Tous les grands États industrialisés admettent désormais publiquement que le pic mondial de la production de pétrole brut interviendra avant la fin de la décennie. Dès lors, l’Europe s’impose comme partenaire privilégié aux yeux de Mohammed Khatami, tandis que les tenants du soft-power états-uniens s’échinent à vouloir demander aux Iraniens de couler leur propre navire.
L’OPEP a déclaré à demi-mot qu’elle avait atteint son plafond de production. Le pic mondial de la production de pétrole brut avant la fin de la décennie, dont nous vous entretenons souvent dans ces colonnes et sur lequel un des administrateurs du Réseau Voltaire travaille régulièrement depuis trois ans, auprès notamment de géologues pétroliers internationaux et confirmés, est ainsi dorénavant officiellement admis par l’ensemble des gouvernements des pays industrialisés.
Si l’industrie pétrolière communique toujours timidement ses révisions de réserves et prévisions de production à la baisse, craignant la sanction des actionnaires, l’Agence Internationale à l’Énergie vient d’inverser sa courbe de prévision pour la production future. En France, les principaux dirigeants politiques s’expriment tour à tour dans ce sens, parfois gênés d’être forcés d’entrevoir la fin - momentanée du moins - de la sacro-sainte croissance, parfois enthousiastes d’y découvrir un nouveau terreau sur lequel ils peuvent développer un discours solidaire. Aux États-Unis, un représentant du Maryland a animé un atelier pédagogique du Congrès sur ce thème.
Mais nous ne sommes encore qu’au tout début d’une prise de conscience collective et progressive d’un phénomène qui n’a pas d’équivalent dans l’histoire de l’humanité, qui risque, à un moment ou à un autre, de provoquer des mouvements de panique et de prédation.
Toujours est-il que les conséquences politiques de ce début de prise de conscience se dessinent chaque jour plus nettement. Ainsi les négociations sur le nucléaire iranien se sont inévitablement recentrées sur le partenaire européen, qui tient un discours beaucoup plus rationnel : ce pays ne montre en effet aucun signe menaçant, sauf pour la survie de l’industrie pétrolière anglo-saxonne, tant que le pétrole iranien n’est pas privatisé du moins. Or avec sa population jeune, son développement rapide et sa production de brut qui va chuter dès les années 2010, l’Iran agit de façon très sage en optant pour le nucléaire civil. Il maintiendra ainsi des exportations de brut qui contribueront à assurer la transition énergétique du reste du monde.
Mohammad Khatami, le président de la République islamique d’Iran, tient dans Le Figaro un discours politique nationaliste, clair et raisonnable, à ce sujet et au-delà sur la démocratisation de la région : dans le fond, le peuple reconnaît toujours sont intérêt, mais dans la forme que prend la démocratie et le temps qu’elle met à s’installer, il n’y a pas de modèle absolu. Par ailleurs, il réaffirme sans surprise sa satisfaction devant un pouvoir shiite plus fort en Irak, ce qui va encore une fois dans l’intérêt de tous les Iraniens. Lorsqu’il confirme que son pays n’écarte pas la possibilité d’une attaque états-unienne ou israélienne, on peut s’étonner qu’il ne soit pas plus inquiet du chaos régnant toujours en Irak et des risques que cela implique.
Ayant compris le rejet par toutes les parties de l’agressivité néo-conservatrice sur cette question du nucléaire, deux chantres du "soft power" font l’apologie de la méthode douce dans l’International Herald Tribune. George Perkovich suggère d’acheter la bonne volonté du gouvernement iranien, technique qui fut employée avec la Corée du Nord par Bill Clinton dans les années 90 et consistait alors à fournir du pétrole à Pyongyang en échange du gel de son programme nucléaire (la fin impromptue de ces livraisons en 1994 étant l’une des causes principales de la fameuse famine qui sévit alors). Malheureusement il semble comprendre moins bien la thermodynamique en jeu cette fois ; c’est précisément le pétrole iranien ou ses dividendes dont les États-Unis ont besoin, et un Iran nucléaire les empêcherait définitivement de l’obtenir.
