Al-Arabiya : Vous avez commencé une enquête journalistique sur le 11 Septembre dans une série de livres, dont le plus important était « L’Effroyable imposture ». À quels résultats avez-vous abouti au cours des derniers mois ? Y a-t-il de nouveaux éléments qui projettent une lumière sur ces événements ? Les revendications successives de Ben Laden sur le 11 Septembre, et ses activités continues n’ont-elles pas démenti votre conclusion sur la responsabilité d’un autre camp qu’Al-Qaïda dans ces attaques ?

Thierry Meyssan : Les attentats du 11 Septembre ne sont que le point de départ d’une politique qui était préparée depuis longtemps et dont nous voyons tous les jours de nouveaux développements. Mon travail porte sur cette politique dans son ensemble. Je ne me suis intéressé aux attentats que pour la comprendre, parce qu’ils en sont « l’acte fondateur ».

Au cours des trois dernières années, nous avons amassé une grande quantité d’informations nouvelles sur ces attentats, mais ce n’est au fond qu’une accumulation de détails. Ils sont tous compatibles avec ma thèse, rarement avec la version officielle. Certains sont ahurissants comme le fait que le matin du 11 Septembre 2001, une agence militaire des USA organisait un exercice dont le scénario était : que ferions-nous si un avion de ligne s’écrasait sur le Pentagone ? Un scénario qui avait été conçu des mois aupararant par un officier de l’armée de l’air, passé entre temps dans le secteur privé, et qui justement pilotait ce jour là l’avion dont on prétend qu’il se serait écrasé sur le Pentagone, mais dont on a retrouvé aucune trace.

Des auteurs comme Bruno Cardenosa en Espagne ou Michael C. Ruppert aux États-Unis ont publié des ouvrages exhaustifs sur ces éléments. De son côté, la Maison-Blanche a désigné une commission d’enquête indépendante du Congrès. Elle a procédé à des auditions, dont les plus importantes étaient à huis-clos, et a rendu un rapport. Celui-ci a été salué par la critique comme un événement littéraire et non comme un travail rigoureux d’enquête. Le professeur David Ray Griffin en a dressé une analyse implacable dans laquelle il a mis en lumière toutes les questions que les gens se posent et auxquelles la « commission indépendante du Congrès » a évité de répondre. C’est au fond là l’information la plus importante : trois ans après les attentats, les autorités US n’ont toujours pas réussi à présenter une version unique et crédible des faits. Le timing établi par la Commission présidentielle est différent de celui établi par les commissions du Congrès. On n’a toujours pas clarifié les points les plus importants : on ne sait pas comment le FBI a établi sa liste nominative des prétendus pirates de l’air. Et il refuse toujours d’établir les actes de decès des ces gens, d’autant que nous savons que certains n’étaient pas dans les avions et sont toujours vivants. Autre exemple : une commission d’ingénieurs a rendu un rapport expliquant que l’effondrement de la Tour n°7 du World Trade Center, dans l’après-midi, était dû à la déstablisation de ses fondations en raison de l’onde de choc provoqué par l’effondrement des Twin Towers le matin. Mais depuis, le propriétaire de la Tour n°7 a déclaré à la télévision qu’il avait donné l’ordre de la détruire pour éviter qu’elle ne s’effondre latéralement sur d’autres bâtiments. Il a ainsi admis que cette tour était piégée, que des explosifs y étaient placés à l’avance, et que ce sont les autorités US qui les ont activés. Un milliardaire états-unien, Jimmy Walters, qui est lui-même ingénieur en bâtiment, a offert une prime de 1 million de dollars à qui trouverait une explication scientifique crédible de l’effondrement si rapide des Twin Towers compatible avec la version officielle. Personne ne lui a réclamé cet argent, et surtout pas les fonctionnaires qui ont inventé la version officielle.

Un sondage de Zogby International a montré que plus de la moitié des New Yorkais ne croient plus la version officielle et sont persuadés que, au minimum, l’administration Bush savait tout à l’avance et a volontairement laissé commettre ces crimes.

