L’Allemagne dans l’Europe, un état des lieux

Mesdames, Messieurs,

Je vous remercie vivement de votre invitation et de votre aimable accueil dans cette université qui a été mon alma mater. C’est un plaisir pour moi de revenir ici après plus de vingt ans. Deux décennies, c’est une longue période dans la vie d’un homme, certes, mais en politique aussi.

Pour s’en rendre compte, il suffit de prendre l’exemple de l’Europe. À l’époque où je faisais mes études ici à Bonn, l’ancienne Communauté européenne comptait tout juste neuf membres. Notre continent et notre pays étaient divisés. Le droit à l’autodétermination était refusé à des millions d’Européens. Et même dans la partie libre de l’Europe, il fallait attendre à la frontière et montrer son passeport si l’on voulait se rendre dans un autre pays.

Et encore, je n’ai pas parlé de l’obligation de changer de l’argent. Si vous vouliez partir en voyage de Bonn à Lisbonne, vous deviez effectuer cette opération à trois reprises. Parti de chez vous avec vos marks, vous deviez tout d’abord les changer en francs en France, en pésétas en Espagne et en escudos à la frontière avant Salamanque et à chaque fois, vous deviez payer des frais de change. Deux semaines plus tard, vous rentriez à la maison avec, dans votre poche, un petit sac de pièces de monnaie.

Qui aurait pu imaginer à ce moment-là qu’à peine une génération plus tard, l’on puisse payer à Bonn avec la même monnaie qu’à Dublin ou encore à Bratislava qui se trouvait à l’époque derrière le rideau de fer ? Ou bien que l’on puisse se rendre un jour par la route du Portugal en Estonie, pays qui faisait encore partie de l’Union soviétique autrefois, sans montrer une seule fois son passeport ?

Déjà lorsque je fréquentais l’école et, plus tard, l’université, l’Europe représentait un projet de réconciliation et de paix à la fois inédit et couronné de succès. Heureusement, les hommes d’État au pouvoir à l’époque ont eu la sagesse de ne pas s’arrêter là et de poursuivre l’approfondissement de l’intégration.

L’œuvre que Konrad Adenauer et Theodor Heuss avaient commencé à bâtir, Willy Brandt et Walter Scheel, Helmut Schmidt, Helmut Kohl et Hans-Dietrich Genscher la poursuivirent. Ils approfondirent l’intégration européenne, posant ainsi les fondements de l’unification de l’Allemagne et de l’Europe. Aujourd’hui, 500 millions d’Européens appartenant à 27 pays vivent à l’intérieur d’un espace juridique commun en jouissant de la paix, de la liberté et d’une prospérité sans précédent.

Aujourd’hui, on vit dans cette Europe-là mieux que l’on n’y a jamais vécu auparavant.

Et c’est précisément cette Europe-là qui suscite en moi une profonde inquiétude.

L’Union européenne se trouve à un moment critique de son histoire.

Je constate que l’Europe est mise à rude épreuve tant sur le plan intérieur qu’extérieur.

Rien ne serait plus dangereux que de croire que nous pourrions à l’avenir nous contenter d’administrer le capital politique européen.

Même dans la phase actuelle, l’Europe reste une tâche de gestion qui incombe à la politique et à la société.

Parmi ses citoyens, trop nombreux sont ceux chez qui l’Union européenne suscite tout d’abord un sentiment de malaise.

Il suffit d’évoquer les élections au Parlement européen. L’année dernière, le taux de participation a été d’environ 43% à l’échelle de l’Europe, un taux qui n’a jamais été aussi bas. Depuis les premières élections au suffrage direct en 1979, le taux de participation est en baisse constante.

Nous sommes en présence d’un paradoxe qui doit nous faire réfléchir.

En 1979, 63% des électeurs allaient encore aux urnes pour élire un parlement européen qui n’avait qu’une fonction de consultation et ne pouvait pas prendre de décisions. Trente ans plus tard, le Parlement européen a vraiment son mot à dire en matière de législation européenne. Sans son approbation, il n’y a pas de Commission européenne. Et alors, que se passe-t-il ? La majorité des électeurs et des électrices restent chez eux.

