Manifestation devant l’Hôtel de Ville de Paris
Photo : Eduardo Inclan

Des élus locaux se sont inquiétés, à juste titre, des dangers encourus par les participants à des rave-parties, souvent improvisées dans des lieux inappropriés. Ils ont aussi dû répondre aux récriminations de riverains puis, une fois la fête finie, ont dû remettre les lieux en état aux frais de leur commune.

L’État ne leur apportant aucun secours, l’un d’eux, Thierry Mariani, a profité de la discussion du projet de loi sur la sécurité quotidienne pour préconiser des mesures répressives. À défaut d’organiser les raves, on les empêchera en menaçant les musiciens de saisir les matériels de sonorisation. Cette apparente solution a été soutenue en séance par le rapporteur, Bruno Le Roux et par le ministre de l’Intérieur, Daniel Vaillant, tous deux socialistes.

Thierry Mariani, député RPR d’une circonscription où le vote FN est massif, se montrait volontiers sécuritaire. Daniel Vaillant en rajouta à son tour pour parfaire son image. Au Sénat, il affirma la nécessité de compléter cet arsenal répressif avec des sanctions fiscales à l’encontre des sociétés organisatrices. Après un vote quasi-unanime en première lecture, l’opinion publique s’alarma de cette dérive du débat. De la question initialement posée, on est arrivé par glissements successifs, à la reproduction de l’affrontement stérile entre vieux insomniaques et jeunes irresponsables. Face aux protestations de leurs électeurs, les députés socialistes furent les premiers à faire demi-tour. Le ministre se crispa sur sa position, et soutenu publiquement par Lionel Jospin, en vint à parler d’autorisation préalable des raves.

On ne peut que s’étonner de la mauvaise foi du ministère de l’Intérieur.

La saisie de matériel de sonorisation est contraire à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. La France ne manquerait pas d’être condamnée si elle adoptait une telle législation. Au demeurant, la saisie est généralement impraticable car la plupart des musiciens louent des sonos dont ils ne sont pas propriétaires. Et la Déclaration de 1789 interdit d’appliquer une sanction pénale à des tiers, les loueurs.

Le projet de sanctions fiscales est ubuesque, dans la mesure où les raves sont des manifestations désorganisées, sans responsable hiérarchique. Sauf bien sûr à pénaliser la fête, à raffler tous les participants à une rave et à dresser à chacun une contravention.

On imagine avec effroi ce que serait notre pays si l’on appliquait le projet Mariani-Vaillant aux défilés syndicaux et politiques, en saisissant les sonos et en verbalisant les militants.

Au demeurant, la question fondamentale posée par les élus locaux est celle de la responsabilité en matière de sécurité, d’hygiène et de propreté. Les raves sont des rassemblements non marchands, parfois de grande ampleur, animés par des bénévoles. Elles sont régies par le droit commun des manifestations qui dérive du droit constitutionnel d’expression.

Photo : Eduardo Inclan

En démocratie, les manifestations ne peuvent faire l’objet d’autorisation, mais peuvent être soumises à déclaration. Ainsi, la loi fait obligation aux personnes qui appellent à manifester d’en informer les autorités préfectorales sous quarante-huit heures, de sorte que celles-ci puissent mettre en place la logistique nécessaire à la sécurité des participants et à l’entretien du domaine public. Si le préfet constate l’inadéquation du lieu, il peut interdire la manifestation. Mais il lui incombe dès lors d’indiquer aux appelants un lieu de substitution.

Il en va différemment pour les manifestations musicales commerciales qui sont, elles, soumises à autorisation préalable. Elles nécessitent une mise à disposition contractuelle, temporaire et payante, du domaine public. C’est à leur endroit seul, et dans le but de définir des conditions identiques pour tous, que le ministère de l’Intérieur peut rédiger une charte déontologique.

Mais aucune charte, aucun contrat, ne peut régir les manifestations non marchandes en se substituant à la loi.

La situation actuelle n’est pas imputable aux raveurs, mais découle de l’incompréhension des pouvoirs publics et de leur fuite des responsabilités

Les raveurs demandent à entrer dans le droit commun et à exercer leurs droits constitutionnels, de sorte que les forces de l’ordre assurent la sécurité des free-parties au lieu de les verbaliser, voire de les matraquer. Les élus locaux souhaitent ne pas être rendus responsables d’éventuels accidents survenus dans leur commune, ni devoir payer la facture de la remise des lieux en état. Tous rappellent que, dans cette situation, l’Etat républicain n’est légitime que lorsqu’il assure un service public et non quant il méprise et discrimine. Tous attendent que le ministère de l’Intérieur assume enfin ses responsabilités. Il n’est pas besoin pour cela d’adopter de nouvelles lois.

Collectif 663 et Réseau Voltaire