Quand à Oussama Ben Laden, personne ne sait ce qu’il vient faire là dedans. Certes, il a été accusé et il a revendiqué les attentats. Mais aucun des liens précis qui avaient été évoqués entre lui et les attentats n’a pu être prouvé. Aucun. George W. Bush nous annonçait qu’il allait le traduire en justice. Il a même fait la guerre en Afghanistan prétendûment pour l’arrêter. Et puis rien. Nous n’avons aucune certitude qu’il soit même encore vivant, bien que sa voix et son image apparaissent encore à la télévision pour revendiquer tout et n’importe quoi. En janvier 2005, l’ancien numéro 2 du KGB, Leonid Chebarchine, a déclaré qu’il fallait en finir avec cette mascarade, que les services secrets du monde entier savent que Ben Laden est un agent de la CIA, pas seulement il y a vingt ans, mais toujours aujourd’hui. D’ailleurs faites le bilan de son action : Ben Laden n’a rien apporté à la cause qu’il prétendait servir, au contraire il a donné une image sanglante de l’islam, il n’a servi qu’à justifier l’impérialisme des néoconservateurs états-uniens.

Al-Arabiya : Quel est le destin qui attend à votre avis, les leaders d’Al-Qaïda et les Talibans ? Cela d’autant plus que la majorité d’entre eux sont encore en liberté et on ne sait pas où ils sont ?

Thierry Meyssan : Comme je l’ai souvent écrit, Al Qaïda n’est pas une organisation structurée, c’est un nom générique par lequel les États-Unis désignent toutes sortes de choses différentes sans liens entre elles. Il est ridicule d’attribuer aux mêmes individus l’attaque du Pentagone et l’explosion d’une bombe dans une boîte de nuit à Bali.

Si l’on souhaite parler de l’organisation d’Oussama Ben Laden, on doit admettre que ce que l’on en a trouvé est bien rudimentaire. Dans une conférence de presse, en janvier 2001, M. Rumfeld a prétendu que Ben Laden s’apprêtait à lancer un satellite depuis sa base spatiale en Afghanistan. Au cours de la guerre d’Afghanistan, le Times de Londres a publié des schémas des complexes souterrains de Ben Laden, de vraies villes-bunker, et toute la presse occidentale les a repris. Puis, il y a eu la guerre. On n’a jamais trouvé ni base spatiale, ni complexe souterrain, juste des masures en torchis.

Les Talibans étaient tout aussi misérables. C’était une confrérie sectaire et obscurantiste. Ils n’ont jamais attaqué les États-Unis et ceux-ci n’avaient pas le droit de leur faire la guerre. Il fallait certainement les renverser, mais pas en bombardant les populations. Aujourd’hui les Talibans se sont fondus dans la population pakistanaise et afghane et plus personne ne s’en soucie.

Il existe par contre un mouvement intellectuel islamiste radical qui glorifie l’usage de la violence et amalgame juifs et sionistes, chrétiens et croisés. Il est dangereux parce que ses analyses sont erronnées et qu’il détourne des jeunes gens vers des méthodes indignes et des actions stériles. Il faut y répondre avec patience en réfutant ses arguments et en proposant de plus nobles idéaux à ses adeptes. Pas en ajoutant de la violence à la violence.

Al-Arabiya : Quelques analystes politiques vous ont gravement critiqué, en vous accusant de tomber dans le piège de l’idée du complot, et qu’en fait votre livre n’est qu’un rassemblement d’hypothèses qui n’ont pas de base. Pourquoi ne leur répondez-vous pas ?