Prenons un autre exemple, celui des référendums sur les traités européens. Nous avons vu à plusieurs reprises au cours de ces dernières années comment ces référendums se sont transformés en votes de défiance à l’égard de l’Europe dans son ensemble.

Cela devrait être une raison suffisante de s’inquiéter.

Pour couronner le tout, les journaux nous parlent tous les jours des problèmes de la Grèce.

La Grèce et le fait que nombre d’Européens se détournent dans leur for intérieur de l’idée européenne ne représentent qu’une partie des difficultés auxquelles nous sommes confrontés.

Aujourd’hui, les défis que l’Europe doit relever viennent à la fois de l’intérieur et de l’extérieur. Ce n’est plus une évidence de dire que l’Europe réussira à affronter la concurrence mondiale.

L’Europe n’est pas la seule à vouloir répondre au désir de prospérité pour tous. Nous voyons apparaître autour de nous de nouveaux acteurs dynamiques. Autour de nous émergent de nouveaux blocs économiques et de nouvelles zones de libre échange qui prennent modèle sur l’Union européenne. Cela, je l’ai constaté de manière impressionnante au cours de mes voyages en Amérique latine, en Asie et dans le golfe Persique.

Il s’agit de sociétés jeunes prêtes à se jeter dans la compétition car elles veulent jouir d’une plus grande prospérité. Au Brésil, plus d’un quart de la population a moins de 15 ans (26,7%), en Afrique du Sud, les moins de 15 ans représentent presque 30% de la population (28,9%), et en Allemagne environ 14% (13,8%). Parallèlement, en Europe, les sociétés vieillissent de plus en plus.

L’Europe ne partage pas le rythme de croissance fulgurant de la population mondiale. Celle-ci augmente chaque année d’environ 80 millions d’habitants, ce qui correspond à peu près à la population de l’Allemagne. En Europe, par contre, la population stagne ou recule même. Conséquence de cette évolution démographique : le poids relatif de l’Europe dans le monde s’amenuise.

Selon les prévisions, la population mondiale dépassera les 9 milliards d’habitants d’ici 2050. À ce moment là, les Européens ne devraient plus représenter que quelque 7 % de la population mondiale. Et cette proportion est encore plus faible si l’on considère les Européens en âge de travailler.

Ces exemples parlent d’eux-mêmes et vous voyez bien que l’Europe ne peut pas se permettre de simplement continuer comme avant.

Au contraire : l’indifférence qui règne à l’intérieur et la concurrence qui sévit à l’extérieur nous obligent à réagir.

Réussirons-nous à faire en sorte que vous ici, qui êtes assis dans cette salle, et que tous les citoyens européens fassent de l’Europe leur affaire personnelle ? Parviendrons-nous à ce que les idées de liberté individuelle et de droits de l’homme universels qui ont grandi en Europe au fil des siècles y restent vivantes et aillent même en se développant dans le monde entier ? Arriverons-nous à garder notre place ou même à la renforcer en dépit du fait que la part de notre pays dans la population mondiale ne cessera de diminuer ? Pouvons-nous saisir les chances que nous offre la croissance des marchés à l’extérieur de l’Europe ?

Je pense qu’au cours des prochaines années, trois grandes tâches nous attendent que nous devrons gérer ensemble si nous voulons pouvoir répondre « oui » à toutes ces questions.

Tout d’abord, nous devons parachever l’unité interne de l’Europe.

En outre, nous devons garantir à long terme la stabilité de l’Union économique et monétaire, c’est-à-dire notre prospérité.

Enfin, nous devons veiller à ce que l’Europe parle également d’une seule voix sur la scène internationale.

I.

L’Europe n’est pas encore vraiment unifiée. L’Europe n’est pas encore parachevée. Beaucoup de gens ont encore l’impression que nous avons davantage de points communs avec la France qu’avec la Pologne et qu’il est plus évident que la France appartienne à l’Europe plutôt que la Pologne.

Nous sommes encore très loin d’une véritable entité paneuropéenne. Un Français se considère tout d’abord comme un Français, un Bulgare comme un Bulgare et un Polonais comme un Polonais.

