et les États-Unis. Il appelle la coopération atlantique à se renforcer afin de faire face aux grands problèmes mondiaux, au rang desquels il place principalement la question iranienne et le processus de paix israélo-palestinien, deux questions sur lesquelles il reprend les problématiques états-uniennes. Selon lui, la venue de Bush doit inciter les Européens à ne parler que d’une seule voix… manifestement, il s’agit de la voix atlantiste.
Helmut Schmidt dans Die Zeit se montre plus franc : Bush ne changera pas de politique et s’il se montre plus amical, ce n’est qu’une façade. Sa politique reste la même et il est venu mener une opération de relations publiques en Europe. Malgré tout, il recommande aux Européens d’accepter de s’associer aux États-Unis auxquels ils seraient liés par la philosophie des Lumières et « un héritage ethnique »(sic !). À condition que les États-Unis traitent l’Europe avec plus de respect. C’est donc sur la forme que le discours états-unien doit changer.
Ce conseil semble avoir été suivi par l’inventeur des formules « nouvelle Europe » et « vieille Europe », Donald Rumsfeld. Le secrétaire états-unien à la Défense a profité de la venue de George W. Bush en Europe pour confier à Project Syndicate le soin de diffuser une grande déclaration de bons sentiments à propos de l’OTAN. Pour l’instant, ce texte n’a trouvé preneur que dans des quotidiens non-européens, tel le Taipei Times, mais comme de nombreux textes estampillé Project Syndicate, il devrait bientôt arriver dans les quotidiens européens n’étant pas trop pointilleux sur les question d’exclusivité [1]. Le secrétaire à la Défense fait l’éloge des « valeurs communes » unissant les membres de l’OTAN et affirme que l’Europe et les États-Unis ont des « réponses communes » à apporter aux problèmes du monde. Bref, il gomme toute référence aux joutes verbales passées et appelle au rassemblement : la période n’est plus à l’affrontement, elle est à la reprise en main.
Cette stratégie est parfaitement expliquée par les démocrates Ivo H. Daalder et Charles A. Kupchan dans le Los Angeles Times : aujourd’hui, les États-Unis ont perdu les outils traditionnels de leur influence sur l’Europe, les puissances moyennes européenne, France en tête, veulent s’autonomiser de la tutelle de Washington. Aussi, favoriser une voix unique de l’Europe face aux États-Unis bénéficiera aux États dont les gouvernements sont atlantistes (majoritaire dans l’Union européenne même si les peuples ne les approuvent pas d’après les sondages) afin de museler la France et de lier la future politique étrangère commune à celle de Washington. Il est donc important de changer de ton et de militer pour l’unité de l’Europe, meilleure façon de reprendre le contrôle de l’Union européenne et de la faire agir conformément aux souhaits de Washington en Irak, en Iran et en Palestine.
Après l’Union européenne, George Bush se rendra à Bratislava pour rencontrer Vladimir Poutine. Ce sommet a lieu en pleine période de containment de la Russie et alors que Moscou est redevenu un acteur de premier plan au Proche-Orient grâce à son partenariat avec Damas et Téhéran.
À cette occasion, George W. Bush se montre très rassurant et amical dans une interview accordée aux Izvestia. Rappelant l’alliance entre l’URSS et les États-Unis lors de la Seconde Guerre mondiale, il estime que malgré les divergences, Washington et Moscou doivent s’allier contre un ennemi commun : le terrorisme. Il rappelle également que maintenant que les démocrates ont perdu l’élection présidentielle, « Vladimir » a moins à s’inquiéter de l’action états-unienne.
Pourtant, c’est sous une administration républicaine que la politique de containment a été redéfinie par James Baker et c’est sous le premier mandat Bush qu’ont été mis en place les « révolutions » colorées en Géorgie et en Ukraine. Derrière ces actions, on trouve une organisations que nos lecteurs connaissent bien, la National Endowment for Democracy (NED), administrée selon un principe bipartisan. Aussi, bien que les démocrates, derrière Brzezinski et Albright, aient manifesté une plus grande volonté d’en découdre avec la Russie, la victoire de George W. Bush en novembre 2004, n’altère en rien la politique de Washington en ce domaine. Michael McFaul, membre de la NED et signataire de l’appel des 115 atlantistes contre Vladimir Poutine veut toutefois se montrer rassurant auprès des Russes dans le Moscow Times. Il affirme que la Russie ne doit pas se méprendre sur l’identité de ses ennemis : les groupes qui dénoncent l’autoritarisme de Vladimir Poutine veulent majoritairement une Russie forte avec qui constituer un vrai partenariat, mais ils veulent aussi que la Russie soit démocratique.
« Amitié », « dialogue », « partenariat entre pays forts », des mots aussi bien utilisés pour l’Union européenne que pour la Russie.
[1] Le lendemain de la rédaction de ce texte, le Figaro et Die Welt ont repris cette tribune.
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