Dans une interview au Figaro Magazine, le théoricien de la « Fin de l’Histoire », Francis Fukuyama, expose sa conception de la politique étrangère de l’administration Bush. Selon lui, le problème des États-Unis en Irak est principalement de ne pas avoir une tradition de « construction d’État » comme la France et le Royaume-Uni. Il s’agit là d’une façon élégante d’expliquer qu’une part des difficultés rencontrées par Washington tient à son manque d’expérience dans le domaine colonial. Se présentant comme proche de Paul Wolfowitz et de Condoleezza Rice, il estime que Colin Powell a fait un travail déplorable dans l’explication de l’action des États-Unis. Il aurait dû indiquer que l’Irak était la dernière aventure militaire et que désormais le remodelage du Proche-Orient passerait par d’autres moyens.
Il est vrai que l’utilisation de méthodes non-militaires assure un écho médiatique positif à ces opérations. On observe un net réchauffement de l’attitude de la presse à l’égard de la Maison-Blanche depuis que l’administration Bush est passée à la « guerre à la tyrannie ». Honni officiellement par la presse conformiste pour la Guerre en Irak, George W. Bush est aujourd’hui revenu en grâce avec l’adaptation de sa stratégie de remodelage du Proche-Orient. En effet, cette stratégie étant aujourd’hui conduite au nom de la démocratie, elle se pare de toutes les vertus aux yeux des commentateurs. À la suite de la presse états-unienne, et plus spécialement du New York Times, le quotidien des élites françaises, Le Monde, s’interrogeait en Une hier « Le Proche-Orient bouge : Faut-il remercier Bush ? ». Le reste de la presse française a largement suivi ce mouvement. Le caractère mobilisateur de la guerre au terrorisme a fait long feu et ceux-là même qui nous l’avaient vendue aux cris de « Nous sommes tous Américains » prétendent nous faire désormais accepter la « guerre à la tyrannie » comme une grande avancée.
Les centaines de milliers de morts d’Irak sont passés par pertes et profits et on s’extasie aujourd’hui sur ce qu’on veut nous vendre comme « la révolution libanaise » selon un modèle qui a fait ses preuves en Ukraine. Mieux encore, ce « printemps arabe » est présenté comme une conséquence de la Guerre d’Irak et par conséquent son existence légitimerait cette guerre a posteriori. Ainsi, qu’importe que le prétexte des armes de destruction massive n’ait plus aucune validité puisque la justification démocratique, construite après le déclenchement du conflit s’y substitue. Cette nouvelle stratégie sert même à justifier les abus de la guerre au terrorisme dénoncés par les opinions publiques. Dans son discours du 8 mars George W. Bush a tenté de démontrer la filiation qu’il y aurait entre guerre au terrorisme et « guerre à la tyrannie ». C’est parce que la population n’aurait plus peur du terrorisme qu’elle oserait se soulever.
Laurent Murawiec, de la Rand Corporation, se réjouit de ce renouveau de l’alignement atlantiste, mais expose les visées néoconservatrices dans un langage plus crus que les « nouveaux » thuriféraires de l’action de Washington. Dans Le Figaro, il affirme que les développements dans le monde arabe ne sont que le début du programme mis en œuvre et se tourne déjà vers l’Iran et l’Arabie saoudite.
La représentante démocrate de Californie, Jane Harman, affirme dans le Jerusalem Post que la démocratisation du monde arabe est à mettre à l’actif de George W. Bush et de sa guerre contre l’Irak. Toutefois, plus encore, cette évolution serait la conséquence d’un réchauffement des relations israélo-palestiniennes après la mort d’Arafat. Les États arabes auraient refusé de se réformer tant que la question palestinienne n’est pas réglée, mais aujourd’hui cette excuse ne tient plus. Ainsi, d’après l’auteur, le mouvement de réforme actuel valide non seulement le conflit irakien, mais également la politique d’ostracisme contre Yasser Arafat, à nouveau présenté comme seul obstacle à la paix.

Pour beaucoup des « nouveaux » fans de George W. Bush, la démocratisation du monde arabe doit se poursuivre et elle passe aujourd’hui par le Liban.
Collègue républicain de Jane Harman, le représentant californien, Darrell Issa, s’enthousiasme pour la « révolution du cèdre », pendant proche-oriental de la révolution orange, et appelle les États-Unis, et la France, à soutenir les manifestants anti-syriens. Capitalisant sur le travail réalisé en amont par les responsables de think tanks néo-conservateurs et d’éditorialistes, il accuse implicitement la Syrie d’être responsable de la mort de Rafic Hariri.
Walid Phares, l’un des responsables de cette perception d’une Syrie coupable, via l’US Committee for a Free Lebanon, se projette pour sa part déjà dans l’avenir. Dans le Washington Times, il expose les intérêts qu’auraient les États-Unis à contrôler le Liban pour les opérations ultérieures de la « démocratisation ». Selon lui, le Liban, compte tenu de son rayonnement intellectuel et de sa place dans l’économie de la région, est l’endroit rêvé pour former les futurs dirigeants des pays « démocratisés ». Il est également la base idéale d’où partir pour étendre l’influence états-unienne.

Le sénateur du Kansas Sam Brownback et Richard E. Stearns, président du bureau états-unien de l’ONG World Vision, dénoncent l’Armée de résistance du Seigneur (LRA) dans le Washington Times. Cette organisation est un groupe de fanatiques d’inspiration chrétienne combattant le président Museveni dans le Nord de l’Ouganda et responsable de nombreuses atrocités. MM. Brownback et Streans condamnent, à juste titre, les enlèvements d’enfants dont cette secte se rend coupable et appellent à des sanctions contre elle. Toutefois, cette attaque soudaine contre ce groupe n’est sans doute pas dénuée d’arrière-pensées. En effet, la LRA serait soutenue par le Soudan en échange d’une aide contre la rébellion du Sud et M. Brownback est le sénateur ayant déposé au Congrès états-unien le texte de loi présentant les massacres au Darfour comme un génocide. Cette dénomination n’ayant pas suffit à faire attaquer le Soudan, on peut se demander si M. Brownbvack ne cherche pas un nouveau prétexte. Dans leur texte, les auteurs ne disent ainsi rien de l’action contre la LRA entreprise par la Cour criminelle internationale (CCI) à la demande du président Museveni. En outre cette affaire rappellent que, si Khartoum a pu s’associer avec la LRA, c’est que le facteur ethnico-religieux, mis en avant pour expliquer les crises au Soudan, ne permet pas réellement de les décrire. Le contrôle des ressources est une des raisons essentielles de ces conflits et également de l’opposition de Washington et Khartoum.

Enfin, le ministre rwandais des Affaires étrangères, Charles Murigande, dénonce l’action des milices rwandaises opérant contre les forces du gouvernement de Kigali depuis l’Est du Congo dans une interview à Die Tageszeitung. Selon lui, l’armée congolaise est au minimum complice compte tenu de sa passivité face à ces groupes. Il appelle la communauté internationale à intervenir ou menace implicitement de renvoyer des troupes rwandaises dans le territoire de son riche voisin. Depuis 1996, les conflits au Congo ont fait plus de trois millions de victimes.