Des auteurs français, reprenant à leur compte les insultes lancées contre moi par Daniel Pipes aux États-Unis, m’ont accusé de céder à la « théorie du complot » et d’entretenir les fantasmes d’un monde arabe archaïque qui rejetterait sur l’Occident la responsabilité de son échec.
C’est le monde à l’envers. Ce que l’on appelle en sociologie la « théorie du complot », c’est un mécanisme intellectuel qui vise à expliquer des événements disparates par une cause unique, cachée et invérifiable. Les régimes fascistes ont utilisé la théorie du complot pour fuir leurs responsabilités et stigmatiser des groupes de populations. Par exemple, le IIIe Reich a prétendu que tous les problèmes de l’Allemagne venaient des juifs, puis il les a discriminés, puis il les a exterminés. Pour ma part, je ne cherche pas à expliquer tous les maux de la terre en en rendant responsable le complexe militaro-industriel US. Par contre, l’administration Bush tente d’expliquer tous les attentats partout dans le monde en les attribuant à un « complot islamique mondial ». Quand il y a une panne d’électricité aux États-Unis, le gouvernement ne dit pas que c’est à cause de la libéralisation sauvage de cette industrie, mais parce que c’est la faute à Ben Laden. Quand le peuple irakien résiste à l’envahisseur, on ne dit pas qu’il lutte pour son indépendance, mais que c’est la faute à Ben Laden. Etc.

De même, je ne comprends pas cette affirmation selon laquelle le monde arabe serait friand de la « théorie du complot » et utiliserait mes travaux pour nier sa responsabilité dans ses propres échecs. D’abord le monde arabe est vaste et divers. Il faut être bien ignorant pour ne pas voir de différence entre le Maroc et les Émirats. Ensuite, mes travaux ont reçu le même accueil partout dans le monde. Alors on me dit aussi que leur succès en Amérique latine s’explique parce que les Sud-Américains s’imaginent toujours qu’ils sont victimes de complots yankees, etc.

Les mêmes auteurs m’accusent de minimiser le danger islamiste et d’endormir la vigilance des Occidentaux. Il y a bien un danger de quelques fanatiques musulmans, mais l’islam n’est pas un danger, c’est une religion de tolérance. L’Occident est bien en danger, pas à cause de quelques fanatiques musulmans qui le menaceraient de l’extérieur, mais parce qu’il accepte à l’intérieur le leadership des neoconservateurs qui le poussent à commettre de nouveaux crimes. Je ne crois pas que les autres soient responsables de nos erreurs. Je ne crois pas au mythe du « complot islamique mondial ». Je pense que nous pouvons vivre ensemble en paix, et je me bats pour cela.

Al-Arabiya : Recevez-vous encore des menaces de mort ? Quelle est la réalité des risques concernant votre vie ? Est-ce que cela vous poussera à renoncer à développer votre thèse ?

Thierry Meyssan : C’est trop tard pour reculer.

Al-Arabiya : Après ces attentats aux États-Unis, la campagne de discrimination contre tout ce qui est islamique dans le monde n’a pas cessé et, ce qui est étonnant, en Europe récemment on retrouve aussi ce climat qui gêne les musulmans, en France, en Allemagne et en Hollande, cela se manifeste par des réactions individuelles. Pensez-vous que cela n’est en fait qu’une continuation de la même politique, cette fois menée par l’Europe ? Et pourquoi ?

Thierry Meyssan : Dans un rapport de prospective du Pentagone, rédigé par Paul Wolfowitz à la demande de Dick Cheney juste après la Guerre du Golfe, il est indiqué que les États-Unis assignent à l’Europe la fonction de soutenir leur économie et au monde arabe celle de fournir de l’énergie. Pour nous dominer tous à la fois, il faut nous diviser et nous opposer. Dans ce but, des stratèges néoconservateurs, Bernard Lewis, Samuel Huntington et d’autres, ont imaginé de provoquer une « guerre des civilisations » et de nous persuader qu’elle est une fatalité. Les États-Unis font donc aujourd’hui tout ce qu’ils peuvent pour créer des tensions qui rendent impossible de vivre ensemble et conduisent les populations à se séparer.

