Tandis que les sondages annonçant une victoire du « non » au référendum français sur le Traité constitutionnel européen se multiplient, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin se mobilise afin de faire campagne pour le « oui » selon une division du travail précise.
C’est au ministre de l’Éducation, François Fillon, qui avait appelé à voter « non » au Traité de Maastricht en 1992, qu’échoit la tâche de rassembler ses amis UMP de l’époque et de publier avec eux un texte pour convaincre les « souverainistes ». Dans un appel publié par Le Figaro, ils affirment ensemble que le Traité constitutionnel lève les réticences qu’ils avaient sur la construction européenne en 1992. Alors que le Traité de Maastricht produisait une Europe technocratique et la possibilité de construire une fédération européenne, le projet constitutionnel créerait un système politique démocratique fondé sur les États. En outre, l’élargissement à 25 mettrait fin à toute possibilité de constituer les États-Unis d’Europe tout en offrant la possibilité de former des partenariats renforcés.
Pour désamorcer les craintes de ceux qui redoutent un texte trop libéral, la parole est donnée à l’alibi social du gouvernement français, le ministre des Affaires sociales, Jean-Louis Borloo. Dans une interview également publiée par Le Figaro, il s’appuie sur certains passages de la Charte des Droits fondamentaux pour mettre en avant le progrès que représenterait ce texte. Il oublie toutefois de citer les passages du titre III qui contredisent ces avancées, un titre III dont il ne fait même pas mention.
Enfin, c’est au ministre des Affaires étrangères, Michel Barnier, qu’incombe la tâche de s’attaquer aux partisans du « non » au référendum. Dans Le Monde, il dénonce les « contrevérités » des partisans du « non » et en choisit trois : le lien entre la Constitution et la directive Bolkestein, celui entre l’adhésion de la Turquie et ce texte et la possibilité d’une relance de l’Europe par la victoire du « non ». Il associe ces trois arguments à l’extrême gauche ou à l’extrême droite et assimile donc les partisans du « non » aux extrêmes du spectre politique national, espérant sans doute ainsi effrayer les lecteurs du quotidien de référence des élites françaises.

Jack Lang et Olivier Duhamel, respectivement ancien ministre de la Culture et de l’Éducation nationale et ancien membre de la Convention européenne, tout deux partisans socialistes du Traité constitutionnel, adoptent la même approche que M. Barnier dans Libération. Eux aussi accusent les partisans du « non » de contre-information et dénoncent l’emploi de mensonges qui seraient martelés dans les médias. On pourra s’étonner des exemples choisis puisqu’il s’agit d’arguments qui, à notre connaissance, ont été peu utilisés. Les deux auteurs s’appuient sur eux cependant pour exiger que les médias soient rigoureux quand à la véracité des informations transmises. Il est donc demandé que des entreprises médiatiques appartenant à de grands groupes privés ou dépendant de la tutelle de l’État se posent en juges du débat public. Les auteurs critiquent également les médias qui donneraient trop d’échos aux partisans du « non ». On rappellera toutefois que le Conseil supérieur de l’audiovisuel français a posé comme règle durant la campagne une stricte égalité de temps de parole entre partis et non entre partisans du « oui » et du « non ». Cette mesure donne un temps d’antenne largement supérieur aux responsables soutenant le Traité constitutionnel. Il en est de même pour la règle de financement des campagnes fixée par les autorités compétentes.

Dans leurs argumentaires en faveur du texte, les partisans du « oui » évitent toute mention des articles liant la défense européenne à l’OTAN ou plaçant la concurrence « libre et non-faussée » au centre du projet européen, bien qu’il y soit fait souvent référence dans les arguments de leurs adversaires.

Pendant que les Européens, et surtout les Français, débattent des règles régissant l’Union européenne, les États-Unis travaillent à la redéfinition des institutions internationales. Cette situation a poussé le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, à rédiger un rapport proposant des réformes pour son organisation. Ce texte trouve de nombreux opposants.
Inocencio Arias, ancien ambassadeur à l’ONU quand José-Maria Aznar était président du Conseil espagnol, le commente dans El Periodico. Il reconnaît les bonnes intentions du secrétaire général et se réjouit des appels contre la prolifération nucléaire et la dénonciation du terrorisme. En revanche, il dénonce l’accroissement du nombre de membres permanents du Conseil de sécurité qui se ferait au détriment de l’Espagne. Il s’agit là d’une position commune à de nombreuses puissances moyennes qui ne peuvent pas prétendre à un siège permanent et craignent une perte d’influence globale. Gianfranco Fini, le ministre italien des Affaires étrangères, avait par le passé identiquement dénoncé cette extension.
Les avocats républicains David B. Rivkin Jr. et Lee A. Casey, anciens membres du département de la Justice sous Bush père, condamnent eux aussi le plan Annan mais, c’est à la place même de l’ONU dans le monde qu’ils s’attaquent dans le Los Angeles Times. Sur la base d’une lecture extensive du droit à utiliser la force dans la Charte des Nations unies, ils estiment que l’organisation s’est arrogée trop de droits et qu’elle ne doit être qu’un simple lieu de débat, pas un arbitre international. In Fine, ce qui est demandé, c’est que ce soit les États-Unis seuls qui décident quand l’usage de la force est justifié. Il s’agit d’une vision que John Bolton, nouvel ambassadeur des États-Unis à l’ONU, devrait défendre au sein de l’organisation.
Cette nomination controversée a été éclipsée par celle de Paul Wolfowitz à la présidence de la Banque mondiale. L’ancien secrétaire adjoint à la Défense a été élu à l’unanimité des membres du Conseil d’administration de la Banque, le 31 mars 2005. Conscient des craintes que son arrivée à ce poste suscite, le nouveau président a désamorcé les réticences dans une interview au Washington Post. Il affirme qu’il ne faut pas voir dans ce changement d’attributions une stratégie de l’administration Bush visant à transformer à son avantage le système international après la nomination de Bolton comme ambassadeur à l’ONU. Tentant de faire oublier son image de théoricien de la suprématie états-unienne, il s’engage à travailler avec les Européens et à répondre de ses actes devant tous les États membres de la Banque. Il rappelle toutefois que son poste lui donne un poids important dans la propagation de la liberté dans le monde, dénomination politiquement correcte pour désigner à Washington l’installation de régimes amis dans les pays stratégiques. Il confirme de la sorte que la réduction ou l’abandon de la dette du tiers monde sera désormais conditionnée à une soumission politique.