Il y a eu beaucoup de discussions sur la politique à mener pour « gérer l’ascension de la Chine ». Cette expression elle-même dénote une vision d’une Chine évoluant graduellement et contre laquelle on aura bien le temps de réagir si elle doit devenir une menace. On nous dit par ailleurs que si l’on traite trop vite la Chine en ennemi, alors elle se comportera en ennemi. L’idée même selon laquelle la montée en puissance de la Chine est un phénomène gérable est rassurante, mais l’Histoire des puissances ne plaide pas en faveur de cette hypothèse.
À l’exception de la gestion de l’ascension états-unienne par l’empire britannique, jamais la naissance d’une nouvelle puissance n’a été bien gérée par les puissances établies. Si le cas des États-Unis est une exception, c’est sans doute parce que Britanniques et États-uniens partageaient les mêmes valeurs. Les cas de l’Allemagne et du Japon au XXième siècle sont des exemples historiques bien moins rassurants. Or, nous n’avons aucune raison de nous croire plus intelligents aujourd’hui que les dirigeants de l’époque. Après tout, nous aussi prétendons pouvoir adoucir les nouvelles puissances en faisant du commerce avec elles.
Aujourd’hui, rien ne prouve que la Chine désire intégrer le « système international » si celui-ci ne l’arrange pas. Nous devons comprendre que la nature de l’avènement de la Chine sera avant tout déterminée par les Chinois et non pas par nous. Bientôt, la Chine pourra défier les États-Unis et ses alliés en Asie. Il faut donc une politique d’endiguement du développement chinois, ce qui suppose de considérer Pékin comme un ennemi.

Source
Washington Post (États-Unis)
Quotidien états-unien de référence, racheté en août 2013 par Jeff Bezos, fondateur d’Amazon.

« The Illusion of ’Managing’ China », par Robert Kagan, Washington Post, 15 mai 2005.