En France, un homme politique qui s’est allié aux États-Unis et à Israël pour mener carrière, Nicolas Sarkozy, a obligé les organisations musulmanes à entrer dans un Conseil national, puis a provoqué toute cette histoire du voile islamique. Il a trouvé un certain écho chez mes compatriotes, mais pas trop quand même. Pour le moment, il s’occupe surtout de gêner le président Chirac.

Al-Arabiya : Comment analysez-vous l’assassinat de l’ex-Premier ministre libanais Rafic Hariri ? À qui profite-t-il ? Pensez-vous que cela se terminera par le désarmement du Hezbollah à l’avenir ? Et comment envisagez-vous le futur proche du Liban ?

Thierry Meyssan : Rafic Hariri était l’homme du compromis. Il avait de nombreux amis opposés à la Syrie et jouait auprès d’eux le rôle d’un ministre des Affaires étrangères délégué de la Syrie. Il entretenait de bonnes relations avec tout le monde au point de devenir l’homme clef du maintien de la paix intérieure du Liban. Il en a profité pour accumuler une fortune personnelle, mais personne ne lui en voulait parce qu’il rendait service à tous. Ceux qui l’ont tué, l’ont fait pour déstabiliser le Liban et provoquer la guerre. Ce ne sont donc ni des gens qui servent les intérêts du Liban, ni des gens qui servent les intérêts de la Syrie.

Depuis 1954, Israël souhaite démanteler le Liban, y créer un État maronite et s’annexer le reste du territoire. Depuis 2003, les États-Unis souhaitent utiliser le Liban comme moyen de pression sur la Syrie pour contraindre Damas à accepter la perte du Golan et à cesser de soutenir la résistance palestinienne. Ces deux pays sont les seuls qui tirent profit de la mort de Rafic Hariri.

La déstabilisation du Liban a été programmée de longue date. Elle est pilotée par David Satterfield au département d’État et Elliott Abrams au Conseil national de sécurité. Elle s’appuie sur un dispositif créé par la CIA autour de l’US Committee for a Free Lebanon de Ziad Abdelnour.

Pour le moment, il s’agit de tenter un coup d’État livré en kit. Washington applique les mêmes méthodes qu’en Yougoslavie, en Géorgie, au Venezuela, en Ukraine, en Biélorussie, en Haïti, au Kirgkistan et au Zimbabwe. Les gens n’en peuvent plus de la guerre civile et des accords de Taëf. Pour eux, « ça suffit ! ». La nouvelle génération, qui n’a pas connu la guerre civile, n’a aucune raison de vouloir la présence syrienne qui y a mis fin. Cette volonté de tourner la page, de commencer une ère nouvelle, s’exprime à l’occasion de la mort d’Hariri avec laquelle il n’a pas de rapport direct. Mais cet attentat rappelle la guerre civile alors même qu’Hariri n’était pas une personnalité de cette période. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Les agitateurs des ONG états-uniennes entretiennent ce sentiment et campent sur la place des Martyrs, à Beyrouth, et manipulent le deuil pour empêcher toute réflexion sur l’avenir du Liban. Ils expliquent aux gens que les autorités sont illégitimes et qu’il faut cesser de leur obéïr. Ils diffusent des sondages bidons qui assurent que si Hariri s’était présenté aux législatives, il aurait emporté une large majorité, ce qui au vu des dernières élections municipales est une farce. Ils contestent à l’avance la sincérité des élections prévues en mai. Encore quelques semaines de cette agitation et tout l’État s’effondrera comme un château de cartes, sans projet de remplacement. La population aura alors peur du chaos et les États-Unis pourront placer qui ils voudront à la tête du pays. On découvrira alors de vraies preuves de l’implication d’Hafez el-Assad dans l’assassinat de personnalités libanaises par le passé, puis on trouvera de fausses preuves de la responsabilité de son fils dans l’assassinat d’Hariri en déclarant qu’il est coupable aujourd’hui parce que son père l’était hier. On saisira le Conseil de sécurité de l’ONU et l’on placera la Syrie en accusation. Car l’un des buts de toute cette manœuvre est d’utiliser la Liban comme porte d’entrée dans la Syrie.