Vu qu’il est tout à fait évident que l’on est allemand ou rhénan, il faut œuvrer pour qu’il devienne tout à fait évident que l’on est également européen.

Je dis « également » européen. Car ce serait être très loin de la réalité que de vouloir minimiser ou même éliminer les différences traditionnelles qui existent en Europe. Nos expériences historiques sont différentes, notre vécu personnel est différent. On ne parle pas de la Russie en Lituanie ou en Pologne de la même manière qu’à Francfort-sur-l’Oder. Et les termes que l’on emploie à Francfort-sur-le-Main ou à Bonn diffèrent également. Il faut respecter les traditions des États européens et ne pas passer outre.

Loin de moi l’idée de diviser l’Europe en deux avec, d’un côté, l’ancienne Europe et, de l’autre, la nouvelle Europe. Il y a eu des divergences de vues et il y en aura toujours.

La compétition des idées est le fondement de la démocratie au sein des États membres de l’Union européenne. Cette compétition entre les États membres est judicieuse et joue un rôle important, précisément entre les États membres.

Les différences qui existent entre les États en Europe sont une réalité et non pas une faiblesse. Ce sont elles qui font de l’Europe le continent de la diversité.

Je rentre juste d’une réunion avec mes homologues, les ministres des Affaires étrangères français et polonais. Cette coopération est née d’une réunion des ministres des Affaires étrangères Hans-Dietrich Genscher, Roland Dumas et Krzysztof Skubiszewski à Weimar et, depuis 1991, elle est devenue une tradition qui porte le nom de Triangle de Weimar. L’Allemagne coopère aujourd’hui avec la France et la Pologne, ces deux pays auxquels les crimes allemands du XXe siècle ont infligé des souffrances incommensurables, pour élaborer des solutions européennes.

Le Triangle de Weimar symbolise l’ancrage solide de l’Allemagne à l’Ouest de même qu’il soude la réconciliation et la construction de l’Europe vers l’Est.

Aujourd’hui, l’amitié entre Français et Allemands est indispensable pour le succès de l’Europe tout comme l’est une meilleure entente entre Allemands et Polonais. Aussi ai-je attaché beaucoup de prix, dès mon entrée en fonctions, à ce que ce soit toujours l’idée de la réconciliation qui prime, en Allemagne, également dans le débat au sujet du Centre contre les expulsions.

J’ai assisté il y a un peu plus d’une semaine à Cracovie aux obsèques du président de la République de Pologne qui a été victime d’un accident. L’adieu à Lech Kaczynski m’a profondément ému. Je sais que, face à la terrible tragédie de Smolensk, beaucoup d’Allemands sont en pensée auprès de nos voisins polonais dont ils partagent la douleur dans cette épreuve difficile. La population allemande ressent une compassion sincère et un deuil profond. Voilà le sentiment de solidarité que l’on peut éprouver aujourd’hui en Europe.

L’amitié qui nous lie à la France est solidement ancrée dans nos esprits et dans nos cœurs. Je voudrais m’investir pour qu’il en soit de même de l’amitié avec la Pologne. C’est la raison pour laquelle j’ai effectué ma première visite à l’étranger à Varsovie. La Pologne et les autres États d’Europe centrale et orientale tournent leurs yeux pleins d’attentes et d’espoir vers l’Allemagne. Ils peuvent être assurés du soutien du gouvernement fédéral.

Et nos pensées vont plus loin. En effet, l’Europe ne s’arrête pas aux frontières extérieures de l’Union européenne.

Les pays des Balkans occidentaux déploient leur énergie pour faire partie de l’Union européenne.

Les gestes de réconciliation que nous avons observés au cours de ces dernières semaines et de ces derniers mois auraient été inimaginables pendant de longues années. S’ils sont possibles aujourd’hui, c’est grâce à la perspective européenne qui a été offerte à ces pays.

Les accords de l’Union européenne avec la Turquie restent valables. Ce pays a droit à des négociations équitables et au respect des traités.

