Dans le Financial Times et le Moscow Times, le secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, présente les bases de son rapport sur la réforme de l’ONU, Dans une liberté plus grande. Ce dossier a été distribué le 21 mars à l’Assemblée générale et tente une synthèse entre les différentes propositions de réformes rédigées pour l’organisation. C’est l’occasion pour M. Annan, qui fait l’objet d’une campagne de harcèlement et de calomnie outre-Atlantique, de régler quelques comptes. Il dénonce ainsi « ceux qui estiment que l’ONU fait partie d’un ordre du monde obsolète » et rappelle qu’il n’est responsable de son action que devant les peuples du monde. En outre, il affirme qu’il ne peut y avoir de développement sans liberté et de liberté sans paix ; une attaque à peine voilée contre ceux qui prétendent apporter démocratie et liberté au bout du fusil.
Dans son rapport, le secrétaire général des Nations Unies propose d’accroître le nombre des membres au Conseil de sécurité sans leur donner de droit de veto, demande aux pays riches d’augmenter leur aide au développement et souhaite une réforme de la Commission des Droits de l’homme de l’ONU, cible préférée des adversaires de l’Organisation. Elle serait remplacée par un Conseil des Droits de l’homme, dont les membres seraient élus par l’Assemblée générale à une majorité des deux tiers. Cette dernière proposition est une façon de couper l’herbe sous le pied à la proposition péruvienne de remplacer la Commission par un conseil d’experts. Cependant, pour contenter Washington, Kofi Annan pose dans son rapport le principe de « responsabilité de protection » des populations, principe qui pourrait justifier à l’avenir des guerres préventives. Il demande également que les membres de l’ONU s’entendent sur une définition du terrorisme, un vœu pieu puisque cette définition achoppe toujours sur la question du terrorisme d’État et sur celle des actions de libération nationale.
Comme on pouvait s’y attendre, ces mesures n’ont pas suffi à calmer la campagne contre Kofi Annan.
Ainsi, Claudia Rosett poursuit son travail de sape de l’action du secrétaire général de l’ONU dans le Wall Street Journal, quotidien économique dévoué à la dénonciation de l’institution. L’éditorialiste, dont nous avons montré l’importance dans le dispositif médiatique contre M. Annan, réitère les accusations de corruption contre les Nations Unies et dénonce les mesures proposées dans le rapport. Elle affirme que l’action de l’Organisation va dans le mauvais sens et qu’elle devrait non pas demander plus de fonds aux pays riches, mais aider à libéraliser l’économie des pays pauvres. En effet, les pays riches devraient garder leurs fonds et limiter leurs impôts pour que les consommateurs-citoyens fassent tourner l’économie mondiale et résolvent ainsi les problèmes de pauvreté dans le monde. On retrouve là la théorie de la « main invisible » d’Adam Smith, un auteur tant apprécié par Mme Rosett qu’elle avait proposé d’envoyer ses ouvrages en Corée du Nord au lieu de l’aide humanitaire contre la famine.
Inspiré par la campagne médiatique de Mme Rosett et de son mentor R. James Woolsey, les parlementaires états-uniens multiplient les commissions d’enquête fantoches contre l’ONU. Ainsi, le représentant républicain de Californie, Dana Rohrabacher, revient dans le Washington Times sur le témoignage de Rehan Mullick, un ancien employé de l’ONU qui conspue la corruption du programme « Pétrole contre nourriture ». Il s’agit d’une charge supplémentaire contre l’organisation, qui oublie que ce programme était sous la surveillance étroite des membres du Conseil de sécurité. S’il y a eu corruption, elle a également été étouffée par les États-Unis. Comme pour les armes de destruction massive irakiennes, les partisans de l’Empire ne s’embarrassent pas de vraisemblance dans leur propagande.

Comme nous l’avons déjà noté, la campagne contre M. Annan a commencé lorsque le secrétaire général de l’ONU a qualifié la guerre contre l’Irak d’« illégale ». Bien qu’il se soit montré beaucoup moins ferme sur ce sujet depuis, les attaques contre lui ne se sont pas arrêtées.
Aujourd’hui, la guerre d’Irak a perdu une bonne part de ses opposants dans la presse conformiste. La majorité de la presse occidentale estime désormais que le conflit irakien a été le déclencheur d’un « printemps arabe » largement loué. Pourtant, la situation ne s’arrange pas sur le terrain pour la Coalition.
Ibrahim Al-Jaafari, Premier ministre putatif d’Irak, présente dans une interview à Der Spiegel la situation dans son pays après les élections. Il est bien obligé d’admettre que la violence n’a pas diminué après les élections, comme les thuriféraires de la Coalition l’avaient annoncé. Toutefois, il veut se montrer rassurant : bientôt, le gouvernement contrôlera son territoire. Il décrit les bases de l’accord de la coordination chiite avec la coordination kurde : les Kurdes disposeront d’un système fédéral leur permettant de garder un statut autonome et un « programme de transfert de population » sera conduit au Kurdistan, il s’agit d’une expression politiquement correcte pour désigner un « nettoyage ethnique ». Ils disposeront en outre de la présidence. Il assure que la charia sera l’une des bases de la future constitution irakienne, mais que les mesures les plus restrictives en découlant ne seront pas imposées… à moins que les élus du peuple ne les votent. Tout est donc dans les mains d’une assemblée « élue » sous contrôle de l’occupant.
La spécialiste états-unienne des questions de laïcité, Susan Jacoby, dénonce justement dans le Los Angeles Times la volonté de l’administration Bush de constituer en Irak un gouvernement religieux. Elle estime qu’au mieux, cela aboutira à un système à l’israélienne, où les rabbins orthodoxes fixent les règles concernant le mariage et le divorce, et, au pire, on aboutira à un régime fondamentaliste peu respectueux des droits des individus et des minorités ; droits que l’administration Bush prétend pourtant vouloir promouvoir dans le monde. Pour l’auteur, cette politique est dictée par un rejet total de la laïcité par l’administration Bush, aussi bien aux États-Unis qu’hors des États-Unis.
Le professeur Shlomo Avineri donne une autre explication à cet attachement à un État avec une orientation religieuse dans le Daily Star : si l’Irak devient un pays avec une constitution marquée par le chiisme, ce sera au détriment du nationalisme arabe. En outre, même si l’auteur ne le précise pas dans ce texte, il espère sans doute que la concentration des pouvoirs dans les mains d’une seule communauté attisera les séparatismes, une option que M. Avineri a appelé de ses vœux dans de nombreux autres articles.