Il est bien loin, le timide vice-président qui avait pris ses distances avec le gouvernement de Gonzalo Sánchez de Lozada après qu’on lui eût demandé s’il était disposé à tuer. Aujourd’hui, le président Carlos Mesa a décidé de faire face aux mobilisations sociales par la répression, la confrontation sociale et la criminalisation des protestations.

Ce pari sur la manière forte est dû à son impossibilité d’apporter des réponses politiques aux exigences populaires qui l’ont porté à la présidence en octobre 2003, notamment par l’approbation d’une nouvelle Loi sur les hydrocarbures qui élèverait l’impôt dû par les compagnies pétrolières ; mandat populaire qui a été soumis à référendum convoqué par le même Mesa en juin 2004.

Investi d’une nouvelle « légitimité », accordée par les partis de droite qui ont pactisé entre eux pour lui laisser le champ libre, au Parlement, afin de faire approuver les lois qu’il souhaite et par les classes moyennes qui sont descendues dans la rue pour lui exprimer leur appui. Résultat, Mesa n’est même plus pris de doutes quant au recours à la violence pour faire taire les protestations. Hier, un barrage routier mis en place par des chauffeurs de Santa Cruz a été levé suite à l’intervention de détachements policiers qui ont frappé les manifestants et détruit les vitres de leurs véhicules

C’est donc la situation actuelle en Bolivie après que, lundi dernier, Carlos Mesa a soumis sa démission au congrès. Dans un long discours à la nation (émis le dimanche 6), Mesa a expliqué qu’il était obligé de prendre cette décision en raison des protestations sociales qui avaient gagné tout le pays. Il en a aussi profité pour accuser les leaders sociaux tels que Evo Morales (député du MAS) et Abel Mamani (comités de quartiers) de le déstabiliser et de l’empêcher de gouverner.

Toutefois, peu de temps après, les véritables motivations de Mesa et de ses menaces de démission sont apparues au grand jour : son indisposition totale à s’opposer aux entreprises pétrolières transnationales qui, depuis la privatisation organisée par Gonzalo Sánchez de Lozada (1993-1997) jouissent d’avantages économiques mirobolants pour l’exploitation du pétrole bolivien.

Gaz, eau, le FMI et Suez

L’exigence d’une nouvelle loi sur les hydrocarbures, qui élève les impôts des transnationales du pétrole à hauteur de 50 % pour ce qui est des taxes, est une des principales demandes de « l’agenda d’octobre », qui a résulté des mobilisations de 2003 connues comme « La guerre du gaz » et qui ont abouti à la chute et la fuite de Gonzalo Sánchez de Lozada. En prêtant serment en tant que président, Mesa s’était engagé mettre en œuvre cette mesure.

Un autre des conflits sociaux auxquels fait face Mesa est celui relatif à la gestion de l’eau par l’entreprise Eaux de l’Illimani (filiale du groupe français Suez) à la La Paz et à El Alto. Après une vague de protestations à El Alto, le gouvernement a émis un décret pour rompre le contrat avec les Eaux de l’Illimani, arguant que le contrat n’a pas été honoré, que les prix ont fait l’objet d’une hausse injustifiée, et une négligence au moment d’étendre les services vers les secteurs de la population les plus pauvres.

Toutefois, le week-end dernier Carlos Mesa a fait machine arrière, et dans un long discours il a affirmé ne pas être disposé ni à approuver une loi qui le conduirait à s’opposer au compagnies pétrolières, au FMI et la Communauté internationale, ni à "botter le cul" (sic) des Eaux de l’Illimani. En contradiction totale avec le mandat issu du referendum qu’il a instrumentalisé, et en vidant de son contenu le décret sur la gestion de l’eau.

Le mot du président

Ces « contradictions » ; ou « ambiguïtés » dans l’action de Mesa, font partie de sa politique gouvernementale depuis qu’il assume la présidence. Satisfaire la population sur le plan symbolique (discours, décrets, referendum...) et dans la pratique maintenir le cap politique de défense des transnationales.

En octobre 2003, lors de sa prise de fonctions, il avait déjà prononcé un discours dans lequel il se montrait ouvert aux changements que la société exigeait et s’était engagé à mettre en oeuvre « l’agenda d’octobre », qui inclut, entre autres, la nationalisation du gaz et la convocation d’une l’Assemblée Constituante ; mais aussi à être un président de transition dont le mandat devait justement expirer après que l’Assemblée ait défini le nouveau cap que prendrait le pays.

Quelques mois plus tard, dans son allocution du nouvel an (1 janvier 2004), son discours s’est transformé. Il a rendu responsable les protestations sociales d’empêcher le progrès économique du pays, il a reconsidéré sa position sur la question des hydrocarbures et laissé clairement entendre qu’il allait gouverner jusqu’à la fin du mandat hérité de Sánchez de Lozada. Quelques mois plus tard, avec la ferme intention de conclure une fois pour toutes le problème des hydrocarbures, il a lancé un referendum. Le résultat qu’il escomptait fut quelque peu contrarié du fait que, pour pouvoir légitimer la consultation, il a été contraint de pactiser avec le MAS, parti qui en échange de son appui a exigé l’inclusion de deux questions qui renvoyaient en partie à l’agenda d’octobre.

Renaissance populaire

En dépit des appuis obtenus par Mesa, sa menace de démission n’a pas permis de désarticuler le mouvement populaire. Au contraire, l’accord de Mesa avec les partis de droite a eu pour effet d’unifier les différents secteurs sociaux et leurs revendications en un seul bloc. La Centrale Ouvrière de Bolivie, la Confédération Syndicale Unique de Travailleurs paysans de la Bolivie et le MAS, avec 10 autres groupes sociaux, ont signé ce matin un accord pour exiger l’approbation d’une nouvelle Loi sur les hydrocarbures, qui élève les taxes pétrolières de 18 à 50 pour cent, la convocation d’une Assemblée Constituante et de rompre le contrat avec les Eaux de l’Illimani.

Face à cette situation nouvelle, Mesa prétend se servir une fois de plus de sa rhétorique mêlant habilement accusation avec réconciliation. Ainsi, il a demandé pardon à Evo Morales pour l’avoir fustigé dans son discours (bien qu’il ne se rétracte pas de ses accusations). Morales, pour qui des excuses étaient une des conditions pour renouer le dialogue, a précisé que, dialogue ou pas, la loi d’hydrocarbures et la hausse des taxes à 50 % ne sont pas négociables.

Parallèlement à ses appels à la réconciliation, Mesa a aussi choisi d’utiliser la confrontation sociale pour délégitimer et désarticuler les protestations. Avec sa stratégie de criminalisation des mobilisations et ses appels aux citoyens, les enjoignant à se mobiliser contre les manifestants aux barrages routiers, cela a pour résultat de polariser la population. Pire encore, il réactive les sentiments de classe en opposant ceux qui ont une certaine stabilité économique et des intérêts à protéger contre ceux qui n’ont rien. Ceux qui ont de l’eau contre ceux qui n’en ont pas.