Le dialogue et le partenariat caractérisent nos relations avec nos voisins à l’est des frontières extérieures de l’UE. Cela vaut pour l’Ukraine. Cela vaut notamment aussi pour le partenariat stratégique avec la Russie. L’Europe dans son ensemble ne pourra que profiter d’une association la plus étroite possible de la Russie à notre partenariat européen. Le bon voisinage ne peut grandir avec l’isolement, le bon voisinage a besoin de confiance et de coopération.

Des siècles durant, les relations mutuelles des États européens ont été marquées par les affrontements et par la guerre. Et pourtant, ils ont réussi à trouver un équilibre d’intérêts dans la paix. À Bruxelles, ils sont assis à la table de négociation, chacun d’entre eux a un siège et une voix, les petits États comme les grands. L’égalité des États de l’UE est une condition essentielle de l’unité intérieure de l’Europe. C’est une poutre maîtresse de l’intégration européenne. Il n’y a pas d’États importants et d’États moins importants. L’Europe est le projet qui fédère tous les États membres.

Nous devons également entretenir nos relations bilatérales au sein de l’UE, là où nous travaillons tous les jours en étroite coopération les uns avec les autres. Des relations fortes et basées sur la confiance sont les garantes d’un débat dans la franchise.

L’Allemagne a neuf voisins directs. De ce fait, une responsabilité particulière lui incombe, celle de veiller à ce que les intérêts de tous les États membres soient pris en compte. Ce doit être le cas dans la recherche de compromis au niveau de l’UE de même qu’au sein des forums internationaux tels que le G20 dans lesquels tous les États membres ne sont pas représentés. Le gouvernement fédéral s’emploiera à assurer les processus de concertation nécessaires entre les Européens en amont des réunions de ces forums.

La bonne coopération entre les gouvernements n’est toutefois que l’un des éléments d’un partenariat. Un autre élément, qui s’avère tout aussi important, réside dans l’entente mutuelle entre les citoyens. Seul un rapprochement des sociétés peut contribuer à ancrer solidement un partenariat politique.

C’est là l’un des principaux objectifs de notre politique culturelle et éducative à l’étranger.

Nous voulons créer en Europe de l’Est un réseau régional regroupant les quelque 250 écoles partenaires allemandes. Nous avons l’intention de renforcer les échanges entre les jeunes cadres dans le secteur économique.

Lorsque j’étais étudiant dans les années quatre-vingt, il était très rare d’aller passer un ou deux semestres dans une université en Angleterre ou en France. Entre-temps, aller faire ses études dans un autre pays européen est quelque chose de tout à fait normal. Erasmus et Socrate font partie des programmes éducatifs les plus fructueux de tous les temps. En 1987/88, l’année de leur création, les participants allemands étaient au nombre de 650, dix ans plus tard, ils étaient déjà presque 14 000 et encore dix ans plus tard, ils étaient plus de 23 500. Depuis leur lancement, environ deux millions de personnes ont bénéficié de ces programmes.

Les temps ont changé et il n’y a pas que la Sorbonne ou Oxford et Cambridge pour les étudiants.

Il est temps de penser à l’Université Charles de Prague, la plus ancienne université d’Europe centrale. Il est temps de penser à l’Université germanophone Andrássy à Budapest ou au Collègue d’Europe de Natolin près de Varsovie.

En ce qui vous concerne, investir dans votre formation personnelle, c’est aussi investir dans l’avenir de l’Europe.

II.

Nous sommes encore loin d’avoir parachevé l’unité interne de l’Europe. Cela ne vaut pas seulement pour le rapprochement des sociétés européennes, cela vaut aussi pour les débuts de l’intégration européenne avec la coopération au sein de l’Union économique. Et cela vaut tout particulièrement pour l’Union monétaire.

J’en viens au deuxième grand défi que l’Europe aura à relever.

Il s’agit de l’avenir de l’euro. L’euro est la clef de voûte de l’Union économique et monétaire. La stabilité de l’euro figure parmi les premières inquiétudes des citoyens de notre pays. Je prends cette inquiétude très au sérieux.

