L’ONU va bientôt nommer un gouvernement au Kosovo. Dans le même temps, l’ex-Premier ministre kosovar Bajram Rexhepi a rendu public un projet de constitution avec le Public International Law & Policy Group, un think tank dirigé par d’anciens fonctionnaires du département d’État états-unien et partenaire de l’International Crisis Group. C’est dans ce contexte que l’ancien secrétaire à la Défense et actuel patron du Carlyle Groupe, Franck Carlucci se prononce en faveur de l’indépendance du Kosovo dans le New York Times. Sous sa plume, on retrouve des termes très proches de ceux énoncés par Wesley Clark, ancien commandeur suprême des forces de l’OTAN au Kosovo et administrateur de l’International Crisis Group. Comme lui, il aboutit à la conclusion que la Russie ne sera pas facile à convaincre, qu’il faudra donc se passer de son soutien et, par conséquent, mettre à nouveau l’ONU sur la touche, au profit de l’OTAN.

Cette tribune est publiée au moment où George W. Bush a rencontré les responsables de l’Alliance atlantique au cours de sa tournée européenne. Jaap de Hoop Scheffer confie une tribune sur ce sujet à Project Syndicate, et, comme souvent, le Taipei Times la publie avec une longueur d’avance sur les journaux européens auxquels elle est destinée. Le secrétaire général de l’Alliance atlantique appelle les pays membres de l’OTAN, dans un texte lénifiant sur leurs valeurs communes, à soutenir les objectifs de la politique de Washington en Afghanistan, en Irak et en Ukraine tout en développant les liens unissant Union européenne et OTAN.

Après les chefs d’État et de gouvernement de l’OTAN, George W. Bush devaient rencontrer Gerhard Schröder puis Vladimir Poutine. Ces deux rencontres consécutives poussent les ambassadeurs allemand et russe à s’exprimer dans la presse états-unienne, et plus spécifiquement dans celle de Washington, sur les positions de leur gouvernement.
Wolfgang Ischinger, ambassadeur d’Allemagne aux États-Unis, précise dans le Washington Times la position de Berlin sur le dossier iranien et sur l’OTAN. Tout en conservant un langage diplomatique exigeant d’affirmer en préambule que les deux pays sont d’accord sur l’essentiel, l’ambassadeur démontre le contraire et demande à Washington de rallier la position française, britannique et allemande et de participer aux négociations avec l’Iran. Il suggère que cet engagement états-unien dans la négociation prenne place dans le cadre d’institutions transatlantiques rénovées, tel que l’a demandé Gerhard Schröder.
Yuri Ushakov, son homologue russe, a une tâche beaucoup plus difficile avant la rencontre de George W. Bush et de Vladimir Poutine à Bratislava car son pays est continuellement présenté comme en voie de re-soviétisation dans la presse « occidentale ». Dans le Washington Post, il s’attache à rappeler les convergences des deux administrations et dénonce ceux qui, aux États-Unis, veulent relancer la Guerre froide en utilisant le prétexte du supposé autoritarisme du Kremlin.
Cette tribune fait suite à un lettre ouverte lancée par un collectif de faucons rassemblés autour de la Fondation pour la Défense de la Démocratie et Freedom House, organisations de James Woolsey, déjà inspiratrices de l’appel des 115 atlantistes contre Vladimir Poutine. On compte d’ailleurs de nombreux signataires de ce premier appel parmi les signataires du second. Dans cette nouvelle lettre, ils appellent le président Bush à poser des exigences concernant la politique intérieure et étrangère russes. Ils lui demandent également de faire pression sur Vladimir Poutine pour que ce dernier adopte toute une série de mesures qui faciliteraient les actions de la NED/CIA à l’avenir, tel que la fin des restrictions concernant le financement des ONG en Russie depuis des pays étrangers ou l’abandon de la Biélorussie.
Toutefois, ce texte vise sans doute moins à convaincre George W. Bush que l’opinion états-unienne du danger que représenterait la Russie.
Dans Izvestia, le président de l’université américaine de Moscou, Edouard Lozansky, dénonce l’action de ces lobbies anti-russes aux États-Unis et y voit la main de Berezovski et de Yukos. Affirmant que Bush ne se laissera pas influencer par les lobbies anti-russes, il appelle au contraire les États-Unis et la Russie à collaborer, une collaboration dont la Syrie et l’Iran feraient les frais.

Dans le cadre de cette polémique, Komsomolskaïa Pravda publie les interviews croisées de l’ancien directeur de la CIA James Woolsey, encore lui, et de l’ancien directeur du KGB et ancien putschiste contre Gorbatchev, Vladimir Krioutchkov.
Après avoir mené campagne pour convaincre les États-Unis et l’Europe de la dangerosité de Vladimir Poutine, qu’il se plaît à comparer à Mussolini, James Woolsey retourne le procédé et affirme aux Russes qu’aujourd’hui, c’est l’opinion états-unienne qui demande à George W. Bush de se montrer moins proche de Poutine. Il met en garde les lecteurs contre leur président et assure qu’il met en place une dictature rampante. Notons que ces propos contre le Kremlin sont tenus dans une presse russe qui est censée être muselée si on en croit les propres affirmations de M. Woolsey dans la presse occidentale.
Côté russe, Vladimir Krioutchkov estime qu’une nouvelle Guerre froide est en préparation car les intérêts nationaux de la Russie et des États-Unis sont contradictoires dans le Caucase et dans le monde arabe. Aussi, même s’il pense que le sommet de Bratislava sera cordial, il ne s’agira que d’une façade alors que les deux adversaires se préparent à la confrontation.
Difficile de ne pas voir dans la réorganisation de l’armée russe par Sergeï Ivanov un signe validant la théorie précédente et une démonstration du fait que la Russie se prépare, au minimum, un outil dissuasif fiable en réorganisant son armée. Le ministre de la Défense russe explique la reprise en main de l’armée dans une interview à Izvestia. Il affirme qu’elle a eu l’image d’une armée de soldats affamés, mais que la réorganisation est en cours. L’objectif affiché est la constitution d’une force d’un million d’homme largement professionnelle.
En fait, la Russie n’attend rien du sommet de Bratislava. Elle s’y rend avec un discours très conciliant et entend y montrer que les États-Unis sont seuls responsables du désaccord. À partir de quoi, elle se présentera comme l’alternative pacifique au leadership belliqueux de la Coalition.

Toujours à propos du sommet de Bratislava, Ria-Novosti publie une analyse de l’ancien Premier ministre slovaque Jan Carnogursky, reprise en Français par le Réseau Voltaire. La Russie n’est plus une menace pour l’Europe centrale, c’est une chance. En effet, il ne s’agit pas d’une puissance autoritaire voulant étendre son influence, mais d’un État qui a échappé de peu à la désagrégation et qui est en train de se relever, devenant un concurrent des États-Unis tout en restant une proie potentielle pour une économie qui ne doit sa survie qu’à la prédation. Il recommande à son pays de se situer entre les deux Grands. Pour l’auteur, les petits pays ont tout à gagner à un monde multipolaire plutôt qu’à l’alignement sur Washington.