Ibrahim Rugova, sa famille et son conseiller, ont été libérés à l’initiative de la Communità Sant’Egidio, une association para-diplomatique du Saint-Siège. Ils ont immédiatement été transportés à Rome où ils ont été accueillis par les autorités pontificales et italiennes.

Compte tenu des méthodes non-violentes qu’il promeut, Ibrahim Rugova pourrait faciliter une sortie du conflit militaire. Mais il est aujourd’hui prisonnier de ses contradictions. Partisan d’une liberté ethnique, Rugova a négocié, par l’entremise de la Communità Sant’Egidio en 1996, un accord avec Milosevic garantissant la paix scolaire par l’installation d’un apartheid institutionnel. Les infrastructures étaient dévolues le matin aux Serbes, l’après-midi aux Albanais. Il a progressivement instauré une société parallèle au Kosovo, dans tous les domaines de l’administration. Cette politique, bien que basée sur la non-violence physique, s’est avérée d’une terrible violence morale, divisant la population en deux communautés séparées, mutuellement exclues. Elle a ouvert la voie au terrorisme de l’UÇK.

Rugova a longtemps jouit de la confiance des grandes puissances, qui voyaient dans sa non-violence physique une garantie du respect de l’intégrité territoriale de la RFY, bien qu’il n’ait cessé de revendiquer l’indépendance du Kosovo et se soit fait élire président de la république parallèle. Puis, il a été lâché par les États-Unis qui lui ont préféré une UÇK largement contrôlée par les services allemands.

Logique avec lui-même, Ibrahim Rugova a appelé au cessez-le-bombardement et à la reprise de l’action non-violente. Pour cela, il a été jugé coupable de haute trahison par l’UÇK et condamné à mort. S’appuyant sur les Accords de Rambouillet, l’UÇK a formé un gouvernement provisoire concurrent de celui mis en place par Rugova. Malgré de nombreuses tentatives de conciliation, conduites par l’Albanie, les deux partis rivaux ne sont plus en mesure de s’accorder. Pour rester dans le jeu, Rugova a approuvé à Rome les propositions de la communauté internationale pour le règlement du conflit, ce qui équivaut à faire avec les frappes de l’OTAN, sans avoir à les approuver ou à les condamner.

Pour Milosevic, la libération de Rugova est surtout un moyen de diviser aussi bien les membres de l’OTAN que les Albanais.

Thierry Meyssan