La Grèce traverse actuellement une situation difficile, et les problèmes de la Grèce peuvent affecter l’ensemble de l’espace européen. Nombre de ces problèmes sont des problèmes internes. Pendant des années, la véritable situation du pays a été occultée. De l’autre côté, peut-être n’a-t-on pas été assez scrupuleux. Peut-être les obligations de contrôle n’ont-elles pas été remplies correctement. Quoi qu’il en soit, il ne s’agit pas de trouver un coupable. Il s’agit de surmonter la crise.

Nous sommes prêts à prendre les responsabilités liées à notre monnaie. Les citoyens en Allemagne peuvent compter sur nous. Car c’est seulement avec une monnaie stable que nous pouvons garantir la prospérité et la justice sociale.

Cependant, nous ne faisons pas de chèque en blanc. Demander aux contribuables européens de remédier à des erreurs qu’ils n’ont pas commises n’est pas la solution pour résoudre la crise. La Grèce doit faire ses devoirs. Une aide ne peut être fournie qu’en dernier recours, c’est-à-dire quand il devient indispensable de protéger notre monnaie.

La Grèce va être confrontée à des coupes sombres et douloureuses. J’ai beaucoup de respect pour la politique d’assainissement que le Premier ministre M. Papandréou mène avec courage et détermination. Pour accomplir sa tâche difficile et ses réformes radicales, il pourra compter sur le soutien du gouvernement fédéral.

Une chose est claire. Nous voulons l’Union européenne, mais nous ne voulons pas d’une union de transfert au détriment de l’Allemagne.

Au-delà de la crise actuelle, l’exemple de la Grèce révèle les points forts et les points faibles de l’Union économique et monétaire.

Cette crise fait apparaître la force de l’Union économique et monétaire. L’euro et le marché commun ont empêché le protectionnisme et les spéculations monétaires contre certains États d’aggraver la crise. Les États membres de l’UE ne doivent pas surmonter la crise tout seuls.

Il est évident que la zone euro exige des adaptations en profondeur. Le cas de la Grèce ne doit pas se répéter. L’Europe ne pourra rester une communauté de solidarité que si tous la perçoivent comme une communauté de responsabilité.

Nous veillerons à ce que les débats des dernières semaines ne tombent pas dans l’oubli. Il faut tirer des conséquences concrètes de ce qui s’est produit. Nous avons besoin de beaucoup plus de contrôles et de règles plus strictes. C’est pourquoi les droits d’intervention de l’Office statistique des Communautés européennes (EUROSTAT) doivent être renforcés. Nous avons besoin d’un système de surveillance pour les déficits de la balance des paiements courants et nous voulons consolider le pacte de stabilité.

Chaque État de la zone euro est tributaire à long terme de finances publiques solides. À mon avis, il est juste qu’un État doive apporter la preuve de ses efforts en la matière. Nous sommes tous convenus que le niveau de la dette ne devait pas dépasser 60% du produit intérieur brut. Il faudra à l’avenir mieux protéger cette limite de la dette. En Allemagne, un frein à la dette a été prévu dans la Loi fondamentale. Nos partenaires auront peut-être d’autres solutions. L’important, c’est qu’elles soient efficaces.

Dans la zone euro, les déficits et la politique économique ne sont plus des questions purement nationales. Si un pays laisse trop filer son déficit et s’il persiste à mener une politique économique irresponsable, c’est l’ensemble de la zone euro qui est en danger. Si la politique d’un État de la zone euro affaiblit l’euro au point que les autres États membres ne peuvent que réagir, ces derniers sont le dos au mur. Dans ces conditions, il n’est plus possible de mener une politique économique autonome. Personne en Europe ne peut vouloir un tel développement.

Aussi devrions-nous adopter des mesures applicables à l’État qui ne cesse d’enfreindre les règles auxquelles il a souscrit. Une monnaie commune nous assigne une responsabilité commune. Les États respectueux des règles doivent se protéger pour éviter d’être lésés par un État qui n’assume pas ses responsabilités.

