Le Sénégal connaît, depuis quelques années, une véritable explosion de la consommation des drogues. Elle touche en particulier les jeunes appartenant aux couches défavorisées, en ville comme dans les campagnes : yamba (chanvre indien), guinze (solvants), pions (médicaments), katidjan-tabe (décoction de datura), sont les produits locaux les plus couramment utilisés. Mais l’affluence de touristes dans certaines régions donne également une impulsion au commerce et à l’usage des drogues. Les Européens, vacanciers de passage ou plus durablement établis, sont à l’origine à la fois d’une augmentation de la demande de yamba et de l’introduction de la cocaïne et de l’héroïne. C’est le cas sur "La Petite Côte", zone balnéaire qui s’étend sur une quarantaine de kilomètres au sud de Dakar. Sa capitale, Mbour (près de 100 000 habitants), offre des milliers de lits dans les hôtels, les villages de vacances ou chez l’habitant. Parmi les touristes, dont les plus nombreux sont les Allemands, suivis des Italiens et des Français, on trouve des "habitués", parfois mariés à des autochtones, qui attirent leurs amis. Les plus fortunés ont bâti des résidences somptueuses. Un coût de la vie relativement bas, le soleil et la mer, la prostitution féminine et masculine, enfin des "joints" à des prix défiant toute concurrence, sont les principaux attraits de Mbour à leurs yeux. Le yamba est cultivé sur une multitude de petites plantations, disséminées au sein de cultures maraîchères, dans des régions plus au sud - en Gambie, dans la région sénégalaise de la Casamance, en Guinée-Bissau - éloignées de 100 à 200 kilomètres par la route. Mais leur production peut être acheminée à Mbour par des pirogues à moteur qui longent la côte en deux ou trois heures. De Gambie, pays encastré dans le Sénégal et dont la frontière est une véritable passoire, proviennent également des médicaments psychotropes. La plaque-tournante de ce trafic intérieur est la ville de Kaolak où, selon les déclarations d’un juge au correspondant de l’OGD, la police saisit en moyenne de 10 à 20 kilos d’"herbe" chaque semaine. Un village de lépreux, situé à trois kilomètres de Mbour, est un des lieux de transit. Dans cette ville, les grossistes sont souvent des hôteliers ou des commerçants. Les petits dealers se recrutent en particulier parmi les "antiquaires" - revendeurs d’objets artisanaux fabriqué sur place - car ils sont en contact directs avec les touristes. La revente se fait aussi à travers les "boys", personnes à tout-faire au service des touristes. Antiquaires et boys sont en général de jeunes ruraux, attirés par le mirage de la ville et qui s’y retrouvent sans emploi et sans avenir. Les touristes importent, d’abord pour leur consommation personnelle, de l’héroïne et de la cocaïne. Ils en font bénéficier leurs amis sénégalais, et c’est ainsi que s’est créée, petit-à-petit, une demande qui suscite un trafic de fourmis avec l’Europe. D’anciens antiquaires font de fréquents voyages et montrent des signes de richesse sans rapport avec leurs revenus licites. Si à Mbour la rumeur publique accuse certains policiers et même des magistrats d’être complices de ce trafic, le procureur départemental, mène, avec sa propre brigade d’incorruptibles, une guerre sans merci à la drogue. Mais tant que les autorités nationales, pour ne pas décourager les touristes qui constituent une des principales sources de devises du Sénégal, s’abstiendront de les faire contrôler au passage de la douane et à l’intérieur du pays, le trafic des drogues aura de beaux jours devant lui sur La Petite Côte (correspondant OGD au Sénégal).

(c) La Dépêche Internationale des Drogues n° 23