Enfin, c’est le scénario tel qu’il est prévu, mais c’est compter sans le Hezbollah. Le Hezbollah a gagné les élections municipales, il est représenté au Parlement et il a réuni près d’un million et demi de manifestants à Beyrouth, mais la presse atlantiste feint d’ignorer son évolution et continue à le présenter comme un groupuscule terroriste. Le Hezbollah n’a pas vocation à rester un groupe armé, mais c’est lui qui a défendu le Liban face à Israël et il n’abandonnera pas le pays. Il ne renoncera aux armes que lorsque l’armée libanaise aura été totalement reconstituée et sera apte à défendre seule le pays. Il n’abandonnera pas non plus la pays aux mains de quelques immigrés libanais corrompus par le département d’État.

Al-Arabiya : Il y a énormément de questions qui sont posées sur les activistes islamistes accusés d’être derrière les attentats du 11 septembre. La plus importante est « Pourquoi a-t-on baissé le regard devant Hassan Al-Tourabi » ?

Thierry Meyssan : Je suis très heureux que vous posiez cette question qui est totalement occultée dans la presse occidentale. Hassan Al-Tourabi était l’alter ego d’Oussama Ben Laden. Dans leur tandem, c’était lui qui était chargé des relations extérieures, bien qu’il n’ait jamais été un grand diplomate. Il était reçu partout dans le monde, jusqu’au Vatican. C’est pourquoi, il est difficile aujourd’hui de le diaboliser : il n’y a pas de photos d’Oussama Ben Laden avec les grands de ce monde, mais il y en a beaucoup d’Hassan Al-Tourabi. En réalité, tous deux n’ont jamais fait que défendre les intérêts de Washington, surtout lorsqu’ils clamaient le contraire, car leur rôle était alors de stériliser toute opposition arabe à l’impérialisme états-unien.

Al-Arabiya : En analysant tous les arguments développés jusqu’à présent, croyez-vous que l’étape américaine suivante sera une attaque militaire contre l’Iran ? Et qu’en sera-t-il pour la Syrie ?

Thierry Meyssan : George W. Bush a annoncé son intention de « remodeler le Grand-Moyen-Orient ». Concrétement cela signifie détruire les États actuels, redéfinir les frontières et les gouvernements, contrôler les populations et faire main basse sur le gaz et le pétrole. Les États-Unis habillent leur dessein colonial d’une rhétorique de « démocratisation ». Nous autres, Européens, avons déjà commis ces mêmes crimes, mais nos arrières grands-parents parlaient de « civiliser » les peuples qu’ils opprimaient. Nous avons compris nos erreurs, les États-Unis ont simplement un siècle de retard.

Le Pentagone se prépare à attaquer la Syrie et l’Iran. Mais la CIA pense être capable de renverser les gouvernements de ces pays sans recours à l’action militaire. En réalité, le Pentagone est hésitant : la Syrie n’a pas les moyens de se défendre, mais elle peut agir en rétorsion contre Israël ; l’Iran a acquis des missiles stratégiques russes, il pourrait couler un super tanker dans le Golfe, bloquer le trafic pétrolier et l’économie mondiale ; il pourrait aussi couler un porte-avion US. Attaquer l’Iran et la Syrie, c’est évidemment plus compliqué que d’envahir un pays déjà mis à genoux par deux guerres et douze ans d’embargo.

Al-Arabiya : Les estimations et les analyses des experts concernant les attaques terroristes en Arabie Saoudite, au Koweït sont très divergentes. Est-ce que cela veut dire qu’Al-Qaïda est en train de d’élargir son terrain d’activité aux pays du Golfe ? Et croyez-vous à des attaques immenses qui viseraient les puits pétroliers dans cette région ?