Quand un pays n’est plus en mesure de combler lui-même son déficit, est-ce trop demandé à son gouvernement de soumettre son projet de budget à l’Eurogroupe avant de le présenter à son parlement ? Est-ce trop demandé que l’avis de l’Eurogroupe soit contraignant au lieu d’avoir valeur de conseil ? Que se passe-t-il si un État ne tient pas compte d’un tel avis ? Faudrait-il dépêcher un commissaire pour lui venir en aide ? Ou l’État membre devrait-il même perdre son droit de vote ? Il est nécessaire de discuter très ouvertement de ces questions. Nous ne pouvons plus nous permettre de fermer les yeux. Vous tous ici réunis attendez, à bon droit, des réponses de la politique.

La crise montre à nouveau que la stabilité de l’euro ne dépend pas seulement des déficits. Les seuls critères du pacte de stabilité n’ont pas suffi pour faire face à la crise actuelle.

L’exemple de la Grèce montre qu’en temps de crise un déficit de la balance des paiements courants place un État devant des problèmes existentiels. Et cela va très vite. Nous devons nous intéresser davantage aux différences de compétitivité. Quand la balance des paiements courants affiche des déséquilibres trop grands, c’est un signal d’alarme pour la stabilité de l’Union économique et monétaire.

Voulons-nous vraiment avoir comme objectif politique une compétitivité plus faible ?

Les économies nationales en Europe sont aujourd’hui si étroitement imbriquées que le marché intérieur doit être régi par les mêmes conditions, comme par exemple pour les normes de protection ou le droit de la concurrence. En outre, à long terme, l’Europe sera appelée à mieux concerter les politiques économiques nationales. Je veux parler d’une coordination, c’est-à-dire d’accords volontaires mais aussi contraignants. Nous n’avons pas besoin de gouvernement économique. Néanmoins, l’Europe ne peut pas se permettre de simplement continuer comme avant si nous voulons réussir l’Union monétaire.

À première vue, tout cela fait penser à plus d’État et à plus de bureaucratie. Je ne suis pas un partisan de plus d’État ni de plus de bureaucratie. Est-il nécessaire que les budgets des États membres soient surveillés par la Commission ? Ou par des commissions communes des États membres ? Si chaque État assume ses responsabilités vis-à-vis de ses partenaires, cela n’est pas nécessaire. Cependant, si un État ne respecte pas les règles communes, il nuit à long terme à tous les États membres, et surtout à lui-même. Comment un État peut-il demander à ses citoyens d’être responsables si lui-même n’est pas prêt à prendre ses responsabilités ?

C’est seulement en étant une communauté de responsabilité que l’Union européenne sera une communauté d’avenir.

Au plan économique, l’Europe aura un avenir si elle reste en tête de la compétitivité mondiale. L’Europe doit continuer de miser sur l’innovation et la technologie. La grande majorité des usines de la mondialisation ne se trouvent plus en Europe. Ce que nous avons et ce que nous devons développer, ce sont des idées pour le nouveau progrès technologique. Dans le futur l’Europe devra avoir également des idées et les transformer dans une dynamique économique.

Je le dis en étant très confiant. Je le dis en étant très fier des réalisations de l’Europe. Mais je le dis aussi parce que je me demande avec inquiétude comment nous allons préserver nos acquis. Le modèle européen de solidarité dans lequel les forts aident les faibles est un modèle qui mérite d’être défendu s’il est en danger. À ce sujet, je suis parfois mal compris, et aussi volontairement mal compris. Celui qui veille à produire d’abord ce qui sera distribué ensuite est le meilleur garant de l’État social et de la solidarité en Allemagne et en Europe. Cela vaut autant à Bonn qu’à Bordeaux ou Bucarest.

L’UE s’était donné pour objectif dans son agenda de Lisbonne d’être l’espace économique le plus compétitif au monde. Malheureusement cet objectif n’a pas été atteint. Cela ne signifie pas que nous devons relâcher nos efforts. Cela signifie que nous tous devons faire encore plus d’efforts que par le passé. C’est seulement ainsi que nous pourrons exploiter en Europe de nouveaux potentiels de croissance et créer plus de prospérité pour tous.

