La première phase de l’opération visant à convaincre l’opinion publique de la culpabilité syrienne dans l’assassinat de Rafic Hariri a été conduite par des éditorialistes et journalistes de la presse conformiste. La seconde étape mobilise des experts « indépendants », et des personnalités politiques proche-orientales.
Dans l’exercice consistant à faire accepter à l’opinion publique la culpabilité syrienne dans l’assassinat de Rafic Hariri, la première phase était de mobiliser des éditorialistes et journalistes de la presse conformiste, accompagnée de commentaires ambigus de responsables politiques se montrant agressifs avec la Syrie sans l’associer formellement à l’assassinat de Rafic Hariri. Aujourd’hui, il est temps de passer à la deuxième phase et de mobiliser des analystes « indépendants », des dirigeants de think tank et des personnalités politiques proche-orientales ou des dirigeants de groupes exilés, prélude prévisible à des accusations explicites par les dirigeants atlantistes qui pourront se passer de preuves face à une opinion où la culpabilité syrienne fait consensus. Il s’agit des méthodes qui ont déjà été employées sur la question des armes de destruction massive irakiennes et les accusations de corruption dans le programme pétrole contre nourriture, deux opérations que nous avons étudiées dans nos colonnes.
Aujourd’hui, le deuxième étage de la fusée médiatique anti-syrienne est mis à feu tout en profitant de la poussée du premier étage. Ainsi, le travail des éditorialistes ayant été bien fait, la question de l’identité des coupables n’est même plus posée par ceux qui veulent en découdre avec Damas et qui prennent aujourd’hui la parole.
Le directeur du Middle East Forum, Daniel Pipes, estime dans le New York Sun et le Jerusalem Post que la Syrie a commis ce crime en raison de l’absence d’inspiration tactique de Bachar El Assad, qui, contrairement à son frère mort « accidentellement » en voiture en 1994 et qui devait succéder à Hafez El Assad, n’a jamais été formé pour tenir cette fonction. Par ses erreurs, le dirigeant syrien se serait mis à dos la communauté internationale et il est aujourd’hui temps de faire évacuer le Liban. Dans le Wall Street Journal et le Daily Star, l’éternel alibi arabe des think tanks néo-conservateurs Fouad Ajami, affirme pour sa part que la communauté internationale a laissé faire, par calcul, Hafez El Assad dans son entreprise d’annexion du Liban et qu’aujourd’hui, après la mort d’Hariri, elle doit contribuer à « libérer » le pays, une « libération » qui entrerait dans le cadre de la « guerre à la tyrannie », la nouvelle justification du remodelage du Proche-Orient.
L’exilé syrien Farid N. Ghadry, président d’un parti associé à la NED/CIA, le Parti de la réforme en Syrie, appelle dans le Washington Times les États-Unis à organiser la déstabilisation de la Syrie en soutenant son parti et en organisant une insurrection sur place. Il en profite pour ajouter à l’assassinat de Rafic Hariri un autre motif d’intervention : la Syrie envoie des troupes en Irak pour combattre la coalition. Si les États-Unis veulent stabiliser l’Irak, il faut donc renverser Bachar El Assad. Cette tribune paraît alors que la chaîne de télévision irakienne financée par la Coalition al-Iraqiya TV a diffusé les « confessions » d’une personne se présentant comme un résistant irakien et prétendant que les camps d’entraînement des résistants irakiens sont en Syrie. Cette prise de position fait également écho à celle d’Iyad Allaoui, qui réclamait depuis longtemps des frappes contre les « camps de terroristes » de l’autre côté de la frontière.
Dans une interview au Monde, le leader druze Walid Joumblatt appelle à des pressions internationales contre la Syrie et affirme que des négociations avec Damas ne serviraient à rien. Se refusant à demander une intervention militaire, il appelle donc par défaut au même type d’opération que Farid N. Ghadry.
De leur côté, les analystes ne croyant pas à la thèse de la culpabilité syrienne sont obligés de déconstruire ce qui a été martelé dans la presse et ils continuent, à juste titre, à s’interroger sur l’identité des responsables de la mort de Rafic Hariri. Tandis que les partisans d’une ligne dure contre Damas en sont déjà à préparer l’opinion à une action directe ou à une déstabilisation de la Syrie, ceux qui les critiquent sont contraints de s’attaquer aux postulats de départ de leurs adversaires, mais avec un temps de retard et donc avec un décalage par rapport aux problématiques développées dans les médias, ce qui nuit à l’impact de leurs interventions.
Dans une courte oraison funèbre à son ami Rafic Hariri publiée parGulf News, le lobbyiste arabo-états-unien James Zogby demande à ce que toute la lumière soit faite sur la mort de l’ancien Premier ministre libanais et se garde bien de porter une accusation contre qui que ce soit.
L’analyste allemand Carsten Wieland met en doute, dans une interview accordée à la Deutschland Radio, la responsabilité du pouvoir syrien dans l’assassinat d’Hariri. Cela entrerait selon lui en contradiction avec toute la stratégie de conciliation mise au point par Bachar El Assad. Il n’exclut pas cependant que des éléments des services de renseignement syriens aient pu y être mêlés. De son côté, l’analyste Patrick Seale juge dans le Guardian que la responsabilité syrienne dans la mort d’Hariri est fort peu probable, car cela reviendrait à un suicide politique pour un pays qui se sait surveillé depuis l’adoption de la résolution 1559. Il estime que le coupable est plutôt à aller chercher chez les ennemis de Damas : extrême droite chrétienne libanaise, fondamentalistes musulmans ou Israël, un pays qui cherche à mobiliser le maximum d’alliés avec les États-Unis contre le bloc formé par la Syrie, l’Iran et le Hezbollah. Il affirme également que contrairement à ce que l’opposition libanaise martèle, Rafic Hariri ne l’avait pas rejoint, mais voulait se placer comme l’intermédiaire indispensable aux discussions entre la Syrie et l’opposition.
Dans une interview à Izvestia, Vladimir Issaïev, directeur adjoint de l’Institut d’études orientales de l’Académie des sciences de Russie, développe un point de vue proche : Hariri ne s’est prononcé en faveur d’un retrait syrien que parce qu’il pensait ainsi séduire les Européens. Pour l’auteur, la Syrie et le Liban sont une même entité, divisée par le colonialisme, et le Liban n’existe pas en tant que nation ; sans la présence syrienne, le pays éclaterait vraisemblablement. Sans se prononcer sur les responsabilités dans la mort d’Hariri, il estime que, contrairement à ce qu’affirme l’opposition libanaise, les prochaines élections parlementaires devraient être gagnées par les partis pro-syriens.
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