Thierry Meyssan : Cette divergence est normale, parce que Al Qaïda en tant qu’organisation islamique mondiale n’existe pas et que tout le monde emploie cette expression avec des sens différents. Ce sont des groupes distincts qui ont agi en Arabie saoudite et au Koweït, bien sûr, ils ont en commun de se réclamer d’un même extrémisme idéologique, mais ça n’en fait pas une organisation transnationale et ça ne les lie pas aux autres problèmes du monde. Ces groupes n’ont pas la capacité de vastes attaques contre les puits de pétrole du Golfe, mais les États qui les manipulent, le peuvent.

Le prince régent Abdallah a lui-même nommément désigné ces États pour ce qui est des groupes agissant en Arabie saoudite. Ceux qui font la guerre pour s’approprier le pétrole irakien et sont prêts à déclencher de nouvelles guerres pour s’emparer du pétrole iranien utilisent leurs services secrets pour faire pression sur les États pétroliers « amis » qui veulent réévaluer le montant des royalties payées par les compagnies étrangères.

Les États-Unis consomment deux fois plus d’énergie par habitant que l’Union européenne. George W. Bush a déclaré : « Notre mode de vie n’est pas négociable ». Or, le marché mondial du pétrole est en train de s’inverser. La demande devient supérieure à l’offre au moment même où l’exploitation de nouveaux gisements devient plus onéreuse. Les États développés deviennent des prédateurs pour alimenter leur économie. Ils convoitent d’abord les ressources énergétiques de leurs ennemis, puis celles de leurs amis. Aucune amitié ne résiste à cela.

Al-Arabiya : Enfin permettez-moi une dernière question. Elle concerne le bénéfice matériel et moral que vous avez gagné grâce à la vente de votre livre ? Quelques-uns parlent d’une énorme fortune que vous aurait rapporté la vente de votre livre qui en fait serait la seule cause qui vous pousserait à aborder ces sujets très sensibles. Comment répondez vous à ces allégations ?

Thierry Meyssan : Le succès mondial de mes livres a rapporté beaucoup d’argent. Encore qu’il faut avoir un ordre de grandeur : un livre à l’échelle internationale rapporte moins qu’un disque à l’échelle nationale. Cet argent je ne l’ai pas utilisé pour moi, mais pour financer -avec d’autres- et développer l’association que je préside, le Réseau Voltaire. J’ai rassemblé autour de moi des militants et des intellectuels. J’ai créé diverses structures, en Europe, dans le monde arabe et en Amérique latine, qui perçoivent directement ou indirectement mes droits d’auteur. Elles éditent des sites d’information et d’analyse en plusieurs langues.

J’ai toujours consacré mon travail à mes idées, sans me préoccuper ni de ma carrière, ni de mon standing de vie. Il se trouve qu’un succès de librairie m’a permi de disposer de moyens financiers pour diffuser mes idées. Cela n’a rien changé dans ma vie. Je ne me suis acheté ni voitures, ni maisons. Je ne suis pas parti m’installer sur une plage paradisiaque. J’ai continué à travailler 70 heures par semaines et à publier des articles. Maintenant, le bulletin que j’édite quotidiennement rencontre l’intérêt des gens et particulierement des responsables politiques. Il sera disponible gratuitement en arabe par e-mail à partir du mois prochain. Des gouvernements me consultent à propos de mes analyses de la situation internationale. Je suis fier de voir qu’ils tiennent souvent compte de mes rapports et de retrouver, dans tel ou tel discours officiel, des points de vue et des formules que je leur ai présentés.

Ma seule motivation, c’est de lutter pour la paix et la liberté. On peut douter de l’efficacité d’un simple intellectuel pour une telle ambition, mais je ne pense pas que mon action laisse le moindre doute sur ma sincérité.

Al-Arabiya : Monsieur, après ces questions, permettez-moi de vous présenter mes salutations chaleureuses pour vous et toute l’équipe du Réseau Voltaire. Au revoir.