Pour réussir, nous devons développer la formation et les sciences. Ainsi l’innovation doit-elle être plus facile et non plus difficile. Nous devons investir dans les cerveaux de demain au lieu de subventionner d’anciens bassins houillers. Nous avons besoin de technologies clé comme l’électromobilité, l’approvisionnement énergétique climatiquement neutre, la nanotechnique et la technique médicale, etc.

Nous avons besoin de scientifiques et d’ingénieurs avec des idées pour construire le monde de demain.

Au mois de juin prochain, il est prévu d’adopter une stratégie commune pour la croissance et l’emploi, la stratégie UE 2020. Nous devons être plus ambitieux, nous devons travailler ensemble pour atteindre les objectifs que nous nous fixons.

Selon quelques voix critiques, la demande en Allemagne serait trop faible et renforcerait ainsi le déséquilibre sur le marché intérieur. Je les prends au sérieux. Si l’Allemagne augmente sa demande nationale, cela aide à réduire les déséquilibres structurels dans l’Union monétaire. Ce ne sera pas facile compte tenu du montant élevé de la dette publique. Ce n’est pas la politique qui augmente la demande. La demande augmente quand les citoyens ont plus d’argent et qu’ils osent le dépenser.

Le moment serait venu de parler d’impôts et d’exonérations. Mais je m’abstiendrai.

III.

Le troisième défi de l’Europe est la question du rôle de la politique étrangère dans le futur et du rôle de l’Europe comme acteur mondial.

Ce n’est qu’ensemble que nous pourrons relever les défis actuels dont beaucoup resteront des défis dans l’avenir. Le changement climatique, la sécurité des ressources et la sécurité énergétique, le terrorisme et les catastrophes naturelles sont des problèmes qui nous accompagneront aussi plus tard. Ensemble, nous pouvons nous mobiliser pour le libre échange, pour le désarmement et la non-prolifération nucléaire, pour la défense des droits de l’homme et pour la promotion de la bonne gouvernance. Ensemble, nous pouvons saisir les chances politiques et économiques de la mondialisation. La mondialisation a besoin de plus et non de moins d’Europe.

Plus nous serons soudés à l’intérieur, plus nous serons capables d’agir, plus nous pourrons être crédibles et déterminés à l’extérieur.

Dans ce but, nous avons besoin d’une Union forte, unie et sûre d’elle. Nous voulons une Union européenne qui joue un rôle actif dans les affaires du monde et qui assume ses responsabilités. Le modèle d’intégration et de coopération Europe doit apporter au processus de mondialisation son trésor d’expérience incomparable.

Le traité de Lisbonne a créé le cadre institutionnel qui a doté l’UE d’une représentation extérieure plus déterminée.

La cohérence de l’action extérieure de l’Union européenne est renforcée. Le Service européen pour l’action extérieure œuvre parallèlement aux diplomaties nationales. Il ne signifie pas la fin de la diplomatie nationale mais représente au contraire un complément nécessaire et important. Les États membres continuent de jouer un rôle majeur dans la gestion des relations extérieures de l’Union. Cependant, il est indispensable d’unir nos voix pour être mieux entendus. Au sommet de Copenhague sur le climat, nous n’avons pas atteint les objectifs que nous nous étions fixés. C’est principalement à cause de la résistance des acteurs non européens qui ne voulaient pas que Copenhague débouche sur des résultats. Mais c’est aussi parce que nous n’avons pas réussi à faire entendre notre voix commune malgré un accord en Europe sur les questions essentielles.

Le traité de Lisbonne a également renforcé les possibilités d’une politique de sécurité et de défense commune.

Entre autres, il est désormais possible de faire des progrès même si tous les États de l’UE ne sont pas parties prenantes. Le traité de Lisbonne donne la possibilité de mener une coopération approfondie qui n’engage qu’une partie des États membres. Les États membres peuvent par exemple développer leur vision européenne d’une défense commune. Il est clair à mes yeux que nous avons besoin de tels modèles dans une Union qui compte 27 États membres et qui veut être capable de poursuivre son élargissement.

Je ne parle pas d’exclusion ni de création d’axes. Il est toujours préférable que tous les États membres avancent ensemble. Les solutions européennes doivent être concertées et adoptées ensemble également à l’avenir. L’intégration approfondie de l’Union dans son ensemble reste le but à atteindre.