L’influent homme d’affaires Stanley Weiss est quant à lui partisan de l’invasion économique, qui selon lui finirait par déloger les "Mollahs" du pouvoir. En fait, comme c’est le cas pour George Soros, on comprend qu’il défend avant tout ses intérêts personnels, car il affiche une profonde méconnaissance de la société iranienne, de son expérience de l’ingérence capitaliste sous le régime du shah, qui l’a convaincue que ce fonctionnement n’était pas la panacée des États pétroliers. Contrairement à George Perkovich, il ne prend pas en compte la composante nationaliste, le fait que le peuple tienne naturellement à garder nationalisées les ressources qui lui appartiennent.
Les Russes réagissent inévitablement de la même façon en soutenant la politique de réappropriation des ressources de Vladimir Poutine qui vient par exemple de décider d’exiger une majorité d’investissements russes pour l’exploitation des gisements de l’Est sibérien. C’est tout à l’avantage d’Israël, dont les liens économiques avec la Russie augmentent à mesure que des Russes s’y installent, au moment où les États-Unis remettent en cause leur soutien inconditionnel à l’État juif et s’embourbent en Irak.
Les trois oligarques russes installés en Israël, Leonid Nevzlin, Vladimir Dubov et Mikhail Brudno, ont récemment fait une entrée magistrale dans un secteur énergétique israélien bien mal en point ces derniers temps, qui plus est secoué par des scandales de blanchiment d’argent. Ils viennent en effet de prendre, avec leur société Menatep, filiale de Yukos héritée de Michael Khodorkhovsky, une part décisive au capital de la société Israel Petrochemical Enterprises.
Cette dernière pesant de plus en plus lourd sur le marché israélien, l’économie israélienne va progressivement se retrouver sous perfusion de la production pétrolière russe, qui est pour partie contrôlée par Yukos.
Dans la foulée, ces trois oligarques ont accepté de régler la dette de Michael Khodorkhovsky envers l’État russe, et Leonid Nevzlin explique dans Vremya Novostyey qu’il va cesser de soutenir financièrement les publications des Nouvelles de Moscou, qui servaient de tribune aux oligarques contre Poutine, espérant bien calmer les Russes encore sous le coup du pillage de leur État. De quoi réchauffer sérieusement les poignées de main lorsque Vladimir Poutine rendra visite à Ariel Sharon en Israël prochainement. Ariel Sharon qui justement ne mâche pas ses mots lorsqu’il joue sur les sentiments pour s’adresser aux Russes dans Trud. Il y rend un vibrant hommage à la contribution de la Russie dans la lutte contre le nazisme, dénonce les amalgames entretenus entre Hitler et Staline, réaffirme ses bonnes relations avec Poutine et ses propres origines en Russie. Mais il voudrait lui aussi que la Russie soit plus indulgente à l’égard d’Israël, au conseil de sécurité de l’ONU notamment.
Enfin, l’ambassadeur états-unien en Biélorussie George Krol s’adresse lui aussi aux Russes, dans Vremya Novostyey. Il tente de les rassurer sur l’intention qui se cache derrière la proposition de loi sur la démocratie, qui prend des airs de révolution colorée. Il élude bien entendu soigneusement les questions stratégiques et donne une image idéalisée, purement compassionnelle de l’action des ONG états-uniennes dans le pays. Les données générales sur le gaz naturel, pierre d’angle de l’interdépendance économique russo-biélorusse croissante, contredisent pourtant son affirmation selon laquelle les États-Unis ont les mêmes intérêts que l’Europe et la Russie vis-à-vis de ce pays. En effet la Biélorussie a un avenir économique en tant que courroie de transmission du partenariat russo-européen essentiellement, et comme pour le nucléaire iranien, Washington tente de semer la discorde afin d’en récolter les fruits.
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