Je pense qu’une plus grande convergence dans la politique de défense rend l’Europe plus forte. Si nous voulons préserver et développer la liberté à l’intérieur, nous devons être en mesure de répondre à des attaques de l’extérieur. Le terrorisme est la menace que nous connaissons aujourd’hui. Dans le futur, nous serons confrontés à des défis que nous ne pouvons pas encore nous imaginer aujourd’hui. Il faut aussi nous y préparer.

C’est pourquoi, de concert avec mes homologues polonais et français, j’ai lancé aujourd’hui une initiative destinée à améliorer la capacité de réaction aux crises et la capacité de commandement.

L’objectif à long terme du gouvernement fédéral est la mise sur pied d’une armée européenne sous plein contrôle parlementaire. La politique de sécurité et de défense commune peut devenir un moteur dans la poursuite du processus d’unification européenne.

Nombre de nos citoyens s’inquiète de l’état des lieux de l’Europe dans le système mondial. Je pense que cette inquiétude est surtout liée à l’impression d’une perte de contrôle face à un monde complexe exposé à des dangers qui nous semblent plus proches que jamais. Le monde est plus ouvert, mais il est aussi plus compliqué. Les rapports de force dans la politique internationale se modifient. Cela vaut pour l’économie. Cela vaut aussi pour les valeurs et les connaissances. Les puissances émergentes comme la Chine, l’Inde et le Brésil sont des pôles d’effervescence non seulement économique, mais aussi politique et culturel.

Je considère que les changements géopolitiques ne sont pas une menace mais une chance. Naturellement, l’Europe ne peut pas résoudre toute seule les problèmes de la planète. L’UE a besoin d’alliances avec les principaux partenaires stratégiques, en premier lieu et avant tout les États-Unis, mais aussi avec la Russie et le Brésil, l’Inde et la Chine ou encore l’Union africaine. C’est seulement avec ces partenaires qu’il sera possible d’avancer dans la lutte contre le changement climatique, dans le cycle de négociations commerciales de Doha ou dans la régulation des marchés financiers. C’est seulement ensemble que nous pourrons empêcher l’Iran de se doter de l’arme nucléaire.

Les défis auxquels l’Europe doit faire face sont gigantesques. Ils sont différents de ceux d’autrefois, mais ils ne sont certainement pas moins grands. La voie de l’Europe pour un avenir réussi n’est pas tracée d’avance. C’est à nous de tracer cette voie.

Je n’hésite pas à dire clairement ce qui ne fonctionne pas du tout et ce qui ne fonctionne pas encore assez bien. Il ne faut pas que nous ayons une image déformée de l’Europe. Nous avons besoin d’une image de l’Europe qui représente la réalité telle qu’elle est. En fonction de cette image, nous devons nous mettre à la tâche avec détermination et courage afin de parachever la construction européenne.

Avec le traité de Lisbonne, l’Union européenne est sortie d’une paralysie institutionnelle d’une décennie. Le traité de Lisbonne est un gain pour les citoyens. Leurs voix sont plus fortes, et pas seulement à Bruxelles et à Strasbourg. Les parlements ont été renforcés partout en Europe, et cela vaut pour le Parlement européen comme pour tous les parlements nationaux.

Si j’ai abordé aujourd’hui aussi explicitement les problèmes de l’Europe, c’est parce que je suis convaincu que nous devons connaître les problèmes pour pouvoir les résoudre, et nous sommes capables de les résoudre. Quand il s’agit de l’Europe, je suis bien entendu optimiste. Et ce n’est pas parce que je suis originaire de Rhénanie. Pour résoudre les problèmes de l’Europe, vous tous devez vous y intéresser, y travailler et participer aux décisions. L’Europe pourra alors saisir ses chances. Car l’Europe est avant tout aussi une chance pour vous.

L’Europe, ce n’est pas seulement l’affaire de Mme Ashton ou de M. Barroso. L’Europe, c’est aussi votre affaire. C’est vous qui pouvez construire l’Europe.

Vous tous pouvez contribuer à la réussite de l’histoire européenne.